Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les crises en Côte-d'Ivoire, notamment l'engagement de la force française Licorne en soutien de l'ONUCI, et en Libye, Paris le 7 avril 2011.

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Circonstance : Audition d'Alain Juppé devant la commission des affaires étrangères du Sénat, à Paris le 7 avril 2011

Texte intégral

Permettez-moi de m'associer à l'hommage que vous avez rendu, d'une part au sang-froid de nos compatriotes en Côte d'Ivoire et tout particulièrement à Abidjan et ensuite, au professionnalisme de nos soldats sur tous les théâtres d'opérations mais le ministre de la Défense le fera mieux que moi.

Je voudrais souligner que dès le moment où le président de la République, il y a 48 heures, à la demande du Secrétaire général des Nations unies, a décidé de faire intervenir la force Licorne en soutien de l'ONUCI, le gouvernement s'est mis à la disposition du Parlement pour l'informer tout à fait en détail de la situation. Le Premier ministre a écrit aux présidents des Assemblées pour indiquer que les ministres compétents étaient à la disposition des Commissions.

À ce titre, je suis heureux de me trouver devant votre Commission, je laisserai naturellement à mon collègue Gérard Longuet le soin d'aborder la question des opérations militaires pour me concentrer sur les aspects diplomatiques des deux crises qui sont les plus chaudes aujourd'hui.

D'abord, la crise ivoirienne. Sans refaire l'Histoire, je voudrais rappeler qu'elle a été ouverte par les élections présidentielles du 28 novembre dernier qui se sont tenues après des années de retard. J'ai eu un petit moment de surprise lorsque j'ai entendu, il y a 24 heures, dans une émission de télévision très écoutée, un journaliste rendre hommage à Laurent Gbagbo pour avoir organisé les élections. Fichtre, cela fait 10 ans qu'il est au pouvoir sans élections et 5 ans qu'on le presse d'en organiser. Avec 4 années de retard, elles ont finalement eu lieu et les électeurs ivoiriens ont donné la victoire à Alassane Ouattara. Je ne reviens pas sur les conditions dans lesquelles cette victoire a été constatée, elle a en tout cas été reconnue par les Nations unies et par l'ensemble de la communauté internationale, et notamment, je voudrais insister sur ce point, par l'Union africaine et la CEDEAO.

Depuis ces élections, Laurent Gbagbo s'accroche au pouvoir, il refuse de reconnaître la volonté du peuple ivoirien, il n'a pas hésité à prendre le risque de déclencher une guerre civile, notamment à Abidjan où il a lancé ses milices contre la population, comme dans le reste du pays où de violents affrontements ont lieu entre son camp et celui d'Alassane Ouattara. Il a également, pour échapper aux sanctions qui avaient été décidées par la communauté internationale, commis un véritable hold-up sur la Direction nationale de la Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest à Abidjan et sur les succursales des banques. Ces violations, il faut le dire très clairement, sont de la responsabilité de Laurent Gbagbo et elles n'ont cessé de se multiplier depuis sa prise de pouvoir en octobre 2000. Faut-il rappeler les crimes des escadrons de la mort et les 120 opposants abattus par les forces de l'ordre en mars 2004 au cours d'une manifestation qui demandait l'application des Accords de Marcoussis ? Faut-il rappeler la disparition de Guy-André Kieffer dont le corps n'a jamais été retrouvé, le bombardement du camp de Bouaké qui a coûté la vie à 9 de nos soldats, celui du marché d'Abobo plus récemment où Laurent Gbagbo a fait tirer sur des femmes désarmées ?

Faut-il rappeler enfin que, non content de s'en prendre à la population, Laurent Gbagbo s'est également attaqué aux communautés étrangères ? Je pense aux nombreuses exactions commises contre des Français, aux agressions systématiques contre les communautés ouest-africaines présentes en Côte d'Ivoire. Je pense aussi tout récemment aux menaces dont les diplomates occidentaux ont fait l'objet, qu'il s'agisse du mitraillage la semaine dernière d'un véhicule d'escorte de notre ambassadeur ou de l'attaque en règle de la Résidence des Palmes où résident nombre de nos agents.

Vous savez que cette nuit, nous sommes intervenus pour assurer la sécurité des diplomates japonais et nous sommes aujourd'hui l'objet de nombreuses demandes. J'avais encore au téléphone il y a quelques instants, le ministre des Affaires étrangères d'Israël qui nous demandait le concours de Licorne pour exfiltrer ses diplomates.

Face à ces violations et à ces crimes que j'ai voulu rappeler pour bien situer les responsabilités, les Nations unies et la communauté internationale se sont mobilisées. Tout d'abord, en appelant Laurent Gbagbo, dès le mois de décembre, à quitter le pouvoir pacifiquement. Je voudrais aussi insister sur ce point. Cela fait quatre mois que cela dure et lorsqu'on nous dit qu'il faut donner du temps à la médiation, nous l'avons donné. Ces médiations ont été nombreuses, je pense notamment à celle du Conseil de paix et de sécurité de l'Union africaine, qui a clairement indiqué sa position le 10 mars dernier, ou encore au Sommet extraordinaire des chefs d'État de la CEDEAO le 24 mars dernier.

Les Nations unies se sont également mobilisées pour mettre en ?uvre une politique de sanctions dont l'objectif était de priver Laurent Gbagbo et ses proches de leurs moyens de nuisance. Fin janvier, le président Ouattara a appelé à un gel des exportations de cacao. L'Union européenne a adopté des sanctions individuelles contre ceux qui s'opposaient à l'installation d'Alassane Ouattara au pouvoir, ainsi que des sanctions contre les entités économiques qui participent au financement du camp Gbagbo. Les États-Unis et le Canada ont, quant à eux, adopté des sanctions individuelles. L'Afrique du Sud a récemment annoncé son intention de faire de même.

Les Nations unies se sont mobilisées pour protéger les civils et faire respecter l'embargo sur les armes, c'est le mandat très clair qui a été confié à la force des Nations unies en Côte d'Ivoire que l'on appelle l'ONUCI et qui a été renouvelée fin décembre par la résolution 1962.

Par ailleurs, les effectifs de l'ONUCI ont été renforcés mi-janvier avec 2.000 soldats supplémentaires. Aujourd'hui, les effectifs de l'ONUCI sont de 10.500 et je rappelle que toutes ces résolutions ont été votées à l'unanimité par le Conseil de sécurité.

Dès le mois de janvier, l'ONUCI avait le mandat et les moyens de protéger les populations, mais l'usage de la force par le camp Gbagbo était tel qu'il a paru nécessaire, pour la communauté internationale, de préciser et de renforcer ce mandat. C'était le sens de la dernière résolution, celle du 30 mars - la 1975 - qui donne mandat à l'ONUCI de neutraliser les armes lourdes utilisées contre les civils. Une fois encore cette résolution, qui a été présentée conjointement par la France et par le Nigeria en sa qualité de président de la CEDEAO en exercice, a été adoptée à l'unanimité.

C'est dans ce contexte qu'il y a une semaine, les forces républicaines de Côte d'Ivoire, alliées à Alassane Ouattara ont lancé une offensive éclaire contre les partisans de l'ancien président. Laurent Gbagbo a néanmoins continué à résister autour de quelques positions notamment au Palais présidentiel, à la résidence présidentielle, au camp militaire d'Agban et d'Akouéo et à la radiodiffusion télévision ivoirienne. Depuis samedi dernier, la situation était donc gelée, marquée par des tirs sporadiques, l'usage régulier d'armes lourdes et une multiplication de pillages dans la capitale économique de la Côte d'Ivoire.

C'est la raison pour laquelle lundi soir, après s'être regroupées et réorganisées au nord d'Abidjan, les Forces républicaines sont passées à l'action. Face à cette situation, dans un courrier en date du 3 avril, le Secrétaire général des Nations unies s'est adressé à la France, plus précisément au président de la République, pour rappeler que, conformément à la résolution 1975, il était urgent, je cite la lettre de M. Ban Ki-moon «de lancer les opérations militaires nécessaires pour mettre hors d'état de nuire les armes lourdes qui sont utilisées contre les populations civiles et les casques bleus» et pour demander «que la force Licorne qui est déjà mandaté par le Conseil de sécurité pour appuyer l'ONUCI soit autorisé de façon urgente à exécuter ces opérations, conjointement avec l'ONUCI.»

Voilà la demande claire, précise, écrite, qui a été formulée par le Secrétaire général des Nations unies. Le président de la République lui a répondu en lui donnant son accord.

Par ailleurs, nous avons fait le choix de regrouper nos ressortissants qui en faisaient la demande sur plusieurs points, l'aéroport que nous avons sécurisé, le camp de Port-Bouët à l'extrême sud d'Abidjan près de l'aéroport, l'hôtel Wafou au sud et l'ambassade au nord. Le ministre de la Défense donnera tous les détails et les modalités de nos actions de regroupements.

À Paris, dès samedi, notre Centre de crise a ouvert une cellule de réponse téléphonique et envoyé deux agents au camp de Port-Bouët, une seconde équipe de renfort consulaire de treize agents a rejoint le camp, mardi par vol militaire, pour se mettre à la disposition de nos compatriotes.

À l'heure où je vous parle, plusieurs centaines de Français et d'étrangers ont pu rallier Lomé et Dakar. Nous avons eu aussi des appels à l'aide d'autres communautés, en particulier du Liban. Outre les Etats inclus dans le plan français de sécurité, je répète que plusieurs pays ont sollicité l'aide de la France pour faciliter l'évacuation de leurs ressortissants.

À Abidjan, l'ex-président et ses proches sont réfugiés dans les sous-sols du palais présidentiel. Le chef d'état major des forces de Laurent Gbagbo, le général Mangou a annoncé un cessez-le-feu. Une négociation de la dernière chance a été tentée pendant tout l'après-midi de mardi.

Permettez-moi, après ce qu'on a entendu dans les média, de revenir sur les événements de ces derniers jours.

Tout d'abord, qui négociait ? C'est le président Ouattara qui a posé ses conditions - ce n'est pas la France qui a posé ces conditions à Gbagbo, c'est le président Ouattara, qui pour nous est le président légal et légitime de la Côte d'Ivoire - au nom du peuple ivoirien et ce sont les Nations unies, en la personne du Représentant du Secrétaire général des Nations unies, M. Choi qui ont mené les discussions. Ainsi, contrairement à ce qu'a laissé entendre Laurent Gbagbo en affirmant qu'il rejetait les demandes faites par Paris, ce n'est pas la France qui a négocié directement. Bien sûr, nous sommes venus en appui dans un rôle de facilitation et à ce titre notre ambassadeur à Abidjan, Jean-Marc Simon - je tiens d'ailleurs à lui rendre hommage parce qu'il fait preuve d'un courage et d'un professionnalisme remarquables -, a été en contact permanent avec le Représentant du Secrétaire général des Nations unies.

Que peut-on négocier ? Le président Ouattara estime que la reconnaissance publique de son autorité par Laurent Gbagbo - autrement dit sa reddition - est un préalable non négociable. Avec les Nations unies, nous partageons cette analyse : défait par les urnes, coupé de son peuple par les atrocités qu'il a commises, abandonné par la plupart de ses soutiens, totalement isolé parmi les pays africains, Laurent Gbagbo s'est «bunkerisé». Seules les modalités de sa reddition peuvent donc faire l'objet d'une discussion. À cet égard, nous avons dit - et je l'ai répété mardi à M. Ban Ki-moon - que nous souhaitions que soit préservée l'intégrité physique de Laurent Gbagbo et de sa famille, puisqu'il est avec son épouse et ses enfants.

Sur le terrain, les combats ont repris depuis hier matin, puisque la négociation a échoué. Les attaques contre le siège et les forces de l'ONUCI, y compris à l'arme lourde, se sont poursuivies toute la journée. Hier soir, des miliciens pro Gbagbo ont investi la Résidence de l'ambassadeur du Japon et installé des armes lourdes sur les toits, menaçant ainsi la vie du diplomate, les ambassades voisines et les populations civiles. Sur requête des autorités japonaises, et en plein accord avec le président Ouattara, le Secrétaire général des Nations unies a demandé à la France d'intervenir d'urgence afin de protéger les vies humaines et d'évacuer le personnel diplomatique. Au même moment, la Résidence de notre ambassadeur faisait l'objet d'attaques répétées.

En réponse à ces démarches, la Force Licorne est intervenue pour exfiltrer de la Résidence du Japon l'ambassadeur et ses collaborateurs, dont l'un était blessé. Ceux-ci sont désormais sains et saufs et en sécurité au camp de Port-Bouët. Je tiens à préciser que cette intervention répond parfaitement aux attentes formulées par l'Union africaine dans son communiqué du 5 avril. Par ailleurs, un redéploiement de l'ONUCI est prévu dans le quartier diplomatique ce matin, conformément aux appels à l'aide de plusieurs ambassades, notamment indienne - j'ai signalé aussi l'intervention du ministre israélien.

Je voudrais à nouveau le souligner, ce recours à la force est imputable à l'obstination de Laurent Gbagbo. Après plus de quatre mois de médiations diverses qui n'ont pas permis d'amender, même partiellement sa position, le peuple ivoirien peut savoir gré au président Ouattara d'avoir été si patient.

Après la chute de Gbagbo qui interviendra inéluctablement - je ne veux pas dire dans les heures, mais, je suis prudent, dans les jours qui viennent -, il nous faudra appuyer la politique de pardon, de réconciliation nationale et d'ouverture politique que devra conduire le président Ouattara. Je voudrais vous dire que ce point de vue, nous sommes en liaison très étroite avec lui ; il est parfaitement dans cet esprit. Il fera d'ailleurs, je pense, des déclarations en ce sens et nous sommes déjà en train de travailler à l'effort qu'il faudra faire pour l'aider dans ce processus de réconciliation politique et de reconstruction économique, car l'économie de la Côte d'Ivoire est évidemment extrêmement affectée par ce qui se passe.

Permettez-moi maintenant de vous dire quelques mots de la situation en Libye.

Dans ce pays, je le rappelle, la guerre qui est menée sur le terrain est d'abord celle d'un dictateur contre son propre peuple. Je ne reviendrai pas sur ce point que j'ai largement eu l'occasion d'évoquer lors de notre rencontre du 22 mars dernier. Face aux interrogations - qui naturellement lorsqu'une opération dure - se multiplient désormais, je voudrais redire une fois encore que, si la résolution 1973 n'avait pas été votée in extremis comme elle a été votée au Conseil de sécurité, nous aurions eu un bain de sang à Benghazi ; il était annoncé, programmé et inévitable et nous avons au moins obtenu ce résultat, nous l'avons arrêté.

C'est face à ces menaces et à ces violences intolérables perpétrées contre des civils que la communauté internationale a décidé d'intervenir avec un seul objectif : protéger les civils. C'est pour faire appliquer cette résolution que l'opération militaire à laquelle participent nos forces a été lancée le 19 mars. Je le répète, nous intervenons en Libye avec un mandat clair des Nations unies. La France ne fait pas la guerre, contrairement ce que j'entends dire matin, midi et soir, elle intervient dans le cadre d'une opération internationale pour protéger les populations civiles.

Où en sommes-nous aujourd'hui ?

Kadhafi a perdu toute légitimité. D'ailleurs, son camp ne cesse de s'effriter, en enregistrant chaque jour de nouvelles défections.

Pour autant, sur le terrain, ses forces et les forces révolutionnaires continuent de s'affronter, sans qu'une partie ne l'emporte sur l'autre.

Dans ce contexte encore très indécis il est plus nécessaire que jamais de rechercher une solution politique et c'est à cela que nous travaillons aujourd'hui.

C'est dans cet esprit qu'avec le Royaume-Uni, la France a organisé la Conférence de Londres, le 29 mars dernier. Cette conférence a été un succès, avec la participation de plus de 30 pays - dont de nombreux pays arabes - et plusieurs grandes organisations internationales et régionales, comme l'ONU la Ligue arabe et l'Organisation de la conférence islamique. Elle a permis de créer un Groupe de contact, chargé notamment d'assurer la gouvernance politique de l'intervention militaire, et plus largement de la mise en œuvre des résolutions 1970 et 1973 du Conseil de sécurité. Aujourd'hui, c'est en effet l'ensemble du monde arabe qui souhaite le départ de Kadhafi, qui montre tous les jours à quel point il méprise son peuple en s'accrochant au pouvoir.

Ces réflexions doivent nous permettre de renforcer le Conseil national de transition, qui se bat pour la démocratie et la liberté. Nous devons le renforcer parce que sa légitimité n'est contestée par personne dans les zones sous contrôle des révolutionnaires. Son président, Mustafa Abdeljalil, ancien ministre de la Justice, est une figure très respectée en Libye. Nous devons le renforcer parce que dès sa création, il a commencé à s'organiser. J'en veux pour preuve le fait que Benghazi n'a pas sombré dans le chaos une fois les kadhafistes chassés de la ville. Nous devons le renforcer parce qu'il a rédigé une Charte qui affirme très clairement la nécessité de respecter les droits de l'Homme et les libertés publiques. Tous nos contacts avec les membres du Conseil national de transition - j'ai moi-même rencontré à plusieurs reprises ses représentants - confirment cet engagement. Je suis en train de batailler en ce moment pour qu'ils soient entendus lundi par le Conseil des ministres des Affaires étrangères à Bruxelles ; nous avons encore quelques résistances de certains pays, mais il faut parler à ces responsables, même s'ils n'ont pas le monopole de la représentation du peuple libyen.

Nous avons donc reconnu ce Conseil comme interlocuteur légitime et envoyé une mission de représentation diplomatique à Benghazi ; nous avons sur place un diplomate, Antoine Sivan, qui fait du bon travail. L'Italie a également reconnu le CNT comme représentant légitime du peuple libyen. Nos homologues américain, britannique et allemand ont rencontré ses représentants, en ont tiré des conclusions positives.

C'est aussi la raison pour laquelle nous avons souhaité que le Premier ministre du Conseil national de transition vienne la semaine prochaine à Luxembourg présenter ses idées devant les 27 ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne.

Je veux le redire très clairement : un règlement durable passera nécessairement par un processus politique. Celui-ci pourrait être fondé sur un dialogue national inclusif autour du Conseil national de transition, rassemblant tous les représentants de la société civile libyenne qui adhèrent aux grands principes posés dans la résolution 1973 du Conseil de sécurité, notamment «trouver une solution qui satisfasse les aspirations légitimes du peuple libyen». Nous sommes prêts à accompagner les Libyens dans cet effort. Les Nations unies, l'Union africaine et d'autres encore ont tout leur rôle à jouer en ce sens. Je souhaite en particulier que nous puissions impliquer l'Union africaine, qui est très directement concernée par ce qui se passe. J'ai multiplié, durant les jours qui viennent de s'écouler, les contacts avec un certain nombre de chefs d'État pour les convaincre d'être présents, ou en tout cas que l'Union africaine soit présente au Qatar la semaine prochaine, puisque c'est là que le Groupe de contact devrait se réunir le 13 avril.

Voilà ce que je souhaitais dire en insistant fortement sur le fait qu'en Libye maintenant l'essentiel de nos efforts porte sur l'amorce d'un processus de discussion et de règlement politique. C'est un peu désordonné, il faut bien le dire.. Nous allons essayer de mettre un petit peu de cohérence dans tout cela. Il y a un Représentant spécial des Nations unies en Libye, M. Al Katib, qui a un rôle de coordination à jouer et nous souhaitons surtout que ce soit le Groupe de contact - qui va se réunir le 13 avril à Doha - qui puisse remettre de la cohérence et lancer un véritable processus de discussion et de réglementation politique du conflit. En tout état de cause, c'est le peuple libyen, et lui seul, qui doit écrire son histoire et décider de son avenir. C'est pour lui permettre de prendre son destin en main que nous devons peser de tout notre poids pour faire partir Kadhafi.

Monsieur le Président, j'ai été très sensible à ce que vous avez dit, notamment sur la Libye ; j'y reviendrai dans un instant. Sur l'ONUCI, ce n'est pas la première fois que nous constatons que les forces des Nations unies sur le terrain ont des problèmes. Je voudrais simplement signaler que, dans l'ONUCI, il y a 30 pays contributeurs. C'est, par construction-même, que ces forces sont fragiles et parfois n'ont pas l'efficacité souhaitée. L'ONUCI est sous chapitre VII, c'est-à-dire qu'elle a tout mandat pour intervenir, y compris en utilisant la force. Elle n'est pas là pour une mission d'observation mais pour une mission d'intervention. Constatant que sa capacité d'intervention était un peu faible, nous n'avons cessé de multiplier les interventions auprès du Secrétaire général des Nations unies, auprès du directeur du Département des opérations de maintien de la paix, M. Alain Leroy, qui, je vous le rappelle, est un Français, ainsi qu'auprès du Représentant spécial sur le terrain, l'ambassadeur Choi, auprès du commandement de l'ONUCI. Le commandement de l'ONUCI a d'ailleurs changé ; c'est un officier général togolais, je crois, qui l'assure aujourd'hui et qui a donné un peu d'élan. Je ne voudrais pas citer les contingents nationaux dont certains ont une capacité au combat limitée.

Nous avons donc essayé de faire pression en permanence pour que l'ONUCI s'engage. Je ne peux pas laisser croire qu'elle est totalement inefficace ; elle patrouille dans les rues d'Abidjan ; ces patrouilles ont été très utiles. Elle a protégé, pendant des semaines, l'hôtel du Golf où se trouvaient M. Ouattara et ses équipes. Comme l'a rappelé Gérard Longuet, ce sont deux hélicoptères de l'ONUCI qui ont engagé les opérations avant-hier ; l'ONUCI est donc là et nous essayons bien sûr de faire en sorte qu'elle s'engage au maximum. En ce moment, nous lui demandons, indépendamment du siège du réduit de Gbagbo, de se déployer dans la ville d'Abidjan pour éviter que les groupes de fanatiques de Gbagbo ou tout simplement de pillards ne fassent régner la terreur dans la ville. Je pondérerai donc un peu la sévérité qui est portée sur l'ONUCI.

Concernant la Libye, vous avez, Monsieur le Président, énuméré toutes les raisons d'être pessimiste. Alors, par réaction, cela m'amène à être un peu moins pessimiste que je ne l'aurais été spontanément et un peu plus optimiste. C'est vrai, la résolution 1973 nous interdit toute occupation au sol et il n'est pas question d'envoyer des contingents au sol pour occuper la Libye. Jusqu'à présent, notre intervention n'a-t-elle servi à rien et sommes-nous en voie d'enlisement ? Je voudrais vous faire remarquer qu'outre la protection des populations civiles, sur Benghazi en particulier, de fait notre intervention a d'ores et déjà déstabilisé Kadhafi. La question qui se pose aujourd'hui est de savoir dans quelles conditions Kadhafi va partir et non pas comment il va pouvoir se maintenir au pouvoir. C'est, je pense, déjà un premier point qui a été marqué.

Vous me dites que la Ligue arabe concernant le Groupe de contact est «prudente». Au contraire, elle est tout à fait impliquée et j'ai ici la liste des pays arabes qui sont engagés : il y a le Qatar, les Emirats Arabes unis, la Jordanie, le Maroc qui participeront pleinement au Groupe de contact. Le déficit d'engagement, je ne le vois pas tellement plus du côté des arabes, pas plus que du côté de l'Union africaine. Nous avons un travail important de persuasion à faire pour que la Ligue arabe puisse participer pleinement au travail que nous faisons.

Sur la volonté de l'OTAN de jouer un rôle politique, nous avons parfaitement cadré le dispositif et j'ai eu l'occasion d'en parler à plusieurs reprises avec le Secrétaire général ; il est bien convaincu aujourd'hui que l'OTAN est le bras séculier qui met en ?uvre la partie militaire et que la gouvernance politique n'est pas du ressort de l'OTAN mais du ressort de la coalition internationale incarné par le Groupe de contact. Je crois qu'il y a là un partage des rôles qui est assez clair même si les tentations de confusion sont permanentes.

L'impuissance européenne ; j'ai dit moi-même à Bruxelles, au cours de la dernière réunion des ministres des Affaires étrangères que l'Union européenne s'affirmait dans tout cela comme une «ONG humanitaire» beaucoup plus que comme une puissance politique capable d'intervenir. C'est une vraie difficulté que nous avons devant nous et qui est liée à des divergences d'appréciations entre les différents pays. Je voudrais quand même, là aussi, nuancer un peu le pessimisme car, indépendamment de l'intervention militaire, il y a une position tout à fait unanime de l'Union européenne pour dire que Kadhafi s'est discrédité, que l'utilisation qu'il a fait de la force contre ses propres populations conduit tout naturellement à demander son départ et qu'il faut maintenant s'engager dans un règlement politique. La divergence vient de la manière d'agir sur Kadhafi. Un certain nombre de nos partenaires pensent que les sanctions suffisent. J'ai eu l'occasion de dire que si nous avions attendu que les sanctions des Nations unies et de l'Union européenne fassent leur effet il y a 15 jours, Benghazi serait déjà tombée.

On voit d'ailleurs en Côte d'Ivoire que les sanctions ont mis 4 ou 5 mois à donner des effets. Il y a eu une divergence sur ce point mais il y a quand même, dans les Conseils européens qui se sont succédé, dans les réunions des ministres des Affaires étrangères, une position commune et, aujourd'hui, de nombreux pays européens sont en train d'œuvrer à la recherche d'une solution politique en prenant des contacts, notamment avec ceux qui quittent le navire à Tripoli et ils sont nombreux.

Le président Bel a fait remarquer que j'avais dit que nous ne faisions pas la guerre en Côte d'Ivoire ; c'est exact. En Afghanistan, on fait, la guerre d'une certaine manière. En Côte d'Ivoire, nous ne faisons pas la guerre. Nous ne sommes pas en train de nous attaquer à une armée hostile contre laquelle nous mènerions combat. Nous soutenons l'intervention de l'ONUCI pour protéger les populations civiles. En Libye, je pense que la situation est un peu intermédiaire. Là où, en revanche, je suis un peu surpris - pardon, Messieurs les Sénateurs - par votre questionnement, c'est sur les objectifs de la diplomatie française qui, paraît-il seraient fous. Je me suis sans doute très mal exprimé ; en Côte d'Ivoire, l'objectif est parfaitement clair et il est partagé par les Nations unies, par l'Union africaine et par tous nos partenaires. L'objectif est de faire en sorte que M. Alassane Ouattara, dont nous considérons qu'il est le président légalement élu, puisse s'installer au pouvoir et qu'ensuite il pratique une politique de pardon, d'ouverture, de réconciliation nationale en constituant un gouvernement d'union nationale dans lequel siègeront, nous l'espérons, des gens qui ont appartenu à l'équipe de Gbagbo et qui sont prêts à l'aider pour s'engager dans la reconstruction de la Côte d'Ivoire. Je crois que l'on ne peut pas être plus clair dans les objectifs qu'une diplomatie peut se fixer.

En ce qui concerne la Libye, nous avons aussi des objectifs clairs, peut-être avec un élément d'incertitude, je le reconnais bien volontiers. Notre objectif est de faire en sorte que le peuple libyen puisse accéder à la démocratie et sortir d'un régime qui depuis 30 ou 40 ans l'a mis sous la coupe d'un dictateur. C'est un objectif clair et cela passe par un processus de réconciliation nationale entre le Conseil national de transition, éventuellement les autorités tribales dont on nous dit qu'elles ont un rôle très important à jouer et puis tous ceux qui, à Tripoli, seront prêts à se séparer du régime actuel.

Voilà l'objectif que nous essayons de mettre en œuvre. Que ce soit difficile, je le comprends parfaitement, que nous arrivions à la réussite que nous espérons, je mesure bien la difficulté, mais je crois malgré tout que la ligne est claire. Là où il y a une petite ambiguïté, je le  reconnais, c'est avec ou sans Kadhafi.

Dans les résolutions du Conseil de sécurité, il n'est pas écrit noir sur blanc que nous voulons nous débarrasser de Kadhafi. Mais la position de l'Union européenne, des Américains, des Français et des autres est de dire que Kadhafi n'est plus acceptable et que lorsque l'on s'est comporté comme il s'est comporté, il n'est plus acceptable. C'est là-dessus que portent aujourd'hui les tractations. Il y a un certain nombre de gens à Tripoli qui sont prêts à s'en débarrasser et d'autres qui n'y sont pas tout à fait prêts et qui proposent des solutions intermédiaires.

Pour ce qui est à définir en commun, la politique avec le Parlement qui se sent mal informée, c'est bien sûr à vous d'en juger, Messieurs les Parlementaires. Ce que nous faisons ici n'est autre que d'essayer de définir en commun la politique étrangère de la France.

Q - Est-ce une improvisation ?

R - Non, pas du tout. Ce n'est pas la première fois que je viens devant vous pour en parler, ainsi que mes prédécesseurs. Par ailleurs, je préfère que nous en parlions ici et que nous ayons cet échange qui éclaire la diplomatie française - parce que nous tenons compte de ce que vous nous dites pour orienter les choses - plutôt que certains débats suivis de votes en séance plénière dont parfois il m'arrive de me demander s'ils sont aussi utiles que les débats en Commission. Je trouve que ce que nous faisons ici est très utile et je crois que le rôle du Parlement est respecté.

Comme je vous l'ai dit, j'ai sous les yeux la lettre du Premier ministre à M. Larcher qui nous dit qu'à la minute-même où la décision est prise, nous sommes prêts à venir. Nous serions même venus dans la nuit de lundi à mardi si vous l'aviez souhaité.

Pour ce qui est de la dimension humanitaire évoqué par M. le député, c'est évidemment une préoccupation essentielle. La Commission européenne a déjà porté le montant de son assistance à la Côte d'Ivoire à 30 millions d'euros ; c'est une décision du 17 mars. La France, au titre des contributions volontaires affectées au Haut Commissariat aux Réfugiés, a également déjà augmenté sa contribution. L'aide alimentaire se chiffre à 1 million et demi d'euros, via le Programme alimentaire mondial.

J'ai toute une liste d'initiatives qui sont prises. Nous travaillons d'arrache-pied, avec tous nos services - et j'ai ici une note de quatre pages sur les priorités après la chute de Laurent Gbagbo. Il n'est pas question de laisser tomber M. Ouattara, il ne réussira pas seul. Il aura besoin de l'aide de l'Union européenne, de la CEDEAO et de la France ; nous avons mis au point toute une série de mesures. Il faudra, par exemple, assouplir assez rapidement les sanctions de l'Union européenne pour faciliter l'acheminement de l'aide humanitaire et permettre la reprise de l'activité économique qui est actuellement au point mort ; les sanctions de Bruxelles et les sanctions individuelles également. Il faut remettre le système bancaire sur pied pour lequel nous avons toute une série d'initiatives précises. Bref, nous avons prévu tout un plan d'actions dont nous sommes en train de discuter avec Alassane Ouattara et ses équipes. La France continuera à accompagner la Côte d'Ivoire.

M. Chevènement a évoqué toute une série de questions. D'abord, l'état des forces politiques : Abidjan a voté au deuxième tour à 48 % pour M. Ouattara. Donc, dire qu'à Abidjan, c'est tout Gbagbo ce n'est pas exactement cela. Le pays est sans doute divisé mais c'est le jeu de la démocratie et il est plutôt encourageant d'avoir du 52-48 % que du 99-1 %, comme cela se produit dans d'autres pays.

Concernant le fait que nous n'ayons pas mission de changer de régime, c'est vrai. Comme on s'exprime beaucoup en anglais dans le métier que je fais, ce n'est pas du «regime change».

Vous avez tous salué la mise en œuvre de la responsabilité de protéger. Cela veut dire que les gouvernements ont la responsabilité de protéger leurs populations contre les crimes de guerre, contre les crimes contre l'humanité et contre le génocide. Et s'ils ne le font pas, la communauté internationale est fondée à se substituer à eux. On a donc fait jouer la responsabilité de protéger en Libye, cela veut dire que le gouvernement de Kadhafi s'est montré incapable de protéger sa population contre des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité ou des génocides. Si vous estimez que ce n'est pas suffisant pour mettre en cause la légitimité de Kadhafi, nous pouvons en discuter. Moi je pense que c'est une façon de remettre en cause sa légitimité ; c'est pour cela que nous sommes intervenus.

Concernant la Politique de sécurité et de défense commune - Gérard Longuet me pardonnera si j'empiète un peu sur son champ de compétence -, j'ai dit que, pour le moment, l'Europe était une sorte d'ONG humanitaire. Vous me dites qu'elle doit assumer cette responsabilité, elle le fait. Nous avons même suggéré tout récemment, à la fois à l'OTAN et à l'Union européenne, de mettre en place un corridor humanitaire vers Misrata par la voie maritime. Donc, l'Europe s'engage dans ce domaine. Pour le reste, je ne désespère pas, nous avons pris un certain nombre d'initiatives récemment, en particulier la lettre des ministres de Weimar pour demander à Mme Catherine Ashton de relancer la Politique de sécurité et de défense commune. Nous n'y sommes pas, mais c'est un objectif que la France ne perd pas de vue.

On nous interroge sur les conséquences de tout ce qui se produit pour l'image de la France en Afrique et peut-être, sur la nécessité de reconstruire cette image. Je vais prendre un exemple très caractéristique de la manière dont les choses ont évolué. Une évolution qui aboutit aujourd'hui à une position quasiment unanime des pays africains pour dire que Gbagbo doit partir ; c'est aussi celle du président Zuma. J'ai assisté à l'entretien du président de la République avec Jacob Zuma ; je l'ai entendu défendre sa position qui était proche de celle qui n'était pas d'avis de reconnaître l'élection de M. Ouattara. Le président Zuma a écouté les arguments du président Sarkozy et je peux vous dire qu'à partir de ce moment-là, dans l'Union africaine, il a pris une position totalement conforme à la nôtre. Dans le panel de l'Union africaine, il s'est exprimé de façon très claire, il a très clairement indiqué que pour lui, la cause était entendue : Alassane Ouattara est le président légitime et légal. La même évolution s'est produite en Angola, le pays qui a été le soutien le plus fidèle de Laurent Gbagbo jusqu'au bout, qui est l'Angola du président Dos Santos. Aujourd'hui, je peux vous dire que la totalité des pays africains soutiennent la position de la France.

Je voudrais quand même vous amener à vous interroger sur les conséquences de ce qui se passerait si nous n'avions pas fait ce que nous avons fait. Il y a une élection qui n'est pas considérée comme parfaite. Bien sûr, nous n'imposons pas à ces pays exactement les mêmes standards que ceux que nous nous appliquons après des décennies ou des siècles de démocratie. Ces élections sont correctes, elles sont surveillées ; il y a une Commission électorale indépendante qui les valide. Certes, il y a un différend avec le Conseil constitutionnel, c'est vrai, mais ensuite, le résultat a été certifié par l'ONU, conformément aux accords signés par les différents protagonistes. À partir de là, la CEDEAO, l'Union africaine ont reconnu M. Ouattara comme le président légitimement élu ; ils ont reconnu que c'est en effet le résultat des élections.

Et alors ? Nous n'appliquerions pas cette position ? L'on considère que c'est encore sujet à débat ? Que M. Gbagbo peut continuer à partager le pouvoir ?

Quel est le message que nous envoyons à l'Afrique ? Comment, à l'avenir, pourra-t-on encore faire confiance au processus démocratique s'il n'est pas suivi des faits ? Or, il y a des mouvements positifs en Afrique dans ce domaine. Le Niger a tenu des élections qui ont abouti à un résultat démocratique ; la Guinée et d'autres aussi. Il faut donc absolument que nous soutenions ce processus et je crois que, par sa position, la France apparaît comme un soutien de ce processus démocratique. Je ne suis pas inquiet sur l'image que nous gardions à l'issue de cette intervention. Je ne répète pas à nouveau que, bien sûr, elle doit déboucher sur un processus de réconciliation nationale.

Sur la Libye, je ne reviendrai pas longuement. Quelle cohérence dans notre position ? C'est la même. Je pense que la France apparaît clairement comme soutenant l'ensemble des mouvements populaires et des aspirations à la démocratie dans les pays africains et dans les pays arabes. Avec un peu de retard, Monsieur le Sénateur, certes, mais qui n'a pas eu de retard dans tout cela ? Et lorsque j'entends dire aujourd'hui qu'il faut faire attention avec le Conseil national de transition car peut-être pourrait-il être infiltré par des terroristes ou des islamistes, cela me rappelle furieusement le raisonnement que nous avons tenu pendant des décennies sur Moubarak et sur Ben Ali, meilleurs remparts contre l'islamisme. C'est vrai que nous prenons un risque, la démocratie est un risque. Les régimes dictatoriaux présentent, d'un certain point de vue, moins de risques à court terme même s'ils conduisent forcément à la catastrophe à un moment ou à un autre.

Je pense que nous sommes cohérents avec nous-mêmes et ce que nous essayons de mettre autour de la table, c'est le Conseil national de transition avec des gens de qualité. J'ai déjà eu l'occasion de dire que ce n'est pas parce que certains d'entre eux ont été ministres de Kadhafi qu'ils sont forcément discrédités. Dans tout processus révolutionnaire, on prend des gens du camp d'avant qui rallient le camp d'après. Il faut les associer à d'autres autorités de la société civile et, je le répète, notre principale difficulté aujourd'hui, c'est de voir qui, à Tripoli, serait prêt à s'engager véritablement dans un jeu démocratique et non pas à restaurer le régime antérieur d'une manière différente.

Concernant l'OTAN, les choses évoluent dans la vie et, entre le moment où je vous ai parlé et les négociations qui se sont déroulées à l'OTAN, la France est parvenue à un constat qui l'a amené à considérer que c'était la meilleure situation. Le Traité franco-britannique n'a pas encore produit tous ses effets ; la France et le Royaume-Uni ne sont pas capables aujourd'hui de piloter une opération de ce type. La seule institution capable de le faire, en associant des pays étrangers à l'OTAN d'ailleurs, comme le Qatar et d'autres, c'est l'OTAN et c'est pourquoi nous sommes arrivés à cette conclusion.

Concernant les massacres qui se sont produits en Côte d'Ivoire, notre position est très claire. Nous demandons la lumière sur tout ce qui a pu se passer, sur toutes les exactions réalisées, que ce soit dans un camp ou dans l'autre et le président Ouattara a déjà dit qu'il lancerait les enquêtes et les investigations nécessaires pour faire la lumière sur tout cela. Je parle bien sûr sous le contrôle de Gérard Longuet, je ne suis pas sûr que ce soit le rôle des soldats français que d'investiguer. D'ailleurs, je vous rappelle qu'ils sont à Abidjan et qu'ils ne se trouvent pas dans les endroits où ces exactions ont pu se faire.

Concernant la Syrie, nous avons là aussi très explicitement condamné toutes les violences exercées contre les peuples et les manifestations. On ne réprime plus, aujourd'hui des manifestations populaires en utilisant des armes, en tirant sur les populations. On traite ce problème par la discussion, par le dialogue et par la réforme. J'ai exprimé ma déception devant le discours du président Bachar El Assad, qui ne m'est pas paru extrêmement réformateur et de nature à apaiser les tentions. Nous suivons donc la situation dans tous ces pays et notre discours est le même au Yémen ou ailleurs : c'est au peuple de construire son destin et aux tyrans de lâcher prise.

Je comprends parfaitement les inquiétudes du président Poncelet mais je lui ai répondu un petit peu par anticipation. C'est au nom de ce principe de précaution que nous avions trop longtemps soutenu M. Moubarak, M. Ben Ali et d'autres encore. Je l'ai dit, la démocratie est un pari. Je pense qu'il faut le prendre aujourd'hui et c'est en tout cas l'orientation que le président de la République a souhaité donner à notre politique vis-à-vis du monde arabe, du Maghreb et du Proche-Orient, comme dans d'autres régions aussi.

Alors, je pourrais vous répondre plus précisément sur le précédent que vous évoquez : Khomeiny était un islamiste déclaré et il prêchait la révolution islamique depuis Neauphle-le-Château, donc c'était clair. Ce n'est pas du tout le cas du Conseil national de transition qui a même diffusé une charte qui nous convient très bien et qui affiche son intention de respecter tous les principes des droits de l'Homme et des libertés publiques. Nous serons évidemment vigilants et nous continuerons. Au nom de la prudence, je vous le répète, peut-être aurait on du soutenir activement Kadhafi ? Je ne sais pas. Je ne pense pas en ce qui me concerne. Il y a des moments où il faut choisir le risque de la liberté et de la démocratie.

M. Delpic a posé une question récurrente. Nous n'avons pas aujourd'hui de réponse à cette question : comment indemniser nos compatriotes des pertes financières ou économiques qu'ils subissent ? Nous allons essayer d'expertiser cela. Je pense que la meilleure réponse que l'on peut apporter est de relancer le plus vite possible l'économie ivoirienne, donc d'essayer d'obtenir la levée des sanctions qui la paralysent aujourd'hui et de faire en sorte que les entreprises puissent se remettre à l'?uvre et au travail et relancer la machine économique.

Sur l'immunité accordée à M. Gbagbo, je voudrais d'abord rappeler, comme je lai dit tout à l'heure, que c'est le gouvernement ivoirien qui négocie la sortie de M. Gbagbo, ce n'est pas la France. Nous, nous venons en appui, nous facilitons mais c'est au gouvernement ivoirien, c'est-à-dire au gouvernement de M. Ouattara, de prendre ses responsabilités. Je ne vois pas comment on pourrait prendre l'engagement de s'opposer à la procédure qui a été lancée par la Cour pénale internationale. Chacun assume ses responsabilités. Quant aux questions de M. Gauthier, elles relèvent à 99 % pour ne pas dire 100 % du domaine de Gérard Longuet.

Mme Tasca évoque la dizaine d'élections qui vont se dérouler en Afrique en disant qu'elles représentent un risque. Je serais tenté de dire que c'est une chance. Le risque, ce serait qu'il n'y ait pas d'élection, et on l'a vu en Côte d'Ivoire pendant des années. J'ai indiqué que les élections en Guinée avec le succès d'Alpha Condé, au Niger avec celui de M. Issoufou, à l'investiture duquel Henri de Raincourt participe aujourd'hui même je crois, sont allées dans la bonne direction.

Alors certes, il y a des cas où l'organisation des élections peut prêter à des critiques, je ne citerai pas les pays mais nous avons fait des remarques en ce sens. Il faut mettre en place des systèmes d'observation de ces élections pour s'assurer de leur bon déroulement. C'est ce que fait l'OIF, l'Organisation internationale de la Francophonie qui y consacre un crédit d'un million deux cent mille euros. Nous appuyons de façon générale les organisations régionales dans la surveillance de ces élections.

J'avoue que votre question sur la façon dont nous associons la communauté française à nos choix diplomatiques me prend de court. Je peux dire qu'ils ont des élus et que par ce biais là ils sont associés et, bien sûr, sur place notre ambassade est en grande liaison avec nos ressortissants. La principale question évidemment est celle du redémarrage économique de la Côte d'Ivoire. Comment faire en sorte que nos entreprises puissent retrouver un niveau d'activité suffisant ? Nous sommes donc en étroite liaison avec elles.

Le mot reddition, ce n'est pas moi qui l'ai inventé, je le rappelle, c'est le président Ouattara qui fixe les conditions de départ de M. Gbagbo, ce n'est pas la France. Je prends acte de votre question de vocabulaire.

Quant à la révision en profondeur de la politique africaine de la France, non ce n'est pas ce qui se passe en Côte d'Ivoire qui va nous amener à réviser en profondeur la politique africaine de la France, c'est fait. Le discours du Cap du président de la République et, en 2008, le Livre Blanc, ont fixé les nouveaux objectifs de notre politique africaine. C'est vrai en particulier sur le plan militaire avec la renégociation de l'ensemble de nos accords de défense, la redistribution de nos implantations militaires et c'est vrai aussi, sur le plan politique et diplomatique, avec cette affirmation très forte que nous soutenons tous les progrès de la démocratie en Afrique. J'ai déjà partiellement répondu à M. Ferrand sur l'aide à la réconciliation. Nous sommes en train de bâtir avec le futur gouvernement de la Côte d'Ivoire un plan d'action franco-ivoirien, mais aussi en mobilisant les moyens de l'Union européenne et de la communauté internationale.

M. Pozzo Di Borgo nous dit que la mission de Licorne, c'est de protéger pas simplement les Français mais la population, je crois qu'il faut réagir à deux niveaux. La première mission de Licorne, qui est un dispositif implanté depuis très longtemps, c'est d'assurer la protection de la population française et l'évacuation éventuelle de nos ressortissants, plus ceux des ressortissants qui nous le demandent. Mais il est vrai que, dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité, la force Licorne vient en appui de l'ONUCI, et à ce titre-là, effectivement, elle a une mission de protection de l'ensemble des populations.

Sur le pétrole, il continue à couler et il y a même des tankers qui partent et vous savez qu'un des enjeux, c'est que précisément une partie de ces livraisons de pétrole puisse financer le CNT et l'action menée par les responsables de Benghazi. Le Qatar s'est porté volontaire sur ce point-là.

Sur la CPI, question de M. Badinter, je ne pense pas qu'il soit nécessaire de prendre une nouvelle résolution. Le procureur de la Cour pénale internationale a indiqué lui-même qu'il allait lancer des investigations pour déterminer s'il y a lieu de poursuivre les auteurs qui tombent sous le coup de la compétence de la Cour.

Enfin, dernier point, le Conseil national de transition est très clair là-dessus, il ne veut pas de scission de la Libye. C'est d'ailleurs un des risques actuels dans tout ce qui se passe autour du cessez-le-feu. Si le cessez-le-feu consiste à geler, si je puis dire, les positions territoriales, on a ce risque de scission. Personne n'en veut, je crois.

Alors est-ce que la composition du Conseil national de transition va dans ce sens ? Je peux vous dire que - d'ailleurs je crois que c'est affiché publiquement - une partie des membres du Conseil national de transition qui sont des Tripolitains n'ont pas fait l'objet de publication. Leurs noms ne sont pas publiés pour des raisons purement de sécurité. Le Conseil national de transition nous dit : «nous avons parmi nous des gens de Tripoli, des gens de la Tripolitaine, mais comme nous ne contrôlons pas cette partie du territoire, nous ne préférons pas les exposer en révélant leur nom». Voila ce que je peux vous dire, mais je pense qu'il y a d'autres questions sur Atalante ou les mercenaires que voudra préciser M. Longuet.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 11 avril 2011