Texte intégral
Il y a 60 ans, presque jour pour jour, un 18 mai 1951, le sculpteur René Iché créait le fameux 1% culturel permettant le financement d'une œuvre monumentale ou de décoration dans le cadre d'un projet de construction d'édifices publics. Cette ambition fut relancée au début des années 60 par André Malraux, avec l'appui du directeur général des Arts et des Lettres Gaëtan Picon - récemment mis à l'honneur dans le superbe travail universitaire d'Agnès Callu et de Bernard Anthonioz, chef du nouveau Service de la création artistique. L'idée n'était pas nouvelle : elle avait germé dès les années 30, dans le milieu des « non-conformistes » engagés sur les questions de réforme et de modernisation de l'Etat, et notamment dans l'esprit d'un Jean Zay, Secrétaire d'Etat en charge de l'éducation au sein du gouvernement de Front Populaire.
A travers la commande publique, le ministère d'André Malraux ne devait pas seulement rechercher le moyen d'aider les artistes mais celui d'enrichir également le patrimoine national en favorisant le contact entre le public et ce que Gaëtan Picon désignait par la jolie formule d'« image inachevée de la culture vivante ». Dans le domaine des arts plastiques, cette volonté se manifesta au même moment par une politique de grandes expositions - Picasso, Léger, Matisse - et par l'acquisition dans les collections publiques d'œuvres d'art qu'on qualifiait alors de « modernes » et pas encore de « contemporaines ».
Si les premières commandes de plafonds peints et de sculptures monumentales ne furent d'abord pas très nombreuses, elles furent en revanche exceptionnelles et de ce fait exemplaires par la qualité de leurs auteurs (Chagall, Calder, Masson, Braque, Vieira da Silva, Villon) mais aussi la charge symbolique et la localisation des édifices choisis, le plus souvent civils mais aussi parfois religieux, dans lesquels elles virent le jour.
Parmi ces lieux, au nombre de ces artistes et de ces œuvres, on compte pour exemple le musée du Louvre, l'Opéra Garnier et le Théâtre de l'Odéon dont les plafonds furent peints par Braque, Chagall et Masson, les cathédrales de Reims et de Metz dont les vitraux furent conçus par Chagall, Vieira da Silva et Villon et les toutes nouvelles Maisons de la culture de Bourges et de Grenoble qui, grâce à la dynamique du 1% décoratif, reçurent un « stabile » du maître de la sculpture monumentale, l'artiste américain vivant en France Alexander Calder.
Dans l'espace urbain et dans les paysages du XXIe siècle, cet héritage reste vivant et plus que jamais actuel. Il participe de l'ambition sans cesse continuée par mes prédécesseurs de rendre visible et accessible l'art vivant, l'art en train de se réaliser. On le retrouve aujourd'hui au Palais Royal avec les Deux Plateaux de Daniel Buren, à Conques avec les vitraux de Pierre Soulages, dans l'Estuaire de la Loire avec L'Observatoire de Tadashi Kawamata, dans la réserve naturelle nationale de Grand-Pierre et Vitain, au nord de Blois avec le parcours à caractère environnemental imaginé par Michel Blazy, pour ne citer que quelques exemples.
Engagé en 1980, l'Axe Majeur de Dani Karavan à Cergy-Pontoise illustre aussi cette ambition en faveur de l'inscription de l'art dans le paysage. Parcours urbain exemplaire à cet égard, point de rencontre entre culture et loisirs, on doit sa mise en chantier à l'engagement conjoint du Ministère et des élus de ce qui était alors la ville nouvelle de Cergy-Pontoise. Longue ligne droite de plus de 3 km tracée dans le paysage, l'Axe majeur se déploie de la Tour Belvédère à la Place des Colonnes ' sur laquelle se dressent 12 colonnes de 12 mètres de hauteur depuis lesquelles on peut contempler l'Ile-de-France. Un faisceau laser parcourt l'Axe Majeur, en direction de l'axe Louvre, Arc de Triomphe, Grande Arche de la Défense, reliant l'oeuvre contemporaine à la grande perspective historique parisienne. Comme le soulignait Pierre Restany, il y a chez Dani Karavan « du mathématicien et du poète, de l'ingénieur et de l'astronome ». Le ministère de la Culture et de la Communication se réjouit d'avoir participé à la naissance de ce projet et soutenu une commande publique exceptionnelle, qui a nécessité 30 ans de travaux, portés par la Communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise. Cet engagement exemplaire est encore visible aujourd'hui, à L'Unesco, à travers ce colloque organisé avec la communauté d'agglomération de Cergy-Pontoise, cher Dominique Lefebvre, forte de sa jeunesse et de son dynamisme, avec laquelle nous entretenons un rapport de dialogue et de confiance. L'ambition du Grand Paris replace les « villes nouvelles » imaginées dans les années 60 comme des acteurs de premier ordre dans la promotion de la qualité de l'offre culturelle et des paysages.
Dans le domaine de l'art public, plusieurs chantiers sont devant nous. Le Grand Paris, j'en parlais à l'instant, sera un enjeu important pour la diffusion de l'art dans la cité. Mais pas seulement. En cette année anniversaire, j'entends rappeler aux ministères concernés et aux collectivités territoriales la nécessité d'appliquer l'obligation de 1% artistique pour la construction de bâtiments publics sur l'ensemble du territoire. A cet égard, le ministère de la Culture et de la Communication se doit d'être exemplaire. Le recensement et l'inventaire historique des réalisations du 1%, conduit par le directeur- adjoint de l'INHA, le Professeur Thierry Dufrêne, complété par une base de données interne et la publication d'un Livre d'art est essentiel.
Sans mémoire et sans histoire, une institution publique est vouée à l'oubli ou au dépérissement. Identifier, connaître, nommer, c'est sans doute là une étape indispensable, comme nous l'a appris, dans le domaine du Patrimoine et des monuments historiques, l'action patiente et méthodique de Prosper Mérimée, sous la monarchie de Juillet.
Je sais que de nombreuses initiatives scientifiques réunissant artistes, architectes, élus mais aussi les professionnels mobilisés par ce dispositif seront organisés, en lien avec les écoles supérieures d'art, d'architecture, le réseau des centres d'art et des Fonds régionaux d'art contemporains (FRAC), dont chacun connaît le rôle dans la médiation et la sensibilisation des publics, notamment scolaires. Ce sera le cas en novembre à l'Université de Rennes 1, avec l'appui du Ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Par ailleurs, l'association nationale des services culturels des universités (A+U+C) organisera, à compter des Journées du patrimoine, deux mois de manifestations, d'actions de sensibilisation, visites, découvertes et mise en valeur de l'art public dans les universités. A Paris, l'Université Pierre et Marie Curie présentera son programme de restauration des très importantes œuvres installées sur le site Jussieu - Vasarely, Calder, Manoli, Jean Arp - entrepris à l'occasion du grand chantier de désamiantage des bâtiments.
J'ai fait de 'l'intelligence du paysage' l'une de mes priorités d'action dans le domaine de l'architecture, de l'urbanisme et du cadre de vie. L'art public en participe pleinement. Au-delà de l'atelier, de la galerie ou du musée, les plus grands artistes doivent prendre part à la construction de l'espace de la cité, celui dans lequel le mot « public » ne renvoie pas seulement à un adjectif mais à un substantif : je veux parler des citoyens acteurs.
L'art public répond pleinement à l'objectif qui est le mien : celui d'une culture artistique mieux diffusée et mieux partagée, d'une démocratisation culturelle réaffirmée. Cultiver l'extraordinaire, la surprise, l'émerveillement au cœur du quotidien, c'est sans doute là un chantier pour l'action publique en matière culturelle aujourd'hui, à l'heure où le public lui-même, confronté aux images de la société des écrans, demande à nouveau une relation charnelle aux œuvres, cette relation qui contribue puissamment à ce qu'Alain Renaut appelle « l'humanisme de la diversité ». Cette diversité culturelle dont je sais combien elle est au cœur de l'action d'une grande institution internationale comme l'Unesco, Madame la directrice générale, cette diversité culturelle qui est l'un des piliers de la politique de mon ministère pour promouvoir les artistes et les créateurs dans un univers globalisé et dans une offre culturelle de plus en plus normée et standardisée. Comme le « coup de dé » du poète Stéphane Mallarmé, si l'art public jamais n'abolira le hasard, il peut en revanche construire un chemin vers l'émotion esthétique, il peut favoriser un parcours d'éducation artistique, il peut être un puissant outil du lien social et d'un urbanisme, si j'ose m'exprimer ainsi, « à visage humain ».
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 23 mai 2011