Déclaration de Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l'outre-mer, sur le règlement de la crise politique et institutionnelle en Nouvelle-Calédonie, à l'Assemblée nationale le 28 juin 2011.

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Circonstance : Débat sur le projet de loi organique modifiant l'article 121 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, à l'Assemblée nationale le 28 juin 2011

Texte intégral

Mesdames et messieurs les députés,
La Nouvelle-Calédonie vient de connaître une instabilité institutionnelle inédite.
Il n’appartient pas au Gouvernement d’interférer dans le débat entre les forces politiques calédoniennes qui s’est ouvert depuis plusieurs mois. Ce débat, c’est tout simplement l’expression d’une démocratie vivante.
En revanche, le blocage des institutions n’était pas acceptable. Le Gouvernement, garant du processus de Nouméa, devait agir rapidement.
Mes deux déplacements en Nouvelle-Calédonie, en février puis en avril, m’ont permis de proposer quatre principes d’action déclinant une solution à la fois juridique et politique :
* ne pas provoquer de nouvelles élections : une dissolution du Congrès, loin de résoudre cette crise institutionnelle, aurait pu exacerber les tensions ;
* engager une modification limitée de la loi organique : c’est l’objet du texte que j’ai l’honneur, au nom du Premier ministre, de vous présenter ;
* rappeler les principes de collégialité et de proportionnalité qui président au fonctionnement du gouvernement calédonien ;
* tenir à l’échéance prévue le comité des signataires pour remettre le processus de Nouméa au cœur des priorités de travail.
Les entretiens conduits personnellement par le Premier ministre, François FILLON, du 17 au 19 mai, ont confirmé que les forces politiques calédoniennes adhèrent à la démarche proposée.
Un nouveau gouvernement calédonien a été élu le 10 juin. Il est désormais au travail, avec la plénitude des pouvoirs que lui confère le statut.
Conformément au schéma proposé, le projet de loi que je présente aujourd’hui vise donc à modifier de manière limitée le statut de la Nouvelle-Calédonie. Il s’agit uniquement de corriger l’article 121 de la loi organique du 19 mars 1999.
Cet article prévoit que lorsqu’un membre du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie cesse d’exercer ses fonctions, le candidat suivant de liste le remplace. Lorsqu’il n’existe pas de suivant de liste susceptible de le remplacer, le gouvernement, dans son ensemble, est démissionnaire de plein droit. Il assure l’expédition des affaires courantes jusqu’à l’élection d’un nouveau gouvernement.
Ce que le législateur organique n’avait pas prévu, c’est l’utilisation de cet article comme substitut à la motion de censure, par le biais de démissions collectives ayant pour seul objet de faire tomber le gouvernement. Ni la lettre du texte, ni la jurisprudence administrative ne l’interdisent. C’est ainsi que le gouvernement a été renversé quatre fois en 2002, 2004, 2007 et février 2011.
Ce mécanisme, c’est pour les institutions calédoniennes un espace de respiration politique auquel les forces politiques calédoniennes sont attachées. Il offre une capacité d’expression supplémentaire à la minorité politique qui peut faire tomber un gouvernement sans recourir à la motion de censure qui, elle, nécessite une majorité.
En revanche, l’utilisation répétée de ce mécanisme, dans le seul but d’empêcher le fonctionnement normal des institutions et de créer les conditions d’une dissolution n’était pas acceptable.
Ce détournement de l’article 121 est clairement contraire à l’esprit de ce texte et plus globalement à l’esprit du statut de la Nouvelle-Calédonie.
Le Conseil d’Etat, statuant au contentieux le 8 avril 2011, l’a sévèrement qualifié de "manœuvre".
Il est donc nécessaire de ne plus permettre une telle utilisation de l’article 121, sans pour autant supprimer le mécanisme lui-même.
Le projet de loi qui vous est présenté a pour objectif principal de garantir une stabilité institutionnelle pendant un délai raisonnable.
Il prévoit l’instauration d’un délai de carence de 18 mois pendant lequel, lorsque les membres d’un groupe ont démissionné en bloc et fait démissionner d’office le gouvernement, le mécanisme est privé d’effet. Les démissions collectives restent donc possibles, mais elles perdent pendant 18 mois leur effet paralysant sur le fonctionnement du gouvernement.
Le texte se doit toutefois de respecter la collégialité et la proportionnalité du gouvernement qui sont des principes issus de l’accord de Nouméa du 5 mai 1998 et qui ont, à ce titre, une valeur constitutionnelle.
Le texte prévoit donc également la possibilité, pendant le délai de carence de 18 mois, à un groupe démissionnaire de réintégrer à tout moment le gouvernement, par simple notification d’une nouvelle liste de candidats.
Laisser la porte ouverte au groupe démissionnaire, ne pas l’exclure du gouvernement si ce n’est plus sa volonté, c’est permettre de rétablir, à l’issue d’une crise politique, la représentation équilibrée du gouvernement.
Enfin, le texte prévoit une disposition transitoire qui permet de rendre immédiatement applicable le délai de carence de 18 mois, en prenant en compte les démissions de plein droit antérieures à l’entrée en vigueur de la réforme.
Lors des entretiens à l’hôtel de Matignon, les groupes politiques calédoniens ont unanimement adhéré à l’objectif de stabilité poursuivi par le gouvernement et approuvé cette réforme dans son principe.
Le texte du gouvernement, issu d’une très large consultation politique, a repris in extenso la rédaction du Conseil d’Etat.
Le Sénat a apporté, avec mon accord, quelques précisions rédactionnelles qui ont effectivement permis d’améliorer le texte du gouvernement.
Il est désormais indiqué, au II, que le mécanisme joue non seulement lorsqu’il n’existe plus de suivant de liste susceptible de remplacer un membre démissionnaire mais également "lorsque les membres d’une liste présentent simultanément une démission motivée". La pratique de la démission collective est ainsi introduite dans le texte.
Au IV, le mot "candidats" a remplacé le mot "représentants", ce qui est en réalité plus conforme aux différentes étapes de la procédure par laquelle un groupe politique réintègre le gouvernement.
Ce texte, ainsi amendé, a été adopté à l’unanimité par le Sénat.
Votre commission, sur la proposition de son rapporteur, Dominique BUSSEREAU que je veux saluer tout particulièrement, a ouvert la voie à une adoption dans les mêmes termes, par les deux assemblées, du projet de loi.
C’est bien entendu le vœu du Gouvernement.
Ce sera la confirmation de la qualité du texte qui a été préparé. Ce sera surtout un signal très fort du consensus qui existe sur le fonctionnement des institutions calédoniennes.
Mesdames et messieurs les députés,
En matière institutionnelle, il n’y a jamais de dispositif miracle. D’autres failles, qui nous sont encore inconnues, pourront toujours être trouvées par un groupe politique cherchant l’obstruction à tout prix. On ne peut se prémunir contre tout.
Ce qui est la force des institutions calédoniennes, la collégialité, peut devenir demain une faiblesse en l’absence de consensus.
Je suis toutefois confiante sur la capacité des forces politiques à œuvrer, avec respect et franchise, pour construire cet avenir partagé qu’ont voulu les signataires des accords de Matignon et de Nouméa.
Dimanche dernier, au Parc de La Villette, ont été présentés, en avant-première, les XIVème Jeux du Pacifique, qui seront ouverts par le Président de la République, le 27 août prochain à Nouméa.
Dimanche dernier, au Parc de La Villette, le geste coutumier, puis les hymnes de la Nouvelle-Calédonie et de la République, ont aussi, en quelque sorte, ouvert une séquence calédonienne qui, de nos travaux d’aujourd’hui jusqu’au déplacement du Chef de l’Etat en Nouvelle-Calédonie, en passant par le comité des signataires du 8 juillet, s’annonce particulièrement importante pour le territoire.
Je le disais en présentant le projet de loi devant le Sénat : le poids des événements, le souvenir des grands hommes, le maintien de la paix civile, la construction d’un futur partagé, tout converge pour aborder la Nouvelle-Calédonie avec une profonde humilité.
Cette humilité, celle que l’on retrouve dans le geste coutumier, permettra j’en suis certaine aux calédoniens d’écrire leur destin commun. L’Etat les accompagnera sur ce chemin.
Source http://www.outre-mer.gouv.fr, le 4 juillet 2011