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Jai beaucoup de plaisir à me retrouver devant vous, dautant que dans le contexte que lon sait des relations franco-allemandes, votre Commission, et spécialement son président, ont joué un rôle très important pour faire évoluer la position du Bundestag, ce qui a grandement facilité la résolution de la crise grecque.
Le Conseil européen a donné lieu à un scénario devenu assez usuel. Avant que ce Conseil se tienne, les commentaires ont porté, avec la dramaturgie habituelle, sur le thème du piteux état de lEurope, de la catastrophe obligatoire, de limpossibilité de sentendre. Puis le Conseil européen sest déroulé, faisant apparaître une convergence européenne, aboutissant à des accords - qui reprennent souvent les positions françaises - sur les sujets qui devaient provoquer des drames et conduisant à des progrès dans lintégration de lEurope. À loccasion des crises, lEurope avance.
Premier sujet : la gouvernance économique européenne et les questions liées à leuro.
Le Conseil européen a été loccasion de clore le premier «semestre européen» par lapprobation des recommandations formulées par la Commission après lenvoi des programmes nationaux de réforme. Ce nouveau cadre montre ainsi son utilité.
En deuxième lieu, ce Conseil a été loccasion de rappeler les engagements pris au titre du «pacte pour leuro plus». Il a permis, et nous y avons largement contribué, de mettre laccent sur les questions fiscales. Les propositions sur une assiette commune consolidée pour limpôt sur les sociétés (ACCIS), sur la fiscalité énergétique, sur une taxe sur les transactions financières font leur chemin ; sy ajoute lintensification de la lutte contre les pratiques fiscales dommageables - telles que le Double Irish utilisé par Google. Cest une première étape dans la concrétisation dun gouvernement économique européen.
Le Conseil européen a par ailleurs entériné laccord conclu par les ministres de léconomie sur les modifications du Fonds européen de stabilité financière et le traité mettant en place le Mécanisme européen de stabilité. Celui-ci, incarnation de la solidarité européenne, sera doté de 500 milliards deuros, afin de défendre leuro partout où il est attaqué dans la zone. Là encore, on peut être satisfait de la manière dont la France a géré ce dossier.
En ce qui concerne le paquet législatif - le six-pack -, laccord na pas pu être constaté. Chaque institution doit prendre ses responsabilités : sommes-nous capables de faire prévaloir un intérêt général européen ? Labsence daccord est entièrement imputable au Parlement européen, dont je ne doute pas quil finira par changer dattitude sur les avancées proposées par le Conseil - en matière de majorité qualifiée inversée comme de dialogue sur les questions économiques. Il ny a pas de place pour les marchandages ou laffirmation dun rapport de forces : cest lEurope qui est en jeu.
Sagissant de la Grèce, comme lont clairement dit Mme Merkel et le président de la République, le Conseil européen a répété son engagement à tout mettre en uvre pour défendre la Zone euro et a approuvé le principe dune aide supplémentaire à la Grèce. Il a également endossé les modalités de cette aide, sur la base du compromis franco-allemand.
Il y aura bien une participation des créanciers privés, sur une base volontaire, à leffort de financement de la dette grecque - par des opérations de «roulement» de la dette arrivée à maturité -, mais tout «défaut» est exclu : si ceux qui ont prêté à la Grèce devaient ne jamais être remboursés, limpact sur la Zone euro serait bien plus grave encore ! Suivant les propositions faites par la France, des échanges de titres seront combinés avec une incitation au réinvestissement des fonds.
Le FMI, la Commission et la BCE ont travaillé à un accord technique avec Athènes. Nous attendons lapprobation du train de mesures par le Parlement grec. Nous sommes très lucides sur lampleur des efforts qui sont demandés au peuple grec et qui, faute davoir commencé plus tôt, sont très concentrés dans le temps. La crise de la Grèce nest pas la crise de leuro : cest une crise de la dette grecque, accumulée au point davoisiner 150 % du PIB. Que lon soit dans la Zone euro ou non, le fait davoir un déficit de 9,6 % du PIB nest pas soutenable. À ceux qui militent pour que la Grèce sorte de la Zone euro, je rappelle que sa dette est libellée en euros ; elle serait encore plus difficile à rembourser avec une monnaie nationale faible !
Le plan présenté par le gouvernement Papandréou comprend des mesures déconomies à hauteur de quelque 28 milliards deuros et des privatisations visant à lever environ 50 milliards deuros. Lopposition grecque doit prendre elle aussi ses responsabilités : une démarche collective est indispensable, même si elle est difficile.
Dans le même temps où les Grecs font des efforts, il faut que lEurope manifeste sa solidarité pour soutenir la compétitivité de leur pays. Elle a su, déjà, permettre une extraordinaire métamorphose des pays dEurope centrale. En Grèce, il est aujourdhui très difficile dutiliser les fonds européens, du fait des règles de cofinancement ; il faut permettre leur utilisation, tout en lencadrant. Nous avons donc proposé un assouplissement des règles applicables à lenveloppe de 20 milliards deuros allouée pour la période 2007-2013. En contrepartie, la sélection devra se faire selon des critères beaucoup plus exigeants, pour ne retenir que les projets qui ont un impact en termes de création demplois et daccroissement de lactivité.
Jen viens au deuxième enjeu du Conseil européen, à savoir la réforme de la gouvernance de Schengen.
Nous en sommes convaincus, la libre circulation est un acquis fondamental de lEurope. Cet acquis doit être préservé. La protection des frontières ne peut passer que par le renforcement de la coopération européenne.
Nous avons plaidé tout dabord pour un renforcement des dispositifs de Schengen, avec un mécanisme dévaluation sur la base de critères élargis, la mise en uvre dun régime européen dasile dici à 2012, la poursuite dune politique équilibrée en matière de visas, ainsi que la définition dune relation mutuellement bénéfique avec les pays du voisinage sud.
Cela étant, il faut être capable de réagir en cas de crise. Pour leuro, nous manquions dun mécanisme de protection en cas dattaque spéculative. Dans le cadre de Schengen, nous sommes démunis pour faire face à la défaillance dun État membre ou à une arrivée massive de migrants comme à Lampedusa, où 40.000 sont arrivés en moins dun mois et demi. Nous avons donc plaidé pour que, comme lindiquent les conclusions du Conseil, «en cas de situation véritablement critique, lorsquun État membre nest plus en mesure de respecter ses obligations au titre des règles Schengen», il soit possible de rétablir temporairement un contrôle aux frontières intérieures. Cest un mécanisme de dernier recours, dans des cas exceptionnels ; la Commission européenne fera une proposition en septembre pour en préciser les modalités. Il ne sagit pas daffaiblir Schengen, mais de lui donner du muscle ! Nous ne voulons ni dune Europe forteresse, ni dune Europe passoire : dans un cas comme dans lautre, ce serait pour elle un affaiblissement. La position de la France a été parfaitement comprise par nos partenaires. Il faut souligner le rôle très positif joué par la Pologne ; on peut sen réjouir dans la perspective de la présidence polonaise.
Je ne reviens pas sur la politique européenne de voisinage, troisième enjeu du Conseil européen, car la position adoptée est très conforme à ce que nous avions dit lors de notre débat.
Permettez-moi de conclure en évoquant un autre sujet majeur, ladhésion de la Croatie. Dans notre engagement européen, lHistoire joue un rôle essentiel. Quand je vois à Varsovie, de lautre côté de la Vistule, lendroit où les forces russes se sont arrêtées pour laisser les Allemands massacrer les insurgés, je sais pourquoi je suis pour lEurope. Quand je vais au musée de Berlin qui retrace lhistoire de lAllemagne et témoigne de tous les affrontements qui ont déchiré le territoire européen, je sais pourquoi je suis pour lEurope. Et quand je pense à ce qui sest passé en Croatie il y a à peine quinze ans, je sais aussi pourquoi je suis pour lEurope : lEurope est une formidable force de paix. La création de cet horizon européen va sans doute permettre de faire advenir dans cette région ce qui nétait encore jamais arrivé : une dynamique de pacification et de rassemblement. Sil ny avait pas eu lhorizon européen, il y aurait eu beaucoup moins de chances que Ratko Mladic soit arrêté. Ladhésion de la Croatie participe de ce mouvement plein despérance qui referme les plaies du continent.
Elle se fait sans le moindre compromis sur le fond. Nous ne voulions pas délargissement au rabais, pour donner satisfaction à tel ou tel pays. Nous avons plaidé pour une formule très rigoureuse, et le gouvernement croate a parfaitement compris que cétait dans son intérêt. Jusquà présent, après la clôture des négociations avec le pays candidat, il souvrait, avant lentrée effective dans lUnion européenne, une période denviron deux ans qui était en réalité perdue : la ligne darrivée paraissant franchie, les efforts se relâchaient, par exemple en matière de lutte contre la corruption ou dindépendance de la justice. La France a donc défendu le principe dun suivi durant la phase séparant la clôture des négociations de ladhésion effective. Le consensus sest fait autour de cette proposition, point déquilibre entre la position du Royaume-Uni et des Pays-Bas et celle de la Pologne. Les Croates, qui ont déjà accompli beaucoup defforts, sont conscients du travail qui leur reste à accomplir et qui, jen suis sûr, débouchera sur un grand succès.
LEurope a toujours de grands défis à relever, la crise actuelle impose de rechercher avant tout lintérêt général européen. Ce Conseil aura montré quelle ne reste pas immobile et quelle fait le choix dun renforcement de lintégration européenne - sans laquelle la France na pas davenir : comme le disait Marc Bloch, on a besoin de lEurope en grand pour écrire lhistoire de la France en grand.
(Interventions des parlementaires)
Vous avez fait allusion aux objectifs de la stratégie Europe 2020. Ce sont les suivants : taux demploi de la population âgée de 20 à 64 ans de 75 % ; investissement de 3 % du PIB de lUnion dans la R&D ; réduction des émissions de CO2 par leffet combiné des énergies renouvelables et de laugmentation de lefficacité énergétique ; taux dabandon scolaire ramené à moins de 10 %, taux dobtention dun diplôme de lenseignement supérieur chez les jeunes générations porté à 40 %.
En ce qui concerne la Croatie, le problème frontalier avec la Slovénie a fait lobjet dun accord darbitrage, signé en 2009. La décision de la Cour internationale de justice est attendue ; les deux parties se sont engagées à la suivre.
Sagissant du «pacte euro plus», je tiens à la disposition de Jérôme Lambert les engagements de la France. Limpératif est déviter la dilution. En fait, les dispositions de base existaient dans le Traité de Maastricht Nous nous employons à faire en sorte que ce pacte soit le laboratoire de la gouvernance économique. La France a montré la voie avec des engagements très précis - concernant les plus de 45 ans, la réduction de la taxe dapprentissage, les investissements davenir, la simplification administrative. Le volet fiscal est un élément essentiel.
Concernant le vote que va émettre le Bundestag, je pense que le travail de rapprochement entre nos points de vue aura porté ses fruits. Cest ainsi que fonctionne la relation franco-allemande en général : les bases de départ peuvent être différentes, mais nous finissons par nous retrouver sur une vision dintérêt général qui permet de fixer un cap commun. On le constate tout particulièrement sur le sujet de leuro et de la Grèce.
Quant au Parlement européen, je lui lance un appel. Il faut savoir clore un débat, au nom de lintérêt général. La position de la France est partagée par tout le Conseil européen ; nos amis allemands, notamment, sils pouvaient avoir des divergences avec nous, ont défendu lensemble du compromis de Deauville.
Je remercie Lionnel Luca davoir évoqué lintégration des Roms. La députée européenne Lívia Járóka, Hongroise dorigine rom, a fait un travail très utile. Elle a très clairement dit que les pays dorigine des Roms ne faisaient pas assez en matière dintégration. Si les fonds apportés par lEurope ne sont pas utilisés, une pénalité sera appliquée ; à linverse, les pays qui investissent notamment dans la formation scolaire seront particulièrement soutenus.
Concernant Schengen, je veux souligner que partout où lagence Frontex sest investie, les résultats sont bons, voire impressionnants - opération Rabit à la frontière gréco-turque, accompagnement de lEspagne dans la régulation de limmigration en provenance du Maroc et du Sénégal. Nous souhaitons partager une base de données sécurisée sur les trafics et les personnes à surveiller. Les flux dentrées se concentrent sur quelques points mais la pression migratoire nous concerne tous ; il est donc évident que la coopération communautaire doit se renforcer, autrement dit quil convient dapprofondir la logique de Frontex - et, à terme, avoir des garde-frontières européens. Il faut disposer de moyens européens mobilisables en urgence ; lopinion publique le souhaite : une Europe passoire conduirait à un rejet global de lEurope.
Sagissant du dernier point évoqué par Didier Quentin, oui, nous soutenons une logique de développement partagé. Elle se traduit par des investissements au Maghreb et par la création de lOffice méditerranéen de la jeunesse.
Pour terminer, je reviens à la Grèce et à la Zone euro.
Si la Grèce ne bénéficiait pas de la solidarité européenne, elle devrait supporter un taux dintérêt de 25 %. Parce que cette solidarité existe, elle peut se financer à 4,5 %.
Comme Marietta Karamanli la souligné, on ne peut pas sen tenir à des mesures restrictives. Cest bien la raison pour laquelle nous avons souhaité que la Grèce puisse continuer à bénéficier des fonds européens - mais avec des garanties, pour éviter les erreurs passées : nous plaidons pour un pilotage très étroit de la Commission, afin de bien sélectionner les projets.
Que produirait une sortie de la Zone euro ? Il suffit pour le savoir de se remémorer les attaques spéculatives de 1993 ! La France nétait même pas capable de lutter contre les pressions à la dévaluation La dévaluation, que certains parent de toutes les vertus, veut dabord dire que chaque citoyen, chaque entreprise, chaque collectivité locale subit brusquement un appauvrissement. Elle signifie aussi quun pays regagne des marges de compétitivité au détriment des autres, de façon totalement inéquitable. Et souvenons-nous quà cette époque, les taux dintérêt en France étaient compris entre 10 et 13 % !
Faire sortir la Grèce de leuro, cest faire exploser sa dette, et cest ouvrir la boîte de Pandore. Le seul choix responsable est celui de la solidarité européenne, dans toutes ses dimensions : il faut se battre pour que les taux de financement de léconomie grecque soient raisonnables, se battre pour faire progresser la compétitivité de la Grèce en continuant à y investir des fonds, se battre pour que les Grecs fassent les réformes quils nont pas faites ces dernières années, se battre pour que lEurope ne soit pas emportée par une spirale de dévaluations compétitives. Cest possible, lexemple américain le montre ! Les économies des pays de la Zone euro ne sont pas plus différentes entre elles que celles des États composant les Etats-Unis - où par ailleurs la population est mobile, sans pour autant que les flux entre États soient considérables. En outre, lEurope a lavantage de mener en son sein une politique dinvestissement dans les pays qui ont besoin dun rattrapage. Bref, nous disposons des outils nécessaires pour défendre une Zone euro qui, je pense, sortira renforcée de la crise.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 5 juillet 2011