Texte intégral
Une nouvelle fois, me voici, avec un grand plaisir, à lune des remarquables conférences organisées par Les Echos, pour évoquer la prochaine réforme de la dépendance.
Confrontés, dans vos fonctions respectives, aux situations de perte dautonomie, vous connaissez mieux que quiconque les enjeux de cette réforme indispensable.
Ces enjeux sont dabord et surtout humains, sociaux et éthiques. Lorganisation dun déjeuner-débat, ce midi, autour du sociologue Serge Guérin le prouve amplement : la question de la prise en charge de la dépendance ne saurait se réduire à ses seuls aspects financiers.
Quelle place voulons-nous accorder aux personnes âgées dans notre société ?Quel lien souhaitons-nous promouvoir entre les générations ? Comment faire vivre nos valeurs de solidarité, de fraternité et de respect ?
Telles sont les interrogations que soulève, dans notre pays comme ailleurs, le défi du vieillissement.
Cependant, nous ne pouvons pas ignorer les enjeux financiers de la prise en charge de la dépendance.
Nous devons, en effet, répondre aux difficultés rencontrées par les familles, qui doivent faire face à un reste à charge qui peut être important, notamment en établissement et pour les personnes les plus dépendantes.
Et nous devons apporter des solutions aux départements, et en particulier aux départements les plus pauvres, ceux qui disposent des recettes fiscales les moins dynamiques et sur lesquels, dans le même temps, pèsent les charges les plus importantes.
Si je devais répondre à la question "Pourquoi cette réforme ?", je répondrais donc doublement :
* parce quil est primordial dapporter, pour aujourdhui et pour demain, des réponses concrètes aux difficultés pratiques, psychologiques, affectives et financières rencontrées par les personnes âgées dépendantes et par leur proches. Cet impératif sera encore plus prégnant à lavenir, du fait du vieillissement de la population et de laugmentation de la prévalence des maladies associées le plus souvent au grand âge ;
* et parce quil est important, pour notre société, de définir son projet collectif et den interroger le fondement et le sens.
Allier actions concrètes et valeurs intangibles, pragmatisme et hauteur de vue : cest, je crois, non seulement souhaitable, mais possible.
Avec le débat national sur la dépendance, cest ce à quoi le Président de la République nous invite.
Après sêtre demandé "pourquoi la réforme ?", il paraît tout aussi légitime de se poser la question du "comment ? ".
Il me semble important de le préciser demblée : lorganisation du débat est tout entière déterminée par une logique participative.
Réfléchir à la prise en charge des personnes âgées dépendantes, à ses forces et à ses faiblesses, cest avoir le sentiment, ferme et légitime, que chacun peut contribuer à faire progresser notre système. Que chacun peut et doit faire entendre sa voix.
La participation éclairée de tous ceux qui le souhaitent au débat est, à mes yeux, une priorité.
Bien sûr, les experts, les élus, les professionnels, les représentants dassociations ou de syndicats contribueront à enrichir notre réflexion de leur expérience et de leur pratique.
Jai dores et déjà reçu, avec Marie-Anne Montchamp, les principaux responsables politiques, représentants syndicaux, membres de fédérations et associations du secteur médico-social, ainsi que les représentants des principaux cultes et courants de pensée.
Ils ont pu exprimer, en toute franchise et en toute transparence, leurs besoins et leurs attentes. Jy ai été très attentive, car cest comme cela que je conçois nos politiques publiques : des politiques pragmatiques, nées du dialogue et de lécoute, et adaptées aux réalités de notre territoire.
Par ailleurs, jai installé, en janvier, 4 groupes de travail, destinés à dresser un état des lieux de la situation actuelle et à établir des propositions.
Leurs travaux avancent bien. Je rencontre de façon régulière les modérateurs de ces groupes, Annick Morel, Evelyne Ratte, Jean-Michel Charpin et Bertrand Fragonard. Je connais donc parfaitement leur forte implication, ainsi que celle de tous les membres. Les comptes-rendus de leurs travaux seront mis en ligne, pour que tous ceux qui le souhaitent puissent en prendre connaissance.
Aux côtés des experts, ce sont aussi les citoyens dans leur ensemble qui sont invités à prendre part au débat.
Dès le 18 avril, et jusquau mois de juin, se tiendront les débats régionaux. Le premier dentre eux aura lieu à ma plus grande joie ! dans les Pays-de-la-Loire, chez moi, à Angers.
Véritables rencontres citoyennes, ils permettront à nos concitoyens, partout en France, de semparer de la réflexion, découter et déchanger sur cette question majeure qui nous concerne tous.
Auront lieu également 4 colloques interrégionaux sur les thématiques abordées dans les groupes de travail. Ils seront précédés de la mise en place de "groupes de parole" de citoyens.
Un site Internet dédié au débat national a, enfin, été lancé (www.dependance.gouv.fr). Nous avons déjà reçu des contributions, qui démontrent que la question de la dépendance parle autant au cur quà la raison. Sappuyant, la plupart du temps, sur des expériences personnelles, les participants nhésitent pas à mettre en avant leurs préférences et leurs propositions, comme une plus grande reconnaissance du rôle des aidants.
Je vous invite résolument à lenrichir de vos propres contributions. Venant de vous, ce seront forcément des contributions de qualité.
Vous le voyez : le travail est donc lancé, et les prochaines semaines seront encore plus déterminantes.
Il me serait bien impossible, alors que le débat commence tout juste, dévoquer avec vous telle ou telle réponse aux questions que nous nous posons.
En revanche, jaimerais vous livrer ce que je retiens, à ce stade, de la réflexion engagée.
Je préciserai dabord que jai voulu mintéresser à ce qui se passe ailleurs, dans dautres pays.
Nous ne sommes pas les seuls concernés par un accroissement du nombre de personnes dépendantes. Le conseil danalyse stratégique a ainsi été missionné sur ce sujet : il devra rendre compte des différents systèmes mis en place dans les pays développés, et nous aider à identifier les bonnes pratiques.
Moi-même, jessaie didentifier les pratiques différentes, en essayant de discerner ce qui pourrait également fonctionner chez nous.
Je pars tout à lheure en Suède. Avant de rencontrer mon homologue Maria Larsson, je dois y étudier, avec les représentants des communes et des régions, la gouvernance très décentralisée de la dépendance dans ce pays, couplée à un financement assuré, à titre principal, par les communes. La gouvernance est lun des sujets détude des groupes de travail, et je pense que nous avons tout intérêt à faire linventaire de ce qui existe.
Jétais également, le mois dernier, en Allemagne, pour y évoquer notamment la question financière. Celle-ci se posera avec encore plus dacuité que chez nous, en raison dune pyramide des âges plus défavorable.
Il est, à ce titre, intéressant de voir comment les Allemands réfléchissent à des alternatives à la branche dépendance quils ont mise en place, et pour laquelle ils ont été obligés de réévaluer la contribution sur les salaires et les retraites qui la financent en partie.
Une chose est frappante en tout cas : lorsque je compare les standards de qualité, en France, avec ce que je peux voir dans dautres pays, je constate que nous navons pas à rougir.
De fait, nous ne partons pas de rien, à la fois en termes de prise en charge financière et daccueil et daccompagnement des personnes âgées.
Cette année, 25 milliards deuros seront ainsi mobilisés, et notre pays peut senorgueillir dune palette doffres et de structures permettant une prise en charge diversifiée.
Si les pistes évoquées sont et seront multiples, les principes qui doivent guider notre réflexion font lobjet dun large consensus.
Premier principe : le libre choix, pour les familles et pour les personnes en perte dautonomie, entre le maintien à domicile et la prise en charge par des structures adaptées à leurs besoins.
Ce principe entraîne, bien sûr, un certain nombre de questions, qui ne manqueront pas dêtre abordées au cours du débat. Par exemple : comment favoriser le maintien à domicile, que la très grande majorité dentre nous veut privilégier ?
Deuxième principe : la qualité des prises en charge.
La diversité des offres de soins et de structures, la double exigence de proximité des prises en charge, au plus près des besoins, et déquité de traitement sur tout le territoire, sont au cur des réflexions.
Le rôle, précieux, des aidants ressort tout particulièrement de mes différentes consultations.
Alors quavant-hier nous célébrions la journée de la femme, je crois important de rappeler que, sur les 4 millions daidants dans notre pays, la majorité sont des femmes.
Tout en étant particulièrement investies dans leur rôle daidantes, ces femmes souhaitent et cest bien légitime ! avoir du temps pour elles, pour leur travail ou pour leur couple. Elles veulent se sentir, à leur tout, épaulées, soutenues, reconnues.
Leur vie ne doit certainement pas être mise entre parenthèses.
La réforme de la dépendance sera donc aussi pour elles, pour préserver leur santé, leur vie familiale et leur vie professionnelle.
Enfin, dernier principe qui doit guider la réflexion : la responsabilité quant au financement. Le Président de la République a très clairement énoncé quil refusait la voie du déficit et de lendettement.
Il a également écarté une autre voie : celle qui consisterait à taxer davantage le travail.
Pour le reste,le débat est ouvert. Des pistes de financement sont évoquées, dont la prévoyance individuelle.
Le choix de souscrire une assurance a déjà été fait par 5 millions de nos concitoyens. Devons-nous encourager un développement plus important de ce marché ? Dans quel but ? Il sagit là de questions qui devront être tranchées.
De mes différents entretiens, je retiens en tout cas que le recours à des contrats dassurance nest, pour beaucoup de mes interlocuteurs, ni un sujet tabou ni une piste écartée demblée. A condition que les contrats proposés offrent des garanties suffisantes en termes de lisibilité et que ce recours ne corresponde pas à un désengagement des pouvoirs publics, ce qui, bien sûr, nest pas le cas.
Toute la journée, vous allez vous-mêmes échanger, débattre, argumenter.
Cest évidemment primordial, car cest des discussions approfondies comme celle-ci que naîtront des décisions responsables et partagées.
Le futur nest pas un endroit où lon se rend : cest un avenir que lon construit, et que lon doit construire ensemble.
Cest ensemble que nous bâtirons les projets les plus pertinents, les projets qui font sens et apportent des réponses concrètes à nos concitoyens.
Lorsque la solidarité et la dignité humaine sont en jeu, ce devoir est dautant plus impérieux.
Source http://www.solidarite.gouv.fr, le 15 mars 2011