Texte intégral
Je tiens tout dabord à remercier très sincèrement Jean-François VILOTTE ainsi que son équipe. Votre rapport est courageux, vous navez pas fui les difficultés
Et je vous remercie car les risques de corruption liés aux paris sont considérables.
Cest vrai, la manipulation des résultats des compétitions sportives en vue dun gain financier nest pas nouvelle. Laffaire dite des « Black Sox » a marqué durablement les esprits. Cétait en 1919, cétait du base-ball à Chicago, les « White Sox ». Cette affaire avait mis au jour lexistence de collusion entre la mafia et le monde sportif.
Mais la question nest pas désuète. Elle est plus que jamais dactualité avec le développement des paris en ligne.
Alors quune dizaine daffaires a été révélée par la presse internationale en près de 80 ans, plus dune vingtaine a été rapportée au cours des 10 dernières années. Et encore, nous sommes en réalité totalement aveugles.
Cest une question qui préoccupe au plus haut point le CIO, le Conseil de lEurope, lUnion européenne ou encore lUEFA.
A ce jour, aucun cas de fraude en lien avec les paris sportifs na été prouvé en France. Mais on ne peut pas dire que ce quon ne voit pas nexiste pas.
Certains diront que lenjeu nest pas important. Les paris sportifs en ligne ne représentent quune petite partie de lensemble des jeux en ligne. En 2010, avec louverture du marché, ce sont 450 millions deuros sur plus de 5 milliards deuros de mises. Ils ont tort. Ce marché progressera. Les réseaux de blanchiment dargent ne manqueront pas de sy intéresser, et il ny a aucune raison que les démons de la corruption, sarrêtent aux frontières du sport.
Moins largent a des rapports avec le sport, mieux le sport se porte.
Or, la corruption est la mort du sport. Ce qui est beau dans le sport, cest lexploit, cest le respect, cest léquité. La moindre suspicion de corruption détruit lâme du sport. La première affaire sera fatale pour la compétition concernée.
Face à cette menace, le Gouvernement a fait le choix de la transparence plutôt que lignorance.
Souvenons-nous du contexte de lannée dernière. La Commission européenne pointait du doigt notre marché des jeux en ligne qui nétait pas ouvert à la concurrence. Aujourdhui, le système que nous avons mis en place, avec la loi du 12 mai 2010, est présenté comme un modèle.
Nous avons réussi à créer les conditions dune offre légale attractive. En moins dun an, le marché illégal est devenu largement minoritaire. Il était estimé à 2/3 du marché avant louverture ; il est aujourdhui évalué à moins de 20%.
Le Gouvernement a voulu encadrer cette ouverture :
1/ Le principe de limitation de loffre de paris : seuls les sports et les manifestations sportives qui présentent des garanties suffisantes peuvent faire lobjet de paris.
2/ Le principe de protection des joueurs.
3/ Le principe de prévention des conflits dintérêts : les joueurs, les arbitres ou encore les dirigeants de clubs nont pas le droit de parier sur leur compétition ni de communiquer des informations privilégiées à des tiers. De même, lopérateur de paris en ligne doit prouver quil na aucun lien avec lorganisateur de lévénement.
4/ Le principe du droit au pari, un principe qui intéresse tous nos partenaires : la loi oblige les opérateurs de paris sportifs à obtenir une autorisation préalable des organisateurs de lévénement avant de pouvoir organiser des paris. Lobjectif est double :
Cela oblige tout dabord les opérateurs de paris en ligne et les organisateurs dévénements sportifs à dialoguer. Cest en croisant leurs informations respectives quun cas de fraude peut être détecté : par exemple, lorsque lon observe un montant de mises anormalement élevé sur un joueur modestement classé. Le droit au pari des organisateurs dévénements sportifs ouvre ensuite un droit à rémunération. Il est fixé dans chaque contrat et sévalue en moyenne à 1% des mises engagées. Cette nouvelle ressource doit permettre notamment de financer des actions de lutte contre la fraude. Cest la loi qui limpose.
Le respect de ces principes et de ces mesures repose sur un acteur majeur, lAutorité de régulation des jeux en ligne (ARJEL), chargée de réguler le système.
Nous voulons aller plus loin dans lencadrement afin de protéger le sport. Jean-François VILOTTE, le Président de lARJEL, a été chargé de faire des propositions complémentaires visant à renforcer la préservation de lintégrité et de la sincérité des compétitions sportives. La demande que nous lui avons adressée était claire : il avait carte blanche pour proposer toute disposition qui protégerait au mieux léthique du sport.
Je laisse maintenant la parole à Jean-François VILOTTE pour quil vous présente ses propositions.
[Présentation du rapport par Jean-François VILOTTE]
Merci Jean-François. Votre réflexion constitue une base solide, et je le disais, courageuse.
Votre analyse et vos propositions correspondent en tout point à ma volonté de renforcer la lutte contre la corruption dans le sport en France comme à linternational. Je lai dit en début dannée, ce dossier est prioritaire.
Ce défi ne peut pas reposer sur les seules épaules de lEtat. Sans limplication du mouvement sportif et des fédérations en particulier, nous ne pourrons pas agir. Et compte tenu de la gravité de cet enjeu pour lordre public, je partage votre souhait dune clarification des règles.
Nous allons, comme vous le proposez, conditionner lagrément des fédérations sportives à ladoption des dispositions relatives à la prévention des conflits dintérêts. Nous demanderons aussi quelles se dotent dun règlement disciplinaire particulier portant sur la corruption, comme il en existe en matière de dopage. Cela vaudra pour toutes les fédérations agréées, et pas seulement pour les fédérations délégataires de « paris ».
Naturellement, la prévention est toujours préférable à la répression. Aussi, les conventions dobjectifs conclues avec les fédérations devront elles comporter un volet spécifique consacré à la préservation de léthique en matière de paris sportifs. Il comprendra : Lobligation de mettre en uvre des actions de sensibilisation et de formation des acteurs du mouvement sportif. LEtat sassurera pour sa part que les éducateurs et agents sportifs suivent un enseignement spécifique lors de leur formation initiale ; Lobligation dappliquer les règles relatives à la prévention des conflits dintérêts. Nous élaborerons conjointement un dispositif de croisement des fichiers des opérateurs et des organisateurs. Il permettra de faire respecter linterdiction de parier quand elle simpose.
Ladoption de ce volet « anticorruption » par les fédérations sera une condition requise pour pouvoir bénéficier du soutien financier de lEtat.
Vous lavez dit, nous devons sortir de notre ignorance.
Il faut bien lavouer, si aucune affaire na été détectée à ce jour en France, cest aussi parce quil nexiste pas de mécanisme de détection performant. Nous sommes aveugles en France, comme en Europe, comme dans le monde.
Heureusement, certaines fédérations se sont engagées : la Fédération Internationale de Tennis et la plupart des acteurs du monde du football (UEFA, FIFA, LFP) notamment. Cest un point positif et je dois reconnaître que leurs discours comme ceux prononcés par Sepp BLATTER et Michel PLATINI nous aident.
Il nous faut cependant aller beaucoup plus loin pour croiser les informations.
Vous avez évoqué la création dun GIP. Je crois que cest un bon outil. Je vais engager des négociations en ce sens avec le mouvement sportif, mais aussi les opérateurs de paris sportifs. Ce seront les partenaires de lEtat dans ce GIP. Je vais nommer un préfigurateur chargé de définir les contours de ce GIP.
Dans ce cadre, je souhaite confier un nouveau rôle à LARJEL comme vous lavez proposé : lanalyse des alertes des fédérations et du GIP en croisant les résultats sportifs, les mouvements de paris et les mouvements financiers. Lenjeu est autant de saisir les autorités compétentes en cas de fraude que de rapidement écarter les suspicions infondées qui salissent limage du sport.
Enfin, il faudra aller jusquau bout de la logique et mettre en place des dispositifs dinvestigation et de sanction. Etudions comme vous le proposez, un délit pénal spécifique pour lutter contre la corruption sportive. Dautres pays, comme le Royaume-Uni, lEspagne et lItalie, lont déjà fait. Pour avoir une vraie portée, ce délit devra être assorti dune obligation de déclaration de soupçons, sur le modèle de ce qui est fait en matière de lutte contre le blanchiment dargent. Il nous faudra également nous doter dun service spécialisé en matière de lutte contre la fraude sportive, qui pourrait être rattaché à un office déjà existant.
Compte tenu des enjeux, de la nature des malversations et du caractère transfrontalier de lInternet, il est évident que la lutte contre la corruption est amenée à prendre une dimension internationale.
Sur ce point, tout est encore à construire. Des initiatives ont déjà été lancées par le Conseil de lEurope, lUnion européenne et le Comité international olympique. Jai eu loccasion déchanger fin janvier avec la Commissaire européenne, Androulla VASSILIOU, et Michel BARNIER sur le sujet. Je me suis rendue à Strasbourg, au Conseil de lEurope, lundi dernier pour y rencontrer la secrétaire générale adjointe. Nous allons lancer des invitations dès le mois de mai.
Jétais au CIO, le 1er mars dernier à Lausanne, où Jacques ROGGE a lancé un groupe de travail. Il y a une convergence de vue, en tout cas de préoccupation. Et la France est attendue.
Aujourdhui, il semble indispensable que tous les acteurs internationaux, et en particulier européens, saccordent sur des principes partagés qui guident notre action contre les paris illégaux et irréguliers. Nous allons également poursuivre une réflexion commune sur la mise en place dun dispositif permanent de centralisation et déchange dinformations.
Il est important que tout le monde comprenne que mon objectif est avant tout de protéger les sportifs contre les manipulations et les tentations. Si les sportifs sont corrompus, si les dés sont pipés, nous navons plus affaire à du sport, mais à des mises en scène. Et toutes les valeurs qui font lessence même du sport et qui apportent tant à notre société seront perdues.
Source http://www.sports.gouv.fr, le 29 mars 2011