Texte intégral
La réforme qui est proposée aujourdhui à votre examen relève dun domaine très sensible humainement et médicalement, car il concerne des personnes souffrant de troubles mentaux.
Il sagit dun sujet douloureux, qui doit mettre notre pays à la hauteur de ses responsabilités.
* Une loi destinée aux patients souffrant de troubles mentaux sévères, rendant impossible leur consentement aux soins.
Comme vous le savez, les troubles mentaux touchent un cinquième de la population française. En 2008, 1,3 million de personnes adultes ont ainsi été prises en charge, dont 70% exclusivement en ambulatoire.
Le projet de texte que vous allez étudier concerne uniquement les personnes atteintes de troubles mentaux sévères, dallure psychotique, cest-à-dire 3% de la population, dont un tiers est diagnostiquée comme schizophrène : cest-à-dire 70 000 patients par an, qui souffrent de troubles rendant impossible leur consentement aux soins.
* Les lois de 1838 et 1990. Nous partons sur un dispositif solide :
Laccueil des malades psychiatriques selon des modalités spécifiques, et notamment quand ils ne peuvent pas consentir aux soins, a été prévue dès 1838 par la loi obligeant tous les départements de France à construire un établissement spécialisé dans laccueil des malades psychiatriques : cest pourquoi ces établissements sont bien connus et identifiés par lensemble de nos concitoyens.
Mais il aura fallu attendre 1990 pour réformer cette loi :
* pour prévoir que lhospitalisation libre soit la règle
* pour que lhospitalisation sous contrainte devienne une exception, dûment motivée et encadrée.
Néanmoins cette loi na pas résolu tous les problèmes posés et notamment :
* elle ne permet pas doffrir aux malades qui ne peuvent pas consentir aux soins les formes contemporaines de prise en charge, notamment extra-hospitalières ;
* elle na pas permis de résoudre le cas des personnes qui doivent être hospitalisées, mais pour lesquelles aucun proche ne peut en faire la demande ;
* elle fait intervenir immédiatement la mesure dhospitalisation sous contrainte, alors que, souvent, une période dobservation de trois jours permet de dénouer la crise et dobtenir que le patient consente aux soins, même sous forme dhospitalisation à temps complet.
Cest précisément lamélioration de ces trois points auquel vise le texte qui vous est présenté.
Il est important de rappeler, alors que souvre lannée des patients et de leurs droits, que toute atteinte à leur liberté ne peut être motivée que par la spécificité inhérente à leur état de santé.
Cest pourquoi les dispositions de ce projet sinscrivent dans les préconisations des différents rapports dévaluation de la loi du 27 juin 1990, dont je viens de rappeler le bien-fondé, mais aussi les limites, et plus spécifiquement dans les propositions du rapport conjoint de linspection générale des affaires sociales et de linspection générale des services judiciaires remis en mai 2005.
Ce bilan de lapplication de certaines des dispositions de la loi a constitué le socle de la réflexion menée depuis sur la réforme de la loi de 1990, en particulier sur les points suivants :
* La nécessité de réviser ce dispositif pour tenir compte de la diversification des possibilités de prise en charge en psychiatrie. Je crois en effet quil simposait de ne pas se limiter à la seule modalité de lhospitalisation complète ;
* La nécessité de palier labsence de tiers demandeur pour procéder à lhospitalisation sans consentement de ce dernier, ce qui est de nature à retarder laccès aux soins ;
* Les modalités damélioration du fonctionnement des commissions départementales des hospitalisations psychiatriques. En effet, nous avons pu constater que le travail quantitatif de ces commissions départementales, pour louable quil soit, lemporte trop souvent sur le travail qualitatif : ainsi, la loi oblige les commissions à examiner la situation de toutes les personnes dont lhospitalisation sur demande dun tiers se prolonge au-delà de trois mois, alors même que ces commissions nont pas relevé dhospitalisations abusives.
Ces points damélioration ont été, depuis lévaluation de la loi de 1990, systématiquement rappelés dans toutes les concertations, avec les patients et leurs familles, comme avec les professionnels du soin psychiatrique.
Ce projet ne remet donc pas en question les fondements du dispositif actuel, qui permet une prise en charge, soit à la demande dun tiers, le plus souvent un membre de la famille, soit sur décision du préfet.
Mais il comprend des avancées substantielles, telles lintervention du juge des libertés et de la détention, afin de répondre à la décision du Conseil constitutionnel.
Dans le cadre dune question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a jugé le 26 novembre dernier qu « en prévoyant que lhospitalisation sans consentement peut être maintenue au-delà de quinze jours sans intervention dune juridiction de lordre judiciaire, les dispositions relatives au maintien en hospitalisation sur demande du tiers méconnaissent les exigences de larticle 66 de la Constitution ». Le Conseil Constitutionnel a donc fixé au 1er août la date de labrogation de ces dispositions.
Trois objectifs dans ce texte : un objectif de santé, un objectif de sécurité, un objectif de garantie des libertés individuelles.
Ce texte et les dispositions quil comprend poursuivent un triple objectif :
* un objectif de santé, en permettant une meilleure prise en charge des personnes nécessitant des soins psychiatriques ;
* un objectif de sécurité, en assurant celle des patients et des tiers, lorsquils représentent un danger pour eux-mêmes ou autrui ;
* un objectif de liberté, en garantissant aux patients le respect de leurs droits fondamentaux et de leurs libertés individuelles. 1) Lobjectif de santé se traduit donc, comme je vous lai dit, dans :
Le remplacement de la notion dhospitalisation par celle de « soins ». Il sera désormais possible doffrir à un malade qui ne peut consentir aux soins sur un temps long, la possibilité de ne pas devoir être hospitalisé continuellement.
Dès lors, il nest plus nécessaire de conserver le dispositif des sorties dessai. Seules des sorties de courte durée accompagnées dune durée de 12 heures maximum subsistent (pour effectuer des achats personnels, pour se rendre à un événement familial, pour effectuer des démarches administratives ).
Mesdames et Messieurs les Députés,
Nombre dhospitalisations sans consentement dun patient en état de crise peuvent être évitées, par des soins apportés dans les trois premiers jours au patient. Passé ce délai, une période dobservation et de soins initiale en hospitalisation complète dune durée maximale de 72 heures après ladmission dans les soins sans consentement est introduite.
Un certificat médical sera nécessaire pour lentrée, puis elle doit être confirmée par un certificat à 24 heures et un autre à 72 heures.
Linstauration de cette période permettra de mieux appréhender lévolution de létat mental du patient, et donc de pouvoir mieux décider des modalités de sa prise en charge, hospitalière ou extra-hospitalière.
Pour les raisons énoncées déjà, on crée ainsi une procédure de suivi des patients soignés sans leur consentement, sous une autre forme quen hospitalisation complète.
Ces soins seront dispensés sur la base dun protocole. Il devra préciser le type de la prise en charge, les lieux de traitement et la périodicité des soins. Lavantage de ce processus, cest de pouvoir adapter les modalités de cette prise en charge à tout moment.
Les tiers, qui sont souvent un membre de la famille, seront par ailleurs informés de tout changement de la prise en charge, dès lors quelle nintervient plus en hospitalisation complète.
Pour les patients en soins sans consentement, sur demande de tiers ou en cas de péril, cest le directeur de létablissement de santé, qui est lautorité administrative décidant de lentrée et de la sortie dune hospitalisation sans consentement sur demande dun tiers, qui devra prendre une décision conforme à la proposition de modification du médecin.
Pour les patients en soins sans consentement sur décision de lautorité publique, le préfet ne sera pas lié par lavis du médecin, et pourra ne pas modifier les modalités de prise en charge proposées.
Comme lont souligné de nombreux rapports, il ressort également que nombre de patients chroniques ayant perdu tout lien avec leur famille et leurs proches, il ny a pas de tiers qui puisse effectuer la demande de soins.
Cest pourquoi la nouvelle procédure permettra au directeur de létablissement, dans le seul cas de péril imminent pour la santé du patient, de prononcer ladmission du patient bien quaucun tiers ne se soit présenté. Cette disposition a ainsi pour but de garantir la prise en charge du patient, dès que son état de santé le nécessitera.
Cette création permettra de faire entrer dans les soins des personnes, qui étaient jusqualors hospitalisées doffice, alors même quelles ne présentaient pas un risque pour elles-mêmes ou pour les autres.
Cette disposition crée donc une procédure alternative dadmission. Car il était devenu nécessaire de permettre la prise en charge médicale des malades empêchés par leurs troubles mentaux den faire la demande, lorsquaucun proche ne peut présenter cette demande.
Il importe en contrepartie de veiller à ce que le recours à une telle procédure soit justifié par la gravité des conséquences dune absence de prise en charge pour la santé du patient. Cest pourquoi cette procédure est limitée à lexistence dun péril imminent pour la santé de la personne.
Dans les cas des patients en soins sans consentement, sur demande dun tiers, le psychiatre pourra sopposer à la demande de levée de la mesure formulée par le tiers, pour éviter toute rupture de soins.
En contrepartie, la liste des personnes ou des organismes pouvant entraîner la levée des soins sans consentement, sur demande dun tiers, ou en raison dun péril imminent, est élargie : ceci dans le but dinclure dans cette liste toutes les personnes répondant aux critères requis pour être tiers.
2) Lobjectif de sécurité, y compris de sécurité juridique pour les acteurs est aussi un des objectifs de cette loi :
Pour les patients en soins sans consentement sur décision du préfet, les dispositions de la loi sont de nature à faciliter la prise de décision du préfet pour autoriser une prise en charge autre quen hospitalisation complète ou la levée des soins sans consentement. Cette disposition est lillustration dun objectif de sécurité publique.
Pour tous les patients, les certificats proposant des prises en charge extrahospitalières ou des levées devront être établis par un psychiatre. Le psychiatre est la personne centrale dans la prise en charge du patient, et ses certificats devront être accompagnés du protocole de soins précisant les modalités concrètes de prise en charge.
Par ailleurs, des modalités particulières daccès aux soins ambulatoires ou alternatifs à lhospitalisation ont été prévues pour certains patients susceptibles de présenter un danger pour eux-mêmes et pour autrui.
Ce sont des personnes qui ont fait lobjet dune hospitalisation en application des articles L. 3213-7 et 706-135 du code de procédure pénale (soit les personnes ayant été déclarées irresponsables pénalement en raison de leurs troubles mentaux). Ce sont aussi des personnes qui, au cours dune hospitalisation sur décision du représentant de lEtat, auront séjourné dans une unité pour malades difficiles.
Pour mieux encadrer ces propositions de soins ambulatoires, il sera nécessaire daccompagner la demande au préfet dun avis collégial. Celui-ci associera le psychiatre traitant du patient, un psychiatre de létablissement et un membre de léquipe qui suit le patient au quotidien (cadre de santé, assistant social, infirmier, psychologue ). Le but de cet avis, cest de conforter lexamen du psychiatre traitant. Lensemble de ces avis seront dailleurs transmis au préfet pour étayer sa décision. En cas de désaccord entre, soit les membres du collège, soit le collège et les experts, il appartiendra donc au préfet de suivre ou non lavis du psychiatre suivant le patient, le cas échéant en sollicitant une ou des expertises supplémentaires.
Pour ces mêmes patients, en cas de demande de sortie accompagnée (sortie de moins de 12 heures), le préfet devra désormais émettre une autorisation explicite.
Dans un souci de cohérence, lexigence de lavis concordant de deux experts choisis par le procureur de la République pour la levée de la mesure de soins sans consentement déjà requise pour les patients ayant fait lobjet dune hospitalisation doffice prononcée à la suite dune décision dirresponsabilité pénale est étendue au patient ayant été en unité pour malade difficile.
Pour les soins sans consentement à la demande de tiers ou en cas de péril, le directeur de létablissement est identifié comme lautorité administrative prenant la décision dadmission et celles de maintien, qui seront ainsi formalisées et susceptibles de recours.
3) Lobjectif de garantie des libertés individuelles des patients est également pris en compte :
Le bien-fondé des hospitalisations complètes sans consentement, dès lors que leur durée, à compter de lhospitalisation initiale, excède 15 jours, sera soumis au contrôle systématique du juge des libertés et de la détention.
Le Gouvernement a fait le choix de prévoir un renouvellement du contrôle de plein droit exercé par ce juge tous les six mois, à compter de la première décision du juge intervenue au plus tard le quinzième jour de lhospitalisation ou de la dernière décision judiciaire rendue.
Cette solution est apparue suffisamment protectrice de la liberté individuelle : car elle maintient la nécessité de la prolongation de la mesure, dans les intervalles entre les contrôles du juge, tout en permettant à la personne hospitalisée davoir accès à tout moment au recours facultatif prévu par larticle L .3211-12 du code de la santé publique.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel ne sest pas estimé saisi de la conformité à la Constitution du régime de lhospitalisation doffice. Il nen demeure pas moins que les spécificités des mesures dhospitalisation doffice ne semblent pas permettre de considérer quelles échapperaient aux griefs ayant justifié la déclaration dinconstitutionnalité dans le cas de lhospitalisation à la demande dun tiers. La nécessité dune intervention du juge, en cas de prolongation de lhospitalisation au-delà de 15 jours puis de 6 mois, doit donc trouver également application aux mesures dhospitalisation doffice.
Une question spécifique était posée par les mesures dhospitalisation doffice concernant les personnes déclarées irresponsables pénalement, mesures qui se trouvent directement prononcées par une juridiction dinstruction ou par une juridiction pénale de jugement en application de larticle 706-135 du code de procédure pénale.
Cet article na en effet prescrit aucun réexamen à terme de la situation du malade, seul restant ouvert à celui-ci le recours devant le juge des libertés et de la détention propre au régime actuel.
Dans une telle hypothèse, il a été estimé que lintervention du juge dans les quinze jours de la décision initiale était inutile, puisque celle-ci a été prononcée par lautorité judiciaire
CONCLUSION
Mesdames et Messieurs les Députés,
Ce projet de loi vise dabord à permettre un meilleur accès des malades souffrant de pathologies graves aux soins, selon les modalités qui leur seront le mieux adaptées, aux différents moments de lévolution de leur pathologie. Il permet également de garantir à lensemble de la population et aux malades et à leurs familles que, quand il y a risque grave datteinte à sa sécurité et à la sécurité dautrui, toute personne pourra être prise en charge de manière continue et efficace.
Ce projet de loi préserve donc un équilibre difficile entre le risque de stigmatiser les malades mentaux, dune part, et le risque de dénier la spécificité de leurs troubles et des conséquences quils induisent, dautre part.
Le contrôle systématique par le juge des libertés et de la détention de toute mesure dhospitalisation sous contrainte se prolongeant au-delà de 15 jours (et ensuite tous les six mois) apporte une garantie nouvelle du point de vue des libertés publiques.
Enfin, lintroduction de modalités de soins sans consentement sous des formes autres que lhospitalisation à temps plein permet de faire bénéficier ces malades de la même qualité de soins que tous les malades mentaux.
Source http://www.sante.gouv.fr, le 29 mars 2011