Conférence de presse de M. François Fillon, Premier ministre, sur le renforcement de la coopération internationale en matière de sécurité nucléaire, à Kiev (Ukraine) le 19 avril 2011.

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Circonstance : Conférence des donateurs pour Tchernobyl, à Kiev (Ukraine) le 19 avril 2011

Texte intégral

Mesdames et messieurs,
Je souhaitais faire avec vous le point d'une journée assez dense passée à Kiev.
Je voudrais d'abord remercier les autorités ukrainiennes pour la qualité de l'accueil qu'elles m'ont réservé ainsi qu'à Nathalie Kosciusko-Morizet et à la délégation qui m'accompagnait. J'ai voulu représenter la France ici, à Kiev, pour marquer l'engagement de la France et l'engagement du G.8, que nous présidons, pour la sûreté du nucléaire dans le monde.
La France est à la pointe de l'industrie nucléaire, elle veut aussi être à la pointe en matière de sûreté parce que notre conviction c'est que l'avenir du nucléaire civil passe par un niveau de sûreté maximum. Tchernobyl hier, Fukushima aujourd'hui, le monde entier s'interroge sur l'avenir du nucléaire.
Certains font le choix du repli. Nous, nous faisons le choix de la responsabilité mais aussi de la continuité des choix énergétiques qui dépassent les cadres strictement nationaux.
Qu'est-ce qui nous attend dans les années qui viennent ?
Le prix de l'énergie grimpe parce que la croissance des pays émergents soutient la demande mondiale en énergie fossile et que les perspectives de développement des énergies les moins onéreuses comme l'hydraulique ou le nucléaire sont limitées.
Le réchauffement climatique, ensuite, se poursuit et il se poursuit au rythme de notre consommation d'énergie carbonée.
Fukushima ne peut pas nous faire oublier Kyoto ou Copenhague. Nous avons pris des engagements sur le long terme pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, nous devons les tenir. C'est une ardente obligation.
Si le nucléaire ne représente qu'un septième de la production électrique mondiale, les pays qui ont fait le choix du nucléaire ne peuvent pas se passer du nucléaire à court terme. Il est là, il existe, nous en avons besoin pour maintenir notre niveau de croissance sans subir une hausse des prix insupportable et pour tenir nos engagements en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Il ne sert à rien d'arrêter le nucléaire chez soi, si c'est pour acheter le nucléaire chez son voisin.
C'est pour cela que la France a fait le choix de la responsabilité.
Le nucléaire oui, mais avec son corollaire indispensable : une sûreté maximale contrôlée par des organismes indépendants.
C'est le modèle que nous avons mis en place en France après Tchernobyl, où nous avons constaté des carences dans l'information du public sur les conséquences radiologiques de l'accident. Ce modèle s'est mis en place progressivement et selon un processus continu.
Sous leur forme actuelle, notre organisme de sûreté technique, l'IRSN date d'une loi de 2001, et notre autorité de sûreté l'ASN a été créée par une loi de 2006. Nous allons pour tenir compte des enseignements de Fukushima renforcer notre sûreté, en envisageant des scénarii d'accidents jusque-là inexplorés. Nous allons soumettre nos installations nucléaires, toutes nos installations nucléaires civiles à des tests qui simuleront des évènements tel que le tremblement de terre japonais, telles que des inondations massives cumulés de façon à voir comment dans ces conditions ces installations réagissent.
Même si nous savons par ailleurs que ces phénomènes naturels n'ont quasiment aucune chance de se produire dans notre pays.
Nous avons dit que si l'une de nos centrales ne passait pas ces tests, nous la fermerions. C'est une question de crédibilité.
L'exigence de sûreté est évolutive. Comme l'a affirmé l'Autorité de sûreté française, on ne peut pas garantir le zéro accident grave. Mais pour autant il n'y a pas de fatalité. Nous pouvons mettre en place les conditions pour que ce risque soit de plus en plus faible.
Si je suis venu à Kiev aujourd'hui, c'est pour porter ce message : tous les pays qui produisent de l'électricité nucléaire ou qui voudront en produire doivent prendre conscience que cela passe par une exigence maximale en matière de sûreté.
Avec l'aide de l'AIEA, avec l'aide des autorités de sûreté du monde entier, pour les citoyens qui réclament des assurances pour leur sécurité, nous voulons mettre en place une mutualisation de la sûreté et c'est une des propositions que j'ai faites aujourd'hui.
A la fois s'agissant de procédures de certification, qui puissent être les mêmes pour l'ensemble de la communauté internationale et en même temps, j'ai proposé la mise en place d'une force de réaction rapide capable de mobiliser des moyens techniques, des moyens en expertises pour venir en aide à des pays qui seraient confrontés à des difficultés.
Nous avons un long chemin à parcourir. La France est prête à fournir son aide technique, son expertise scientifique et son expertise de gestion de crise, pour participer activement à cette entreprise. C'est pour nous à cette seule condition que nos concitoyens auront confiance dans l'énergie nucléaire.
Je voudrais dire un mot sur mes entretiens avec le Président Ianoukovitch, que j'avais d'ailleurs reçu en octobre dernier à Matignon.
Cette régularité des contacts au plus haut niveau entre la France et l'Ukraine témoigne de la qualité et de la confiance de nos relations bilatérales. L'Ukraine a un positionnement stratégique en Europe. Et j'ai rappelé au Président le souhait de la France d'approfondir nos relations.
Sur le plan économique et commercial, les autorités ukrainiennes m'ont fait part de leur volonté d'améliorer encore les conditions dans lesquelles travaillent les entreprises étrangères installées en Ukraine. C'est évidemment fondamental pour nos investisseurs. Alors même que de nombreuses entreprises françaises – environ 150 – sont présentes dans le pays.
Nous avons aussi abordé les relations entre l'Union européenne et l'Ukraine que nous souhaitons renforcer. Je rappelle d'ailleurs que c'est sous la Présidence française de l'Union européenne que le processus permettant d'engager la négociation d'un accord global, a été engagé. C'est notre souhait de pouvoir faire en sorte que l'accord d'association soit conclu rapidement. Nos amis ukrainiens ont bien conscience de la part du chemin qu'il leur reste encore à faire pour avancer dans ce domaine.
Enfin, je voudrais conclure en vous indiquant que je me suis également entretenu, en marge des travaux avec Monsieur Ban Ki-Moon, le Secrétaire général des Nations Unies, avec lequel j'ai évoqué notamment le sujet de la reconstruction de la Côte d'Ivoire et la crise en Libye.
J'ai rencontré également Monsieur Amano, le directeur général de l'AIEA, avec lequel nous avons abordé à la fois nos actions conjointes pour aider le Japon à surmonter l'accident de Fukushima et la préparation des prochaines échéances internationales sur la sûreté nucléaire, ainsi que le règlement des crises de prolifération et notamment en Iran.
Voilà, mesdames et messieurs, le résumé de cette journée à Kiev, je suis à votre disposition pour répondre à quelques-unes de vos questions.
Vous parlez de nouvelles exigences en matière de sûreté nucléaire ; est-ce qu'un MG/h, un prix de revente du MG/h à 40 ou 42 euros, est un niveau de prix suffisant pour assurer cette nouvelle sûreté nucléaire. Et est-ce que les Français doivent de toutes façons se faire à l'idée que le prix de l'électricité au-delà de la période de gel pendant la période d'élection, le prix de l'électricité va augmenter en France, pour faire face à ces nouvelles exigences de sûreté nucléaire ?
D'abord, il n'y a pas de gel pendant la période d'élection. Je ne sais pas où vous avez inventé çà. Il y a une augmentation de 2,9% au 1er juillet prochain.
Augmentation qui sera valable, qui sera pour solde de tout compte jusqu'au 1er juillet 2012, ce qui me parait raisonnable. Et ce qui permet à EDF de faire face à ses contraintes, aux contraintes de service public qui lui ont été imposées, comme à un certain nombre d'investissements.
Au-delà nous avons engagé ce travail sur la sûreté de nos centrales, au regard de ce qui vient de se passer au Japon.
Ce sera évidemment l'occasion de hausser le niveau de sécurité de l'ensemble des installations nucléaires et il y aura donc des investissements à réaliser. Il y a dans ce contexte, une obligation européenne d'ouvrir à la concurrence le secteur de l'électricité.
Cette obligation nous l'avons encadrée par une loi qui a été votée par le Parlement. Cette loi va être appliquée. Pour l'appliquer il faut définir le prix auquel EDF vendra à ses concurrents l'électricité.
Cette décision sera soumise dans les prochains jours à l'Autorité de régulation. Elle est conforme à ce qui est rendu public depuis hier soir. C'est-à-dire 40 euros jusqu'au 1er janvier, 42 euros à partir du 1er janvier 2012. Et puis ensuite, au regard des résultats des stress-tests, eh bien nous verrons avec l'exploitant quelles sont les conséquences en termes financières.
Est-ce que vous pouvez me dire comment vous évaluez le souhait de l'Ukraine d'adhérer à l'Union douanière entre la Biélorussie, la Russie ?
Nous avons évoqué ce sujet avec le Président Ianoukovitch. Celui-ci a indiqué à plusieurs reprises que sa priorité était la conclusion d'un accord d'association avec l'Union européenne. Ce sont deux démarches qui sont complémentaires, mais ce sont deux démarches qui peuvent aussi, comment dirais-je, créer des délais plus longs pour la conclusion de l'accord d'association à l'Union européenne.
Il faut donc que le gouvernement ukrainien évalue bien l'ensemble des conséquences de ces deux démarches.
Sur le long terme, je ne vois pas de difficultés à ce que l'Ukraine puisse à la fois avoir un accord d'association avec l'Union européenne et un accord douanier. Je rappelle, d'ailleurs, que l'objectif de la France, la vision que la France a de l'avenir de la coopération avec l'Ukraine, comme avec la Russie, c'est une vision d'un grand accord commercial, d'un grand accord de libre circulation, de libre échange, qui engloberait l'ensemble du continent européen, Russie y compris, donc c'est une perspective à laquelle nous adhérons.
Simplement, il y a des contraintes immédiates pour la conclusion de l'accord d'association et il faut bien évaluer quelles pourraient être les conséquences d'un accord douanier sur la discussion avec l'Union européenne.
Monsieur le Premier ministre, vous avez déjeuné avec Ban Ki-Moon, vous avez évoqué la Libye, comme vous l'avez dit. La situation, après un mois, paraît bloquée. Certaines voix réclament une intervention terrestre, sous différentes formes possibles. Est-ce que vous avez évoqué ce scénario avec Ban Ki-Moon ? Avez-vous évoqué d'autres scénarios pour essayer de débloquer cette situation ?
Je crois que les choses doivent être très claires. Il y a eu une résolution des Nations unies qui a fixé un mandat, mandat que nous respectons à la lettre et qui exclut toute intervention terrestre.
Il n'y aura donc pas d'intervention terrestre de la part de la Coalition en Libye car ce serait contraire à la résolution des Nations unies. Cette résolution des Nations unies, elle avait pour premier objectif d'empêcher que Benghazi ne tombe entre les mains des forces restées fidèles au Colonel Kadhafi. Cet objectif a été atteint.
Elle a un deuxième objectif qui est de protéger les populations civiles. C'est difficile, compte tenu de la violence des combats et en particulier compte tenu de la violence des bombardements auxquels sont soumises plusieurs villes en Libye du fait des forces loyales à monsieur Kadhafi.
Nous allons donc intensifier notre effort militaire à partir de nos forces aériennes pour empêcher les forces de monsieur Kadhafi de poursuivre leur entreprise qui est une entreprise contre les populations civiles.
Mais en même temps, il faudra trouver une solution politique, c'est-à-dire les conditions d'ouverture d'un dialogue pour que la crise libyenne se résolve. Cela n'est pas à partir de l'action militaire de la Coalition que cette crise pourra se résoudre. C'est la raison pour laquelle nous avons engagé toute une série de contacts, dans le cadre d'ailleurs du Groupe de contacts qui a été mis en place, pour faire en sorte que toutes les bonnes volontés, des deux côtés, puissent trouver un cadre dans lequel discuter. Et c'est de ça dont nous avons parlé avec le Secrétaire général des Nations unies, qui a d'ailleurs un représentant sur place qui contribue très largement à nouer ces canaux de discussion.
Je voudrais revenir sur la sûreté du nucléaire et vous avez fait une première proposition qui est, en fait, un peu, en cas d'accident. J'aimerais savoir sur quoi la France travaille-t-elle, quand il n'y a pas d'accident, pour rehausser les niveaux de sûreté, au niveau mondial ? Quelles pistes ? Sur quelles pistes travaillez-vous ?
D'abord, depuis l'origine, depuis l'engagement de la France dans le nucléaire civil, nous n'avons cessé d'améliorer les conditions de sûreté de nos centrales. Et nous avons tiré les enseignements de chacun des incidents ou des accidents graves qui se sont produits. A partir de l'accident de Fukushima, j'ai indiqué tout à l'heure que nous allions soumettre l'ensemble de nos installations nucléaires à un test que, naturellement, nous n'avions pas envisagé avant Fukushima, c'est-à-dire les conséquences d'un tremblement de terre de la puissance de celui que le Japon vient de connaître – chacun sait que la France n'est probablement pas en risque de subir un tremblement de terre de ce type, mais nous allons faire l'exercice – et en même temps, l'inondation des installations comme cela s'est produit à Fukushima avec la perte des circuits de refroidissement, de tous les circuits de refroidissement et la perte de l'ensemble des sources d'énergie.
C'est donc un stress-test extrêmement violent auquel les installations nucléaires françaises vont être soumises et nous en tirerons toutes les conséquences pour améliorer les conditions de sécurité.
Voilà le travail que nous faisons.
Parallèlement, l'Union européenne a décidé de mener des tests de son côté. On va croiser ses expériences, les tests réalisés par l'Autorité de sûreté nucléaire française étant d'ailleurs réalisés avec l'aide d'experts d'autres pays, de façon à ce que nous puissions, à la fois, profiter de l'expérience des autres, et faire profiter les autres de notre expérience.
Au-delà, j'ai indiqué tout à l'heure que nous souhaitions que l'ensemble des pays qui sont dotés aujourd'hui de centrales nucléaires ou ceux qui veulent s'en doter demain, soient conduits à respecter des standards de sécurité de très haut niveau. Et nous pensons que ces standards de sécurité doivent passer par des procédures de certification qui peuvent être mises en place dans le cadre de l'AIEA et ce sera l'un des objets des discussions qui auront lieu en marge du G8 à Deauville au mois de mai, puis ensuite lors de la Conférence qui sera conduite par l'AIEA en juin prochain.
Monsieur le Premier ministre, aujourd'hui, à la Maison d'Ukraine, là où il y a eu le Sommet des leaders mondiaux, il devait y avoir un meeting pour commémorer l'accident de Tchernobyl. Or, les tribunaux de Kiev ont interdit cette manifestation. Les gens voulaient dire qu'ils sont mécontents, à peu près 80 % des victimes de Tchernobyl sont toujours en procès pour obtenir des indemnisations. A l'heure actuelle, l'Ukraine a reçu quelque 460 millions pour l'abri, etc. Ne pensez-vous pas, monsieur le Premier ministre, que cet argent devrait partiellement être utilisé pour indemniser les victimes et que la France et les pays de l'Union européenne soient en mesure de contrôler un peu l'usage de ces fonds ?
Je pense vraiment que les sommes que nous avons mobilisées précédemment et lors de cette Conférence doivent être intégralement consacrées à la mise en sécurité des installations de Tchernobyl. C'est d'ailleurs évidemment très important pour l'avenir, pour faire en sorte qu'il n'y ait plus de dommages causés par cette installation accidentée.
La question de l'indemnisation des victimes de Tchernobyl est une affaire qui regarde le gouvernement ukrainien, qui regarde les gouvernements des autres pays voisins concernés.
La France n'a pas de jugement à émettre sur ce sujet. J'ai simplement indiqué au Président ukrainien que dans le cadre de l'effort que l'Ukraine a engagé pour conclure cet accord d'association avec l'Union européenne, il était évidemment très important de renforcer le niveau d'état de droit en Ukraine, et je pense que le Président ukrainien en est parfaitement conscient.
Monsieur le Premier ministre, juste une dernière question sur la Libye. Vous avez dit deux objectifs de la résolution. Est-ce que le départ de Kadhafi, ça reste également un objectif…
Ca n'est pas un objectif de la résolution. Nous, nous pensons évidemment qu'il n'y a pas de solution politique viable avec le Colonel Kadhafi compte tenu des actes qu'il a ordonnés depuis le début de cette crise, mais la résolution ne prévoit pas que le départ de Kadhafi puisse être un objectif de la Coalition.
Merci beaucoup !Source http://www.gouvernement.fr, le 20 avril 2011