Conférence de presse de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la portée et les objectifs poursuivis par la réunion du Groupe de contact sur la Libye, Doha le 13 avril 2011.

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Circonstance : Réunion du Groupe de contact sur la Libye, à Doha le 13 avril 2011

Texte intégral

Q - Monsieur Juppé, comment cela s'est-il passé ? Etes-vous satisfait de cette réunion ?
R - C'est une excellente réunion. Elle a regroupé tous les pays contributeurs de la coalition, d'autres pays qui la soutiennent, la totalité des grandes organisations qui nous accompagnent, le Secrétaire général des Nations unies, le président de la Commission de l'Union africaine, le Représentant de la Ligue arabe et de l'Organisation de la Conférence islamique.
Le plus important, au-delà de cette participation, c'est évidemment la convergence totale qui s'est manifestée sur tout ; d'abord notre détermination à appliquer dans leur intégralité les résolutions pertinentes du Conseil de sécurité, en particulier la résolution 1973.
Cela signifie quoi concrètement ? D'abord, que nous pensons qu'il faut maintenir une pression militaire forte, le mot utilisé je crois même est «robuste», nous en parlerons d'ailleurs demain et après-demain à Berlin de façon à continuer à bien convaincre Kadhafi qu'il n'a pas de porte de sortie. Et, bien évidemment, cette intervention militaire doit viser principalement la protection des populations civiles, nous pensons tout particulièrement à Misrata.
Deuxième point important : bien sûr, poursuivre la mise en œuvre des sanctions. Quant au cessez-le-feu, nous souhaitons que l'on s'achemine vers un cessez-le-feu mais à condition que cela soit un vrai cessez-le-feu. Il ne s'agit pas simplement de l'arrêt des tirs, mais, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité, du retrait des troupes de Kadhafi des villes qui ont été envahies, le retour de ces forces dans leur caserne et un cessez-le-feu réellement contrôlé.
Concernant les sanctions, l'opération militaire a un objectif très clair qui a été réaffirmé par tout le monde, Kadhafi doit quitter aujourd'hui le pouvoir car il perdu toute légitimité pour continuer à l'exercer.
Simultanément, nous pensons bien sûr qu'il faut ouvrir la voie à une solution politique. Nous avons été très heureux - je pense que c'est une étape importante - d'entendre M. Jibril qui est venu parler longuement au nom du Conseil national de transition. Il était hier au Luxembourg où il a fait une très belle prestation. Je crois que la crédibilité du Conseil national de transition en est ressortie tout à fait renforcée.
Maintenant, il nous faut réunir les conditions pour que les Libyens eux-mêmes, puisque ce sont eux qui vont décider de l'avenir de leur pays et pas nous, puissent réunir autour de la table tous ceux qui ont préparé cet avenir : le Conseil national de transition qui est prêt à s'ouvrir, bien sûr, notamment à la jeunesse libyenne ; les personnalités de la société civile qui peuvent avoir un rôle à jouer et puis, du côté de Tripoli, ceux qui ont compris qu'il n'y a pas d'avenir avec Kadhafi. Là-dessus, nous sommes prêts à appuyer les efforts du Conseil national de transition pour aller dans cette direction.
Pour l'instant, il n'y a pas de lieu de réunion, nous allons soutenir la coordination de tous les efforts qui sont en jeu. Et c'est le dernier point que je voudrais souligner : il y a eu un consensus pour considérer que le mieux placé pour coordonner ces efforts c'était le Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies, c'est-à-dire M. Al Khatib qui a d'ailleurs conclu la réunion d'aujourd'hui et à qui nous faisons confiance pour faire avancer ce processus de négociations.
Q - Donc, pour vous, il n'y a pas d'enlisement en ce moment ?
R - Il n'y a pas d'enlisement, au contraire, il y a une volonté commune très claire qui s'est manifestée. On va se réunir à nouveau à Rome, et je crois que le Groupe de contact était vraiment une bonne idée. Je vous rappelle que c'est aujourd'hui la première réunion du Groupe de contact créé à Londres, puisqu'il s'agissait à Paris et à Londres de réunions d'un groupe élargi. L'impulsion est donc vraiment donnée autour de la table ; il n'y pas eu, je crois, la moindre voix discordante par rapport à tout ce qui a été discuté. D'ailleurs, le communiqué final que vous connaîtrez tout à l'heure est, de ce point de vue, extrêmement éloquent.
Q - Entretemps, le Conseil national de transition a demandé beaucoup plus de frappes aériennes, pour mieux protéger les civils, en attendant l'engagement d'un processus politique. Que fera la coalition ?
R - Je vous ai dit que nous avions demandé - je l'ai déjà fait, William Hague l'a déjà fait aussi - à l'OTAN, de s'impliquer de manière robuste, je vais reprendre les même termes, dans la mission qui lui est impartie par la résolution 1973.
C'est vrai qu'il a pu y avoir, au moment où l'OTAN a repris le commandement, une petite période de «relâchement». Il faut aussi bien s'assurer que les moyens, les capacités aériennes sont suffisantes et nous faisons appel à tous ceux qui peuvent venir nous aider ; vous savez que la France fournit aujourd'hui à peu près le tiers des avions qui peuvent être utilisés.
Il faut aussi vraisemblablement améliorer la coordination entre le Conseil national de transition, qui est sur le terrain, et l'OTAN puisque pour frapper il faut savoir où on frappe, et comme nous voulons éviter à tout prix tous dommages collatéraux dans la population, il faut une préparation, un ciblage si je puis dire, des frappes qui soient particulièrement bien étudiés.
Q - Est-ce qu'on peut parler des avions …(inaudible)
R - Il n'y a pas eu d'offre aujourd'hui, mais cela c'est plutôt le rôle de l'OTAN, ce n'est pas le rôle du Groupe de contact ; chacun dans son rôle. Le Groupe de contact, et cela s'est bien manifesté aujourd'hui, c'est vraiment le pilotage politique de l'opération.
Dire que l'OTAN doit accentuer son action, c'est un message politique qui est adressé à l'OTAN. Ensuite, c'est à l'OTAN d'en voir les moyens opérationnels. Appeler au cessez-le-feu sous certaines conditions et essayer de coordonner les initiatives des uns et des autres pour pouvoir lancer un processus politique, c'est aussi un message politique et c'est aussi le rôle du Groupe de contact.
Q - Le renforcement de l'effort militaire sera à l'ordre du jour de l'OTAN ?
R - Oui, bien sûr.
Q - Est-ce qu'on a parlé d'armer les rebelles ?
R - Non, non, on peut les aider à se financer, à se renforcer mais il n'a pas été question de livraison d'armes.
Q - Les aider à se financer, ce serait un fonds. ?
R - Sur ce point, nous n'avons pas été très loin dans la définition, c'est simplement un objectif qui a été fixé et on va y travailler bien sûr.
Q - Sur la transition politique, le départ de Kadhafi c'est un préalable ?
R - Nous considérons que Kadhafi n'est plus légitime pour exercer le pouvoir et, là aussi, il y a eu une unanimité totale de tous ceux qui se sont exprimés autour de la table. Est-ce que son départ doit être antérieur à l'ouverture du processus des négociations ou concomitant ? Ça, c'est un point qu'il faudra voir.
Q - Pas de voix discordante du tout ?
R - Sur le départ de Kadhafi ?
Q - Sur la déclaration commune.
R - Aucune.
Q - Sur les différents points ?
R - Aucune. D'abord, elle a été préparée, vous le savez, de façon suffisamment longue par les directeurs politiques. En séance, il aurait pu y avoir, de la part des chefs de délégations, des points de vue divergents. Il n'y en a eu aucun ; il y a eu vraiment une unanimité complète. C'est la raison pour laquelle cela a d'ailleurs été assez vite.
Q - Monsieur Juppé, avez-vous discuté de la reconnaissance du Conseil national de transition ? Jusqu'à présent …
R - Tout dépend de savoir ce que l'on entend par reconnaissance. Je crois que c'est encore une querelle de mots. Le fait que le Conseil national de transition ait été là, et que ce soit le seul interlocuteur libyen qui soit là, c'est une forme de reconnaissance. Pourquoi l'aurait-on fait venir si on ne reconnaissait pas sa légitimité ? Alors, à partir de là, est-ce qu'on envoie des ambassadeurs, des hauts représentants ? Je vous rappelle qu'en terme de droit international, on reconnaît des États. Le Conseil national de transition n'est évidemment pas l'État libyen aujourd'hui, ni même le gouvernement libyen. C'est donc une reconnaissance politique, comme interlocuteur valable, peut-être pas le seul mais en tout cas, aujourd'hui, le seul qui se manifeste et qui soit structuré. Ceci, je crois, est apparu très clairement hier à Luxembourg. M. Jibril a fait vraiment un très bel exposé ; il a répondu de façon très précise, très franche à toutes les questions qui lui ont été posées et cela a recommencé aujourd'hui. Je crois donc qu'aujourd'hui il n'y a plus de débat : l'interlocuteur privilégié, c'est bien le Conseil national de transition.
Q - Tout cela est… (inaudible) ?
R - Non
Q - Sur l'aide humanitaire, est-ce qu'il y a des propositions pour sécuriser, pour acheminer l'aide ?
R - C'est en cours. Tous les pays qui participent ont marqué leur volonté de développer leur effort : les Turcs, les Italiens, les Français. Et puis surtout, c'est l'Union européenne qui en a parlé hier, il y a encore un petit débat : est-ce que cette aide humanitaire doit être accompagnée d'un soutien militaire ou pas ? Sur ce point, hier, l'Union européenne n'a pas pris de décision, parce que l'ONU elle-même estime qu'il n'y a pas lieu d'avoir un soutien militaire de l'action humanitaire.
On va poursuivre l'action humanitaire : il y a des avions et des bateaux qui arrivent, à Benghazi. La France, je crois, va à nouveau envoyer un cargo avec plusieurs tonnes de matériel, de fournitures. Je vous rappelle que les Italiens et les Turcs participent également à cet effort. L'aide humanitaire est donc acheminée.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 15 avril 2011