Interview de M. Eric Besson, ministre de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, à"RMC" le 16 mars 2011, sur la gestion par le Japon de l'accident nucléaire et l'avenir de la filière nucléaire en France.

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Texte intégral

JEAN-JACQUES BOURDIN Merci d’être avec nous. Vous êtes là pour faire le point sur ce qui se passe au Japon et sur l’avenir de la filière nucléaire en France. Alors le Japon, dernière information : un hélicoptère survole ou va survoler la centrale de Fukushima pour essayer de refroidir, de déverser de l’eau et de refroidir les réacteurs. L’objectif c’est d’éviter les fuites parce qu’on a parlé d’explosion dans un premier temps. Il n’y a pas d’explosion mais il y a des fuites radioactives.
 
ÉRIC BESSON Oui, vous avez entièrement raison. Ce qu’on voit, ces images d’hélicoptères ça paraît cohérent par rapport à ce qu’on sait. C'est-à-dire que les Japonais ont visiblement perdu soit totalement, soit partiellement la maîtrise par l’interne, par le dispositif de commandement des centrales de cette centrale.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Oui, la sécurité de la centrale aujourd'hui est inopérante.
 
ÉRIC BESSON Oui. Ils ont quand même du personnel qui agit encore. JEAN-JACQUES BOURDIN Oui, enfin qui n’y est plus, qui a été évacué provisoirement.
 
ÉRIC BESSON Oui, enfin en grande partie. Quand même mais peu importe, ne mégotons pas. Vous avez raison, ils ont perdu visiblement l’essentiel de la maîtrise, en tout cas c’est notre analyse. Ça n’est pas ce qu’ils disent, pour être juste. Deuxièmement, s’ils n’interviennent pas par l’interne, il y a la tentative d’intervention extérieure. Là, l’objet c’est d’essayer de refroidir autant que possible le coeur du réacteur. Donc si ça ne peut pas être par des circuits de refroidissement alternatifs en provenance des centrales elles-mêmes, il faut que ce soit par l’extérieur donc de l’eau, certains disent aussi du sable pour lutter contre les incendies cette fois-ci. Voilà ce qu’ils essayent de faire visiblement.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Nous l’avons constaté, vous aussi Éric BESSON : l’analyse de la situation n’est pas la même selon qu’on se situe en France, en Europe ou au Japon. Je veux dire par là que l’autorité de sûreté nucléaire française est très alarmiste ; les Japonais semblent plus prudents dans leur analyse. Est-ce que vous êtes bien informés ?
 
ÉRIC BESSON Je crois qu’on est bien informé, autant que l’on peut l’être, pendant que se joue un drame, par ce qu’il se passe en direct. C’est un peu comme vous lorsque vous faites de la télé, radio en direct. L’analyse a été convergente pendant les trois premiers jours. C’est hier qu’elle a divergé quand l’autorité de sûreté nationale française a classé l’accident niveau 6 sur une échelle dite INES qui en compte 7 alors que les Japonais l’ont maintenu, et je crois encore en ce moment, toujours niveau 4. Donc c’est hier que ça a clairement divergé, vous avez raison.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Et pourquoi ?
 
ÉRIC BESSON Parce que les Japonais…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Cachent la vérité ?
 
ÉRIC BESSON Non, je ne dis pas ça. Ils estiment pouvoir encore visiblement intervenir sur les centrales alors qu’une partie des autorités dans le monde pense qu’ils ont déjà atteint le niveau où finalement à la fois le confinement du réacteur et des combustibles ne peut plus être assuré et que donc il y a perte et envoi dans l’atmosphère de radionucléides et c’est ça qu’on considère comme l’accident majeur, l’accident très grave au regard de l’échelle INES. Parce que la notion de catastrophe sur cette échelle n’existe pas : ce sont des incidents où des accidents et dans l’échelle des accidents, le 7 sur 7 c’est le plus grave et nous estimons…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN C’est Tchernobyl, c’est l’accident, c’est la catastrophe.
 
ÉRIC BESSON Oui, oui. En langage grand public, c’est ce que nous nous disons.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Attention à l’excès dans l’emploi des qualificatifs parce que je vois l’Union européenne qui parle d’apocalypse. Attention, non ?
 
ÉRIC BESSON Oui, il ne faut pas utiliser de mot. Enfin, comment dire ? Soit on est d’un point de vue scientifique et c’est un accident très grave pour perte de confinement et envoi dans l’atmosphère. Soit on est dans le vocabulaire grand public, chacun a le droit de considérer qu’un tremblement de terre, plus un tsunami, plus un accident nucléaire très grave, ça ressemble effectivement à ce que vous venez de dire.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN L’apocalypse ?
 
ÉRIC BESSON Oui. Moi je n’ai pas envie de prononcer le mot ; c’est pourquoi je vous ai laissé faire.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN J’ai compris, j’ai compris. Bon, Éric BESSON, on a envie d’en savoir un petit peu plus. 2009 en France – je dis bien en France – l’autorité de sûreté nucléaire recense 713 événements significatifs pour la sûreté sur les centrales françaises. Je dis bien 2009 : 713 incidents, en hausse de 14 % par rapport à 2008, augmentation quasi-constante depuis 2005. Je sais qu’un rapport va être diffusé dans quelques jours sur les incidents pour 2010. Est-ce que vous avez les chiffres ? On dit plus de 1 000 incidents en 2010, vrai ou faux ? ÉRIC BESSON Je ne le sais pas.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Vous confirmez ou pas ces chiffres ?
 
ÉRIC BESSON Non, je ne les confirme pas : je ne les connais pas. Je ne les confirme ni les infirme. Vous avez ce rapport apparemment, moi je ne l’ai pas. Maintenant il va être public puisqu’en France il y a une transparence absolue. L’autorité de sûreté nucléaire rend public. Vous savez, moi je vis dans la Drôme près d’une centrale nucléaire.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Oui, je sais.
 
ÉRIC BESSON Celle du Tricastin, même près de deux puisqu’au nord de Montélimar, du coté ardéchois, il y a Cruas. On est habitué. La France a choisi de communiquer sur tous ces incidents ; même au niveau 1, nous communiquons. Donc vous en avez effectivement beaucoup puisque nous avons 19 centrales, 58 réacteurs, des milliers de personnes qui travaillent. Oui, ça arrive en permanence mais ça fait très longtemps qu’on n’a pas eu en France d’incident réellement grave.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Heureusement, cela dit.
 
ÉRIC BESSON Oui, bien sûr. Mais le dernier significatif, c’est la centrale du Blayais en Gironde lorsqu’il y avait eu un début d’inondation dont nous avons tiré les notions.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Mais quand même, regardons les chiffres encore une fois. Incidents en hausse constante dans les centrales françaises depuis 2005. En hausse en 2009 par rapport à 2008, je répète, de 14 %. Et on dit que les chiffres pour 2010 seront encore en hausse, nous verrons. Nous verrons, Éric BESSON.
 
ÉRIC BESSON Attendez, on le dit, je ne le sais pas. N’en concluez pas que ça veut dire qu’il y aurait une moins bonne exploitation ou une maintenance mieux assurée.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Non, j’en conclus qu’il y a un vieillissement des centrales françaises.
 
ÉRIC BESSON Mais ça veut dire surtout qu’il y a une exigence accrue et que très vraisemblablement un certain nombre d’incidents qui n’étaient pas comptabilisés par le passé le sont désormais. Nous avons atteint un très haut niveau en France de sûreté et d’exigence.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN C’est ce que disaient les Japonais.
 
ÉRIC BESSON C’est ce que disaient les Japonais mais soyons justes sur ce qui s’est passé au Japon. Qu’est-ce qui est en train d’être prouvé ? D’abord que probablement – ça n’a pas à moi de porter la polémique là-dessus – mais que mettre des centrales nucléaires à proximité d’une faille sismique si puissante, puisque le ministère de l’Environnement estime que l’impact potentiel au Japon est 30 000 fois supérieur à celui de la France ; vous imaginez ce que cela signifie.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Oui, parce qu’en France il y a aussi des zones sismiques et des centrales qui sont proches de zones sismiques.
 
ÉRIC BESSON Absolument. Je n’éluderai pas mais juste un mot, si vous le permettez.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Oui.
 
ÉRIC BESSON La centrale a résisté à un tremblement de terre force 9 ou échelle 8,9 sur 9, le niveau le plus élevé. Et là-dessus, au lieu de – elle avait une protection contre le tsunami pour une vague de 10 mètres, elle prend finalement une vague de 17 mètres sur cette centrale. Et au fond, qu’est-ce qui a cassé ? – et c’est une source de renseignements et d’enseignements très importante pour nous. Ce sont les systèmes de refroidissement alternatifs, c'est-à-dire des systèmes de secours qui pour des raisons bêtement mécaniques – les diesels abîmés, des débris qui viennent dans les moteurs à cause du tsunami – ne permettent pas de refroidir le réacteur. S’il y a une source de réflexion pour nous dans la lutte contre les inondations alors même que nous le faisons déjà, c’est probablement là-dessus qu’il faut se pencher le plus. Qu’est-ce qui se passe en cas d’inondation alors que des systèmes…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Oui, c’est ce qui s’est passé à la centrale du Blayais.
 
ÉRIC BESSON Oui, absolument mais nous en avons tiré les enseignements. L’autorité de sûreté et EDF ont révisé toutes les procédures dans nos centrales en cas d’inondation.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Bien. Alors vous dites chaque centrale française va être vérifiée. C’est ce qu’a précisé le gouvernement hier.
 
ÉRIC BESSON Elle l’est déjà.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Oui, c’est ce que nous disait EDF ce matin mais vous êtes bien marrant ! Les politiques sont bien marrants mais les centrales sont constamment vérifiées, donc c’est de la communication !
 
ÉRIC BESSON Vous me l’enlevez de la bouche : je vous confirme simplement. Le Premier ministre, et c’est bien normal, dit à partir du moment où il se situe il y a un accident majeur, il faut regarder en quoi nous avons des éléments à tirer ce qu’il s’est passé au Japon. Et c’est pour ça que je vous dis que c’est probablement sur l’aspect inondation que vraisemblablement il faudra regarder si l’on peut tirer des enseignements. Pour le reste, nos centrales tiennent déjà compte des contraintes sismiques et d’inondation. Elles sont révisées et l’autorité de sûreté nucléaire qui est quand même, je veux le rappeler d’un mot, l’autorité considérée dans le monde comme la plus exigeante. Quand les ministres de l’Industrie ou de l’Énergie Invités du 16 mars 2011 Département Veille et Ressources d’informations – 01.42.75.54.58 15 étrangers me parlent, ils me disent en permanence : vous, vous avez l’autorité de sûreté la plus exigeante.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Oui mais les Français sont tellement marqués par Tchernobyl et par les mensonges qu’on a proférés à cette occasion. Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise, Éric BESSON ? Vous vous souvenez, vous aussi comme moi, de tous les mensonges qu’on nous a racontés !
 
ÉRIC BESSON Oui, je me souviens. Les mensonges ou les erreurs qui voulaient être de bonne foi, peu importe.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Oui.
 
ÉRIC BESSON Mais en tout cas, nous nous sommes trompés collectivement, la France s’est trompée à l’époque. Nous en avons tiré tous les enseignements et vous aurez noté que nous avons agi sur cet accident, Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, moi-même, l’ensemble du gouvernement, en transparence absolue. Tout ce que nous savions au jour le jour avec d’ailleurs du coup les difficultés et les inflexions que ça donne. Quand c’était moins grave, on le disait ; quand c’est grave, on le dit. Nous avons tout dit, rien masqué, tout mis sur la table.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Bon. Est-ce que certaines centrales françaises sont trop âgées ? Je pense à Fessenheim, 1977, 33 ans. Est-ce que certaines centrales devraient être arrêtées ?
 
ÉRIC BESSON Je ne le crois pas mais je ne suis pas qualifié pour le dire. Il y a une autorité de sûreté nucléaire qui fait des révisions, d’abord qui inspecte, en général des milliers d’inspections chaque année…
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Qui serait prête à stopper certaines centrales si…
 
ÉRIC BESSON Bien sûr, elle en a le pouvoir.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Non je vous dis ça parce que l’Allemagne, vous l’avez vu, voulait prolonger la durée de vie des centrales et a pris un moratoire.
 
ÉRIC BESSON Mais pour répondre sur la France, il faut préciser aux auditeurs et téléspectateurs. Les États-Unis ont prolongé la durée de vie de leurs centrales de façon collective. L’autorité de sûreté nucléaire en France donne l’autorisation au cas par cas. Après une inspection totale, elle donne l’autorisation au cas par cas. La centrale du Tricastin près de laquelle je vis vient d’obtenir son autorisation pour dix ans, dix ans seulement.
 
JEAN-JACQUES BOURDIN Elle a 30 ans d’âge.
 
ÉRIC BESSON 30 ans, et elle vient de l’obtenir pour dix ans. La vérité, c’est que nos centrales nucléaires sont bien plus en forme qu’on ne l’imaginait. Et d’ailleurs quand on avait dit pour 30 ans au départ, ça voulait dire pour un amortissement financier pour 30 ans, mais on ne savait pas ce que serait l’état je dirais physique des centrales. Il s’est révélé bien meilleur que nous ne l’avions imaginé.
 
Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 21 mars 2011