Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, à RTL le 10 juillet 2001, sur ses propositions pour une réforme de l'usage des fonds secrets.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Fonds secrets : une aberration démocratique !
Ruth Elkrief : Merci d'être avec nous. On a vu Lionel Jospin hier soir à la télévision, vous l'avez trouvé comment ? Sur la forme d'abord.
Alain Madelin : Je l'ai trouvé embarrassé dans cette affaire très grave des fonds secrets. Je dis que c'est une affaire très grave parce qu'elle nuit considérablement à l'image de la France à l'étranger, et pour ceux qui rencontrent des étrangers, qui feuillettent la presse internationale, c'est une aberration française de plus...
RE : ... que vous découvrez aujourd'hui ?
AM : Non, non non je ne la découvre pas aujourd'hui, souvenez-vous d'ailleurs il y a quelque temps j'ai posé moi-même la question de ces fonds secrets. Sans provoquer aucune émotion journalistique semble-t-il, jusqu'au jour où l'affaire des billets d'avion de Jacques Chirac est venue relancer. Peu importe, en tout état de cause aujourd'hui, c'est un sujet qui est sur la place nationale, je m'en réjouis parce que c'est une aberration démocratique. Et encore une fois, je souhaite que l'on trouve le plus rapidement possible, non pas le moyen de faire supprimer ces fonds secrets, ils existent dans beaucoup de pays, mais partout ils existent sous des formes différentes, il s'agit de les moraliser, il s'agit de les limiter, il s'agit de les contrôler et il s'agit de supprimer la part, j'allais dire discrétionnaire, politique, dont peuvent disposer le président de la République et "le président de la République"... et le Premier ministre, pardon
RE : ... on aura apprécié le lapsus... surtout le Premier ministre...
AM : ... notamment à la veille d'une élection présidentielle.
RE : mais Alain Madelin, il y a cet aspect dont s'étonnait le premier ministre hier : un certain nombre des leaders de l'opposition découvrent cette affaire des fonds secrets aujourd'hui parce qu'il y a cette affaire des billets d'avion. Mais ce que j'entends lorsque vous parlez, c'est que vous n'êtes pas d'accord avec les trois présidents de groupes parlementaires, qui demandent le gel immédiat, la suppression des mesures drastiques. Là-dessus, Lionel Jospin trouve qu'elles seraient irresponsables. Vous êtes d'accord avec lui alors ?
AM : Il faut s'expliquer. Dans les fonds secrets, vous avez une part qui va vers les services secrets, bien. Il faut la contrôler, mais bien. Vous avez une part qui va vers le fonctionnement des cabinets ministériels, on paie en liquide les collaborateurs des ministres...
RE : C'est ce que vous avez fait lorsque vous étiez ministre vous-même.
AM : ... les ministres eux-mêmes, je trouve ça scandaleux, et c'est immoral. Je réponds à votre question : c'est ce que j'ai fait. Quand j'ai eu la fonction de "ministre des Finances"...
RE : Et avant vous étiez ministre de l'industrie.
AM : Quand j'ai eu la fonction de ministre des Finances avec une responsabilité un peu plus active, la première lettre que j'ai faite au président de la République et au premier ministre, alors que le cabinet ministériel n'était pas constitué, c'était une lettre pour demander de supprimer ces rémunérations occultes, en liquide, sur fonds secrets, parce que je les trouvais scandaleuses. Et je suis sûr que du scandale d'aujourd'hui va naître...
RE : Vous n'avez pas été écouté à l'époque.
AM : Je n'ai hélas, pas été écouté... va naître la disparition de cette pratique. Et puis vous avez une dernière partie, partagée je ne sais pas trop comment, entre le président de la République et le premier ministre, selon une clé de répartition secrète, sur laquelle Monsieur Jospin serait bien avisé de s'exprimer, qui permet de constituer, semble-t-il, des cagnottes accumulées de fonds secrets, afin de financer directement, ou indirectement l'action politique, en fraude de la loi. Eh bien là, le Premier ministre doit davantage s'expliquer, et ces sommes-là doivent être gelées dans la préparation de l'élection présidentielle. Je ne souhaite pas que nous ayons une élection présidentielle bananière.
RE : Alain Madelin, le Premier ministre a dit hier qu'il n'avait pas utilisé jusqu'à présent ces fonds secrets pour une campagne politique, et il a annoncé - et c'est peut-être une première, vous êtes bien placé pour le savoir - qu'il allait rendre les surplus des fonds secrets au budget, et ne pas, d'une certaine façon, on a compris tous qu'il n'allait pas les emporter avec lui lorsqu'il quitterait Matignon.
AM : Ruth Elkrief, "surplus" par rapport à quoi ?
RE : Je vous le demande.
AM : Et moi aussi, je le demande. Monsieur Michel Rocard a expliqué il y a quelque temps, qu'à une certaine époque, il y avait une habitude de la part de Matignon d'utiliser ces fonds secrets...
RE : ... vous, qu'est-ce que vous en savez Alain Madelin ?
AM : Rien. Sauf la part...
RE : ... comment rien ?
AM : ... sauf la part qui était donnée aux cabinets ministériels, et dont j'ai proposé la suppression.
RE : Sur Matignon vous ne savez rien... vous ne savez pas si les premiers ministres précédents emportaient avec eux les surplus, comme vous le disiez, des cagnottes, qui sont stockées...
AM : ... j'ai lu dans la presse qu'il était de tradition de les emporter.
RE : C'est tout, dans la presse...
AM : Oui. C'est une mauvaise tradition... Je n'ai jamais exercé cette fonction comme vous le savez.
RE : Oui mais enfin on peut savoir, dans les milieux, on peut s'en parler...
AM : ... non non, vous savez ce sont les petits mystères de la République, et semble-t-il, bien peu de personnes...
RE :... vous n'avez pas cherché à les percer ?
AM : ... bien peu de personnes sont au courant. Donc, je dis simplement, Monsieur Michel Rocard a expliqué il y a quelques jours, qu'il était de tradition de donner de l'argent aux politiques, des fonds secrets, aux partis politiques de la majorité. Bien. Monsieur Jospin dit : moi jamais ! j'ai rompu avec cette pratique. Bien. Mais alors les fonds secrets n'ont pas diminué ! il y a un surplus ! il y a une cagnotte ! qu'est-ce que va devenir cet argent ?... Et si Monsieur Jospin est sincère, et après tout je n'ai aucune raison de ne pas lui faire le crédit de la sincérité, eh bien il faut accepter un minimum de contrôles. On a tous à y gagner. Et le premier ministre lui-même, va voir par exemple le président de la Cour des comptes, avec un certain nombre...
RE : ... il n'est pas contre, il demande des propositions en tout cas là-dessus.
AM : ... non non non, pour les propositions il a raison.
RE : Je vous trouve beaucoup plus d'accord avec lui que certains de vos collègues hein...
AM : Non, écoutez parce que bien évidemment le président de la Cour des Comptes va rendre un rapport accablant sur ces fonds secrets... et quand ce rapport sera rendu public, eh bien il faudra bien supprimer cette pratique bananière, je trouve que c'est une bonne chose. Mais il s'agit, aussi, j'y reviens, parce que je pense à la prochaine élection présidentielle, vous savez...
RE :... oui parce que vous êtes candidat, et vous vous inquiétez de voir des rivaux qui pourraient utiliser des fonds secrets, c'est ça ?
AM : ... oui oui oui... oui, parfaitement, l'utilisation occulte, indirecte, pas directe bien évidemment, parce qu'il y a une loi qui contrôle les dépenses directes des partis politiques ou des candidats, mais une utilisation indirecte de ces fonds...
RE : ... par exemple, sous quelle forme ?
AM : Oh, on peut acheter des consciences...
RE : Achetez des consciences ?!
AM : Ou des associations, ceci peut arriver. Donc, je dis, je vais jusqu'au bout de mon propos juste d'un mot, pour dire que je pense qu'une commission de contrôle, présidée par le président de la Cour des comptes, avec peut-être quelques parlementaires assermentés, pourraient contrôler les fonds à la disposition de Matignon et accessoirement de l'Elysée, et veiller à ce que cet argent soit gelé, pas les fonds secrets, mais cette surcagnotte soit gelée pour les élections présidentielles.
RE : Sur le plan purement judiciaire, puisqu'évidemment c'était aussi un des aspects, il y a une certaine cacophonie entre le procureur de Paris et le procureur général Nadal. Est-ce que cela clôt le chapitre du statut pénal du président pour le moment ? il est protégé, il restera protégé ?
AM : Alain Duhamel il y a quelques instants sur cette antenne a donné aux hommes politiques cet excellent conseil : laissez les magistrats faire la justice. Je me rallierai donc à ce conseil, simplement nous savons que nous avons une aberration française, une autre...
RE : ... vous la changeriez si vous étiez élu ? dans votre campagne, vous le direz ?
AM : Bien sûr. Bien sûr, je l'ai déjà dit, nous avons besoin d'une façon générale de moraliser la République, de repenser la fonction présidentielle, d'instituer de nouvelles pratiques politiques, plus éthiques, et bien évidemment si le président de la République n'est pas un justiciable tout à fait comme les autres, il doit être mis à l'abri de poursuites un peu abusives, spectaculaires qui pourraient être diligentées contre lui, il n'est pas pour autant au-dessus de lois, surtout pour des actes détachables de sa fonction.
RE : Vous êtes comme une majorité de Français, vous aimeriez bien qu'il parle et qu'il s'explique ? C'est un sondage BVA qui l'indique.
AM : Ecoutez, à l'évidence, à défaut de répondre devant des juges, Monsieur Chirac devra répondre devant les journalistes qui ne manqueront pas de l'interroger le 14 juillet. Donc je suis sûr que ceci sera fait. Mais je reviens sur ce statut, encore peut-être n'est-il pas besoin d'empoisonner la prochaine campagne présidentielle. Moi j'ai fait une proposition, j'attendrai de voir ce que le président de la République répond.
RE : ... une commission des sages...
AM : ... voilà, d'une commission des sages qui permettrait d'agir vite, et de faire une proposition avant l'élection présidentielle. Voilà qui nous permettrait de tourner la page de ces mauvaises affaires et de passer au vrai débat !

(source http://www.demlib.com, le 12 juillet 2001)