Texte intégral
Mesdames et Messieurs,
Deux mots rapides en introduction et puis je répondrai ensuite à vos questions.
Avec Monsieur lAmbassadeur, nous avons passé deux jours denses mais extrêmement intéressants. Une première journée placée sous le signe de lindustrie puisque vous savez combien la France et la Tunisie sont liées sur le plan industriel. Hier nous avons travaillé essentiellement sur la coopération en matière automobile et en matière textile, puisque que ce sont, comme vous le savez, deux secteurs dans lesquels les liens sont importants.
Jai voulu dabord redire la confiance du gouvernement dans ce qui se passe ici, en Tunisie : confiance dans lévolution de cette révolution et de cette transition démocratique ; confiance aussi pour les industriels français. Vous avez noté quaucun dentre eux na renoncé à son implantation locale, que beaucoup envisagent au contraire de poursuivre et de développer leurs activités et que ces industriels ont été sensibles au fait que leurs partenaires tunisiens ont tout fait, pendant la période la plus sensible, pour ne pas provoquer de rupture de lapprovisionnement, notamment tout ce qui était pièces détachées, composants, etc. Donc, je crois pouvoir dire que les industriels tunisiens et français qui se sont rencontrés hier lors dune table ronde étaient daccord pour développer leur activité.
Ce qui ne veut pas dire que tout soit un champ de roses. Il y a un certain nombre de questions légitimes qui se posent de part et dautre. Les Tunisiens évoquaient légitimement les hausses de salaire attendues par un certain nombre de salariés et de syndicats représentants ces salariés. Et des deux côtés, la question était celle de la compétitivité de la Tunisie et de sa place dans le commerce international avec une question liée au partage de la valeur ajoutée. Nous avons aussi évoqué les questions énergétiques puisque le plan solaire tunisien est en train dêtre développé. Jen ai parlé avec le ministre de lIndustrie et de lÉnergie et jai proposé que votre société délectricité locale entre dans le consortium "Medgrid", qui est un consortium dinterconnexion en matière dénergies renouvelables et dénergie solaire.
Avec le ministre du Développement régional, nous avons évoqué hier le fait que le Premier ministre tunisien souhaite visiblement faire du développement régional lun des piliers de son action. Et finalement, notre déplacement daujourdhui dans les gouvernorats de Béjà et du Kef, illustre ces priorités du développement régional. Vous savez que la France apporte et apportera toute sa contribution, grâce notamment à lAgence française de développement.
Et puis pour hier, jai passé un moment agréable avec un certain nombre de journalistes blogueurs ou de blogueurs qui avaient participé, via les réseaux sociaux, à linformation sur lévolution de la révolution. Jai eu loccasion de dire dès hier soir que cela avait été pour moi un moment extrêmement instructif en tant que ministre du numérique mais aussi extrêmement agréable à titre personnel.
Voilà, en introduction, les grandes lignes de ce que nous avons fait pendant deux jours. Le mieux maintenant est que je réponde, si vous le voulez bien, à vos questions.
Question : On comprend bien que depuis le 14 janvier, il y a une concurrence entre les pays partenaires de la Tunisie pour prendre la place et disons investir, que ce soit sur le plan économique ou politique, les endroits où va se faire la décision. Hier, les Etats-Unis hier ont annoncé 20 millions de dollars daide. Par rapport à laide européenne, cest rien du tout.
Réponse : Oui mais par rapport à laide de lAgence française de développement, cest peu aussi.
Question : Est-ce que la France va sintéresser encore plus à la Tunisie et fera-telle attention à léthique, cette fois-ci, par rapport aux investissements réalisés avec des partenaires douteux du temps de Ben Ali ?
Réponse : Bon, il y a plusieurs choses dans votre question. Dabord, la question de la supposée concurrence. Nous ne nous sentons pas en concurrence avec les Américains, les Italiens, les Espagnols, les Européens, qui voudraient aider, accompagner ou investir en Tunisie. Tout ce que dautres pourront apporter sous forme dappuis, de prêts ou dinvestissements, sera une bonne nouvelle pour la Tunisie. Et si cest une bonne nouvelle pour la Tunisie, ce sera une bonne nouvelle pour la France. Parce que nous avons tous besoin, vous dabord, nous ensuite, lEurope de toute façon, que la Tunisie réussisse ce quelle a entrepris depuis le 14 janvier. Jallais dire, mais je ne veux pas faire demphase, que le monde a besoin que la Tunisie réussisse sa révolution et son passage à la démocratie. Donc, sil y a un certain nombre de partenaires qui apportent leur contribution, cest une bonne nouvelle pour tout le monde.
Maintenant, je vais vous dire que pendant les deux jours que je viens de passer ici, je nai pas senti un désir de moins de France, chez mes interlocuteurs, que ce soient les ministres, les chefs dentreprises, les associations, tous ceux que jai rencontrés. Jai senti plutôt un besoin de plus de France, plus dinvestissements français, plus daccompagnement, plus daide, plus dentreprises françaises, etc. Donc il ny a pas de concurrence et la France jouera son rôle.
Pour ce qui concerne laide globale que la France apportera à la Tunisie, vous savez que cest une discussion entre nos Premiers ministres respectifs. Je crois quelle se déroule bien, mais ce nest pas à moi dannoncer quoi que ce soit en la matière. Dautres le feront peut-être dans les jours qui viennent.
Mais lorsque par exemple, hier soir, et je vous le confirme à linstant, on dit que lAgence française pour le développement va sengager pour 150 millions deuros dans le réseau gaz de louest de la Tunisie, je crois que 150 millions deuros, ce nest pas tout à fait rien pour la Tunisie. Et, permettez-moi de le dire, ce nest pas non plus tout à fait rien pour le budget français.
Donc nous allons travailler ensemble. Si vous voyez plusieurs ministres français venir, semaines après semaines, cest parce que le président de la République nous la demandé, a demandé à chacun dentre nous, dans notre département ministériel, de regarder ce que nous pouvons faire, ce que nous pouvons apporter à la Tunisie. Parfois, il ny a pas besoin de sommes très importantes. Nous allons mettre des experts à la disposition de la Tunisie, en matière dénergie et dénergies renouvelables. Nous allons en mettre en matière de création et de développement dentreprises.
Jai proposé hier au secrétaire dÉtat en charge du Développement numérique de nous inspirer de quelque chose que nous avons fait en France et qui a bien marché sans être très coûteux. Quelque chose qui sappelle "Passeport pour le numérique" et qui consiste à aider les PME dans leur acquisition des données de base de linformatique et de la communication, des nouvelles technologies, internet, etc. Cela, je peux vous le dire, ce nest pas très coûteux. Cest de la formation, de lenseignement concret pour des chefs dentreprises. Leffet démultiplicateur est très important, en termes de productivité, de recherche clientèle, commerciale, marketing, etc. Leffet de levier est très important.
La France va faire beaucoup, la France va sengager, mais si dautres sengagent, tant mieux pour la Tunisie.
La partie éthique, vous savez ce quil en est, la France ne reconnaît jamais aucun régime. Elle travaille avec des États. Lhistoire, les peuples, créent un certain nombre de situations et de régimes. La France na jamais dit quelle entendait navoir des relations diplomatiques quavec des démocraties, ou des relations commerciales quavec des démocraties. Maintenant, lorsquon a la chance de pouvoir travailler sur le plan diplomatique ou sur le plan du partenariat industriel ou commercial avec des pays qui partagent les valeurs démocratiques qui sont les nôtres, bien sûr, cest un plus et un plaisir.
Cest la Tunisie qui va maintenant se doter dun cadre institutionnel favorable à lémancipation de son peuple, à sa démocratie et favorable aussi aux règles du jeu dune économie de marché saine et sans corruption. La France na pas à donner de leçons en la matière, cest à la Tunisie de le faire.
Question : Jai deux questions. Est-ce quon peut avoir un peu plus de détails sur les sensibilités quant aux négociations sur les salaires ? Quelle est votre vision du partenariat entre les investisseurs français et les personnalités soupçonnées dêtre impliquées avec la famille ?
Réponse : Sur le deuxième point, je nai strictement rien à dire, ce nest pas de mon ressort. Vous avez un gouvernement, jai entendu et lu quil prend un certain nombre de décrets et quil discute avec des entreprises concernées. Pour ce qui me concerne, je nai rien à dire sur le sujet, cest-à-dire sur cette période de constitution, de construction dun Etat de droit. Voilà, je ne peux pas commenter davantage.
Pour la première partie de votre question, cest une question transversale. La Tunisie a un certain nombre datouts, liés à sa géographie, à la qualité de sa main duvre et à la formation de base de sa jeunesse, qui est plus élevée que dans un certain nombre de pays émergents. Mais elle a aussi joué la compétitivité, à travers les salaires, et la réactivité, cest-à-dire la capacité de répondre à une commande rapidement.
Il va y avoir de la part de son peuple, et cest bien naturel, une demande daugmentation des salaires. Mais les industriels disent de leur côté : avant dinvestir et de nous projeter vers lavenir, nous voulons connaître les règles du jeu, on veut savoir ce que seront les relations entre le patronat et les syndicats sur le plan de laugmentation des salaires pour savoir vers quoi on va et où on investit. Il sagit donc dun dialogue mais qui ne sapplique pas spécifiquement à telle ou telle entreprise.
Question : M le Ministre, jai deux questions. La première concerne la stratégie que va mettre en place la France pour les entreprises françaises qui ont été forcées dune manière ou dune autre à entrer en contact avec les membres de la famille Ben Ali.
Réponse : Je sais que votre Premier ministre prend un certain nombre de décrets et quil y a des discussions avec les entreprises sur les conséquences pratiques. Les enjeux, on les voit bien. Il sagit de rétablir ce que vous avez appelé une forme déthique, une équité, et en même temps ne pas déstabiliser des entreprises qui ont investi en Tunisie et qui sont porteuses de croissance, de développement et demplois en Tunisie. On voit bien comment il faut essayer de conjuguer les deux aspects mais cette question nest pas de mon ressort et je nen ai pas traité.
Question : Ma deuxième question concerne lintervention française en Libye, le rôle de la France qui, en quelque sorte, est à la tête de la coalition occidentale, et létendue de son intervention. Vous savez, M le Ministre, que les peuples arabes sont contre toute intervention occidentale dans les affaires internes de la Libye et que ce quil sy passe nous affecte, directement et indirectement. Alors, est-ce que lintervention de la France va sarrêter aux attaques aériennes, est-ce quil y aura une intervention directe en Libye ?
Réponse : La France est liée par la résolution 1973 du Conseil de sécurité, base sur laquelle, la France, avec dautres pays, intervient en Libye. Cette résolution est très claire, elle dit quil sagit dinstaurer une zone dexclusion aérienne visant à empêcher le pouvoir actuel libyen de massacrer son peuple. La raison de lintervention de la France en Libye, cest celle-là : empêcher un dictateur de massacrer son peuple. Il faudra regarder dans les archives, mais il ne me semble pas quil y ait eu beaucoup de cas dans lesquels un pouvoir a envoyé ses avions chasseurs tirer sur son peuple. Cest hallucinant.
Pour nous Européens et pour la Ligue arabe, lidée dassister à un massacre comme celui qui avait commencé et qui était en train de se préparer était inconcevable. Parce que le colonel Kadhafi a au moins, jallais dire, le mérite davoir annoncé ces massacres. Il y a un certain nombre de déclarations qui font foi sur ce quil allait faire. Et le président de la République a estimé que les Français ne pouvaient pas rester spectateurs de ce massacre. En même temps, il nétait pas question que nous intervenions seuls. De quel droit ? Sur quelle base ? Donc lidée était de recourir au Conseil de sécurité pour obtenir des Nations unies lautorisation, collectivement, dempêcher ce massacre. Cest le seul but que nous poursuivons.
Pour ce qui est de la perception des Arabes, en supposant dailleurs que les Arabes constituent une entité homogène - vous savez mieux que moi que cela mériterait un peu nuance - je pense que personne ne pense une seconde, contrairement à ce que Kadhafi a pu dire, quil sagit dune entreprise de colonisation ou de recolonisation. Il sagit simplement de lempêcher dabattre par la force ceux qui prétendaient mener cette révolution.
Maintenant, vous avez raison, cela vous affecte. Cest une certitude. Cela vous affecte, parce que cela donne le sentiment dun trouble régional, cela peut engendrer des mouvements de populations, de Libyens qui fuient leur pays et qui peuvent vouloir entrer en Tunisie par le Sud. Et cela affecte aussi votre tourisme, parce que cela donne le sentiment dune zone en ébullition. Là-dessus, tout ce que je peux dire, cest que nous espérons tous que cette intervention sera de courte durée et permettra à la Libye de redevenir une zone de stabilité avec un peuple émancipé et que, du coup, la Tunisie et lensemble de la zone pourront vivre en paix.
Question : Jaurai deux questions. Au sujet de la révolution tunisienne du 14 janvier, pas la peine de rappeler les faits côté français : beaucoup de chahut, dincertitudes. Est-ce que vous navez pas limpression quaujourdhui, le gouvernement français essaie de réparer les pots cassés ? Deuxième question, vos pronostics par rapport à léconomie du pays, à moyen terme et à long terme ?
Réponse : Je suis surpris, quand un peuple fait une révolution aussi importante pour lui même, avec les conséquences que cela a engendré dans quantité de pays, un évènement qui sera regardé par les historiens comme lun des plus importants du siècle en court, que lon puisse sinterroger sur les conséquences pour la politique intérieure française et au sein du gouvernement, y compris tel ou tel remaniement. Très franchement. Bien sûr, cela sest produit, on ne peut pas le nier, les journaux en étaient pleins, il y a eu des conséquences, etc. Mais je dirais, surtout pour vous, quelle importance ? Vous avez votre révolution entre les mains : vous avez votre destin entre vos mains ; que vous importent les conséquences en politique intérieure et intergouvernementale de cette révolution ? Pardon dêtre un peu crû, mais il faut quand même ramener les choses à leurs proportions.
Surtout que nous, Français, nous avons un petit travers qui consiste à être capable dimporter tout évènement qui se passe dans le monde à un problème de politique intérieure français. Il y a une catastrophe nucléaire au Japon avec des enjeux dont personne ne connaît les résultats. À linstant, nous Français, nous en faisons une affaire de politique intérieure. Nous avons fait la même chose avec la Tunisie, et je vous assure quon est capable de le faire encore sur dautres sujets. Donc, ma suggestion, cest : ne nous poussez pas dans nos travers et essayons de gérer le mieux possible ces questions là, chacun de notre côté.
Pour ce qui concerne la Tunisie, personnellement, je létais avant de venir et je repartirai demain plus optimiste encore, pour des raisons que je connaissais, cest-à-dire la qualité dun certain nombre de personnes. Vous avez des ministres de grande qualité et je voudrais en profiter pour leur rendre hommage. Cest dautant plus facile que je ne connais aucune de leurs attaches partisanes, je connais à peine leur parcours pour un certain nombre dentre eux. Ce quils sont en train de faire, cest remarquable. Ils ont un temps limité, ils se dévouent totalement pour permettre au gouvernement qui viendra après les élections davoir un certain nombre de conditions de travail réunies. Pour ceux que jai rencontrés, je les ai trouvés dune très grande qualité, dun très grand désintéressement et dun très grand dévouement. Je voudrais leur rendre hommage.
Mais au-delà, on rencontre partout des chefs dentreprises, des responsables associatifs. À midi, au cours dune table ronde au Kef, nous avons côtoyé un certain nombre de responsables agricoles, de la santé, des travaux publics, etc. Chaque fois, jai été frappé par la qualité humaine.
Ensuite, tout le monde voit bien les enjeux, mais, cela, cest votre affaire. Le premier enjeu, il est celui de réussir le passage à des institutions stables et démocratiques, ce que va faire votre assemblée constituante. Et donc tout le cycle institutionnel, il faut une stabilité institutionnelle. Nous Français nous navons rien à dire là-dessus. Cest à vous de le faire. Mais vous voyez bien que cest un enjeu crucial.
Le deuxième point, effectivement, cest de faire en sorte que léconomie reparte le plus rapidement possible. Il y a des éléments sur lesquels on peut essayer dinfluer et nous allons tenter de faire notre part : le rapport avec nos industries, le tourisme, le moment venu ce nest pas dans mon champ de compétences, mais je crois que Frédéric Lefèbvre la évoqué lors de sa venue. Il faudra que la France prenne sa part à la valorisation du potentiel touristique tunisien, qui est très grand, et nous apporterons notre contribution.
Moi, jai bon espoir quavant la fin de cette année, peut-être dès cet été, vous ayez bien avancé sur ces deux piliers : stabilité institutionnelle et relance de léconomie.
Question : Tout à lheure, vous évoquiez le cas de Société tunisienne délectricité et de gaz (STEG) et vous disiez que vous nous proposiez un consortium Medgrid. Pourrait-on avoir un peu plus de détails sur cette proposition, sachant que la STEG est déjà à cheval sur plusieurs consortium, dont Désertec ?
Par ailleurs, il y a beaucoup de pressions sur certaines sociétés françaises, allemandes, européennes de manière générale, des pressions syndicalistes, pour des augmentations de salaire de lordre de 30% minimum. Dans le cas dune société allemande, la semaine dernière, les patrons ont signé un accord de 50%, mais après, la société sest retirée de Tunisie. Les gens sen vont et cela ne peut pas continuer comme ça. Quel message de soutien pouvez-vous apporter à vos sociétés françaises ?
Réponse : Sur la première partie de votre question, Medgrid est un consortium pour linterconnexion des productions solaires, de façon à créer un échange nord-sud. Je demande à mon conseiller diplomatique, Frédéric Bouvier, dajouter trois mots sur cette question.
Frédéric Bouvier : Cest un consortium qui réunit les électriciens, les régulateurs, les transporteurs délectricité, du nord et du sud de la Méditerranée. Il sest constitué le 9 décembre 2010, à Paris, sous limpulsion notamment de la France, mais il sagit dabord dune initiative privée encouragée par le secrétariat général de lUnion pour la Méditerranée. On y retrouve des entreprises du Maroc, de Syrie, de Jordanie, de France, de Grèce, dEspagne et dAllemagne aussi.
Cest tout à fait complémentaire de Désertec, car Désertec sintéresse au développement de la production délectricité solaire. Medgrid cherche à promouvoir les interconnexions électriques en Méditerranée, à la fois pour soutenir le développement de votre plan solaire et des autres plans solaires nationaux, mais aussi plus largement intégrer le nord et le sud de la Méditerranée dans un grand marché euroméditerranéen de lélectricité où lon pourra séchanger de lélectricité, pour rendre les projets de plans solaires rentables, et aussi bénéficier dans les deux sens de compensations quand, par exemple, vous avez moins besoin délectricité que nous parce que nous avons plus froid que vous, ou quand vous en avez plus besoin en été parce que vous utilisez davantage que nous la climatisation. Donc il y a des effets de compensations. Cest notre intérêt partagé davoir ces interconnexions et cela va contribuer à développer votre plan solaire.
Question : Y a-t-il aussi des transferts de technologies ou sagit-il uniquement un transfert délectricité ?
Frédéric Bouvier : Cela consiste à développer des interconnexions, cest-à-dire faire des études pour savoir où elles sont utiles, qui va les financer. Cest de lexpertise et si cela nest pas financé par le privé, cela ne se construira pas.
Éric Besson : Sur la deuxième partie de votre question, il ne mappartient pas de dire quel est le niveau de salaire compatible entre la compétitivité de votre économie et les besoins sociaux. Jindique simplement que cest une donnée que les industriels prendront en compte mais ce nest pas à moi de prôner la modération salariale ou quoi que ce soit. Cela relève dune responsabilité interne. Mais ayons la lucidité dacter le fait que cela pèsera sur les plans dinvestissements des entreprises, cest normal. Effectivement, un certain nombre dentreprises étrangères sinterrogent sur le nouveau visage du partenariat social avant de décider un certain nombre de leurs investissements.
Oui, la France souhaite que toutes les entreprises françaises implantées en Tunisie restent et se développent. Et nous ferons tout pour favoriser cet épanouissement. Mais en même temps, il y a beaucoup de choses qui ne dépendent pas de nous.
Question : Monsieur le Ministre, ne pensez-vous pas que les relations entre la Tunisie et la France doivent être revues vers plus de rééquilibrage, maintenant que la Tunisie est sur le point de devenir une démocratie, pour se rapprocher un peu dune relation dégal à égal entre une démocratie ancienne et une démocratie naissante ? Parce que les relations jusque là étaient plutôt des relations dominants-dominés. Je mexcuse de lexpression, mais il faut appeler les choses par leur nom ; ce nétait pas des relations équilibrées. Est-ce que vous pensez par exemple à un transfert de la technologie pour soutenir lindustrie locale ?
Deuxième question, vous vous êtes rendu tout à lheure dans louest, au Kef et à Béja. Est-ce que vous comptez réorienter vos programmes de coopération vers la Tunisie profonde ?
Réponse : Sur la deuxième partie de votre question, la réponse est clairement oui, dautant que cela correspond à la volonté exprimée par le gouvernement tunisien. Le ministre du Développement régional a été très clair. Il a dit, ce sont mes mots mais je ne pense pas trahir sa pensée : nous avons sous-estimé le besoin de développement des parties ouest et donc nous devons faire plus defforts à lavenir pour elles. Il ma dit aussi quil entendait proposer un cadre à une véritable décentralisation, pour que les régions aient plus dautonomie. Mais je ne suis pas habilité à parler en son nom et ce que je veux dire, cest que nous, Français, nous allons le faire, parce que cest la volonté du gouvernement tunisien.
Par ailleurs, par deux fois, hier et aujourdhui, nous avons largement abordé la coopération décentralisée, soit avec des ministres, soit avec des acteurs de terrain. Tout ne se fait pas dÉtat à État. Vous savez que de plus en plus, dans tous les pays, il y a des départements et des régions qui font beaucoup de coopération décentralisée. Je me suis engagé auprès dun certain nombre de nos partenaires, ministres ou acteurs locaux, à faciliter les connexions pour que cela se fasse.
Sur la première partie de votre question, dans la double dimension culturo-politique - si je puis dire - et industrielle, la réponse est très clairement oui. Nous voulons nous engager dans un partenariat industriel équilibré. Cest déjà le cas dans un certain nombre dentreprises, mais il est vraisemblable quil faudra le développer. La Tunisie ne peut pas être quune terre de main duvre flexible et réactive. Elle aspire, et cest normal, à maîtriser des technologies. Hier jai visité des entreprises, Telnet et une société du groupe Elloumi, qui me paraissent déjà sur ce chemin là.
Très franchement, nous, nous navons pas le sentiment depuis des années davoir un rapport de dominant à dominé. Si vous voulez dire quil y a un PIB par tête dhabitants plus élevé en France quen Tunisie, oui, mais pour le reste, nous ressentons plutôt une fraternité. Et dans cette fraternité, il y a de notre côté, parfois, un peu de culpabilité pour le passé. Vous savez pertinemment que la colonisation, le protectorat en la circonstance, posent un certain nombre de questions, ont fait débat et continuent de faire débat en France.
Mais bon, tournons-nous vers lavenir. Le peuple tunisien a pris son destin en main ; il va, je lespère, devenir une belle et grande démocratie. Nous aurons donc plus que jamais - pour nous cétait déjà le cas mais pour vous cela va devenir plus évident encore - un rapport dégal à égal.
Question : Vous étiez ministre de lImmigration et là vous venez de visiter la Tunisie. Quels conseils pouvez-vous donner au ministre actuel de limmigration pour assouplir, enfin si vous considérez quil y a lieu de lassouplir, la politique de limmigration française, principalement par rapport aux Tunisiens ?
Réponse : La France, contrairement à ce qui est suggéré, est un pays ouvert à limmigration légale. Il lest à limmigration professionnelle, il lest au regroupement familial, il lest pour les étudiants. Quand jétais ministre de lImmigration, à la demande du président de la République et du Premier ministre, jai considérablement augmenté les visas pour les étudiants, qui ont repassé la barre des 50 000 nouveaux étudiants en France par an. Et ce sont les Marocains, les Algériens et les Tunisiens qui en ont été les premiers bénéficiaires, avec les Chinois et les Indiens. Lidée dune France fermée est un mythe. Un pays qui accueille sur son sol 180 000 migrants au titre du long séjour, deux millions au titre du court séjour et qui est le premier pays européen pour lasile et le deuxième dans le monde derrière les Etats-Unis, cest un mythe de prétendre quil est fermé.
La question politique en France et, par répercussion, ailleurs porte sur limmigration irrégulière. Jai toujours dit, et ce nest pas parce que je suis ici et que je ne suis plus ministre de limmigration que je vais changer de discours, que limmigration illégale était un piège absolu, pour tout le monde et dabord pour les étrangers en situation régulière.
Source http://www.ambassadefrance-tn.org, le 1er avril 2011
Deux mots rapides en introduction et puis je répondrai ensuite à vos questions.
Avec Monsieur lAmbassadeur, nous avons passé deux jours denses mais extrêmement intéressants. Une première journée placée sous le signe de lindustrie puisque vous savez combien la France et la Tunisie sont liées sur le plan industriel. Hier nous avons travaillé essentiellement sur la coopération en matière automobile et en matière textile, puisque que ce sont, comme vous le savez, deux secteurs dans lesquels les liens sont importants.
Jai voulu dabord redire la confiance du gouvernement dans ce qui se passe ici, en Tunisie : confiance dans lévolution de cette révolution et de cette transition démocratique ; confiance aussi pour les industriels français. Vous avez noté quaucun dentre eux na renoncé à son implantation locale, que beaucoup envisagent au contraire de poursuivre et de développer leurs activités et que ces industriels ont été sensibles au fait que leurs partenaires tunisiens ont tout fait, pendant la période la plus sensible, pour ne pas provoquer de rupture de lapprovisionnement, notamment tout ce qui était pièces détachées, composants, etc. Donc, je crois pouvoir dire que les industriels tunisiens et français qui se sont rencontrés hier lors dune table ronde étaient daccord pour développer leur activité.
Ce qui ne veut pas dire que tout soit un champ de roses. Il y a un certain nombre de questions légitimes qui se posent de part et dautre. Les Tunisiens évoquaient légitimement les hausses de salaire attendues par un certain nombre de salariés et de syndicats représentants ces salariés. Et des deux côtés, la question était celle de la compétitivité de la Tunisie et de sa place dans le commerce international avec une question liée au partage de la valeur ajoutée. Nous avons aussi évoqué les questions énergétiques puisque le plan solaire tunisien est en train dêtre développé. Jen ai parlé avec le ministre de lIndustrie et de lÉnergie et jai proposé que votre société délectricité locale entre dans le consortium "Medgrid", qui est un consortium dinterconnexion en matière dénergies renouvelables et dénergie solaire.
Avec le ministre du Développement régional, nous avons évoqué hier le fait que le Premier ministre tunisien souhaite visiblement faire du développement régional lun des piliers de son action. Et finalement, notre déplacement daujourdhui dans les gouvernorats de Béjà et du Kef, illustre ces priorités du développement régional. Vous savez que la France apporte et apportera toute sa contribution, grâce notamment à lAgence française de développement.
Et puis pour hier, jai passé un moment agréable avec un certain nombre de journalistes blogueurs ou de blogueurs qui avaient participé, via les réseaux sociaux, à linformation sur lévolution de la révolution. Jai eu loccasion de dire dès hier soir que cela avait été pour moi un moment extrêmement instructif en tant que ministre du numérique mais aussi extrêmement agréable à titre personnel.
Voilà, en introduction, les grandes lignes de ce que nous avons fait pendant deux jours. Le mieux maintenant est que je réponde, si vous le voulez bien, à vos questions.
Question : On comprend bien que depuis le 14 janvier, il y a une concurrence entre les pays partenaires de la Tunisie pour prendre la place et disons investir, que ce soit sur le plan économique ou politique, les endroits où va se faire la décision. Hier, les Etats-Unis hier ont annoncé 20 millions de dollars daide. Par rapport à laide européenne, cest rien du tout.
Réponse : Oui mais par rapport à laide de lAgence française de développement, cest peu aussi.
Question : Est-ce que la France va sintéresser encore plus à la Tunisie et fera-telle attention à léthique, cette fois-ci, par rapport aux investissements réalisés avec des partenaires douteux du temps de Ben Ali ?
Réponse : Bon, il y a plusieurs choses dans votre question. Dabord, la question de la supposée concurrence. Nous ne nous sentons pas en concurrence avec les Américains, les Italiens, les Espagnols, les Européens, qui voudraient aider, accompagner ou investir en Tunisie. Tout ce que dautres pourront apporter sous forme dappuis, de prêts ou dinvestissements, sera une bonne nouvelle pour la Tunisie. Et si cest une bonne nouvelle pour la Tunisie, ce sera une bonne nouvelle pour la France. Parce que nous avons tous besoin, vous dabord, nous ensuite, lEurope de toute façon, que la Tunisie réussisse ce quelle a entrepris depuis le 14 janvier. Jallais dire, mais je ne veux pas faire demphase, que le monde a besoin que la Tunisie réussisse sa révolution et son passage à la démocratie. Donc, sil y a un certain nombre de partenaires qui apportent leur contribution, cest une bonne nouvelle pour tout le monde.
Maintenant, je vais vous dire que pendant les deux jours que je viens de passer ici, je nai pas senti un désir de moins de France, chez mes interlocuteurs, que ce soient les ministres, les chefs dentreprises, les associations, tous ceux que jai rencontrés. Jai senti plutôt un besoin de plus de France, plus dinvestissements français, plus daccompagnement, plus daide, plus dentreprises françaises, etc. Donc il ny a pas de concurrence et la France jouera son rôle.
Pour ce qui concerne laide globale que la France apportera à la Tunisie, vous savez que cest une discussion entre nos Premiers ministres respectifs. Je crois quelle se déroule bien, mais ce nest pas à moi dannoncer quoi que ce soit en la matière. Dautres le feront peut-être dans les jours qui viennent.
Mais lorsque par exemple, hier soir, et je vous le confirme à linstant, on dit que lAgence française pour le développement va sengager pour 150 millions deuros dans le réseau gaz de louest de la Tunisie, je crois que 150 millions deuros, ce nest pas tout à fait rien pour la Tunisie. Et, permettez-moi de le dire, ce nest pas non plus tout à fait rien pour le budget français.
Donc nous allons travailler ensemble. Si vous voyez plusieurs ministres français venir, semaines après semaines, cest parce que le président de la République nous la demandé, a demandé à chacun dentre nous, dans notre département ministériel, de regarder ce que nous pouvons faire, ce que nous pouvons apporter à la Tunisie. Parfois, il ny a pas besoin de sommes très importantes. Nous allons mettre des experts à la disposition de la Tunisie, en matière dénergie et dénergies renouvelables. Nous allons en mettre en matière de création et de développement dentreprises.
Jai proposé hier au secrétaire dÉtat en charge du Développement numérique de nous inspirer de quelque chose que nous avons fait en France et qui a bien marché sans être très coûteux. Quelque chose qui sappelle "Passeport pour le numérique" et qui consiste à aider les PME dans leur acquisition des données de base de linformatique et de la communication, des nouvelles technologies, internet, etc. Cela, je peux vous le dire, ce nest pas très coûteux. Cest de la formation, de lenseignement concret pour des chefs dentreprises. Leffet démultiplicateur est très important, en termes de productivité, de recherche clientèle, commerciale, marketing, etc. Leffet de levier est très important.
La France va faire beaucoup, la France va sengager, mais si dautres sengagent, tant mieux pour la Tunisie.
La partie éthique, vous savez ce quil en est, la France ne reconnaît jamais aucun régime. Elle travaille avec des États. Lhistoire, les peuples, créent un certain nombre de situations et de régimes. La France na jamais dit quelle entendait navoir des relations diplomatiques quavec des démocraties, ou des relations commerciales quavec des démocraties. Maintenant, lorsquon a la chance de pouvoir travailler sur le plan diplomatique ou sur le plan du partenariat industriel ou commercial avec des pays qui partagent les valeurs démocratiques qui sont les nôtres, bien sûr, cest un plus et un plaisir.
Cest la Tunisie qui va maintenant se doter dun cadre institutionnel favorable à lémancipation de son peuple, à sa démocratie et favorable aussi aux règles du jeu dune économie de marché saine et sans corruption. La France na pas à donner de leçons en la matière, cest à la Tunisie de le faire.
Question : Jai deux questions. Est-ce quon peut avoir un peu plus de détails sur les sensibilités quant aux négociations sur les salaires ? Quelle est votre vision du partenariat entre les investisseurs français et les personnalités soupçonnées dêtre impliquées avec la famille ?
Réponse : Sur le deuxième point, je nai strictement rien à dire, ce nest pas de mon ressort. Vous avez un gouvernement, jai entendu et lu quil prend un certain nombre de décrets et quil discute avec des entreprises concernées. Pour ce qui me concerne, je nai rien à dire sur le sujet, cest-à-dire sur cette période de constitution, de construction dun Etat de droit. Voilà, je ne peux pas commenter davantage.
Pour la première partie de votre question, cest une question transversale. La Tunisie a un certain nombre datouts, liés à sa géographie, à la qualité de sa main duvre et à la formation de base de sa jeunesse, qui est plus élevée que dans un certain nombre de pays émergents. Mais elle a aussi joué la compétitivité, à travers les salaires, et la réactivité, cest-à-dire la capacité de répondre à une commande rapidement.
Il va y avoir de la part de son peuple, et cest bien naturel, une demande daugmentation des salaires. Mais les industriels disent de leur côté : avant dinvestir et de nous projeter vers lavenir, nous voulons connaître les règles du jeu, on veut savoir ce que seront les relations entre le patronat et les syndicats sur le plan de laugmentation des salaires pour savoir vers quoi on va et où on investit. Il sagit donc dun dialogue mais qui ne sapplique pas spécifiquement à telle ou telle entreprise.
Question : M le Ministre, jai deux questions. La première concerne la stratégie que va mettre en place la France pour les entreprises françaises qui ont été forcées dune manière ou dune autre à entrer en contact avec les membres de la famille Ben Ali.
Réponse : Je sais que votre Premier ministre prend un certain nombre de décrets et quil y a des discussions avec les entreprises sur les conséquences pratiques. Les enjeux, on les voit bien. Il sagit de rétablir ce que vous avez appelé une forme déthique, une équité, et en même temps ne pas déstabiliser des entreprises qui ont investi en Tunisie et qui sont porteuses de croissance, de développement et demplois en Tunisie. On voit bien comment il faut essayer de conjuguer les deux aspects mais cette question nest pas de mon ressort et je nen ai pas traité.
Question : Ma deuxième question concerne lintervention française en Libye, le rôle de la France qui, en quelque sorte, est à la tête de la coalition occidentale, et létendue de son intervention. Vous savez, M le Ministre, que les peuples arabes sont contre toute intervention occidentale dans les affaires internes de la Libye et que ce quil sy passe nous affecte, directement et indirectement. Alors, est-ce que lintervention de la France va sarrêter aux attaques aériennes, est-ce quil y aura une intervention directe en Libye ?
Réponse : La France est liée par la résolution 1973 du Conseil de sécurité, base sur laquelle, la France, avec dautres pays, intervient en Libye. Cette résolution est très claire, elle dit quil sagit dinstaurer une zone dexclusion aérienne visant à empêcher le pouvoir actuel libyen de massacrer son peuple. La raison de lintervention de la France en Libye, cest celle-là : empêcher un dictateur de massacrer son peuple. Il faudra regarder dans les archives, mais il ne me semble pas quil y ait eu beaucoup de cas dans lesquels un pouvoir a envoyé ses avions chasseurs tirer sur son peuple. Cest hallucinant.
Pour nous Européens et pour la Ligue arabe, lidée dassister à un massacre comme celui qui avait commencé et qui était en train de se préparer était inconcevable. Parce que le colonel Kadhafi a au moins, jallais dire, le mérite davoir annoncé ces massacres. Il y a un certain nombre de déclarations qui font foi sur ce quil allait faire. Et le président de la République a estimé que les Français ne pouvaient pas rester spectateurs de ce massacre. En même temps, il nétait pas question que nous intervenions seuls. De quel droit ? Sur quelle base ? Donc lidée était de recourir au Conseil de sécurité pour obtenir des Nations unies lautorisation, collectivement, dempêcher ce massacre. Cest le seul but que nous poursuivons.
Pour ce qui est de la perception des Arabes, en supposant dailleurs que les Arabes constituent une entité homogène - vous savez mieux que moi que cela mériterait un peu nuance - je pense que personne ne pense une seconde, contrairement à ce que Kadhafi a pu dire, quil sagit dune entreprise de colonisation ou de recolonisation. Il sagit simplement de lempêcher dabattre par la force ceux qui prétendaient mener cette révolution.
Maintenant, vous avez raison, cela vous affecte. Cest une certitude. Cela vous affecte, parce que cela donne le sentiment dun trouble régional, cela peut engendrer des mouvements de populations, de Libyens qui fuient leur pays et qui peuvent vouloir entrer en Tunisie par le Sud. Et cela affecte aussi votre tourisme, parce que cela donne le sentiment dune zone en ébullition. Là-dessus, tout ce que je peux dire, cest que nous espérons tous que cette intervention sera de courte durée et permettra à la Libye de redevenir une zone de stabilité avec un peuple émancipé et que, du coup, la Tunisie et lensemble de la zone pourront vivre en paix.
Question : Jaurai deux questions. Au sujet de la révolution tunisienne du 14 janvier, pas la peine de rappeler les faits côté français : beaucoup de chahut, dincertitudes. Est-ce que vous navez pas limpression quaujourdhui, le gouvernement français essaie de réparer les pots cassés ? Deuxième question, vos pronostics par rapport à léconomie du pays, à moyen terme et à long terme ?
Réponse : Je suis surpris, quand un peuple fait une révolution aussi importante pour lui même, avec les conséquences que cela a engendré dans quantité de pays, un évènement qui sera regardé par les historiens comme lun des plus importants du siècle en court, que lon puisse sinterroger sur les conséquences pour la politique intérieure française et au sein du gouvernement, y compris tel ou tel remaniement. Très franchement. Bien sûr, cela sest produit, on ne peut pas le nier, les journaux en étaient pleins, il y a eu des conséquences, etc. Mais je dirais, surtout pour vous, quelle importance ? Vous avez votre révolution entre les mains : vous avez votre destin entre vos mains ; que vous importent les conséquences en politique intérieure et intergouvernementale de cette révolution ? Pardon dêtre un peu crû, mais il faut quand même ramener les choses à leurs proportions.
Surtout que nous, Français, nous avons un petit travers qui consiste à être capable dimporter tout évènement qui se passe dans le monde à un problème de politique intérieure français. Il y a une catastrophe nucléaire au Japon avec des enjeux dont personne ne connaît les résultats. À linstant, nous Français, nous en faisons une affaire de politique intérieure. Nous avons fait la même chose avec la Tunisie, et je vous assure quon est capable de le faire encore sur dautres sujets. Donc, ma suggestion, cest : ne nous poussez pas dans nos travers et essayons de gérer le mieux possible ces questions là, chacun de notre côté.
Pour ce qui concerne la Tunisie, personnellement, je létais avant de venir et je repartirai demain plus optimiste encore, pour des raisons que je connaissais, cest-à-dire la qualité dun certain nombre de personnes. Vous avez des ministres de grande qualité et je voudrais en profiter pour leur rendre hommage. Cest dautant plus facile que je ne connais aucune de leurs attaches partisanes, je connais à peine leur parcours pour un certain nombre dentre eux. Ce quils sont en train de faire, cest remarquable. Ils ont un temps limité, ils se dévouent totalement pour permettre au gouvernement qui viendra après les élections davoir un certain nombre de conditions de travail réunies. Pour ceux que jai rencontrés, je les ai trouvés dune très grande qualité, dun très grand désintéressement et dun très grand dévouement. Je voudrais leur rendre hommage.
Mais au-delà, on rencontre partout des chefs dentreprises, des responsables associatifs. À midi, au cours dune table ronde au Kef, nous avons côtoyé un certain nombre de responsables agricoles, de la santé, des travaux publics, etc. Chaque fois, jai été frappé par la qualité humaine.
Ensuite, tout le monde voit bien les enjeux, mais, cela, cest votre affaire. Le premier enjeu, il est celui de réussir le passage à des institutions stables et démocratiques, ce que va faire votre assemblée constituante. Et donc tout le cycle institutionnel, il faut une stabilité institutionnelle. Nous Français nous navons rien à dire là-dessus. Cest à vous de le faire. Mais vous voyez bien que cest un enjeu crucial.
Le deuxième point, effectivement, cest de faire en sorte que léconomie reparte le plus rapidement possible. Il y a des éléments sur lesquels on peut essayer dinfluer et nous allons tenter de faire notre part : le rapport avec nos industries, le tourisme, le moment venu ce nest pas dans mon champ de compétences, mais je crois que Frédéric Lefèbvre la évoqué lors de sa venue. Il faudra que la France prenne sa part à la valorisation du potentiel touristique tunisien, qui est très grand, et nous apporterons notre contribution.
Moi, jai bon espoir quavant la fin de cette année, peut-être dès cet été, vous ayez bien avancé sur ces deux piliers : stabilité institutionnelle et relance de léconomie.
Question : Tout à lheure, vous évoquiez le cas de Société tunisienne délectricité et de gaz (STEG) et vous disiez que vous nous proposiez un consortium Medgrid. Pourrait-on avoir un peu plus de détails sur cette proposition, sachant que la STEG est déjà à cheval sur plusieurs consortium, dont Désertec ?
Par ailleurs, il y a beaucoup de pressions sur certaines sociétés françaises, allemandes, européennes de manière générale, des pressions syndicalistes, pour des augmentations de salaire de lordre de 30% minimum. Dans le cas dune société allemande, la semaine dernière, les patrons ont signé un accord de 50%, mais après, la société sest retirée de Tunisie. Les gens sen vont et cela ne peut pas continuer comme ça. Quel message de soutien pouvez-vous apporter à vos sociétés françaises ?
Réponse : Sur la première partie de votre question, Medgrid est un consortium pour linterconnexion des productions solaires, de façon à créer un échange nord-sud. Je demande à mon conseiller diplomatique, Frédéric Bouvier, dajouter trois mots sur cette question.
Frédéric Bouvier : Cest un consortium qui réunit les électriciens, les régulateurs, les transporteurs délectricité, du nord et du sud de la Méditerranée. Il sest constitué le 9 décembre 2010, à Paris, sous limpulsion notamment de la France, mais il sagit dabord dune initiative privée encouragée par le secrétariat général de lUnion pour la Méditerranée. On y retrouve des entreprises du Maroc, de Syrie, de Jordanie, de France, de Grèce, dEspagne et dAllemagne aussi.
Cest tout à fait complémentaire de Désertec, car Désertec sintéresse au développement de la production délectricité solaire. Medgrid cherche à promouvoir les interconnexions électriques en Méditerranée, à la fois pour soutenir le développement de votre plan solaire et des autres plans solaires nationaux, mais aussi plus largement intégrer le nord et le sud de la Méditerranée dans un grand marché euroméditerranéen de lélectricité où lon pourra séchanger de lélectricité, pour rendre les projets de plans solaires rentables, et aussi bénéficier dans les deux sens de compensations quand, par exemple, vous avez moins besoin délectricité que nous parce que nous avons plus froid que vous, ou quand vous en avez plus besoin en été parce que vous utilisez davantage que nous la climatisation. Donc il y a des effets de compensations. Cest notre intérêt partagé davoir ces interconnexions et cela va contribuer à développer votre plan solaire.
Question : Y a-t-il aussi des transferts de technologies ou sagit-il uniquement un transfert délectricité ?
Frédéric Bouvier : Cela consiste à développer des interconnexions, cest-à-dire faire des études pour savoir où elles sont utiles, qui va les financer. Cest de lexpertise et si cela nest pas financé par le privé, cela ne se construira pas.
Éric Besson : Sur la deuxième partie de votre question, il ne mappartient pas de dire quel est le niveau de salaire compatible entre la compétitivité de votre économie et les besoins sociaux. Jindique simplement que cest une donnée que les industriels prendront en compte mais ce nest pas à moi de prôner la modération salariale ou quoi que ce soit. Cela relève dune responsabilité interne. Mais ayons la lucidité dacter le fait que cela pèsera sur les plans dinvestissements des entreprises, cest normal. Effectivement, un certain nombre dentreprises étrangères sinterrogent sur le nouveau visage du partenariat social avant de décider un certain nombre de leurs investissements.
Oui, la France souhaite que toutes les entreprises françaises implantées en Tunisie restent et se développent. Et nous ferons tout pour favoriser cet épanouissement. Mais en même temps, il y a beaucoup de choses qui ne dépendent pas de nous.
Question : Monsieur le Ministre, ne pensez-vous pas que les relations entre la Tunisie et la France doivent être revues vers plus de rééquilibrage, maintenant que la Tunisie est sur le point de devenir une démocratie, pour se rapprocher un peu dune relation dégal à égal entre une démocratie ancienne et une démocratie naissante ? Parce que les relations jusque là étaient plutôt des relations dominants-dominés. Je mexcuse de lexpression, mais il faut appeler les choses par leur nom ; ce nétait pas des relations équilibrées. Est-ce que vous pensez par exemple à un transfert de la technologie pour soutenir lindustrie locale ?
Deuxième question, vous vous êtes rendu tout à lheure dans louest, au Kef et à Béja. Est-ce que vous comptez réorienter vos programmes de coopération vers la Tunisie profonde ?
Réponse : Sur la deuxième partie de votre question, la réponse est clairement oui, dautant que cela correspond à la volonté exprimée par le gouvernement tunisien. Le ministre du Développement régional a été très clair. Il a dit, ce sont mes mots mais je ne pense pas trahir sa pensée : nous avons sous-estimé le besoin de développement des parties ouest et donc nous devons faire plus defforts à lavenir pour elles. Il ma dit aussi quil entendait proposer un cadre à une véritable décentralisation, pour que les régions aient plus dautonomie. Mais je ne suis pas habilité à parler en son nom et ce que je veux dire, cest que nous, Français, nous allons le faire, parce que cest la volonté du gouvernement tunisien.
Par ailleurs, par deux fois, hier et aujourdhui, nous avons largement abordé la coopération décentralisée, soit avec des ministres, soit avec des acteurs de terrain. Tout ne se fait pas dÉtat à État. Vous savez que de plus en plus, dans tous les pays, il y a des départements et des régions qui font beaucoup de coopération décentralisée. Je me suis engagé auprès dun certain nombre de nos partenaires, ministres ou acteurs locaux, à faciliter les connexions pour que cela se fasse.
Sur la première partie de votre question, dans la double dimension culturo-politique - si je puis dire - et industrielle, la réponse est très clairement oui. Nous voulons nous engager dans un partenariat industriel équilibré. Cest déjà le cas dans un certain nombre dentreprises, mais il est vraisemblable quil faudra le développer. La Tunisie ne peut pas être quune terre de main duvre flexible et réactive. Elle aspire, et cest normal, à maîtriser des technologies. Hier jai visité des entreprises, Telnet et une société du groupe Elloumi, qui me paraissent déjà sur ce chemin là.
Très franchement, nous, nous navons pas le sentiment depuis des années davoir un rapport de dominant à dominé. Si vous voulez dire quil y a un PIB par tête dhabitants plus élevé en France quen Tunisie, oui, mais pour le reste, nous ressentons plutôt une fraternité. Et dans cette fraternité, il y a de notre côté, parfois, un peu de culpabilité pour le passé. Vous savez pertinemment que la colonisation, le protectorat en la circonstance, posent un certain nombre de questions, ont fait débat et continuent de faire débat en France.
Mais bon, tournons-nous vers lavenir. Le peuple tunisien a pris son destin en main ; il va, je lespère, devenir une belle et grande démocratie. Nous aurons donc plus que jamais - pour nous cétait déjà le cas mais pour vous cela va devenir plus évident encore - un rapport dégal à égal.
Question : Vous étiez ministre de lImmigration et là vous venez de visiter la Tunisie. Quels conseils pouvez-vous donner au ministre actuel de limmigration pour assouplir, enfin si vous considérez quil y a lieu de lassouplir, la politique de limmigration française, principalement par rapport aux Tunisiens ?
Réponse : La France, contrairement à ce qui est suggéré, est un pays ouvert à limmigration légale. Il lest à limmigration professionnelle, il lest au regroupement familial, il lest pour les étudiants. Quand jétais ministre de lImmigration, à la demande du président de la République et du Premier ministre, jai considérablement augmenté les visas pour les étudiants, qui ont repassé la barre des 50 000 nouveaux étudiants en France par an. Et ce sont les Marocains, les Algériens et les Tunisiens qui en ont été les premiers bénéficiaires, avec les Chinois et les Indiens. Lidée dune France fermée est un mythe. Un pays qui accueille sur son sol 180 000 migrants au titre du long séjour, deux millions au titre du court séjour et qui est le premier pays européen pour lasile et le deuxième dans le monde derrière les Etats-Unis, cest un mythe de prétendre quil est fermé.
La question politique en France et, par répercussion, ailleurs porte sur limmigration irrégulière. Jai toujours dit, et ce nest pas parce que je suis ici et que je ne suis plus ministre de limmigration que je vais changer de discours, que limmigration illégale était un piège absolu, pour tout le monde et dabord pour les étrangers en situation régulière.
Source http://www.ambassadefrance-tn.org, le 1er avril 2011