Interview de M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, à Europe 1 le 8 juin 2011, sur les interventions de la police en banlieue, notamment dans la cité des Tarterêts de Corbeil-Essonnes.

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Circonstance : Fillette de neuf ans atteinte d'un projectile en marge d'affrontements entre jeunes de la cité des Tarterêts et policiers, à Corbeil-Essonnes le 8 juin 2011

Média : Europe 1

Texte intégral

JEAN-PIERRE ELKABBACH Bienvenue Claude GUEANT.
 
CLAUDE GUEANT Merci Jean-Pierre ELKABBACH.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Merci d’être là. Bonjour. Les policiers ont, paraît-il, lancé hier soir une opération, une opération de plus, dans la cité des Tarterêts à Corbeil- Essonnes, apparemment sans grand résultat. Est-ce que c’est autre chose que de la gesticulation ?
 
CLAUDE GUEANT Les policiers, comme chaque soir, étaient présents dans la cité des Tarterêts à Corbeil, parce que c’est une cité qui connaît actuellement des pulsions délinquantes qui sont fortes, et cela montre d’ailleurs qu’il n’y a aucun quartier qui bénéficie d’une impunité. Les résultats nous les avons eus ce matin. Ce matin, à 6H00, une opération de police judiciaire a eu lieu, qui a donné lieu, après enquête, à l’interpellation de deux personnes qui sont fortement soupçonnées d’avoir agressé deux fonctionnaires, des CRS, le 25 mai dernier.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Et les enquêtes continuent, est-ce que vous ferez d’autres interventions pour ce qui s’est passé ?
 
CLAUDE GUEANT Et les enquêtes continuent. J’ai, hier après-midi, fait avec tous les services compétents, et le préfet du département, une réunion opérationnelle pour définir les axes de notre intervention, eh bien tous ceux qui se livrent à des actes criminels ou délictuels sur cette cité, comme ailleurs, seront recherchés, poursuivis, traduits devant la justice.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Et comment vous êtes aidés ? Vous n’avez plus de Renseignements Généraux, il n’y a plus de RG. Comment vous êtes informés sur ce qui se passe dans ces milieux ?
 
CLAUDE GUEANT Les enquêtes se poursuivent, évidemment, comme à l’habitude. Les services de police judiciaire ça existe, il y a même, d’ailleurs, à l’intérieur de la Sécurité Publique, des services spécialisés dans le renseignement de sécurité publique, et par conséquent notre capacité opérationnelle n’est en rien diminuée.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Et vous avez peut-être aussi l’ADN, c’est autre chose, qui peut vous aider.
 
CLAUDE GUEANT Oui, c’est vrai que les preuves de police scientifique et technique sont extrêmement efficaces. Nous avons beaucoup développé ce volet de notre capacité opérationnelle et ça donne des résultats. Si le taux d’élucidations a grimpé en France en quelques années de 26% à 37%, eh bien c’est aussi grâce à la police scientifique.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH La fillette de 9 ans qui a été blessée dans la cité des Tarterêts à Corbeil-Essonnes, elle va un peu mieux, paraît-il, ce matin. La famille et l’avocat mettent en cause la police. Qu’est-ce qui fait dire le contraire à la police ?
 
CLAUDE GUEANT D’abord je voudrais avoir une pensée pour cette petite fille et sa famille, et une bonne nouvelle nous parvient, c’est que ses jours ne sont plus considérés comme étant en danger. C’est quelque chose qui, évidemment, satisfera tous les Français. L’avocat met en cause la police, la police n’a qu’une position, c’est que des enquêtes sont en cours et les enquêtes seront faites en toute transparence, la vérité sera connue, mais à ce stade rien ne permet de dire quel est le projectile qui a touché la petite fille. Ce que je voudrais dire en revanche, c’est que nous ne sommes pas dans un pays où la police tire sur des enfants, il faut savoir la genèse de cette affaire-là. La genèse c’est qu’un guet-apens a été monté, par une bande, contre les sapeurs-pompiers et les policiers, et que les policiers se sont trouvés en situation de se défendre, ni plus, ni moins.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Oui, mais ça veut dire que, dans certains cas, les policiers, pris dans ce que vous appelez des guets-apens - et c’est en même temps incroyable que des bandes mettent des guet-apens contre la police. Si les policiers sont inquiets, nerveux, s’ils vivent sur les nerfs, peut-être qu’ils ne sont pas assez nombreux, peut-être qu’ils ne sont pas assez équipés, ou adaptés à cette guérilla.
 
CLAUDE GUEANT Les policiers sont équipés, ils ont les effectifs nécessaires, ceci dit, alors même que la délinquance recule de façon considérable dans notre pays, alors qu’elle recule même à Corbeil, où se trouve la cité des Tarterêts – il faut savoir que depuis, sur les deux années qui viennent de s’écouler, nous sommes à un recul de plus de 15% de la délinquance, c'est-à-dire, c'est-à-dire – parce que des pourcentages ça ne veut pas dire grand-chose…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Ça veut dire moins de victimes.
 
CLAUDE GUEANT 700 victimes de moins, sur une seule ville. C’est important. Mais malgré ça…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Oui, vous avez dit hier à l’Assemblée nationale, la délinquance a baissé de 2%, mais ça ne se voit pas. Est-ce que…
 
CLAUDE GUEANT Non, non, 2% c’était en Seine-Saint-Denis. Mais 2%, Jean-Pierre ELKABBACH, ça fait 3000 victimes de moins, ce n’est quand même pas tout à fait anodin. Alors ceci dit…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais ce qui est en train de se passer à Sevran, Corbeil…
 
CLAUDE GUEANT Ceci dit, c’est vrai qu’il y a des quartiers où c’est difficile, mais il n’y a aucune zone de non droit, la police est présente partout, la police enquête partout, et les comportements inacceptables que nous avons noté à Sevran, comme aux Tarterêts, seront sanctionnés. Il faut un peu de temps. Pourquoi ? Parce qu’il ne s’agit pas d’une bataille entre la police et puis des délinquants. Nous sommes dans un pays de droits, et c’est de façon judiciaire que les comportements inacceptables doivent être sanctionnés. Il faut donc des preuves, il faut des interpellations, et il faut des déférés à la justice.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais des preuves, vous les avez. Vous dénoncez vous-même les bandes qui s’entretuent pour maîtriser le commerce de la drogue.
 
CLAUDE GUEANT Les preuves, au sens judiciaire du terme, Jean-Pierre ELKABBACH, il faut les rassembler. Les soupçons ne suffisent pas, et je crois que nous pouvons nous féliciter d’avoir un pays qui respecte la preuve judiciaire.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Claude GUEANT, depuis longtemps Nicolas SARKOZY, Julien DRAY et d’autres, ont alerté sur ces bandes qui sont dotées d’armes lourdes et qui règnent dans certains territoires. A Sevran vous avez promis le combat contre les voyous…
 
CLAUDE GUEANT Oui.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Et vous avez dit « il sera impitoyable. »
 
CLAUDE GUEANT Oui.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH C'est-à-dire.
 
CLAUDE GUEANT C'est-à-dire que les voyous seront arrêtés. Deux jours après les tirs qui ont eu lieu, c’était mercredi dernier, il y a une semaine exactement, il y a eu une saisie de drogue, il y a eu une saisie d’argent, il y a eu une saisie de deux armes, dont un pistolet-mitrailleur, et le rouleau compresseur policier continue. Il faut parfois un peu de temps parce que, encore une fois, il faut trouver la preuve judiciaire, le soupçon ne suffit pas.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Claude GUEANT, depuis tout à l’heure vous parlez beaucoup de la drogue. Pour le maire de Sevran, Stéphane GATIGNON, pour Eva JOLY, pour Jean-Christophe LAGARDE, qui était avec Guillaume CAHOUR tout à l’heure et que vous avez entendu, le meilleur moyen d’assécher la mafia et son trafic serait de dépénaliser le cannabis. Est-ce que vous y êtes favorable ?
 
CLAUDE GUEANT J’y suis absolument opposé. La drogue c’est quelque chose qui est dangereux, sur le plan de la santé, je note d’ailleurs, puisqu’on parle beaucoup de sécurité routière en ce moment, que c’est un élément important dans l’insécurité routière et dans la hausse de la mortalité sur nos routes, bien que nous ayons un peu de difficultés à le quantifier. Et, par ailleurs, ce qui est tout à fait clair, c’est que si on dépénalise, on rend l’accès plus facile, si on rend l’accès plus facile, on augmente le péril sanitaire. J’ajoute que par rapport à la délinquance et aux phénomènes de bandes, il a été observé, partout où le cannabis a été dépénalisé, que les bandes s’emparaient du trafic d’autres substances, drogue…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Si on dit oui au cannabis, peu à peu on dira oui à la cocaïne…
 
CLAUDE GUEANT On ouvre la porte à l’héroïne, à l’ecstasy, aux comprimés chimiques, à la cocaïne etc, et j’ajoute par ailleurs que dans ces pays-là le trafic de cannabis, aux mains des bandes, a continué malgré la légalisation. Donc en réalité…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Exemple. Où ?
 
CLAUDE GUEANT Par exemple en Espagne. Et je peux vous dire, ce n’est pas un secret, mes collègues espagnols ne cessent de me dire combien ils regrettent la dépénalisation du cannabis.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Mais quand vous dit, Claude GUEANT, que le cannabis vendu et consommé librement serait la fin, en tout cas l’affaiblissement des dealers.
 
CLAUDE GUEANT Non, pas du tout. Il y a peut-être une modification du paysage du commerce de la drogue qui se ferait, mais les mafias demeureraient et surtout le péril sanitaire s’en trouverait augmenté. Moi je ne veux pas que les Français soient les victimes d’un péril sanitaire aussi grave.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Donc, cannabis, non c’est non ?
 
CLAUDE GUEANT Non.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Le maire de Sevran a suggéré aussi que l’Armée s’interpose entre les bandes, qu’elle ne les combatte pas, mais qu’elle s’interpose.
 
CLAUDE GUEANT Ecoutez, dans un pays démocratique c’est à la police de ramener la sécurité là où elle doit être ramenée, c’est à la police de faire son travail, qui est de confondre les délinquants et de les livrer à la justice.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Hier, à Bobigny, c’est la mairie qui a été visée par des tirs en plein jour. Il y a Sevran qui vit dans l’angoisse. Si ça continue, est-ce que vous êtes favorable à un couvre-feu temporaire, par exemple pour les mineurs ?
 
CLAUDE GUEANT Ce couvre-feu a été prévu par la loi de sécurité intérieure qui a été mise en vigueur voici quelques semaines, et dans certaines villes de la région parisienne, je pense à Gennevilliers et à Asnières, où il y a eu des incidents graves, qui se sont apaisés depuis, voici quelques mois, le couvre-feu, en accord avec l’Etat, a été mis en place, il a donné de très bons résultats.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Est-ce que le problème de l’insécurité va dominer encore la campagne de 2012, monsieur GUEANT ?
 
CLAUDE GUEANT Ma préoccupation n’est pas, pour l’instant, la campagne de 2012, c’est un élément important dans notre vie politique, et j’y apporterai toute ma contribution, mais pour l’instant, le problème du Gouvernement, c’est de faire que les Français soient mieux en sécurité, qu’ils se sentent davantage en sécurité, c’est ce à quoi je m’emploie. C’est pour ça, d’ailleurs, que, avec François FILLON nous avons décidé de déployer, sur le deuxième semestre de cette année, l’équivalent de 4000 policiers et gendarmes supplémentaires, c’est pour cela…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH On en verra les effets. Vous parlez de François FILLON, vous le voyez candidat à la mairie, d’abord au 12ème arrondissement pour 2012, et puis la mairie 2014 etc ? Rachida DATI s’y oppose. A qui appartient Paris ? A Rachida DATI ? A François FILLON ? A Bertrand DELANOË ?
 
CLAUDE GUEANT Par définition Paris appartient à ses citoyens, c'est-à-dire à ceux qui feront le choix. Ce que j’ai noté c’est que François FILLON n’a pas annoncé de candidature pour l’instant, donc laissons les choses se faire. François FILLON, comme moi à mon niveau, a un souci, c’est de faire le travail d’un gouvernement, c'est-à-dire de faire le maximum de services pour les Français.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Je vous pose une dernière question. Le 14 mai à New York, la direction locale du SOFITEL a attendu 1 heure pour alerter la police après l’incident, le drame avec Dominique STRAUSS-KAHN et madame DIALLO. Est-ce qu’il est vrai que dans cette nuit dramatique Paris a été consulté et interrogé, c'est-à-dire l’Elysée, Matignon ou vous-même ?
 
CLAUDE GUEANT Moi ça me semble absolument impossible, je vous le dis tout de suite. Enfin, mettez-vous dans le climat américain, est-ce que vous imaginez qu’un hôtel, installé aux Etats-Unis, va demander…
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Non, l’hôtel appel ACCOR, qui appelle l’Elysée ou qu’il appelle Claude GUEANT.
 
CLAUDE GUEANT Enfin, pour ma part, je n’ai jamais été consulté, et je suis absolument sûr que personne n’a été consulté.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Donc vous n’avez rien eu d’autre à faire que de donner le feu vert pour que la police américaine fasse son travail ?
 
CLAUDE GUEANT On n’a même pas à donner de feu vert pour que la police américaine fasse son travail, on est aux Etats-Unis, et puis de toute façon, la police, même en France, fait toujours son travail. Elle n’attend pas, s’il y a un crime ou un délit, s’il y a une plainte, elle n’attend pas un feu vert de l’Exécutif. Soyons clairs.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Pas d’ingérence chez les autres.
 
CLAUDE GUEANT Ni chez les autres, ni sur les affaires judiciaires. Les pouvoirs des citoyens sont intacts.
 
JEAN-PIERRE ELKABBACH Merci d’être venu Claude GUEANT.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 10 juin 2011