Déclaration de Mme Nora Berra, secrétaire d'Etat à la santé, sur la prise en charge, l'accueil et les soins des personnes souffrant de troubles mentaux et le traitement des maladies psychiatriques, Paris le 16 mars 2011.

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Circonstance : Examen du projet de loi sur les soins psychiatriques à l'Assemblée nationale le 16 mars 2011

Texte intégral


La réforme qui est proposée aujourd’hui à votre examen relève d’un domaine très sensible humainement et médicalement, car il concerne des personnes souffrant de troubles mentaux.
Il s’agit d’un sujet douloureux, qui doit mettre notre pays à la hauteur de ses responsabilités.
* Une loi destinée aux patients souffrant de troubles mentaux sévères, rendant impossible leur consentement aux soins.
Comme vous le savez, les troubles mentaux touchent un cinquième de la population française. En 2008, 1,3 million de personnes adultes ont ainsi été prises en charge, dont 70% exclusivement en ambulatoire.
Le projet de texte que vous allez étudier concerne uniquement les personnes atteintes de troubles mentaux sévères, d’allure psychotique, c’est-à-dire 3% de la population, dont un tiers est diagnostiquée comme schizophrène : c’est-à-dire 70 000 patients par an, qui souffrent de troubles rendant impossible leur consentement aux soins.
* Les lois de 1838 et 1990. Nous partons sur un dispositif solide :
L’accueil des malades psychiatriques selon des modalités spécifiques, et notamment quand ils ne peuvent pas consentir aux soins, a été prévue dès 1838 par la loi obligeant tous les départements de France à construire un établissement spécialisé dans l’accueil des malades psychiatriques : c’est pourquoi ces établissements sont bien connus et identifiés par l’ensemble de nos concitoyens.
Mais il aura fallu attendre 1990 pour réformer cette loi :
* pour prévoir que l’hospitalisation libre soit la règle
* pour que l’hospitalisation sous contrainte devienne une exception, dûment motivée et encadrée.
Néanmoins cette loi n’a pas résolu tous les problèmes posés et notamment :
* elle ne permet pas d’offrir aux malades qui ne peuvent pas consentir aux soins les formes contemporaines de prise en charge, notamment extra-hospitalières ;
* elle n’a pas permis de résoudre le cas des personnes qui doivent être hospitalisées, mais pour lesquelles aucun proche ne peut en faire la demande ;
* elle fait intervenir immédiatement la mesure d’hospitalisation sous contrainte, alors que, souvent, une période d’observation de trois jours permet de dénouer la crise et d’obtenir que le patient consente aux soins, même sous forme d’hospitalisation à temps complet.
C’est précisément l’amélioration de ces trois points auquel vise le texte qui vous est présenté.
Il est important de rappeler, alors que s’ouvre l’année des patients et de leurs droits, que toute atteinte à leur liberté ne peut être motivée que par la spécificité inhérente à leur état de santé.
C’est pourquoi les dispositions de ce projet s’inscrivent dans les préconisations des différents rapports d’évaluation de la loi du 27 juin 1990, dont je viens de rappeler le bien-fondé, mais aussi les limites, et plus spécifiquement dans les propositions du rapport conjoint de l’inspection générale des affaires sociales et de l’inspection générale des services judiciaires remis en mai 2005.
Ce bilan de l’application de certaines des dispositions de la loi a constitué le socle de la réflexion menée depuis sur la réforme de la loi de 1990, en particulier sur les points suivants :
* La nécessité de réviser ce dispositif pour tenir compte de la diversification des possibilités de prise en charge en psychiatrie. Je crois en effet qu’il s’imposait de ne pas se limiter à la seule modalité de l’hospitalisation complète ;
* La nécessité de palier l’absence de tiers demandeur pour procéder à l’hospitalisation sans consentement de ce dernier, ce qui est de nature à retarder l’accès aux soins ;
* Les modalités d’amélioration du fonctionnement des commissions départementales des hospitalisations psychiatriques. En effet, nous avons pu constater que le travail quantitatif de ces commissions départementales, pour louable qu’il soit, l’emporte trop souvent sur le travail qualitatif : ainsi, la loi oblige les commissions à examiner la situation de toutes les personnes dont l’hospitalisation sur demande d’un tiers se prolonge au-delà de trois mois, alors même que ces commissions n’ont pas relevé d’hospitalisations abusives.
Ces points d’amélioration ont été, depuis l’évaluation de la loi de 1990, systématiquement rappelés dans toutes les concertations, avec les patients et leurs familles, comme avec les professionnels du soin psychiatrique.
Ce projet ne remet donc pas en question les fondements du dispositif actuel, qui permet une prise en charge, soit à la demande d’un tiers, le plus souvent un membre de la famille, soit sur décision du préfet.
Mais il comprend des avancées substantielles, telles l’intervention du juge des libertés et de la détention, afin de répondre à la décision du Conseil constitutionnel.
Dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a jugé le 26 novembre dernier qu’ « en prévoyant que l’hospitalisation sans consentement peut être maintenue au-delà de quinze jours sans intervention d’une juridiction de l’ordre judiciaire, les dispositions relatives au maintien en hospitalisation sur demande du tiers méconnaissent les exigences de l’article 66 de la Constitution ». Le Conseil Constitutionnel a donc fixé au 1er août la date de l’abrogation de ces dispositions.
Trois objectifs dans ce texte : un objectif de santé, un objectif de sécurité, un objectif de garantie des libertés individuelles.
Ce texte et les dispositions qu’il comprend poursuivent un triple objectif :
* un objectif de santé, en permettant une meilleure prise en charge des personnes nécessitant des soins psychiatriques ;
* un objectif de sécurité, en assurant celle des patients et des tiers, lorsqu’ils représentent un danger pour eux-mêmes ou autrui ;
* un objectif de liberté, en garantissant aux patients le respect de leurs droits fondamentaux et de leurs libertés individuelles. 1) L’objectif de santé se traduit donc, comme je vous l’ai dit, dans :
Le remplacement de la notion d’hospitalisation par celle de « soins ». Il sera désormais possible d’offrir à un malade qui ne peut consentir aux soins sur un temps long, la possibilité de ne pas devoir être hospitalisé continuellement.
Dès lors, il n’est plus nécessaire de conserver le dispositif des sorties d’essai. Seules des sorties de courte durée accompagnées d’une durée de 12 heures maximum subsistent (pour effectuer des achats personnels, pour se rendre à un événement familial, pour effectuer des démarches administratives…).
Mesdames et Messieurs les Députés,
Nombre d’hospitalisations sans consentement d’un patient en état de crise peuvent être évitées, par des soins apportés dans les trois premiers jours au patient. Passé ce délai, une période d’observation et de soins initiale en hospitalisation complète d’une durée maximale de 72 heures après l’admission dans les soins sans consentement est introduite.
Un certificat médical sera nécessaire pour l’entrée, puis elle doit être confirmée par un certificat à 24 heures et un autre à 72 heures.
L’instauration de cette période permettra de mieux appréhender l’évolution de l’état mental du patient, et donc de pouvoir mieux décider des modalités de sa prise en charge, hospitalière ou extra-hospitalière.
Pour les raisons énoncées déjà, on crée ainsi une procédure de suivi des patients soignés sans leur consentement, sous une autre forme qu’en hospitalisation complète.
Ces soins seront dispensés sur la base d’un protocole. Il devra préciser le type de la prise en charge, les lieux de traitement et la périodicité des soins. L’avantage de ce processus, c’est de pouvoir adapter les modalités de cette prise en charge à tout moment.
Les tiers, qui sont souvent un membre de la famille, seront par ailleurs informés de tout changement de la prise en charge, dès lors qu’elle n’intervient plus en hospitalisation complète.
Pour les patients en soins sans consentement, sur demande de tiers ou en cas de péril, c’est le directeur de l’établissement de santé, qui est l’autorité administrative décidant de l’entrée et de la sortie d’une hospitalisation sans consentement sur demande d’un tiers, qui devra prendre une décision conforme à la proposition de modification du médecin.
Pour les patients en soins sans consentement sur décision de l’autorité publique, le préfet ne sera pas lié par l’avis du médecin, et pourra ne pas modifier les modalités de prise en charge proposées.
Comme l’ont souligné de nombreux rapports, il ressort également que nombre de patients chroniques ayant perdu tout lien avec leur famille et leurs proches, il n’y a pas de tiers qui puisse effectuer la demande de soins.
C’est pourquoi la nouvelle procédure permettra au directeur de l’établissement, dans le seul cas de péril imminent pour la santé du patient, de prononcer l’admission du patient bien qu’aucun tiers ne se soit présenté. Cette disposition a ainsi pour but de garantir la prise en charge du patient, dès que son état de santé le nécessitera.
Cette création permettra de faire entrer dans les soins des personnes, qui étaient jusqu’alors hospitalisées d’office, alors même qu’elles ne présentaient pas un risque pour elles-mêmes ou pour les autres.
Cette disposition crée donc une procédure alternative d’admission. Car il était devenu nécessaire de permettre la prise en charge médicale des malades empêchés par leurs troubles mentaux d’en faire la demande, lorsqu’aucun proche ne peut présenter cette demande.
Il importe en contrepartie de veiller à ce que le recours à une telle procédure soit justifié par la gravité des conséquences d’une absence de prise en charge pour la santé du patient. C’est pourquoi cette procédure est limitée à l’existence d’un péril imminent pour la santé de la personne.
Dans les cas des patients en soins sans consentement, sur demande d’un tiers, le psychiatre pourra s’opposer à la demande de levée de la mesure formulée par le tiers, pour éviter toute rupture de soins.
En contrepartie, la liste des personnes ou des organismes pouvant entraîner la levée des soins sans consentement, sur demande d’un tiers, ou en raison d’un péril imminent, est élargie : ceci dans le but d’inclure dans cette liste toutes les personnes répondant aux critères requis pour être tiers.
2) L’objectif de sécurité, y compris de sécurité juridique pour les acteurs est aussi un des objectifs de cette loi :
Pour les patients en soins sans consentement sur décision du préfet, les dispositions de la loi sont de nature à faciliter la prise de décision du préfet pour autoriser une prise en charge autre qu’en hospitalisation complète ou la levée des soins sans consentement. Cette disposition est l’illustration d’un objectif de sécurité publique.
Pour tous les patients, les certificats proposant des prises en charge extrahospitalières ou des levées devront être établis par un psychiatre. Le psychiatre est la personne centrale dans la prise en charge du patient, et ses certificats devront être accompagnés du protocole de soins précisant les modalités concrètes de prise en charge.
Par ailleurs, des modalités particulières d’accès aux soins ambulatoires ou alternatifs à l’hospitalisation ont été prévues pour certains patients susceptibles de présenter un danger pour eux-mêmes et pour autrui.
Ce sont des personnes qui ont fait l’objet d’une hospitalisation en application des articles L. 3213-7 et 706-135 du code de procédure pénale (soit les personnes ayant été déclarées irresponsables pénalement en raison de leurs troubles mentaux). Ce sont aussi des personnes qui, au cours d’une hospitalisation sur décision du représentant de l’Etat, auront séjourné dans une unité pour malades difficiles.
Pour mieux encadrer ces propositions de soins ambulatoires, il sera nécessaire d’accompagner la demande au préfet d’un avis collégial. Celui-ci associera le psychiatre traitant du patient, un psychiatre de l’établissement et un membre de l’équipe qui suit le patient au quotidien (cadre de santé, assistant social, infirmier, psychologue…). Le but de cet avis, c’est de conforter l’examen du psychiatre traitant. L’ensemble de ces avis seront d’ailleurs transmis au préfet pour étayer sa décision. En cas de désaccord entre, soit les membres du collège, soit le collège et les experts, il appartiendra donc au préfet de suivre ou non l’avis du psychiatre suivant le patient, le cas échéant en sollicitant une ou des expertises supplémentaires.
Pour ces mêmes patients, en cas de demande de sortie accompagnée (sortie de moins de 12 heures), le préfet devra désormais émettre une autorisation explicite.
Dans un souci de cohérence, l’exigence de l’avis concordant de deux experts choisis par le procureur de la République pour la levée de la mesure de soins sans consentement déjà requise pour les patients ayant fait l’objet d’une hospitalisation d’office prononcée à la suite d’une décision d’irresponsabilité pénale est étendue au patient ayant été en unité pour malade difficile.
Pour les soins sans consentement à la demande de tiers ou en cas de péril, le directeur de l’établissement est identifié comme l’autorité administrative prenant la décision d’admission et celles de maintien, qui seront ainsi formalisées et susceptibles de recours.
3) L’objectif de garantie des libertés individuelles des patients est également pris en compte :
Le bien-fondé des hospitalisations complètes sans consentement, dès lors que leur durée, à compter de l’hospitalisation initiale, excède 15 jours, sera soumis au contrôle systématique du juge des libertés et de la détention.
Le Gouvernement a fait le choix de prévoir un renouvellement du contrôle de plein droit exercé par ce juge tous les six mois, à compter de la première décision du juge intervenue au plus tard le quinzième jour de l’hospitalisation ou de la dernière décision judiciaire rendue.
Cette solution est apparue suffisamment protectrice de la liberté individuelle : car elle maintient la nécessité de la prolongation de la mesure, dans les intervalles entre les contrôles du juge, tout en permettant à la personne hospitalisée d’avoir accès à tout moment au recours facultatif prévu par l’article L .3211-12 du code de la santé publique.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel ne s’est pas estimé saisi de la conformité à la Constitution du régime de l’hospitalisation d’office. Il n’en demeure pas moins que les spécificités des mesures d’hospitalisation d’office ne semblent pas permettre de considérer qu’elles échapperaient aux griefs ayant justifié la déclaration d’inconstitutionnalité dans le cas de l’hospitalisation à la demande d’un tiers. La nécessité d’une intervention du juge, en cas de prolongation de l’hospitalisation au-delà de 15 jours puis de 6 mois, doit donc trouver également application aux mesures d’hospitalisation d’office.
Une question spécifique était posée par les mesures d’hospitalisation d’office concernant les personnes déclarées irresponsables pénalement, mesures qui se trouvent directement prononcées par une juridiction d’instruction ou par une juridiction pénale de jugement en application de l’article 706-135 du code de procédure pénale.
Cet article n’a en effet prescrit aucun réexamen à terme de la situation du malade, seul restant ouvert à celui-ci le recours devant le juge des libertés et de la détention propre au régime actuel.
Dans une telle hypothèse, il a été estimé que l’intervention du juge dans les quinze jours de la décision initiale était inutile, puisque celle-ci a été prononcée par l’autorité judiciaire
CONCLUSION
Mesdames et Messieurs les Députés,
Ce projet de loi vise d’abord à permettre un meilleur accès des malades souffrant de pathologies graves aux soins, selon les modalités qui leur seront le mieux adaptées, aux différents moments de l’évolution de leur pathologie. Il permet également de garantir à l’ensemble de la population et aux malades et à leurs familles que, quand il y a risque grave d’atteinte à sa sécurité et à la sécurité d’autrui, toute personne pourra être prise en charge de manière continue et efficace.
Ce projet de loi préserve donc un équilibre difficile entre le risque de stigmatiser les malades mentaux, d’une part, et le risque de dénier la spécificité de leurs troubles et des conséquences qu’ils induisent, d’autre part.
Le contrôle systématique par le juge des libertés et de la détention de toute mesure d’hospitalisation sous contrainte se prolongeant au-delà de 15 jours (et ensuite tous les six mois) apporte une garantie nouvelle du point de vue des libertés publiques.
Enfin, l’introduction de modalités de soins sans consentement sous des formes autres que l’hospitalisation à temps plein permet de faire bénéficier ces malades de la même qualité de soins que tous les malades mentaux.
Source http://www.sante.gouv.fr, le 29 mars 2011