Déclaration de Mme Jeannette Bougrab, secrétaire d'Etat à la jeunesse et à la vie associative, sur les jeunes et l'engagement via internet et les réseaux sociaux, Paris le 31 mai 2011.

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Circonstance : Colloque sur "l'engagement 2.0" à Paris le 31 mai 2011

Texte intégral


Je voulais vous remercier d’être présents ici, ce matin, dans un lieu symboliquement fort : la Sorbonne, à l’occasion de la Fête de la Jeunesse.
Instituée par la loi du 3 brumaire de l’an IV cette fête était destinée à être célébrée le 10 germinal de chaque année. Mais vous connaissez la suite : 4 ans plus tard, Napoléon Bonaparte, devenu consul, supprima toutes les fêtes républicaines, à l’exception de la fête de la concorde, le 14 juillet.
La réhabilitation de cette fête est un projet que je porte avec passion et détermination. Il faut dire que dans mon bureau de la rue de Grenelle, je peux voir chaque jour un arrêté de la Première République, expliquant l’objet de cette fête, et rappelant que c’était bien pour la Jeunesse, que les orages d’une révolution terrible avaient été traversés.
L’objet de ce séminaire est de déconstruire les idées reçues sur la jeunesse. Selon une étude réalisée par l’AFEV en 2009 2010, 51 % des sondés avaient une mauvaise image des Jeunes.
Je crois au contraire que nous devons être fiers d’eux, qui vivent dans un présent parfois compliqué mais qui, épris des principes de liberté et d’égalité, bâtissent leur avenir avec responsabilité et créativité.
La jeunesse a marqué toutes les époques de cette force d’opposition au conservatisme qui fait naître des ruptures, émerger de nouvelles idées et de nouveaux modes d’être et de penser.
Saint-Just, une des figures les plus controversées de la Révolution française, qui a joué un rôle fondamental au sein de la Première République, considérée comme la plus démocratique de toutes, s’imposa comme l’un des orateurs principaux de la Montagne au cours du procès de Louis XVI. Il y prononça cette célèbre phrase : « On ne peut point régner innocemment. Tout roi est un rebelle et un usurpateur. » Il était alors âgé de 24 ans.
Einstein n’avait pas 25 ans lorsqu’il a posé les bases de la relativité et de la mécanique quantique.
Quel âge avaient ces premiers résistants lycéens et étudiants qui, sentant, profondément l’urgence et la nécessité de l’insoumission, sont allés manifester sur la Place de l’Etoile le 11 novembre 1940 ? La répression a été terrible, la manifestation a été dispersée par des tirs de balles. De nombreux manifestants furent blessés et d’autres arrêtés. Claude Lalet, étudiant, sera fusillé le 22 octobre 1941 à Chateaubriant aux côtés de Guy Moquet. Il a alors 21 ans.
C’est à 19 ans qu’Hélie de Saint Marc, officier parachutiste de la Légion étrangère, l’un des principaux acteurs du putsch des Généraux de 1961, entra dans la Résistance, après avoir assisté à Bordeaux à l'arrivée de l'armée et des autorités françaises d'un pays alors en pleine débâcle.
Si j’ai voulu faire de l’engagement le thème de ce colloque c’est parce que je crois que cette notion d’engagement est substantiellement liée à celle de la Jeunesse, période à laquelle tout est encore possible, période à laquelle il convient de faire des choix.
La démocratisation de l’accès aux nouvelles technologies et à l’Internet, l’apparition et le développement des forums et des réseaux sociaux, basés sur une forme participative des citoyens, a bouleversé notre rapport au monde et notre façon d’y exister, de s’y mêler, de s’y engager.
La Révolution numérique permet désormais à des communautés éclatées sur le plan physique, de se retrouver.
Le web 2.0 est le symbole d’un nouveau type de convivialité et de vivre-ensemble. Il est un lieu d’échange, de partage et de mobilisation.
J’aimerais vous faire part, à ce propos, d’une expérience insolite, un concours conduit par le département de la défense des Etats-Unis, chargée de la recherche et du développement des nouvelles technologies (DARPA) Avez-vous entendu parler du « Red Balloon Challenge » ? Les dix ballons rouges
Des étudiants et universitaires du Massachussets Institute of Technology (MIT) participant à l’expérience ont été capables de localiser dix ballons rouges disséminés sur toute la superficie du Mainland des Etats-Unis (7 885 227 km2 – soit plus de 10 fois la superficie de la France, territoires ultra-marins compris) en moins de 9 heures.
Leur stratégie ? Se déployer sur l’ensemble de ce territoire via des réseaux sociaux et récompenser chacun des maillons de la chaine virtuelle ayant conduit l’équipe à trouver les coordonnées des ballons, en lui attribuant un pourcentage des 40 000 dollars promis aux gagnants par la DARPA.
J’ai été frappée par ce récit qui, loin d’être anecdotique, est emblématique du potentiel extraordinaire des réseaux sociaux.
Ces réseaux sociaux, la jeunesse mondiale, parfois écartée des instances traditionnelles de représentation (En France, par exemple, la moyenne d’âge à l’Assemblée nationale est de 57 ans !) a su se les approprier, et en faire des outils de mobilisation.
La Jeunesse a su mettre la Révolution numérique au service de ses combats, et de ses aspirations.
Je pense bien sûr à la jeunesse arabe, au soulèvement tunisien, puis égyptien, à ces centaines de milliers de jeunes qui n’acceptaient plus la privation des libertés les plus fondamentales. Des internautes qui comme Slim Amamou ou Azziz Amami ont mené une lutte acharnée et in fine victorieuse contre Zine El- Abdine Ben Ali.
J’ai une pensée particulière pour la famille de Mohamed Bouazizi, 26 ans, jeunes diplômés, qui s’est suicidé en s’immolant par le feu, faute de pouvoir vendre ses fruits et ses légumes sur la voie publique.
Comme beaucoup d’enfants issus de l’immigration maghrébine, j’ai été très sensible à ces évènements. Parce-que nos familles vivent encore souvent de l’autre côté de la Méditerranée, plus que les autres nous savons ce que c’est d’avoir 20 ans en terres arabes.
En se révoltant, la jeunesse, qui constitue 60 % de la population totale des pays arabes, a donné une leçon à un monde effrayé par le changement, usé par l’immobilisme et le manque de démocratie.
Elle a su mobiliser et redonner de l’espoir, là où la désespérance faisait son lit depuis tant d’années.
Les nouveaux héros de la jeunesse sont Slim Amamou ou Azziz Amami présents parmi nous et qui vous parleront mieux que moi de leur engagement.
Wael Ghonim, considéré par le Time comme la personne la plus influente de l’année 2011, Aziz Amami, Lamia Slim, Maha Issaoui, Sofien Chourabi … ont montré aux plus grandes puissances occidentales qui avaient préféré soutenir les Etats plutôt que les peuples au nom d’une hypothétique stabilité, que la jeunesse était maîtresse de son destin.
Ces cyberdissidents ont marqué l’histoire de ce début de 21e siècle et notre colloque est aujourd’hui une façon de leur rendre hommage.
« Les peuples des pays arabes ont su montrer au monde qu’Internet n’appartenait pas aux Etats. » affirmait la semaine dernière le Président de la République Nicolas Sarkozy, à l’occasion de la première édition de l’e-G8, qui a réuni les leaders et experts des technologies de l’information et de l’Internet du monde entier.
Parmi eux, Mark Zurckerberg, co-fondateur et président-directeur général du site internet et de réseaut social Facebook, chef d’entreprise multimilliardaire de 26 ans.
Notre Président Nicolas Sarkozy a déclaré à l’issue de cet e-g8 : « tous ceux qui ont voulu enfermer l’Internet de leur pays se sont rangés dans le camp des dictateurs. »
Je me joins aujourd’hui à lui pour demander la liberté de connexion dans le monde entier. Elle contribuera à promouvoir la démocratie.
L’e-G8 a été suivi et commenté partout dans le monde. L’une des forces de la Révolution numérique, c’est en effet de permettre à chacun de donner son avis sur tout.
SMS, MMS, BBM, Facebook, blogs personnels, Twitter, libres antennes … les jeunes ne se sont jamais autant exprimés qu’aujourd’hui, n’ont jamais autant communiqué qu’aujourd’hui.
De notre vie politique quotidienne aux questions économiques, de la mode vestimentaire aux sorties musicales, ils donnent leur avis sur tout, débattent de tout, contredisent et critiquent tout.
Des débats ou des évènements politiques, ils « tweetent » les phrases marquantes, postent les « buzz » sur leurs profils Facebook …
En prenant ainsi la parole, en confrontant leurs points de vue depuis le plus jeune âge, les jeunes apprennent de plus en plus tôt ce qu’est la richesse du dialogue et du débat d’idée.
Ils développent aussi une réactivité, une vivacité d’esprit et une capacité étonnante à filtrer et analyser l’information. Et surtout à créer.
Leur créativité est exacerbée par cette soudaine possibilité de partager.
L’une des citations les plus « tweetées » de l’eG8 est cette phrase de Sean Parker, 31 ans, cofondateur de Napster et actionnaire de Facebook :
« True entrepreneur think there is something wrong in the world and want to fix it » Le véritable entrepreneur est celui qui identifie ce qui va mal et qui apporte une solution.
L’entreprenariat et la créativité sont des valeurs très ancrées chez les jeunes d’aujourd’hui, qui souhaitent être maîtres de leur destin, dessiner le futur en fonction de leurs envies, et de leurs talents.
Cette créativité et ces divers engagements, mis au service d’un monde qu’il convient toujours de redéfinir, de recréer et de repenser, voilà ce que nous souhaitons aujourd’hui partager à l’occasion de ce colloque, dont j’aimerais à présent vous présenter les invités :
Luc Ferry, philosophe, ancien Ministre de la Jeunesse, de l’Education nationale et de la recherche et Président du Conseil d’Analyse de la Société, rédacteur à ce titre d’un rapport sur les jeunes, qu’il rendra au Premier Ministre François Fillon en novembre 2011.
Son travail est pour moi une source d’inspiration quotidienne. Sa vision de la Jeunesse m’a énormément influencée et éclairée depuis ma nomination. Son amitié indéfectible me rend plus forte.
Luc Chatel, qui a la responsabilité de former aujourd’hui la jeunesse qui écrira le monde de demain.
Slim Amamou, notre deuxième Grand Témoin, cyber dissident tunisien, ex Secrétaire d’Etat à la Jeunesse et aux sports du Gouvernement de transition, qui nous fait l’immense honneur d’être présent parmi nous ce matin.
Aziz Amami, Lamia Slim, Maha Issaoui et Sofien Chourabi, grands cyber activistes de la « Révolution de jasmin » à l’instar de la révolution des oeillets au Portugal.
Les jeunes du Service Civique, qui, convaincus que la maîtrise des nouvelles technologies et d’Internet constituent un enjeu aujourd’hui essentiel, pour tous, se sont engagés dans des missions web. Je pense également à Zup de Co et à la Web academy, qui permettent à des jeunes de pouvoir bénéficier d’un soutien scolaire.
Louis-Christophe Laurent, Président de Middlebury et Fondateur de GL Trade, l’une des plus belles success story des années 90 et qui n’hésite pas à investir dans la nouvelle économie du net.
Marc Simoncini, fondateur d'un des premiers sites communauté francophone IFrance, et du site web de rencontre par Internet Meetic.
Avec deux autres génies de l’Internet : Xavier Niels et Jacques-Antoine Granjon, Marc Simoncini a le projet d’ouvrir l’Ecole Européenne des Métiers de l’Internet (EEMI) qui formera les jeunes aux nouvelles technologies et à tout ce qui vient d’être inventé sur le web.
Alexandre Munch, éditeur de Melty.fr, site d’informations et d’échanges destiné aux jeunes.
Je remercie toutes ces personnalités engagées et créatives d’avoir accepté mon invitation.
Avant de leur laisser la parole, j’aimerais profiter de cette tribune pour vous faire part d’un projet qui me tient tout particulièrement à coeur : celui de créer une institution internationale pour la jeunesse, trait d’union entre tous les jeunes qui maîtrisent les outils du Net.
Je crois en effet qu’il faut s’appuyer sur la Jeunesse, la société civile, les entreprises, pour construire l’avenir de pays encore très fragiles économiquement.
A la fin de la Première Guerre Mondiale, la plupart des Etats d’Europe centrale et orientale avaient amorcé un processus démocratique, mais leur trop grande fragilité économique a précipité leur chute vers des dictatures terribles. Si nous voulons contribuer à asseoir la démocratie, nous devons participer à la croissance.
« L’Europe ne se fera pas d’un coup, ni dans une construction d’ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes, créant d’abord des solidarités de fait. » déclarait Robert Schuman, alors ministre des Affaires étrangères, le 9 mai 1950, dans le salon de l’Horloge du Quai d’Orsay alors qu’il appelait, sur proposition de Jean Monnet, à la mise en commun des productions française et allemande de charbon et d’acier.
Hier, les pères fondateurs de l’Europe pour construire leur rêve d’un monde de paix se sont fondés sur la construction d’une Europe économique.
Cette institution réunira des partenaires privés afin de financer des projets d’entreprises à travers notamment du microcrédit. Elle saura constituer un levier économique déterminant pour permettre à ces jeunes, exclus hier des secteurs économiques, de pouvoir développer leur activité. Ainsi nous donnerons un contenu concret au concept porteur de co-développement. Il faut miser sur la jeunesse en lui donnant les moyens d’espérer et de construire une vie meilleure.
Cette institution permettra aussi de contribuer à la découverte de la culture de l’autre, de favoriser la mobilité des jeunes et de renforcer les projets communs. Elle pourra s’appuyer sur un vivier constitué par les jeunes français issus de l’immigration.
Je crois que l’on peut renverser les déterminismes sociaux. Je crois que l’on ne peut plus se réfugier derrière quelque forme d’impuissance que ce soit devant l’inégalité et l’injustice.
Je voudrais rendre hommage à la jeunesse arabe qui nous a rappelé une chose, nous sommes maitres de notre destin. Il nous appartient de le dessiner.
Je vous remercie de votre attention, et vous souhaite un excellent colloque, et une très belle Fête !
Merci.
Source http://www.jeunesse-vie-associative.gouv.fr, le 7 juin 2011