Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur le cirque contemporain et les arts forains, Châlons en Champagne le 30 avril 2011.

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Circonstance : Inauguration du cirque Historique à Châlons en Champagne le 30 avril 2011

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« Le cirque au-delà du cercle » : à travers ce titre à l’assonance toute poétique, le magazine Art Press montrait dans un numéro spécial, dès 1999, combien le cirque contemporain, celui qui fait se croiser et se rencontrer les disciplines, celui qui a pris sa source à Châlons, s’est donné à lui-même ses propres frontières et son vocabulaire. Le Centre national des arts du cirque (CNAC) fut l’emblème et le moteur du renouveau du cirque dans notre pays. Le CNAC est un maillon essentiel de l’histoire du cirque, de cette longue chaîne d’expérimentations, d’innovations, de rencontres et de créations Cette chaîne elle doit beaucoup à Bernard Turin, directeur du CNAC de 1990 à 2002, qui a marqué le tournant pédagogique vers le cirque contemporain, fondateur de l’école de cirque de Tunis en 2003, fondateur de l’école de cirque de Rosny-sous-Bois en 1988. En fêtant le 25e anniversaire de cette institution si importante dans le paysage du cirque et du spectacle vivant, je ne peux m’empêcher de penser à cet homme secret mais déterminé, que l’on qualifia de « chef d’orchestre de l’éphémère ». Cette histoire pédagogique et artistique unique, c’est aussi celle de Bernard Latarjet, le Président actuel, celle de Jean-François Marguerin, son directeur actuel, celle de Louis Joinet, président du CNAC de 1996 à 2005, celle de Jean Vinet, responsable des formations de 1992 à 1998. Dans cette longue chaîne je veux associer les chorégraphes, ceux qui ont mis en piste les différentes promotions du CNAC, mais aussi les formateurs, les intervenants, venus d’horizons artistiques très divers, les partenaires sociaux qui ont accompagné la structuration de cette discipline, de son enseignement et de cet établissement, les élèves enfin qui ont investi les scènes et les chapiteaux.
Car il n’est de création rayonnante sans tradition établie, contre laquelle parfois le geste artistique se construit et s’enracine. La vitalité d’une pratique artistique réside dans sa capacité à se transformer et à se transmettre. Tradition, innovation : ce sont les deux principes, qui dans une tension constante, permettent d’avancer. Le cirque possède une grande tradition portée par des familles emblématiques comme les Gruss, les Medrano, les Bouglione et des enseignes importantes comme le Cirque Pinder, tradition à laquelle je suis personnellement attaché comme beaucoup de nos concitoyens. Cette belle et longue tradition s’exprime aussi d’un point de vue patrimonial, en témoigne ce cirque en dur, établissement emblématique de la Ville de Châlons-en-Champagne, qui retrouve aujourd’hui ses couleurs, des espaces rénovés, des équipements en adéquation avec les exigences de l’école actuelle.
Cette inauguration traduit le lien constant et étroit qui unit l’Etat et les acteurs du territoire - la ville de Châlons en Champagne, le département de la Marne, la région Champagne Ardennes – autour de cette ambition pour le cirque. Et je me réjouis que les travaux de rénovation du cirque historique soient la première phase d’un chantier plus vaste, inscrit au Contrat de Plan Etat-Région 2007/2013. La deuxième phase de travaux sur le site des chapiteaux, autour d’un ancien site de silos pour l’entrepôt de produits céréaliers montre le lien étroit qui unit cette grande école de cirque et le territoire qui l’accueille. Le nouveau site où va se déployer l’école est à quelques mètres d’ici.
Bâti et toile, pérenne et nomade, équilibre et déséquilibre, chute et rebondissement, le cirque est dans cette tension créatrice depuis toujours, c’est sa nature, c’est son identité profonde. Art du défi, véritable école de vie et de confiance pour les plus jeunes, le cirque est « condamné » à se renouveler constamment.
Dans ce défi, l’enseignement et la transmission jouent, chacun le sait, un rôle fondamental. La création du Centre National des Arts du Cirque, il y a 25 ans, à Châlons-en-Champagne a été un acte fondateur, presque une « révolution copernicienne » pour le cirque en France.
Johan Le Guillerm, Mathurin Bolze, le collectif Anomalie, le collectif AOC : je ne peux citer tous les talents issus du CNAC qui ont créé leur compagnie, imposé leur style, porté dans le monde entier une forme artistique d’exception. Près de 290 artistes ont été formés par cette école, avec un taux d’insertion remarquable. L’étude réalisée par le CNAC en 2007 montre que 90% des anciens étudiants diplômés au CNAC exercent toujours une activité d’artistes de cirque. Le CNAC, plus qu’imposer une griffe ou un style a su inventer un langage et un métier artistique : celui du circassien, dont la présence est aujourd’hui reconnue et identifiée dans les programmations des lieux labellisés par mon ministère.
Les principes de formation affirmés par le CNAC, école d’art au sens fort du terme, ont sensiblement transformé l’approche du cirque. Tout en gardant ses bases, ses « fondamentaux » - le jonglage, l’acrobatie, l’équilibre - qui constituent la langue commune à tous les artistes de cirque, d’une génération à l’autre, d’un genre à l’autre, le CNAC a ouvert ses portes aux autres disciplines, il a fait appel aux artistes les plus inventifs de la scène contemporaine, il a provoqué des rencontres, qui ont même été parfois des « chocs » artistiques. Comment ne pas penser au « coup de tonnerre » que représenta en 1995 la création du Cri du caméléon mis en piste par le chorégraphe Josef Nadj : ce moment marqua profondément et durablement l’esthétique des arts de la piste. De nouvelles perspectives se sont dessinées, là ont pris racine les nouvelles générations d’artistes du cirque d’aujourd’hui.
Au fil des années un paysage s’est forgé, un univers s’est poli et façonné, un « nouveau territoire » artistique a vu le jour : 450 artistes et compagnies de cirque répertoriés, une douzaine de pôles nationaux pour la production et la diffusion labellisés ou en passe de l’être, des manifestations reconnues sur le plan international par les professionnels et les publics – je pense notamment au festival Furies dans cette ville - une présence forte sur la scène internationale, des centaines d’écoles de loisirs, véritables outil de démocratisation culturelle et de découverte esthétique. Tout ceci témoigne de la vitalité et de l’appétit renouvelée pour les arts du cirque au XXIe siècle.
Nous devons affronter l’avenir avec le souci d’adapter l’enseignement supérieur dans le domaine des arts du cirque aux nouveaux besoins et possibilités ouverts par le processus de Bologne, en matière de reconnaissance des diplômes et de mobilité des étudiants. Le CNAC s’est dans ce cadre associé à l’université de Picardie Jules Verne. Heureuse conjonction, puisque le romancier épris de machines grandioses et de projets futuristes, Jules Verne, conseiller municipal d’Amiens, fut l’initiateur de la construction du cirque de cette ville.
Mon ministère est pleinement engagé sur ce chantier, qui est central pour l’avenir des professions du spectacle vivant. Cet engagement se traduit par la création des Diplômes nationaux supérieurs professionnels, dont la filière du cirque sera bientôt dotée à l’instar du théâtre, de la musique et de la danse. La procédure d'habilitation des établissements à délivrer le Diplôme national supérieur professionnel (DNSP) d’artistes de cirque sera en place pour la rentrée universitaire 2012. D’ici là, je sais pouvoir compter sur les trois écoles qui constituent l’offre française de formation supérieure - le CNAC, Rosny, Fratellini- pour avoir abouti dans la constitution d’une filière cohérente de formation. Je sais que ce sujet a donné lieu à beaucoup de travaux, de tensions parfois, mais j’ai le sentiment que grâce à l’implication de tous, à la suite du rapport remis par Jérôme Bouët sur ce sujet, nous allons non pas défaire une histoire, une mémoire de la piste, à laquelle, je le sais, les artistes circassiens sont très attachés, mais réussir à penser l’avenir en prenant appui sur les fondations remarquables du passé.
Il nous restera à clarifier le champ des écoles dites préparatoires, qui proposent un enseignement de qualité, dont j’aimerais qu’il puisse accéder à une plus forte reconnaissance. Je me suis rendu récemment à Châtellerault, où j’ai pu voir le travail réalisé dans le cadre de cette école et du seul baccalauréat option « Cirque » créé en France.
Je mesure également l’importance des écoles de loisir et l’attrait que peut exercer le cirque pour de nombreux jeunes, il s’agit là d’un véritable engouement dont je me réjouis. Mais face à ce phénomène, il est du devoir de la puissance publique de se préoccuper de la qualité des formateurs. C’est une évidence lorsqu’on songe à l’engagement physique que demandent ces disciplines, aux risques également, si forts souvent, qu’elles affrontent. Vous le savez, à l’issue d’un long chantier de réflexion partagé entre professionnels du cirque, partenaires sociaux et équipes pédagogiques, un Diplôme d’État, attestant de la compétence à transmettre cet art, vient d’être créé (décret du 22 mars 2011). Ce diplôme a pour objet de servir de référent dans toutes les situations d'enseignement du cirque : écoles associatives, interventions en milieu scolaire, ateliers de sensibilisation et de formation aux arts du cirque.
25 ans cela peut paraître court et c’est pourtant déjà beaucoup, c’est l’âge de la maturité, des premiers bilans, c’est aussi celui des projets et de toutes les audaces. Je sais que les lieux où l’on pratique le cirque sont des lieux qui ont vécu des chocs, des soubresauts, des fractures profondes, des accidents aussi : le CNAC a également vécu, y compris récemment, ces périodes et je veux ici dire ma reconnaissance à toutes celles et tous ceux qui ont accompagné ces « temps troublés », ceux qui ont fait passer la passion du cirque avant toute autre considération, qui ont su conforter cet établissement. Je sais que dans toutes les phases de son existence, dans tous ses projets, notamment en matière d’insertion professionnelle, le Centre a toujours su rencontrer l’écoute des collectivités territoriales.
Je sens les artistes trépigner dans les coursives et au-dessus des cintres de cette magnifique voûte. A quelques milliers de kilomètres d’ici sur l’autre rive de la Méditerranée, au Maroc, leurs camarades de la 22ème promotion, tout juste diplômés, présentent leur spectacle «âm », signé par Stéphane Ricordel, devant des publics que j’imagine nombreux.
Je suis convaincu que le creuset du cirque de demain est à l’oeuvre ici, à Châlons, dans ce territoire sans cesse réinventé, sans cesse repoussé qu’est la piste, dans un dialogue constant entre le geste, la performance et l’émotion esthétique. Cette aventure, cette longue chaîne, je souhaite qu’elle se poursuive et qu’elle s’inscrive dans la durée, forte du rayonnement et de l’empreinte historique laissée par le Centre. Ma présence traduit la place que l’Etat accorde à ce « cirque du mouvement » qui est aussi le cirque de tous les langages, de tous les vocabulaires et de tous les possibles . Alors, place au cirque !
Source http://www.culture.gouv.fr, le 3 mai 2011