Interview de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, à Europe 1 le 14 avril 2011, sur la candidature de Nicolas Hulot à l'élection présidentielle de 2012, l'audit sur la sécurité des centrales nucléaires, la hausse du prix des carburants et les projets d'exploration du gaz de schiste.

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Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH Merci d'être là. Vous avez entendu le reportage de Nicolas CHAUVIN, cette nuit 5 morts, 6 blessés graves au moins, dans un incendie dans le 20ème arrondissement à Paris, Cité du labyrinthe. Vous êtes ministre du Logement, première réaction.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Ecoutez, d'abord c'est effroyable, heureusement des accidents comme ça on n'en n'a pas si souvent. Je pense bien sûr aux victimes à leurs familles, aussi aux très nombreux blessés. L'enquête va commencer, il faut qu'on sache comment ça s'est passé, qu'est-ce qui s'est passé exactement dans cette cité. Il semble que ce soit parti de la cage d'escalier, dans quelles conditions, est-ce que tout était aux normes, évidemment l'enquête le dira. On essaye de comprendre ce qui s'est passé, après, s'il y a des conclusions à en tirer, on les tire. Notamment, sur un sujet comme ça, en matière de sécurité incendie.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Alors, Nicolas HULOT en route pour 2012, est-ce que, à votre avis, c'est un nouvel homme providentiel pour l'écologie, ou un politicien de plus ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Moi je ne crois pas à la démarche séparée, individuelle, spécialisée, en matière d'écologie. Je n'y crois pas au niveau des partis, je n'y crois pas au niveau des personnes. A chaque fois qu'il y a un petit parti Vert ou un candidat Vert à travers, à côté du grand parti ou du candidat traditionnel, ça a un effet paradoxal et, à mon avis, mauvais pour l'écologie, que du coup, les candidats des partis de gouvernement, les grands candidats, en parlent moins, parce qu'en fait ils sous-traitent, et par ailleurs les candidats spécialisés en parlent moins aussi parce qu'ils sont obligés de parler de tout.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Est-ce que vous dites ça parce que le succès de Nicolas HULOT serait votre échec ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Je dis ça, ça fait 10 ans que je dis ça. Moi, mon engagement, c'est le contraire, ça a été d'essayer de faire de l'écologie une sorte de bien commun, les Verts ils veulent en faire un fonds de commerce. Je ne crois pas que ce soit bon pour l'écologie. Nicolas HULOT, là, il va subir la pression des Verts, une pression qui est de politiser l'écologie. Moi je pense qu'il faut faire le contraire, qu'il faut « écologiser » la politique.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Sans chance de résultats positifs, ou plus positifs que vous. Par exemple il promet de faire ce que vous, au pouvoir, vous avez du mal à réaliser, dont vous rêviez ou vous rêvez peut-être. Est-ce qu'il aurait plus de chance que vous d'y parvenir ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Jean-Pierre ELKABBACH, j'observe une chose, très simple. Depuis des années, on a eu plusieurs types de gouvernement, parfois il y a eu les Verts au pouvoir, c'était du temps du gouvernement JOSPIN entre 97 et 2002, est-ce que l'action du gouvernement JOSPIN en matière d'environnement vous a beaucoup marqué, franchement ? Les faits marquants en matière d'environnement dans les dernières années c'est quoi ? C'est la charte constitutionnelle de l'environnement, c'était du temps de la présidence de Jacques CHIRAC, et c'est le Grenelle de l'environnement, auquel, d'ailleurs, ont participé les organisations non gouvernementales dont Nicolas HULOT.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Donc vous dites ce matin que la candidature de Nicolas HULOT elle est inutile, ou peut-être inefficace.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Ce que je dis c'est qu'en matière d'écologie, ce qui marche, c'est de changer de l'intérieur les partis existants. Pourquoi ? Parce que c'est la société qu'il faut changer de l'intérieur, toute la société. si le prix à payer, pour Nicolas HULOT, pour être candidat, c'est de se plier au pire de la politique, c'est-à-dire de se réduire lui-même et de commencer, finalement, en disant « qui sont les ennemis avec qui on ne peut pas travailler », ce qui est d'ailleurs le contraire de ce qu'a toujours été sa démarche, moi je pense que c'est très dommage. Et je pense qu'il va y perdre en quelque sorte. Moi je me suis toujours demandé, en matière d'écologie, « avec qui je peux faire. » Il ne faut pas accepter d'être dans une démarche, et j'ai peur qu'il accepte ça, sous la pression des Verts, qu'il commence par pointer « avec qui je ne peux pas faire. »
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Lui appelle tous les écologistes à changer de cap, et à le soutenir. Vous êtes plutôt tentée de lui dire « viens nous rejoindre. »
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Moi je suis cohérente avec la démarche qui a toujours été la mienne. L'écologie c'est un collectif, et c'est un collectif qui doit embarquer tout le monde, y compris ceux qui ne sont pas des écolos historiques. Et c'est comme ça que ça marche.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais vous le classez aujourd'hui dans l'opposition ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Mais non, je ne le classe pas Nicolas HULOT, mais je vois bien qu'il est soumis à des contraintes de positionnement politique et je pense qu'il va se réduire lui-même en faisant ça.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Je vois que vous êtes moins sévère qu'Eva JOLY, son amie et compétitrice. Elle, qui s'y connaît, estime qu'il ne faut pas confondre notoriété et crédibilité. Voilà.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Voyez, ça commence.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Nicolas HULOT a été l'un des inspirateurs du Grenelle de l'environnement, avec vous, avec Jean-Louis BORLOO, mais vous n'avez pas de chance, les deux sont sur le chemin de la candidature à l'Elysée, contre votre propre majorité. Ils étaient avec vous, maintenant ils se dressent contre vous.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Oui, enfin moi je n'en conclus rien de particulier. L'écologie n'est pas une maladie en tout cas, ce n'est pas de la faute de l'écologie.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Est-ce que… Nicolas SARKOZY a essayé, hier, de rassurer les députés UMP, il leur a dit, probablement à propos de Jean-Louis BORLOO et aujourd'hui de Dominique de VILLEPIN, « la stratégie qui consiste à diviser sa famille politique est perdante. » Est-ce que ce n'est pas la méthode Coué ça ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Non, c'est une réalité. Toutes les stratégies compliquées, en politique, sont perdantes. Parce que, la politique c'est très complexe, or sur les sujets complexes il faut aller avec des idées simples. Tous les trucs un peu sophistiqués, billards à trois bandes, on va diviser au premier tour, après on se réunira au deuxième, ça ne fonctionne pas. Derrière ces raisonnements-là il y a une erreur qui est de croire que la politique c'est de l'arithmétique, comme si on allait additionner des voix. La politique ce n'est pas de l'arithmétique, c'est de la dynamique. Les voix, elles ne se laissent pas additionner comme ça, ça ne fonctionne pas comme ça.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Le conseil municipal de Strasbourg a réclamé la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, il la trouve trop vieille, elle est trop fatiguée. Est-ce que cette centrale de Fessenheim sera prolongée de 10 ans, comme on l'a entendu ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Pour Fessenheim, qui est en effet la plus ancienne centrale en fonction en France en ce moment, depuis 77, il était prévu, conformément à la règle, qu'il y ait une visite décennale à l'issue de laquelle on dit si on prolonge ou si on ne prolonge pas 10 ans. Cette visite devait avoir lieu, là, au mois d'avril/mai, avec une décision à prendre. Ce que j'ai proposé c'est qu'on puisse attendre l'audit qui aura lieu, le Premier ministre l'a annoncé, centrale par centrale, pour prendre une décision de ce type.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Et ce contrôle commence quand, des centrales une à une ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET On est en train d'établir, la… des centrales nucléaires est en train d'établir le cadre de référence, ce sera fini là, dans les semaines qui viennent, et ça commencera juste après.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Votre voyage au Japon vous a remuée, il y a de quoi.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Ah, ça m'a beaucoup touchée, oui.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Et j'entends dire que vous allez à Tchernobyl.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET J'accompagne le Premier ministre la semaine prochaine à Kiev pour le 25ème anniversaire de tchernobyl. Vous savez qu'il se pose des questions, aujourd'hui, sur la suite des actions à mettre en oeuvre à Tchernobyl, le nouveau sarcophage, la communauté internationale a besoin de rester vigilante sur ces sujets ; a besoin de rester vigilante aussi sur la sûreté nucléaire, et le président de la République m'a demandé dans le cadre du G20, de réunir les Autorités de Sûreté Nucléaire pour essayer de tirer de tout ça des règles de sûreté mondiales. La France s'est engagée sur la sûreté maximale, elle pousse finalement, ou elle tire, un maximum de… dans cette direction-là.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH On aborde plusieurs sujets très vite. Le patron de TOTAL, Christophe de MARGERIE, s'est singularisé en annonçant que le prix du litre de super atteindrait inéluctablement, tôt ou tard, 2 euros. Il n'a pas quand, mais il a provoqué un vent de panique. Qu'est-ce que vous avez pensé de cela, vous ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Le pétrole, de toute façon, c'est une ressource qui va devenir de plus en plus rare, donc le prix du pétrole va augmenter, ce n'est pas un scoop.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Donc il ne se trompe pas.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Oui, mais je n'en tire pas les mêmes conclusions que lui. Parce qu'en fait, j'ai bien lu son article, il en tire notamment la conclusion que du coup il faut trouver une nouvelle ressource et, par exemple, aller exploiter de gaz de schiste. Moi je ne suis pas du tout d'accord. D'abord, pardon, je trouve que ça s'assimile un tout petit peu à un chantage, on a de moins de moins de pétrole, donc il faut qu'il aille explorer de plus en plus, chercher de plus en plus. Il y a une autre solution, l'énergie, l'énergie la meilleure, c'est celle qu'on ne consomme pas, et en plus ça tombe bien, c'est souvent la moins chère. C'est ce qu'on essaye de faire avec le Grenelle de l'environnement, donner aux Français des outils pour qu'ils puissent consommer moins. Et je signale en particulier le programme « Habiter mieux », qui est un programme de lutte contre la précarité énergétique. On finance chez les gens qui n'ont pas les moyens, chez les propriétaires modestes, des travaux pour qu'ils puissent réduire leur facture d'énergie.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Est-ce que de la part de Christophe de MARGERIE c'est le chantage d'un pétrolier ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Sa position elle est classique. Le prix du pétrole va augmenter, donc on a besoin de nouvelles autorisations d'exploration. Quand il applique cette position aux gaz de schiste, je suis doublement pas d'accord, parce que j'ai de très fortes réticences, je ne l'ai jamais caché, sur les projets d'exploration gaz de schiste. On a vu aux Etats-Unis ce que ça donnait. Les technologies, aujourd'hui, paraissent très risquées pour l'environnement, et le Premier ministre a annoncé hier qu'il soutenait les projets d'annulation des autorisations d'exploration.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Et là vous dites, ce matin, que c'est aussi une victoire contre les pétroliers ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Oui, c'est évident, les pétroliers n'étaient pas sur cette position-là. C'est bien naturel d'ailleurs, qui leur en voudrait, mais on n'a pas à se soumettre aux pétroliers.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Un des dirigeants de TOTAL disait qu'il était favorable à des exploitations propres, c'est-à-dire qu'il y en a des propres et des sales ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Oui, mais là où il a raison, c'est qu'il n'y a pas de bon gaz et de mauvais gaz, du méthane c'est du méthane, le problème c'est la façon dont il est exploité. Si un jour les pétroliers peuvent exploiter proprement les gisements, pourquoi pas. Aujourd'hui on n'en n'a pas du tout la preuve, et on a plutôt un peu la preuve du contraire à partir de l'expérience américaine.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais les recherches continuent.
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET La recherche scientifique continue, mais les permis d'exploration eux-mêmes, le Premier ministre l'a annoncé, ils seront annulés.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Vous êtes sans cesse sollicitée, dans vos fonctions, est-ce que l'écologie aura une place importante dans la campagne 2012, d'après votre flair ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET J'en suis convaincue. L'écologie c'est le grand enjeu du 21ème siècle, elle ne peut pas ne pas avoir une place centrale dans la campagne de 2012. J'en conclus qu'il faut transformer la société de l'intérieur à travers des grands partis et des grands candidats.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Voilà, vous demandez à vos partis, au Parti socialiste ou à l'UMP, de s'intéresser peut-être davantage à l'environnement et à l'écologie, plutôt que de le laisser aux écologistes ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET Je demande surtout aux Français de regarder le bilan des uns et des autres.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Donc, l'écologie est une affaire trop sérieuse pour la laisser aux écologistes ?
 
NATHALIE KOSCIUSKO-MORIZET C'est une formule.
 Source : Premier ministre, Service d'Information du Gouvernement, le 18 avril 2011