Déclaration de Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'Etat aux solidarités et à la cohésion sociale, sur la place des personnes âgées en perte d'autonomie et la prise en charge des personnes âgées dépendantes, Nancy le 26 avril 2011.

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Circonstance : Clôture du débat interdépartemental sur la dépendance à Nancy le 26 avril 2011

Texte intégral


Il me revient la difficile tâche de clôturer cette journée. Difficile car les échanges que nous avons eu tout au long de cet après-midi ont été riches et passionnants.
Difficile aussi car il ne s’agit pas de clore le débat mais de s’appuyer sur ce que nous avons entendu aujourd’hui pour aller plus loin dans nos questionnements collectifs.
Ce débat a été voulu par le Président de la République. A travers les 26 journées telles que celle que nous venons de vivre, dans toutes les régions de France, nous sommes invités à nous interroger sur la place que la société française souhaite réserver aux personnes âgées en perte d’autonomie dans notre société.
Pour répondre à cette ambition, le débat national sur la dépendance mobilise plusieurs niveaux de contribution, comme cela vous a été présenté en début de cet après-midi : Quatre groupes de travail nationaux ont tout d’abord été lancés début février, traitant des enjeux démographiques et financiers, des relations de la société au vieillissement, des modes d’accompagnement des personnes âgées et de la couverture financière de ce qu’on peut appeler le risque dépendance. Ces thématiques seront reprises dans le cadre de quatre colloques fin mai-début juin.
Il a également semblé essentiel à Roselyne Bachelot et moi-même d’entendre les principaux responsables politiques et syndicaux, représentants professionnels et des usagers, représentants des cultes et des familles de pensées. Tous ont vocation à contribuer, car ce débat, on ne le répètera jamais assez, n’est pas un débat technique - même si de nombreuses questions auxquelles nous sommes confrontées sont très complexes – mais un débat de société, un débat éthique.
Un site internet a également été ouvert pour recueillir les contributions de tous ceux qui souhaiteront faire part de leur réflexion.
A cet état d’avancement de notre démarche collective, je souhaiterais revenir sur quelques éléments de réflexion que les échanges de la journée sont venus conforter :
1- En matière d’accompagnement de la perte d’autonomie, nous ne partons pas de rien. Les très nombreux témoignages de cette journée viennent confirmer cette quasi-évidence. Pour s’en convaincre, il suffit de constater la présence nombreuse aujourd’hui dans cette salle de professionnels qui œuvrent dans des établissements et des services à destination des personnes âgées ou de voir l’important engagement des bénévoles auprès des aînés, la mobilisation des élus et des collectivités, l’investissement des familles et des solidarités de proximité.
Notre pays consacre déjà quelque 25 milliards d’euros à la couverture des besoins liés à la dépendance, qu’il s’agisse de dépenses directes ou indirectes - par le biais des réductions d’impôts. Ces dépenses publiques sont portées par la solidarité nationale à hauteur de 80% que ce soit par l’Etat, l’assurance maladie ou la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, et par la solidarité locale à hauteur de 20% à travers la contribution des Conseils généraux.
Ces 10 dernières années ont connu de nombreuses avancées, notamment à la suite de la prise de conscience douloureuse de 2003 face à laquelle la société française a fortement réagi : la création de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, tout d’abord, qui mobilise les efforts de financement des collectivités locales et de la solidarité nationale. Ce sont près de 5,4 milliards d’euros qui lui sont consacrés, pour 1,2 millions de bénéficiaires. En Lorraine, ce sont plus de 184 millions d’euros financés par quatre conseils généraux, bénéficiant d’un concours national de quelque 56,3 millions d’euros par la CNSA.
Le financement des établissements et services médico-sociaux a bénéficié d’une augmentation de moyens sans précédent : les crédits d’assurance maladie effectivement consommés dédiés à leur financement sont passés de 4,690 milliards d’euros en 2006 à 7,953 en 2010, soit une augmentation de 69,7% en 5 ans. Ils ont permis de financer de très nombreuses créations de places dans les EHPAD mais aussi les services infirmiers à domicile. La Lorraine a ainsi bénéficié entre 2007 et 2009 des financements pour la création de 3000 places nouvelles, 30% étant effectivement déjà ouvertes aujourd’hui. Ces crédits ont également permis le renforcement des moyens dédiés aux établissements dans le cadre de démarches dites de médicalisation. Grâce aux réserves financières de la CNSA, le secteur des EHPAD a également bénéficié d’un important effort de modernisation financé à hauteur de plus d’un milliard d’euros de subventions entre 2006 et 2010, bénéficiant à plus de 79 000 places.
La professionnalisation des professionnels du secteur a fait l’objet de financements complémentaires depuis la création de la CNSA grâce à des conventions telle que celle que les trois départements de Lorraine ont signé ou resigné en 2010 portant sur un total de 4,3 millions d’euros.
Enfin, l’aide aux aidants familiaux est une préoccupation constante des pouvoirs publics. Elle constitue en particulier un axe fort du plan Alzheimer et maladies apparentées 2008-2012. Elle a donné lieu à la création de solutions de répit pour les familles et a été étoffée d’une attention portée à la formation des aidants, dans la loi HPST votée en juillet 2009.
Ces quelques chiffres mettent en évidence les efforts considérables d’acteurs traditionnels de la politique gérontologique que sont l’assurance maladie et les conseils généraux. Ils soulignent également le rôle central de la création de la CNSA dans ce dispositif, dont l’intervention concomitante dans le champ médico-social et dans le champ social, à travers l’appui financier apporté aux conseils généraux, est une innovation précieuse.
2/ Malgré ces efforts importants de la Nation à destination des personnes âgées dépendantes, notre système est confronté à court terme à des défis auxquels il convient de répondre rapidement.
Les différents acteurs impliqués dans l’accompagnement de nos aînés signalent les besoins financiers :
Les conseils généraux, qui financent l’allocation personnalisée d’autonomie, continuent à faire face à des dépenses croissantes. Dans votre région, force est de constater que les dépenses d’APA ont été multipliées par 3 en 8 ans. La création de la contribution solidarité pour l’autonomie, la CSA, a permis d’alléger la tension. Toutefois, malgré une progression en valeur absolue du concours national, celui-ci s’effrite rapporté aux dépenses. Il est désormais passé en dessous de la barre de 30%. C’est une situation qui met en grande difficulté certains départements et interroge le principe d’égalité de traitement sur le territoire.
Les professionnels médico-sociaux signalent les besoins de renforcement de moyens dans les établissements médico-sociaux pour faire face à leur responsabilité. Vous témoignez en particulier de l’évolution de la population accueillie en EHPAD, plus âgée à l’entrée, plus dépendante. C’est ce à quoi le processus de médicalisation cherche en particulier à répondre.
Nombre de familles, souvent désemparées, évoquent par ailleurs non seulement la difficulté pour trouver une place pour leur proche dans un établissement adapté et accessible financièrement mais aussi leur besoin d’une meilleure information sur le service rendu, pour s’orienter ; Les services à domicile alertent sur leur situation financière difficile, notamment en raison d’une politique de tarification qui ne permet pas de faire face aux coûts croissants de leur fonctionnement mais aussi parfois aux conditions structurelles qui leur sont propres ;
Les personnes concernées elles-mêmes et leurs familles subissent un reste-à-charge de plus en plus important, que ce soit en établissement dont le coût s’approche en moyenne de 1500€- et largement plus en zone urbaine - ou à domicile, l’APA ne permettant pas de couvrir tous les besoins.
Le défi démographique ne fait que renforcer l’urgence à agir. Je ne reviendrai pas sur le constat qui a été présenté de façon précise. Je veux seulement insister sur le fait que ce phénomène heureux de l’augmentation de l’espérance de vie met toutefois au défi nos systèmes sociaux.
C’était déjà l’objet de la réforme des retraites conduite l’année dernière que de s’adapter au vieillissement de la population. Il était du devoir de pouvoirs publics d’offrir aux Français des perspectives d’avenir compatibles avec l’évolution de la démographie.
Le chantier de la dépendance a également pour objet de garantir l’avenir de nos dispositifs.
En posant le cadre de la réflexion, le Président de la République a demandé que toutes les solutions soient explorées. Il a toutefois posé trois principes qui guident les travaux du Gouvernement : il a refusé la piste du financement par l’endettement et le déficit, qui reporterait sur nos enfants la charge du financement ; il a également rejeté d’emblée toute solution qui viendrait augmenter le coût du travail ;
il s’est opposé à ce qu’aucune autre option ne soit fermée par principe idéologique.
Les différentes solutions seront évidemment expertisées au regard de leur efficacité. Elles le seront aussi au regard des choix politiques qu’elles traduisent. C’est essentiel pour qu’elles soient acceptables pour nos concitoyens. C’est l’objet de ce débat que de rendre explicites des questions encore trop souvent implicites.
C’est ainsi que derrière les difficultés de financement signalées par les conseils généraux, nous sommes interrogés sur le modèle particulier de gouvernance du risque dépendance. L’égalité de traitement sur le territoire s’appuie traditionnellement sur la solidarité nationale. Toutefois, le rôle joué par les conseils généraux dans la construction des réponses à nos aînés est reconnu de tous tant est évidente la nécessité d’élaborer des réponses dans la proximité tenant compte des caractéristiques de l’environnement de vie des personnes. Quel niveau de responsabilité locale cela implique-t-il dans le financement ? 5 millions de Français ont d’ores et déjà souscrits des contrats d’assurance, considérant sans doute qu’il était de leur responsabilité de se prémunir, et de prémunir leur proche. C’est une réalité d’aujourd’hui. La question de l’assurance nous interroge sur le niveau de responsabilité individuelle qui peut être invoquée. Nous avons pu constater, avec Roselyne Bachelot, un consensus en faveur du maintien d’un socle de solidarité. La place de l’assurance appelle ainsi également l’Etat à apporter des garanties à ceux qui ont souscrit des contrats. Sommes-nous sûrs de la parfaite compréhension des tous aux conditions générales ? Une information claire et accessible doit être garantie.
Voilà, avec la baisse du reste à charge et l’amélioration de la situation des services à domicile, quelques-unes des questions importantes qui devront trouver des réponses à court terme.
3/ Les réponses que nous voudrons apporter aux personnes âgées en perte d’autonomie à horizon de 2030 ou 2040 nécessitent quant à elles de nous interroger sur la place que nous souhaitons faire aux personnes âgées dans notre société.
Les défis de demain ne sont pas la résultante d’une simple extrapolation chiffrée de des impasses d’aujourd’hui. Les personnes âgées dans 20 ans ne seront pas les mêmes. Les modes d’accompagnement vont devoir évoluer, s’adapter. Or, la société s’interroge déjà sur le modèle social qui se dégage des réponses que nous apportons. Je l’ai constaté aujourd’hui.
Cette deuxième dimension de la réflexion collective à laquelle nous a invité le Président de la République, nous avons le temps d’y répondre, à condition tout d’abord de ne pas en perdre et surtout d’investir pleinement le débat de société qui se dégage petit à petit du débat technique sur la tarification des EHPAD ou des différents modes d’intervention des services à domicile.
Je veux vous livrer des réflexions sur trois questions qui me paraissent largement conditionner le système que nous seront appelés à financer dans 20 ans.
1– Interrogeons-nous tout d’abord sur le modèle d’accompagnement des personnes âgées dépendantes que nous voulons pour la France de 2020-2030. L’augmentation du nombre de personnes âgées dépendantes fait monter la pression sur le nombre de places d’EHPAD. Avec le vieillissement de la population française, allons-nous véritablement devoir développer ce modèle institutionnel de prise en charge ? Quel modèle de prise en charge des personnes âgées cela dessine-t-il ? Je ne crois pas que nous devions continuer de répondre de manière aussi stéréotypée. Pendant les 20 dernières années, nous avons renforcé la réponse santé face à l’augmentation de la dépendance, en faisant évoluer les maisons de retraite en lieux de vie certes, mais surtout en lieux de soins.
Gardons-nous de continuer à fabriquer de la réponse santé seulement parce que nous savons financer de la réponse santé. Il est temps de réinterroger toute la logique de la chaîne de prise en charge qui va du domicile à l’hôpital en passant par le foyer-logement et les EHPAD. Entre le maintien à domicile ordinaire et l’entrée en établissement, il y a la place pour des solutions innovantes qui proposent de nouvelles manières de vivre « chez soi » lorsqu’on a besoin de sécurité et d’accompagnement. Je suis persuadée qu’une telle inflexion contribuera à prévenir les phénomènes de glissement vers la dépendance, en privilégiant la participation sociale. En nous sachant mieux organiser toute la chaîne, en évitant les trop nombreuses hospitalisations des personnes âgées, on ne peut s’interdire de penser qu’il y a la place pour optimiser les moyens mobilisés.
2 – Cela me conduit à revenir sur une question souvent évoquée aujourd’hui : le rôle de la prévention. L’impact du vieillissement sur les besoins liés à la dépendance n’est en effet pas inéluctable en raison des progrès permis par la prévention. Certes les nouvelles prévisions du groupe de travail national présidé par Jean-Michel Charpin ne nous conduisent plus à privilégier comme scénario central celui où toute nouvelle année de vie gagnée serait une année en bonne santé. N’est-ce justement pas une invitation à agir ? Il a souvent été question de la responsabilité des acteurs de la santé publique. Je veux insister sur le fait que la prévention de la dépendance doit mobiliser bien au-delà. Il faut en particulier citer le rôle les villes et les agglomérations dont les politiques d’accessibilité ou de cohésion sociale permettent de lutter contre l’isolement, l’immobilité, la désinsertion sociale, facteurs de fragilité des personnes âgées.
3 – La famille, enfin, est le troisième déterminant essentiel du modèle de long terme de l’accompagnement de la dépendance.
Face à la dépendance, les familles sont d’ores et déjà en première ligne. Ce sont les proches qui s’organisent pour apporter les premiers soins ou organisent les réponses portées par des tiers. L’Etat n’a pas à remplacer les familles, mais à les accompagner. La solidarité familiale est une réalité que nous pouvons appréhender par exemple à travers les transferts financiers intrafamiliaux et intergénérationnels. Tous n’ont toutefois pas la capacité d’accompagner leur proche. Certains, enfin, sont seuls. Quel modèle de solidarité devons-nous construire pour intégrer pleinement le fait familial ? Il y aura à mieux prendre en compte la situation des aidants dont le projet de vie est de pouvoir accompagner leur proche et vivre leur vie. Prendre en compte ce projet de vie, c’est la condition d’une société solidaire ; c’est aussi la garantie de réponses durables.
Mesdames, Messieurs,
D’autres questions soulevées cet après-midi mériteraient sans aucun doute d’être reprises. Pour ne pas prolonger davantage ces échanges riches et déjà longs, je m’arrêterais sur ces trois aspects qui m’interrogent particulièrement.
Je vous remercie.
Source http://www.dependance.gouv.fr, le 3 mai 2011