Interview de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, à France 2 le 18 avril 2011, sur la situation aux alentours de la centrale nucléaire de Fukushima (Japon), la conférence des donateurs pour Tchernobyl (Urkraine), l'exploration des gisements de gaz de schiste et la candidature de Nicolas Hulot en vue de l'élection présidentielle.

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Média : France 2

Texte intégral

ALEXANDRE KARA Alors, vous êtes un peu la globe-trotter de l'environnement ces dernières semaines, vous étiez au Japon, puis, aux Etats-Unis, anniversaire malheureux de Katrina à la New Orleans, de cette catastrophe, mais également, pas loin du site de Fukushima. Aujourd'hui, TEPCO, l'opérateur japonais, dit qu'il suffira à peu près de neuf mois, six à neuf mois, pour stabiliser la situation. Est-ce que véritablement, on peut encore croire cet opérateur japonais ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Eh bien, ça dépend ce qu'on appelle stabiliser la situation, s'il s'agit de rétablir un refroidissement permanent, pérenne dans les réacteurs, sans doute, le sujet, c'est que toute la région est contaminée, et ça, ça ne prendra pas neuf mois pour s'en sortir. Ça prendra beaucoup plus.
 
ALEXANDRE KARA Est-ce que, aujourd'hui, on peut vraiment avoir une idée de l'ampleur du désastre, on a l'impression que chaque jour, on découvre de nouveaux drames, de nouvelles conséquences ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET On n'a pas la carte exacte des contaminations par exemple, c'est la carte exacte des contaminations qui nous permettrait de dire combien de temps ça va durer, et quelles vont être les conséquences pour les populations, quel type de mesures de prévention aussi il faudrait prendre pour pouvoir revenir ici ou là, se réapproprier à terme telle ou telle partie du territoire, mais ce qu'on soupçonne, c'est que la contamination, elle est très importante, elle est plus importante qu'on l'a cru au début.
 
ALEXANDRE KARA Vous y êtes allée sur place avec des experts français. Aujourd'hui, qu'est-ce que disent ces experts ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Aujourd'hui, ces experts disent d'abord que, en situation de crise, ça aurait été bien qu'on puisse faire collectif un peu plus vite pour partager les idées, les propositions, les expertises. Ils proposent aussi l'expertise de la France pour la gestion de l'après crise, une expertise qu'on a développée en particulier autour du site de Tchernobyl, la gestion d'une zone contaminée, c'est quelque chose de très particulier, autour de Tchernobyl, en fait, les populations ont beaucoup pris de la contamination après, parce qu'elles sont revenues, parce qu'elles ont consommé des denrées qui avaient été produites localement, il y a des choses à faire là encore, maintenant, pour protéger les populations. Bon, et puis, par ailleurs, moi, j'ai visité des camps de réfugiés, j'ai été très frappée par cette inquiétude, cette angoisse particulière des personnes qui venaient des zones contaminées, d'abord, l'angoisse d'avoir été éventuellement irradiées, de ne pas savoir, de ne pas savoir pour ses enfants, l'angoisse de savoir si on pourrait revenir ou pas, j'ai remarqué que les personnes un peu âgées souhaitaient revenir, les personnes plus jeunes et celles avec des enfants en fait souhaitaient partir le plus loin possible. Et puis, cette inquiétude d'être mis au ban des Nations, les Japonais, tous, étaient très demandeurs de : est-ce que vous reviendrez, est-ce que, même, vous reviendrez en tourisme, est-ce que vous voudrez toujours nos produits, ne bannissez pas nos produits, parce que, on a besoin de continuer à les vendre pour pouvoir se reconstruire, ne nous mettez pas au ban de la société, continuez les échanges culturels ; une angoisse, m'a-t-il semblé, assez particulière à cet événement.
 
ALEXANDRE KARA Mais cette angoisse a sans doute des fondements, est-ce qu'on peut aujourd'hui estimer le terme de cette catastrophe aujourd'hui, ça va être une catastrophe à très long terme, est-ce qu'on a une idée déjà ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET La contamination de la région, elle est à très long terme, on est face à des produits qui, pour certains, comme l'iode, ont des durées de vie courtes, mais pour d'autres, comme le césium, d'autres produits ont des durées de vie beaucoup plus longues. Donc les territoires très contaminés autour de Fukushima sont contaminés pour très longtemps.
 
ALEXANDRE KARA Vous partez ce soir à Kiev, il y aura là-bas une conférence sur Tchernobyl, vingt-cinq ans après, est-ce que finalement, on a l'impression qu'on répète les mêmes erreurs, est-ce qu'on apprend véritablement de l'histoire ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Les catastrophes ne sont pas toutes comparables, mais la contamination, elle, elle a une réalité qui est malheureusement la même partout, à Kiev, où j'accompagne le Premier ministre ce soir, il s'agit de financer le nouveau sarcophage du réacteur de Tchernobyl. Il y a un sarcophage qui avait été construit dans des conditions dramatiques et héroïques après l'accident de Tchernobyl, qui aujourd'hui fuit, il est ancien et il pose des problèmes importants. Et donc il y a un consortium qui s'est créé au niveau mondial pour aider les Ukrainiens à financer le nouveau sarcophage de Tchernobyl, et c'est ce financement qu'on essaie de boucler en ce moment. J'ajoute qu'on va en parler, on va en profiter aussi pour parler de sûreté nucléaire, parce que je suis convaincue – le président de la République a demandé, dans le cadre du G20, à ce que ce soit fait – qu'il faut avancer sur des règles mondiales en matière de sûreté nucléaire, on le voit avec Fukushima, on l'avait vu avec Tchernobyl, un accident nucléaire, ça engage le monde entier. Donc ce n'est pas quelque chose dont on peut se désintéresser au motif que, eh bien, ça relèverait de la souveraineté de chacun.
 
ALEXANDRE KARA Et au-delà de ça, est-ce que ça ne pose pas le problème de l'exportation de la technologie nucléaire civile, et notamment, est-ce qu'il ne faut pas arrêter, et la France au premier chef, de vendre des centrales nucléaires dans le monde entier ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Il ne faut pas exporter à n'importe qui, le nucléaire, d'abord, c'est un choix qui est très engageant sur la durée, donc ça nécessite une certaine stabilité, il faut un pays stable. Après, il faut un niveau de technologies, de formation, qui est élevé, et cette formation, éventuellement d'ailleurs, doit faire partie du contrat, c'est-à-dire qu'il faut… la sûreté, c'est à la fois un concept et une façon de gérer le réacteur, c'est les deux. Il n'y a pas un réacteur qui soit 100% sûr en lui-même. C'est la façon dont on le gère. Les accidents dont on parle, ils ont leur origine aussi dans des erreurs humaines. Si vous regardez l'accident de Tchernobyl, le réacteur avait une conception extrêmement dangereuse, c'était des RBMK, ils avaient une conception extrêmement dangereuse, mais c'est à la suite d'erreurs humaines que l'accident a eu lieu, et à Fukushima, naturellement, ça commence par une catastrophe naturelle, mais derrière, il y a, semble-t-il, eu des bonnes erreurs humaines dans la gestion de la crise.
 
ALEXANDRE KARA Est-ce qu'on est à l'abri en France aujourd'hui, à Fessenheim, la plus vieille centrale française, on a Strasbourg, son agglomération, mais également le Conseil général, qui réclame désormais la suspension, peut-être la fermeture à terme de Fessenheim, est-ce que c'est raisonnable de laisser Fessenheim ouverte ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Fessenheim doit subir une visite décennale, c'était prévu, et par ailleurs, un test de résistance, comme toutes nos centrales, en plus de l'audit qui a été décidé par le Premier ministre ; ça n'est qu'à l'issue de l'ensemble qu'une décision pourra être prise sur Fessenheim. Aujourd'hui, Fessenheim est la plus ancienne centrale en service en France, c'est normal que ce soit vers elle que se tournent les questions.
 
ALEXANDRE KARA Mais au-delà de ça, à partir du moment où les populations réclament la fermeture d'une centrale ou en tout cas, son arrêt, est-ce qu'on ne doit pas… la démocratie ne veut pas que, on aille dans ce sens-là.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Eh bien, c'est partagé au niveau local, le sujet, c'est avant tout…
 
ALEXANDRE KARA Enfin, il y a un vrai mouvement en ce moment…
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Non, mais, il y a un vrai mouvement, il faut pouvoir partager des éléments objectifs, moi, je ne suis pas pour ou contre la fermeture de Fessenheim, je n'en fais pas un problème religieux, si vous voulez, il faut pouvoir partager des éléments objectifs, les éléments objectifs, ils vont être donnés par la visite décennale, par l'audit et par le test de résistance. Le président de la République l'a annoncé, s'il y a le moindre doute sur Fessenheim ou sur une autre centrale, elle sera immédiatement fermée, et je crois que c'est la condition de notre système de production d'énergie en France que d'avoir cette garantie-là, à la fois, la sûreté maximum et la transparence totale. Je dis un mot sur la transparence, je trouve qu'on a beaucoup progressé depuis Tchernobyl, vous me direz : ce n'est pas un luxe, vous vous souvenez tout le scandale qu'il y avait eu sur le nuage qui s'arrêtait à la frontière, bon, depuis le début de la crise, on a choisi la transparence totale, et de donner toutes les informations, quitte à donner des informations incomplètes, parce que parfois, on a eu des informations incomplètes du Japon, en précisant qu'elles étaient incomplètes, et je pense que ça fait partie de ce que les Français sont en droit d'exiger sur un choix aussi engageant que le nucléaire.
 
ALEXANDRE KARA Un autre sujet important dans votre maroquin, les gaz de schiste, la semaine dernière, François FILLON a annoncé devant l'Assemblée que l'ensemble, pour l'instant, allait être suspendu – l'exploitation – enfin, des permis d'exploitation donnés ; est-ce qu'il faut interdire totalement l'exploitation des gaz de schiste en France ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Eh bien, d'abord, moi, je suis très heureuse de cet arbitrage qui a été rendu par le Premier ministre. Je n'ai pas caché depuis le début ma très grande réserve sur ces projets. Je considère que les permis d'exploration n'auraient pas du tout dus être donnés avant qu'on puisse faire l'évaluation environnementale. Le Premier ministre a pris une première décision de suspension des permis, le temps de la mission d'évaluation qu'on avait annoncée, ce qui était, je crois, vraiment la décision, et là, propose d'aller plus loin, de clarifier les choses, de remettre tout à plat, de renoncer à ces permis…
 
ALEXANDRE KARA Mais pour vous, il faut interdire complètement cette exploitation ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Ah pour moi, aujourd'hui, les technologies disponibles, là, manifestement, ne permettent absolument pas d'avoir une exploitation, sur la base de ce qu'on a vu aux Etats-Unis et des informations que nous ont données les exploitations, moi, je ne recommande pas l'exploitation, je recommande même de ne pas exploiter, de ne pas explorer avec ces technologies-là, c'est quelque chose qui… les paysages ont été détruits aux Etats-Unis, des risques ont été pris pour la nappe phréatique, moi, aujourd'hui, vraiment, je ne recommande pas qu'on prenne ces risques-là en France, j'ajoute que je ne crois pas que le gaz de schiste soit une source d'énergie d'avenir, pour d'autres motifs aussi.
 
ALEXANDRE KARA Juste pour finir, Nicolas HULOT s'est lancé la semaine dernière dans la présidentielle, en tant que ministre de l'Ecologie, vous lui dites quoi : bonne chance ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Eh bien, je lui dis que, il va faire la triste découverte que les cadres du mouvement Vert sont plus des militants d'extrême gauche que des militants de l'écologie. Et moi, j'aime beaucoup Nicolas HULOT, je reste persuadée qu'il apporte beaucoup à l'écologie en France, je pense que la tentative de captation dont il est en ce moment l'objet par la gauche, en fait, des gens qui lui demandent des déclarations de gauchisme plutôt que des déclarations d'écologie, des gens comme Eva JOLY, qu'on n'entend jamais parler d'écologie et qui lui demande finalement de se positionner politiquement plutôt que se positionner sur le fond, c'est la révélation de ce que sont les Verts, qui ont peu à voir avec l'écologie en France. En fait, ils veulent politiser son écologie. Moi, mon engagement, ça a toujours été d'écologiser la politique, il faut faire entrer l'écologie dans la politique plutôt que le contraire.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 18 avril 2011