Déclaration de Mme Chantal Jouanno, ministre des sports, sur les risques de corruption liés aux jeux et paris sportifs en ligne, Paris le 23 mars 2011.

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Circonstance : Remise du rapport de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL) le 23 mars 2011

Texte intégral


Je tiens tout d’abord à remercier très sincèrement Jean-François VILOTTE ainsi que son équipe. Votre rapport est courageux, vous n’avez pas fui les difficultés
Et je vous remercie car les risques de corruption liés aux paris sont considérables.
C’est vrai, la manipulation des résultats des compétitions sportives en vue d’un gain financier n’est pas nouvelle. L’affaire dite des « Black Sox » a marqué durablement les esprits. C’était en 1919, c’était du base-ball à Chicago, les « White Sox ». Cette affaire avait mis au jour l’existence de collusion entre la mafia et le monde sportif.
Mais la question n’est pas désuète. Elle est plus que jamais d’actualité avec le développement des paris en ligne.
Alors qu’une dizaine d’affaires a été révélée par la presse internationale en près de 80 ans, plus d’une vingtaine a été rapportée au cours des 10 dernières années. Et encore, nous sommes en réalité totalement aveugles.
C’est une question qui préoccupe au plus haut point le CIO, le Conseil de l’Europe, l’Union européenne ou encore l’UEFA.
A ce jour, aucun cas de fraude en lien avec les paris sportifs n’a été prouvé en France. Mais on ne peut pas dire que ce qu’on ne voit pas n’existe pas.
Certains diront que l’enjeu n’est pas important. Les paris sportifs en ligne ne représentent qu’une petite partie de l’ensemble des jeux en ligne. En 2010, avec l’ouverture du marché, ce sont 450 millions d’euros sur plus de 5 milliards d’euros de mises. Ils ont tort. Ce marché progressera. Les réseaux de blanchiment d’argent ne manqueront pas de s’y intéresser, et il n’y a aucune raison que les démons de la corruption, s’arrêtent aux frontières du sport.
Moins l’argent a des rapports avec le sport, mieux le sport se porte.
Or, la corruption est la mort du sport. Ce qui est beau dans le sport, c’est l’exploit, c’est le respect, c’est l’équité. La moindre suspicion de corruption détruit l’âme du sport. La première affaire sera fatale pour la compétition concernée.
Face à cette menace, le Gouvernement a fait le choix de la transparence plutôt que l’ignorance.
Souvenons-nous du contexte de l’année dernière. La Commission européenne pointait du doigt notre marché des jeux en ligne qui n’était pas ouvert à la concurrence. Aujourd’hui, le système que nous avons mis en place, avec la loi du 12 mai 2010, est présenté comme un modèle.
Nous avons réussi à créer les conditions d’une offre légale attractive. En moins d’un an, le marché illégal est devenu largement minoritaire. Il était estimé à 2/3 du marché avant l’ouverture ; il est aujourd’hui évalué à moins de 20%.
Le Gouvernement a voulu encadrer cette ouverture :
1/ Le principe de limitation de l’offre de paris : seuls les sports et les manifestations sportives qui présentent des garanties suffisantes peuvent faire l’objet de paris.
2/ Le principe de protection des joueurs.
3/ Le principe de prévention des conflits d’intérêts : les joueurs, les arbitres ou encore les dirigeants de clubs n’ont pas le droit de parier sur leur compétition ni de communiquer des informations privilégiées à des tiers. De même, l’opérateur de paris en ligne doit prouver qu’il n’a aucun lien avec l’organisateur de l’événement.
4/ Le principe du droit au pari, un principe qui intéresse tous nos partenaires : la loi oblige les opérateurs de paris sportifs à obtenir une autorisation préalable des organisateurs de l’événement avant de pouvoir organiser des paris. L’objectif est double :
• Cela oblige tout d’abord les opérateurs de paris en ligne et les organisateurs d’événements sportifs à dialoguer. C’est en croisant leurs informations respectives qu’un cas de fraude peut être détecté : par exemple, lorsque l’on observe un montant de mises anormalement élevé sur un joueur modestement classé. • Le droit au pari des organisateurs d’événements sportifs ouvre ensuite un droit à rémunération. Il est fixé dans chaque contrat et s’évalue en moyenne à 1% des mises engagées. Cette nouvelle ressource doit permettre notamment de financer des actions de lutte contre la fraude. C’est la loi qui l’impose.
Le respect de ces principes et de ces mesures repose sur un acteur majeur, l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), chargée de réguler le système.
Nous voulons aller plus loin dans l’encadrement afin de protéger le sport. Jean-François VILOTTE, le Président de l’ARJEL, a été chargé de faire des propositions complémentaires visant à renforcer la préservation de l’intégrité et de la sincérité des compétitions sportives. La demande que nous lui avons adressée était claire : il avait carte blanche pour proposer toute disposition qui protégerait au mieux l’éthique du sport.
Je laisse maintenant la parole à Jean-François VILOTTE pour qu’il vous présente ses propositions.
[Présentation du rapport par Jean-François VILOTTE]
Merci Jean-François. Votre réflexion constitue une base solide, et je le disais, courageuse.
Votre analyse et vos propositions correspondent en tout point à ma volonté de renforcer la lutte contre la corruption dans le sport en France comme à l’international. Je l’ai dit en début d’année, ce dossier est prioritaire.
Ce défi ne peut pas reposer sur les seules épaules de l’Etat. Sans l’implication du mouvement sportif et des fédérations en particulier, nous ne pourrons pas agir. Et compte tenu de la gravité de cet enjeu pour l’ordre public, je partage votre souhait d’une clarification des règles.
Nous allons, comme vous le proposez, conditionner l’agrément des fédérations sportives à l’adoption des dispositions relatives à la prévention des conflits d’intérêts. Nous demanderons aussi qu’elles se dotent d’un règlement disciplinaire particulier portant sur la corruption, comme il en existe en matière de dopage. Cela vaudra pour toutes les fédérations agréées, et pas seulement pour les fédérations délégataires de « paris ».
Naturellement, la prévention est toujours préférable à la répression. Aussi, les conventions d’objectifs conclues avec les fédérations devront elles comporter un volet spécifique consacré à la préservation de l’éthique en matière de paris sportifs. Il comprendra : • L’obligation de mettre en œuvre des actions de sensibilisation et de formation des acteurs du mouvement sportif. L’Etat s’assurera pour sa part que les éducateurs et agents sportifs suivent un enseignement spécifique lors de leur formation initiale ; • L’obligation d’appliquer les règles relatives à la prévention des conflits d’intérêts. Nous élaborerons conjointement un dispositif de croisement des fichiers des opérateurs et des organisateurs. Il permettra de faire respecter l’interdiction de parier quand elle s’impose.
L’adoption de ce volet « anticorruption » par les fédérations sera une condition requise pour pouvoir bénéficier du soutien financier de l’Etat.
Vous l’avez dit, nous devons sortir de notre ignorance.
Il faut bien l’avouer, si aucune affaire n’a été détectée à ce jour en France, c’est aussi parce qu’il n’existe pas de mécanisme de détection performant. Nous sommes aveugles en France, comme en Europe, comme dans le monde.
Heureusement, certaines fédérations se sont engagées : la Fédération Internationale de Tennis et la plupart des acteurs du monde du football (UEFA, FIFA, LFP) notamment. C’est un point positif et je dois reconnaître que leurs discours comme ceux prononcés par Sepp BLATTER et Michel PLATINI nous aident.
Il nous faut cependant aller beaucoup plus loin pour croiser les informations.
Vous avez évoqué la création d’un GIP. Je crois que c’est un bon outil. Je vais engager des négociations en ce sens avec le mouvement sportif, mais aussi les opérateurs de paris sportifs. Ce seront les partenaires de l’Etat dans ce GIP. Je vais nommer un préfigurateur chargé de définir les contours de ce GIP.
Dans ce cadre, je souhaite confier un nouveau rôle à L’ARJEL comme vous l’avez proposé : l’analyse des alertes des fédérations et du GIP en croisant les résultats sportifs, les mouvements de paris et les mouvements financiers. L’enjeu est autant de saisir les autorités compétentes en cas de fraude que de rapidement écarter les suspicions infondées qui salissent l’image du sport.
Enfin, il faudra aller jusqu’au bout de la logique et mettre en place des dispositifs d’investigation et de sanction. Etudions comme vous le proposez, un délit pénal spécifique pour lutter contre la corruption sportive. D’autres pays, comme le Royaume-Uni, l’Espagne et l’Italie, l’ont déjà fait. Pour avoir une vraie portée, ce délit devra être assorti d’une obligation de déclaration de soupçons, sur le modèle de ce qui est fait en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. Il nous faudra également nous doter d’un service spécialisé en matière de lutte contre la fraude sportive, qui pourrait être rattaché à un office déjà existant.
Compte tenu des enjeux, de la nature des malversations et du caractère transfrontalier de l’Internet, il est évident que la lutte contre la corruption est amenée à prendre une dimension internationale.
Sur ce point, tout est encore à construire. Des initiatives ont déjà été lancées par le Conseil de l’Europe, l’Union européenne et le Comité international olympique. J’ai eu l’occasion d’échanger fin janvier avec la Commissaire européenne, Androulla VASSILIOU, et Michel BARNIER sur le sujet. Je me suis rendue à Strasbourg, au Conseil de l’Europe, lundi dernier pour y rencontrer la secrétaire générale adjointe. Nous allons lancer des invitations dès le mois de mai.
J’étais au CIO, le 1er mars dernier à Lausanne, où Jacques ROGGE a lancé un groupe de travail. Il y a une convergence de vue, en tout cas de préoccupation. Et la France est attendue.
Aujourd’hui, il semble indispensable que tous les acteurs internationaux, et en particulier européens, s’accordent sur des principes partagés qui guident notre action contre les paris illégaux et irréguliers. Nous allons également poursuivre une réflexion commune sur la mise en place d’un dispositif permanent de centralisation et d’échange d’informations.
Il est important que tout le monde comprenne que mon objectif est avant tout de protéger les sportifs contre les manipulations et les tentations. Si les sportifs sont corrompus, si les dés sont pipés, nous n’avons plus affaire à du sport, mais à des mises en scène. Et toutes les valeurs qui font l’essence même du sport et qui apportent tant à notre société seront perdues.
Source http://www.sports.gouv.fr, le 29 mars 2011