Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur la nécessité de la régulation de la mondialisation, notamment du cours des matières premières, du prix du pétrole et des produits alimentaires, et les relations bilatérales entre la France et l'Indonésie, à Jakarta le 1er juillet 2011.

Prononcé le 1er juillet 2011

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Circonstance : Voyage du Premier ministre en Asie du Sud-Est : allocution à l'université d'Indonésie, à Jakarta le 1er juillet 2011

Texte intégral

Mesdames et messieurs les Professeurs,
Mesdames, mesdemoiselles et messieurs les Etudiants,
Je voudrais m’adresser non seulement à ceux qui sont ici dans cette salle, mais à ceux qui suivent cette réunion dans plusieurs autres universités sur le territoire de la République d’Indonésie et je voudrais les en remercier.
C’est pour moi un très grand honneur d’avoir la possibilité de m’adresser à vous, à Jakarta, sur le campus d’Universitas Indonesia, c'est-à-dire sur le campus de l’une des plus prestigieuses universités de votre pays. Fondée il y a plus de 150 ans, cette université est l’un des emblèmes de cette Indonésie moderne dont vous incarnez l’esprit d’innovation et dont vous serez les bâtisseurs.
L’Indonésie, mesdames et messieurs, vit un moment décisif de son histoire, un moment où elle peut amplifier le potentiel extraordinaire qu’elle recèle, un moment où elle peut choisir d’assumer de plus grandes responsabilités dans le concert des nations.
Forte de la sagesse que lui a léguée son histoire et de toutes ses richesses naturelles et humaines, l’Indonésie se développe à grande vitesse et l’Indonésie est en train de s’affirmer sur la scène mondiale.
Sur cet archipel immense, aussi étendu que l’Europe, sur ce "collier de jade de l'Equateur" où les îles se comptent par milliers, des civilisations brillantes et des hommes courageux ont légué à votre nation un héritage, un héritage spirituel et matériel, qui fonde aujourd’hui les ambitions de l’Indonésie moderne. Ils ont établi des royaumes influents et prospères ; ils ont laissé des monuments qui sont parmi les plus belles réponses données par l’humanité à ses grandes interrogations sur le cosmos ; ils ont mis en valeur des paysages et des terres où les risques naturels n’ont jamais cessé de défier l’existence.
Cette œuvre de civilisation, cette œuvre de développement, elle se poursuit aujourd’hui dans toutes les directions de la vie et de l’économie moderne, elle se poursuit à travers la mise en valeur des ressources que recèle chacune des îles de l’archipel. Autrefois le nom des Moluques ou des Célèbes faisaient rêver les Européens pour leurs épices rares, à présent vos ressources en gaz font tourner les centrales électriques du Japon, vos métaux sont utilisés par les industriels en Chine ou aux Etats-Unis, votre huile de palme est consommée sur tous les continents et, cette œuvre de civilisation, elle se poursuit dans ces vastes territoires qu’il faut encore aménager pour offrir aux 240 millions d’Indonésiens des conditions de vie meilleures tout en respectant la biodiversité et l’environnement.
Elle se poursuit en veillant sur un patrimoine culturel diversifié, un patrimoine culturel que viennent découvrir chaque année plusieurs millions de touristes, dont, au minimum, 150.000 de mes compatriotes.
Pour avoir eu l'occasion il y a quelques années de me rendre aussi à Balikpapan, à Yogyakarta et à Medan, je sais la fierté que chacun tire de son appartenance à un groupe ethnique, à une province, à une île, où l'habitat, où les productions, où les règles de gouvernement local, où les expressions culturelles sont autant d'héritages auxquels nul n’est prêt à renoncer.
Les fondateurs de votre République, Soekarno et Hatta, ont eu la sagesse de voir dans cette diversité un atout et ils ont eu surtout la sagesse de voir dans la tolérance le moyen de son épanouissement.
En faisant de "l’unité dans la diversité" sa devise nationale, l’Indonésie a défini un modèle qui est devenu une référence pour tous les peuples, au cours de ces dernières années. Ce modèle indonésien a continué de s’affirmer et de gagner en exemplarité.
La nation indonésienne avait gagné sa liberté au lendemain de la seconde guerre mondiale mais le peuple indonésien a dû attendre plus longtemps pour conquérir l’ensemble de ses droits au sein d’une véritable démocratie. C’est aujourd’hui chose faite !
Et je veux vous dire, au nom de la France, dont vous savez à quel point elle est attachée aux principes de la liberté, de l'égalité et de la fraternité, je veux vous dire combien nous admirons le chemin qu'a parcouru l'Indonésie depuis 1998. Un président de la République élu au suffrage universel ; dans les provinces des gouverneurs qui sont désormais élus ; une Cour Constitutionnelle créée en 2003 ; la liberté de la presse ; la liberté des universités ; la paix en Aceh ; la coopération entre l'Indonésie et la République Démocratique de Timor Est.
Toutes ces avancées suscitent notre plus grand respect et je veux vous dire que vous pouvez tout simplement en être fiers, vous pouvez en être fiers parce qu’elles sont de votre fait, parce qu’elles sont aussi une source d’inspiration pour tous ceux qui croient dans le caractère universel des droits de l’homme et de l’aspiration des peuples à la démocratie.
Aujourd’hui encore alors que les peuples Tunisiens, les peuples Egyptiens ont fait leur révolution, alors que d’autres en Libye, au Yémen, en Syrie expriment une puissante volonté de liberté, il y a encore des voix qui s’élèvent pour prophétiser leur échec en nous expliquant que "l’Islam n’est pas compatible avec la démocratie". Et bien je crois que ceux qui s’enferment dans ce genre de raisonnement devraient venir ici à Jakarta, ils constateraient que votre dynamisme, votre réussite, votre pluralisme religieux viennent chaque jour démentir ces affirmations pessimistes.
Les institutions démocratiques dont l’Indonésie s’est dotée permettent de favoriser une économie qui connaît une progression remarquable et continue, avec une croissance de plus de 6,5 % cette année, une croissance dont certains prédisent même qu’elle pourrait être la plus rapide au monde pour les dix prochaines années.
Cette croissance s’appuie sur des productions diversifiées, elle s’appuie sur des percées technologiques qui font qu’aujourd’hui des pièces des avions Airbus sont usinées à Bandung avant d'être transférées à Hambourg ou à Toulouse pour l’assemblage. Cette percée technologique fait que les transformateurs électriques qui permettent aux trains français à grande vitesse qui, comme vous le savez, sont parmi les meilleurs du monde, d’être produits à Jakarta.
Un tel essor économique doit bien sûr être avant tout au service du développement, parce qu’il ne doit pas faire oublier les millions d’Indonésiens qui vivent encore aujourd’hui dans la grande pauvreté et qu’il faut aider à accéder à un niveau de vie plus digne.
Chaque année l’Indonésie, monsieur le Ministre, consacre 20 % de son budget à l'éducation, chaque année 2 à 3 millions de foyers supplémentaires accèdent à un niveau de consommation qui est comparable à celui des pays développés, chaque année la couverture santé s'élargit et l'assurance privée devient accessible à un nombre croissant de vos concitoyens, comme l'a récemment constaté l'OCDE.
Et bien l’Indonésie doit poursuivre dans cette voie, ce sera l’une des clefs de la pleine réussite de son modèle, un modèle qui combine la démocratie, la croissance et le progrès social.
Mais il est importe aussi que votre nation soit consciente des responsabilités internationales que lui confère son nouveau statut, il en est ainsi dans le cadre du G20 - le G20 que la France préside cette année - et qui, sans remettre en cause le rôle des Nations Unies et des agences spécialisées qui dépendent des Nations Unies, est une enceinte appropriée pour progresser dans le traitement des effets de la globalisation.
L'Indonésie y joue un rôle très actif, en particulier en co-présidant avec la France le groupe de travail sur la lutte contre la corruption, et les vues exposées par votre président en matière de réforme financière internationale, en matière de sécurité alimentaire, de régulation des prix des matières premières, de protection et de droits sociaux, seront très attentivement écoutées lors du Sommet de Cannes qui se déroulera en novembre prochain.
Je veux insister un instant sur l’enjeu de ce G20.
La mondialisation ça ne peut pas être la loi de la jungle, la mondialisation ça ne peut pas être la liberté du plus fort d’opprimer le plus faible et, donc, la mondialisation ça ne peut pas simplement être les marchés qui régulent l’ensemble des activités humaines.
C’est le contraire des droits de l’homme, c’est le contraire de la démocratie.
La mondialisation ça doit être l’ouverture, la circulation des biens et des personnes, ce doit être naturellement le respect de la loi de l’offre et de la demande, du fonctionnement des marchés, mais régulé, régulé par des pouvoirs politiques qui ont la responsabilité de protéger les plus faibles, qui ont la possibilité et qui ont le devoir d’assurer la liberté de chacun.
Et c’est dans cet esprit que la France a voulu que soit inscrit à l’ordre du jour du G20 des sujets fondamentaux : la question de la régulation financière.
On ne peut pas accepter que, parce que certaines banques dans le monde prennent des risques inconsidérés, à un moment donné l’ensemble du système financier international s’écroule et que cet écroulement du système financier international se traduise par du chômage, de la pauvreté et des malheurs pour un grand nombre d’habitants dans le monde.
Les banques, dans le monde entier, doivent respecter des règles et ces règles, elles doivent être fixées par le pouvoir politique et elles doivent être fixées au plan international pour être respecté par chacun.
A quoi sert qu’il y ait des règles en Indonésie ou qu’il y ait des règles en France, s’il y a des paradis fiscaux où certains peuvent placer leur argent en ignorant toutes les règles du fonctionnement du marché financier international.
De la même façon, nous pensons que les prix des matières premières doivent être régulés.
Bien entendu il ne s’agit pas de fixer de manière administrative le prix du pétrole, le prix du gaz, le prix du maïs ou le prix du riz, nous savons que ces systèmes ont été tentés par le passé dans beaucoup de pays, ils ont abouti à des catastrophes
Mais en même temps nous ne pouvons pas accepter la spéculation sur les matières premières, une spéculation qui n’a rien à voir avec la loi du marché, une spéculation qui n’a rien à voir avec l’offre et la demande, et qui se traduit par des augmentations brutales de cours des matières premières, qui provoque des famines dans le monde, ou, lorsqu’il s’agit de l’énergie, qui provoque la baisse de la croissance dans la plupart des pays.
Alors, oui, nous voulons que le prix du pétrole varie naturellement en fonction de l’offre et de la demande, mais il doit y avoir un maximum et un minimum. Lorsque le prix du pétrole est trop bas les nations productives sont incapables de faire face à leurs engagements, lorsque le prix du pétrole est trop haut c’est l’économie mondiale qui ralentit et c’est finalement le monde entier qui en est victime.
C’est la même chose pour les produits alimentaires, il n’est pas normal que certains à la Bourse de Chicago puissent acheter des récoltes entières sans dépenser un seul dollar, ils les revendent quelques heures après en faisant un énorme bénéfice.
Et ça n’est pas la liberté des échanges, ça n’est pas la loi de l’offre et de la demande, c’est une spéculation. Une spéculation qui pèse sur les cours de matières premières et c’est donc une spéculation qui provoque l’appauvrissement des producteurs et qui provoque la famine dans beaucoup de pays du monde.
Eh bien nous voulons interdire cette spéculation, si quelqu’un veut acheter des récoltes il peut le faire, il a simplement à les payer tout de suite et, à ce moment là, on verra que bien des défauts de ce système spéculatif disparaîtront.
Il en est ainsi également aux Nations unies.
Je veux rendre hommage au rôle que joue l'Indonésie, membre du Conseil de Sécurité en 2007 et 2008, qui engage des troupes et des navires dans les opérations de maintien de la paix, c’est le cas notamment au Liban où les bataillons français et les bataillons indonésiens se côtoient pour essayer d’assurer la paix et la stabilité de ce paix.
Alors que je me rendrai demain au Cambodge, où il y a vingt ans la France et l’Indonésie ont œuvré côte à côte pour ramener la paix après des décennies de conflit, je veux rendre hommage également aux nombreuses missions de conciliation et de médiation qu’entreprend l’Indonésie en faveur de la paix au niveau régional.
Je veux rappeler l'initiative prise il y a 3 ans, de la création d'un "Forum de Bali pour la démocratie", ouvert chaque année à tous les pays d'Asie et du Pacifique et aux observateurs Américains et Européens.
Je veux dire à quel point, dans la lutte qui nous unit contre le terrorisme, j'admire la résolution de votre pays à combattre les criminels mais aussi sa capacité à intervenir pour promouvoir le dialogue entre les cultures et le dialogue entre les religions.
Enfin, je veux souligner l’attitude exemplaire qui a été celle du président très tôt face au défi que représentent le réchauffement du climat et la dégradation de l'environnement.
A Copenhague l’Indonésie a pris un engagement courageux, celui de réduire les émissions de gaz à effet de serre de 26 % par un effort national et de 41 % avec l'aide internationale.
Cet engagement remarquable, au moment où d’autres refusaient de prendre leurs responsabilités, mérite notre soutien, et c’est la raison pour laquelle l'Agence Française de Développement contribue à sa réalisation par un prêt de 800 millions de dollars.
Tout cela nous démontre que l’Indonésie est, au fond, bien plus qu’un simple "pays émergent".
Cette Indonésie démocratique, en pleine croissance économique, attentive au caractère durable de son développement, faisant entendre une voix responsable sur les scènes diplomatiques mondiales.
Et bien je suis venu lui témoigner de notre volonté de travailler à ses côtés.
Lorsque le président Yudhoyono s'est rendu à Paris en décembre 2009, Nicolas Sarkozy lui a proposé que nous établissions entre nos deux pays un "partenariat stratégique", un partenariat qui institutionnalise notre action commune sur les grandes problématiques du monde actuel, un partenariat qui incite aussi l'ensemble des acteurs de notre relation bilatérale à augmenter toujours plus leurs échanges, eh bien cette visite va être l’occasion de formaliser ce partenariat.
Cela signifie que nous procéderons désormais à des consultations politiques plus régulières, nous allons ainsi renforcer notre dialogue en matière de Défense.
Ce dialogue portera sur les enjeux stratégiques, sur la coopération entre nos armées, sur l'acquisition d'équipements militaires et sur nos expériences dans les opérations de maintien de la paix des Nations Unies.
Des perspectives économiques nouvelles doivent s'ouvrir entre nos entreprises.
Je ne peux me satisfaire de savoir que la France n'est que le 12e fournisseur de l'Indonésie, nos exportations n'ont d’ailleurs pas encore retrouvé le niveau qu'elles avaient atteint en 1997 et votre pays n'est que notre 50e client.
Le gouvernement français soutiendra les grands projets menés par nos entreprises en collaboration avec les autorités publiques et avec les partenaires indonésiens, qu’il s’agisse de l'exploitation raisonnée des matières premières, des transports routiers, ferroviaires et aériens, de la spécialisation sur des technologies de pointe ou de la consommation privée des ménages.
L'Institut français d’Indonésie poursuivra ses efforts pour offrir un enseignement de la langue française à tous ceux qui souhaiteront rejoindre les 50.000 jeunes Indonésiens qui apprennent déjà le français.
Notre coopération universitaire va s'intensifier et vous en serez, ici même à Universitas Indonesia les premiers acteurs, puisque vous qui avez déjà des accords avec de nombreuses universités et écoles françaises et vous allez en signer de nouveaux, ce qui permettra certains étudiants et certains futurs enseignants de venir rejoindre ceux qui se forment déjà dans notre pays.
Enfin, mesdames et messieurs, en cette année où l'Indonésie préside l'ASEAN, je crois que le temps est venu pour l'Europe de prendre conscience de la dynamique régionale désormais enclenchée en Asie du Sud-Est.
Nous savons bien en Europe que, au-delà des lenteurs, des obstacles inévitables, la construction d'un espace de paix et de solidarité, d’un espace générateur de développement économique et social, est l’une des plus belles œuvres que peut réaliser la volonté politique.
Aujourd'hui, la zone économique constituée par l'ASEAN est déjà un poids lourd de l'économie mondiale, le cinquième pôle économique après l'Union européenne, les Etats-Unis, la Chine et le Japon, mais devant l'Inde.
Avec 1.000 milliards de dollars d'exportations par an, l’ASEAN est même le quatrième exportateur mondial.
L'ASEAN a attiré près de 700 milliards d'investissement au cours des dix dernières années, soit plus que l'Inde et plus que la Chine réunies.
L'Europe et l'ASEAN doivent plus que jamais développer un dialogue politique, un dialogue politique confiant, en augmentant leurs échanges. Notre objectif c’est de pouvoir lancer les discussions en vue d’un accord de partenariat économique ambitieux et équilibré avec l’Indonésie et avec l’ASEAN.
Voilà, mesdames et messieurs.
Je suis venu pour dire l’hommage et l’admiration de la France devant les progrès de l’Indonésie et son intention de contribuer à ses succès futurs.
Je suis venu pour réaffirmer les valeurs et les préoccupations que nous partageons sur la scène internationale.
Je suis venu pour donner un nouvel élan aux relations entre la France et l’Indonésie.
Dans un monde qui cherche sa stabilité après la grande crise économique que nous venons de connaître, dans un monde où les équilibres sont constamment bousculés et redéfinis, dans un monde où de plus en plus nombreux les peuples réclament avec force, la justice, la liberté, la démocratie, l’Indonésie s’impose comme une nation d’avenir parce que ses forces sont solides mais aussi et surtout parce qu’elle place l’harmonie et le droit au cœur de son développement.
Je vous remercie.
Source http://www.gouvernement.fr, le 4 juillet 2011