Conférence de presse de M. laurent Wauquiez, ministre des affaires européennes, sur les accords de Schengen et sur la perspective d'une entrée de la Croatie dans l'Union européenne, à Bruxelles le 23 mai 2011.

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Circonstance : Conseil affaires générales, à Bruxelles (Belgique) le 23 mai 2011

Texte intégral

Au cours du Conseil Affaires générales de cet après-midi, nous avons abordé de façon approfondie les sujets qui seront discutés au Conseil européen du mois de juin. C'est l'occasion pour moi de bien clarifier la position de la France : notre conviction c'est qu'on a besoin d'une relance européenne de Schengen, il faut une tour de contrôle européenne. On est en aucun cas pour un démantèlement de Schengen, on est en aucun cas pour moins d'Europe au niveau de la gestion de notre politique migratoire, on est au contraire pour plus d'Europe et mieux d'Europe. C'est d'ailleurs pour cela que, vous le savez, la France a été parmi les premiers à plaider pour un système européen de gardes frontières, pour le renforcement notamment de maternel commun, pour un système qui soit plus intégré. Pour faire une comparaison, notre approche est assez comparable à celle de ce qui s'est passé sur la crise de l'euro, nous avons besoin de plus de coordination et d'un vrai comité de pilotage politique.
Ensuite, sur la question de la clause de sauvegarde, pour nous, c'est bien un mécanisme de dernier recours et avec un caractère exceptionnel mais là encore le raisonnement est le même : si on veut que l'Europe tourne, il faut qu'on prévoie les cas de défaillances, et de savoir ce que l'on fait en cas de crise. Les mécanismes européens ont sans doute trop souffert par le passé du fait de ne pas avoir incorporé et réfléchi à cette politique de gestion de crise. On l'a vu très clairement avec ce qui s'est passé à Lampedusa, il nous manquait un dispositif opérationnel et simple de gestion de crise.
Troisième remarque : on voit aussi à quel point les fondements qui ont été posés de la politique migratoire européenne pendant la présidence française sont d'actualité et sont les clés de réponse, notamment sur deux sujets très importants à nos yeux. Le premier : il n'y a pas de politique de migration qui marche s'il n'y a pas une politique de voisinage. La leçon de la réussite de l'Espagne avec le Maroc et le Sénégal c'est une vraie politique de voisinage. On plaide pour une vraie politique de voisinage structurée qui incorpore la dimension migratoire. Le deuxième point c'est que, sur la politique d'asile également, l'approche française est résolument européenne. Nous comptons sur le Conseil du mois de juin pour aborder cette question de façon opérationnelle.
J'en viens maintenant au sujet de la Croatie. D'abord, la France est favorable à l'entrée de la Croatie, la Croatie peut être l'histoire à succès de l'élargissement, c'est un pays qui a des liens forts avec la France, c'est un pays qui a fait un énorme effort en matière de réformes et d'ajustement, c'est un pays qui a de très gros atouts sur cette partie du sud de l'Europe et ce sera le 28ème Etat membre. Et la France est même favorable, pour le dire très clairement, à ce que cette adhésion se fasse vite et on est en aucun cas dans une position qui consisterait à jouer la montre ou à repousser, ce qui n'aurait pas de sens. Par contre, notre préoccupation c'est que cet élargissement se fasse sur la base d'un processus sérieux et solide, le but de ce point de vue est de tirer les leçons du passé, on ne fait pas un élargissement pour faire plaisir, on fait un élargissement sur des bases solides, sur des fondations saines qui sont la garantie d'un travail européen efficace. De ce point de vue, il ne s'agit pas que de la Croatie en fait, il s'agit d'une réflexion que le ministère des Affaires européennes a mené depuis maintenant un certain nombre de mois qui consiste précisément à regarder et à tirer les leçons du passé.
Quelles sont nos deux faiblesses ? D'abord, quand vous finissez les négociations, il y a un ralentissement du rythme, tout le monde a l'impression d'avoir franchi la ligne d'arrivée et l'effort d'adaptation, l'effort de réforme pour que le pays qui souhaite adhérer reste dans le train communautaire se relâche. Deuxième lacune : si une fois que vous avez forgé vos outils, une fois que vous avez le cadre qui permet l'adhésion, il reste à les utiliser ces outils, le travail n'est pas fini et il faut savoir comment les contrôles peuvent être mis en place avec le pays concerné pour s'assurer que les outils que vous avez forgés vont être utilisés.
Je vais prendre un exemple très précis, la question judiciaire. Vous mettez en place des écoles et des programmes de formation pour s'assurer d'avoir des juges indépendants, mais la question de la formation des juges demeure. Il faut s'assurer que les cohortes de juges qui doivent être formées sont bien mises en place chaque année et de façon positive dans l'intervalle de temps qui va séparer la clôture des négociations et le processus d'adhésion. Le programme de suivi que propose la France, c'est de mettre à profit la période entre la clôture des négociations et l'adhésion effective pour s'assurer qu'on reste sur la cadence et s'assurer que les outils sont bien utilisés et fonctionnent.
Dans ce cadre-là, il s'agit d'éviter deux écueils, nous ne voulons ni d'un écueil dans lequel on dit à un pays d'entrer alors qu'il n'est pas prêt, ce qui nous a pu déjà arriver par le passé, et ni d'un écueil dans lequel on fait une espèce de mécanisme de suivi dans la durée sans véritable efficacité, comme le mécanisme MCV. Donc c'est bien quelque chose d'innovant qu'on propose qui n'est pas du tout sur une tonalité juste propre à la Croatie, il y a une réflexion de fond faite par la diplomatie française et le ministère des Affaires européennes pour valoriser au maximum cette période de flottement entre la clôture des négociations et l'adhésion.
Donc, pour être bien clair, c'est pour nous un cadre profondément européen, le but c'est de faire en sorte que les élargissements soient faits sur des bases crédibles et fiables et d'éviter le mécanisme de fuite en avant. Notre approche est fondamentalement positive, on pense que les Croates vont être prêts, qu'on a un cadre qui nous permet de dérouler sereinement la fin des négociations, on attend le rapport de la Commission donc ne me demandez pas de date, nous sommes confiants et le but c'est que la Croatie soit l'histoire à succès de l'élargissement.
Q - En pratique, comment fonctionne ce programme de suivi ? Comment cela fonctionnerait ?
R - On est encore dans une phase de négociation, avec des textes, donc je ne vais pas rentrer dans le détail de ce qu'on a mis sur la table, mais l'objectif est d'identifier dans les différents domaines qui définissent le champ de l'adhésion, les points qui nécessitent un suivi alors même que les outils ont été mis en place. Je vous ai donné un exemple c'est la formation des juges, il y a d'autres exemples sur lesquels on peut réfléchir par exemple, l'application concrète du droit de la concurrence sur ce type de dossier donc on est sur un champ qui est large et qui d'ailleurs, n'est pas forcément restreint uniquement au chapitre 23 même si le chapitre 23 en constitue incontestablement le cœur comme Alain Juppé l'a rappelé.
Q - Quelles sont les sanctions possibles si la Croatie ne respecte pas ses engagements ?
R - Ce n'est pas une logique de sanction, c'est une logique d'accompagnement de l'élargissement.
Q - On entend parler de deux choses en fait, un élément effectivement de suivi, de contrôle, de monitorage avant l'adhésion et une espèce de clause de sauvegarde après.
R - Le monitoring proposé par la France se place avant l'adhésion. Après dans le cadre de Schengen comme vous le savez, nous menons un travail de réflexion sur la refonte de Schengen, qui est lié aussi à essayer d'améliorer notre dispositif par rapport à la situation avec la Bulgarie et la Roumanie et cela c'est un autre cadre de réflexion.
Q - Un mandat sur la table ?
R - Il y aura forcément un lien, soyons lucides, on est en train de repenser Schengen, et vu l'intervalle de temps, si la Croatie est amenée à rentrer dans Schengen ce sera dans le cadre renouvelé donc il est logique qu'on fasse tout de suite le lien avec le fait que l'entrée dans Schengen n'est pas juste une succession de critères techniques, c'est une obligation de résultat. Mais la logique du monitoring est bien une logique de monitoring avant adhésion, sur la période qui sépare la clôture des négociations et l'entrée, l'adhésion définitive, soit deux ans.
Q - Et cela pourrait retarder l'adhésion effective ou pas ?
R - Nous, ce que l'on suggère c'est que ce monitoring nous assure un maximum d'efficacité, mais la logique est vraiment plutôt un effort d'accompagnement. Nous ne voulons pas que les efforts engagés retombent comme un soufflé après la clôture des négociations. Nous voulons une trajectoire linéaire, qui permette d'assurer un cadre le plus stable et le plus sain possible à l'adhésion.
Q - Un traité d'adhésion, ce sera irréversible une fois qu'on a signé ?
R - Pas du tout, d'ailleurs prenons un cas très simple, un pays peut refuser et repousser sa signature donc il n'y a pas de cadre irréversible. Pour la gestion du monitoring, il est assez vraisemblable qu'il faut l'incorporer dans un cadre géré par la Commission mais avec une interface faite avec les experts nationaux.
Q - Je crois qu'il faut une date butoir pour l'adhésion…
R - … On a toujours dit qu'on ne voulait pas de date butoir, vous le savez. Cela veut dire aussi que si dès le mois de juin, les clôtures de négociations peuvent être faites, qu'on arrive à avoir un accord, dès lors qu'on a ce système de pilotage, alors cela nous convient. Nous n'avons pas de calendrier préétabli en tête.
Q - Mais le temps que ce soit formalisé ca ne peut pas être prêt en juin ?
R - Pourquoi ? Bien sûr que si, on a des papiers sur la table, on est en train de négocier, on discute avec nos différents partenaires, on va voir comment cela tourne.
Q - Quelle est la réaction des partenaires justement ?
R - Surtout, ce que la France cherche à faire c'est trouver le point d'équilibre, la ligne de crête entre les pays qui veulent une adhésion tout de suite, à tout prix, et les pays qui considèrent que le compte n'y est pas encore.
Q - C'est-à-dire que si vous n'avez pas ce système de pilotage, vous ne voulez pas une clôture des négociations ?
R - On n'est pas dans cette logique de chantage, nous avons chois de tirer les leçons du passé avec les précédents élargissements qui n'avaient pas suffisamment été faits sur des bases solides.
Q - Quels sont les dangers propres à l'élargissement à la Croatie ?
R - Je suis profondément convaincu que la Croatie peut être l'histoire à succès de l'élargissement, je vous l'ai dit. Il ne s'agit pas de dangers, il s'agit de se tourner vers le passé et de comprendre les erreurs que nous avons pu faire. Or, l'erreur c'est qu'un processus de négociation et d'adhésion se fait en deux temps, d'abord sont forgés les structures, les outils de formation, les écoles de juges, les différents leviers d'indépendance administrative. Ensuite, il faut mettre en place un «track record», un suivi ensuite de l'utilisation de ces outils. C'est pour cela que notre réflexion laisse place à une amélioration du dispositif du suivi de l'élargissement dans son ensemble.
Q - Est ce qu'une durée de 18 mois ou deux années c'est suffisant ou faut il plus ?
R - Non je pense que précisément deux ans cela nous donne le bon recul, on clôture les négociations parce qu'on sait qu'on est prêt, toutes les structures sont en place, ensuite on a deux ans pour voir fonctionner les structures, c'est pour moi, le bon intervalle de temps.
Q - Mais où est le bâton dans ce que vous proposez ?
R - Ce qu'on propose, c'est évidemment que si à la fin on n'est pas prêt, l'adhésion peut être repoussée.
Q - Quelles seraient les conséquences financières pour la Croatie ?
R - Il y a des conséquences financières qui existent déjà dans le mécanisme IPA, ce sont des mécanismes qui permettent de repousser les aides financières si l'effort n'est pas maintenu. Il n'y a rien de neuf là-dessus, on ne met pas de choses nouvelles sur la table.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 mai 2011