Texte intégral
L'actualité internationale est dense. En ce qui concerne la Libye, le groupe de contact s'est réuni jeudi dernier à Abu Dhabi et les choses avancent. Au plan militaire, l'étau se resserre sur Kadhafi, dont les capacités de résistance s'amenuisent. L'emploi des hélicoptères français et britanniques est un succès. Benghazi est définitivement dégagée, le siège de Misrata s'est relâché, plusieurs villes ont été libérées et la pression s'accentue sur Tripoli ; un foyer de résistance est apparu dans le djebel Nefoussa. Nous ne relâchons pas nos efforts : l'Otan a décidé de poursuivre l'opération, et un accord a été trouvé à Abu Dhabi entre des partenaires nombreux, membres de l'Otan et pays arabes. Kadhafi est de plus en plus isolé, à mesure que des responsables civils et militaires font défection : le régime se fissure de l'intérieur, lentement mais sûrement. La Russie, la Chine, mais aussi le Gabon, l'Éthiopie, la Mauritanie, le Sénégal et même l'Afrique du Sud considèrent que Kadhafi n'a plus de légitimité : d'après les comptes rendus disponibles de leur rencontre, M. Zuma lui a adressé un message très clair.
À Abu Dhabi, le groupe de contact a conclu que le temps était venu d'ouvrir un nouveau chapitre dans l'histoire de la Libye, sans Kadhafi. Le Conseil national de transition (CNT) s'offre comme le seul interlocuteur valable : l'Allemagne a reconnu hier qu'il était le seul titulaire de l'autorité gouvernementale. La France fut la première à prendre cette décision, et se félicite d'être suivie par ses alliés. Le CNT se structure : le gouvernement de fait s'est dissocié de l'organe législatif, ce qui jette les bases d'un futur État démocratique. Il apprend aussi à s'exprimer au plan international, par la voix notamment de M. Jibril. Le Conseil a adopté une feuille de route politique prévoyant l'adoption d'une nouvelle constitution et des élections, avec un calendrier. Il faut aller de l'avant, et mettre fin aux souffrances du peuple libyen.
Le CNT a besoin d'argent pour fonctionner et subvenir aux besoins des populations : M. Jibril a lancé un appel au secours. La France s'emploie à débloquer 290 millions d'euros gelés dans une banque française au nom du Fonds de développement économique et social libyen : une procédure juridique complexe est en cours. D'autres pays ont promis des contributions, notamment les États du Golfe, et l'on cherche aussi à dégeler des fonds déposés à Londres.
À Abu Dhabi ont été formulées quatre exigences claires pour envisager une sortie de crise. Primo, un cessez-le-feu véritable, et non pas un gel des positions militaires sur le terrain, qui ferait courir le risque d'une partition du pays. Les forces favorables à Kadhafi doivent rentrer dans leurs casernes, et le respect du cessez-le-feu faire l'objet d'un contrôle international. Secundo, que Kadhafi renonce publiquement à tout pouvoir civil et militaire. On entend dire étrangement qu'il ne détiendrait aucun pouvoir, mais serait seulement le Guide... Tout cela n'a pas de sens. Tertio, une convention nationale sous l'égide du CNT, ouverte aux autorités traditionnelles et aux anciens responsables du régime qui auraient pris leurs distances avec Kadhafi. Quarto, l'application de la feuille de route du CNT. La sortie de crise peut être coordonnée par l'envoyé spécial de l'ONU M. Al-Khatib.
La construction de la Libye nouvelle est de la responsabilité des Libyens, mais la communauté internationale doit être prête à les accompagner durant la phase de stabilisation et de reconstruction : l'ONU et les organisations régionales - au premier rang desquelles la Ligue arabe - seront appelées à jouer leur rôle. D'ores et déjà, nous soutenons la mise en œuvre des premières mesures du CNT : des experts français ont été détachés, dans le cadre d'une mission européenne, pour évaluer les besoins de la reconstruction dans le domaine de la sécurité. La France a repris sa coopération sanitaire avec les Libyens, et s'apprête à quadrupler l'effectif de sa représentation à Benghazi, emmenée par l'envoyé spécial M. Sivan. Nous ne sommes pas au bout du chemin, car les capacités de résistance de Kadhafi ne sont pas encore réduites à néant.
En Syrie, la répression s'accentue, et de violents combats ont eu lieu ces derniers jours à Jisr Al-Chougour entre l'armée et la population. Pour la France, ce qui est inacceptable en Libye l'est aussi en Syrie : il n'y a pas deux poids, deux mesures. Dès le premier jour, nous avons condamné l'usage de la force contre des manifestants pacifiques, et appelé à la mise en œuvre des réformes annoncées. Les premiers, nous avons réclamé des sanctions contre Bachar Al-Assad, adoptées depuis par l'Union européenne, puis par les États-Unis. Nous demandons à présent un nouveau train de sanctions et soutenons le Conseil des droits de l'Homme dans son enquête. Mais nous sommes confrontés à un blocage au Conseil de sécurité de l'Onu : or la France ne peut et ne veut agir que dans le cadre de la légalité internationale. Avec les Britanniques et les Américains, nous avons saisi le Conseil de sécurité d'une résolution assez modérée, qui se heurte toutefois à l'hostilité de la Russie et de la Chine, au nom du principe de non-ingérence dans les affaires intérieures d'un État.
Cet argument, selon nous, ne tient pas, car la région entière subit les conséquences de la crise syrienne : des milliers de Syriens fuient leur pays, en direction de la Turquie notamment ; des incidents ont eu lieu à la frontière israélo-syrienne, et des affrontements dans les camps de réfugiés palestiniens de Syrie. L'attitude du régime constitue donc une menace pour la paix et la sécurité dans la région, qui entre incontestablement dans le champ d'action du Conseil de sécurité. L'Afrique du Sud, le Brésil et l'Inde demeurent réticents : ces pays émergents sont eux aussi attachés au principe de non-ingérence et montrent qu'ils n'ont pas encore pleinement assimilé le principe de la responsabilité de protéger. Nous avons déjà réuni une majorité de neuf voix, mais nous voulons en réunir onze, pour mettre la Russie et la Chine devant leurs responsabilités. Ces grands pays resteront-ils silencieux face à la répression des aspirations légitimes d'un peuple ?
J'en viens enfin au conflit israélo-palestinien. Il y a urgence, car le statu quo est devenu intenable, et l'on peut craindre une escalade de la violence si les négociations de paix ne reprennent pas bientôt. Des incidents ont eu lieu sur le plateau du Golan les 15 mai et 5 juin. Tout a changé depuis le printemps arabe : l'Égypte n'est plus ce qu'elle était sous Moubarak, et la Syrie est en crise. Nous ne pouvons pas soutenir l'aspiration des peuples à la liberté et dénier aux Palestiniens le droit à un État viable et souverain, les Israéliens ayant droit de leur côté à la sécurité et à l'intégration régionale. Personne n'a intérêt à une confrontation, en septembre aux Nations unies, sur la reconnaissance de l'État palestinien : c'est le sentiment que m'ont laissé mes entretiens avec M. Abbas à Rome, avec M. Salam Fayyad à Ramallah et avec MM. Netanyahou et Barak et Mme Livni à Jérusalem. Israël n'en serait que plus isolé sur la scène internationale, et les conditions de vie des Palestiniens ne s'en trouveraient pas améliorées, d'autant que des mesures de rétorsion seraient probables. L'Europe se diviserait très certainement, et la reconnaissance d'un État palestinien pourrait difficilement passer pour un succès diplomatique de l'administration Obama. Les frustrations et les tensions en seraient exacerbées.
Il faut donc ouvrir une perspective crédible de reprise des pourparlers avant le mois de septembre : c'est d'ailleurs le souhait des opinions publiques israélienne et palestinienne. Je me suis rendu dans la région à la demande du président de la République pour plaider cette cause. De nouveaux arguments s'offrent à nous. Tout d'abord, le discours du 19 mai du président Obama marque un tournant dans la diplomatie américaine : c'est la première fois qu'un président américain dit explicitement que les frontières de 1967 devront servir de base aux négociations de paix -ce qui n'exclut pas des échanges de territoires mutuellement consentis. L'autre condition de la paix doit être la sécurité d'Israël.
Il fallait tirer parti de cette ouverture, sans doute la dernière avant septembre, et de la convergence des positions américaine et européenne, qui s'était aussi manifestée au Sommet du G8 à Deauville. J'ai donc proposé à MM. Abbas et Netanyahou de renouer le dialogue, sur la base d'une «plateforme de paramètres de négociations» énonçant des principes clairs, internationalement reconnus : la renonciation à la violence, la reconnaissance mutuelle de deux États pour deux peuples, le respect des accords antérieurs, et la conclusion d'un accord global mettant fin à toute réclamation. Ces principes sont équilibrés : Israël est très attaché à la reconnaissance des accords antérieurs et à l'idée d'un end to all claims, tandis que les Palestiniens tiennent à l'existence de deux États.
La «plateforme» suggère aussi de commencer par le problème des frontières et celui de la sécurité, avant de passer à ceux des réfugiés et de Jérusalem : non pas qu'il doive y avoir deux accords, mais deux temps dans la négociation, rien n'étant conclu avant que tous les points ne soient réglés.
J'ai remis ce document à MM. Abbas et Netanyahou. Le premier m'a fait part de son accord sous vingt-quatre heures ; le document prévoyant que les parties s'abstiendraient de toute provocation pendant la durée des pourparlers, il m'a demandé si de nouvelles colonisations seraient considérées comme des provocations, et je lui ai répondu que, dans notre esprit, c'était bien le cas. Quant à M. Netanyahou, il n'a pas dit non, ce qui m'a semblé une grande victoire, étant donné l'entretien fort peu encourageant que j'avais eu la veille avec son ministre des Affaires étrangères.
À Washington, deux jours plus tard, j'ai consulté Mme Clinton sur notre proposition -nous avions d'ailleurs déjà pris langue avec nos partenaires du Quartet et du G8. Pour être tout à fait franc, la secrétaire d'État américaine n'a pas témoigné un enthousiasme débordant à l'idée d'une nouvelle conférence internationale pour la paix, considérant sans doute que ces grandes cérémonies n'apportaient pas grand-chose. Mais elle a reconnu qu'une opportunité se présentait, et accepté de travailler avec nous. La Conférence des donateurs, fin juin à Paris, pourrait donc s'accompagner d'une réunion du Quartet et d'une rencontre entre les deux protagonistes. La semaine dernière, à Abu Dhabi, je me suis entretenu avec les homologues turc, égyptien, jordanien et italien, qui ont soutenu notre proposition - certains l'ont même fait publiquement. La récente réunion du Comité politique et de sécurité (Cops), à Bruxelles, a montré qu'une grande majorité de pays de l'Union européenne l'approuvaient aussi.
Les chances d'aboutir sont minces, mais non nulles. Le cas échéant, nous sommes prêts à accueillir cette réunion à Paris. Encore une fois, à la suite des soulèvements arabes, le statu quo n'est plus tenable. Seule la reprise des pourparlers peut éviter que la situation ne se dégrade de manière incontrôlée. Nous avons jusqu'au mois de septembre pour y travailler.
Comme je l'ai dit à Mme Clinton, l'administration Obama ne prend aucun risque, car si notre initiative est couronnée de succès, cela passera pour une prouesse de la diplomatie américaine, mais, dans le cas contraire, on y verra un échec de la diplomatie française...
Faute d'une reprise des négociations, nous prendrons nos responsabilités au mois de septembre, au moment où l'Assemblée générale des Nations unies devra se prononcer sur la reconnaissance d'un État palestinien. Notre position à ce sujet n'est pas encore arrêtée, la réflexion se poursuit.
Q - (À propos de la situation respective de Salah Hamouri et de Gilad Shalit)
R - Comme l'a dit Mme Cerisier ben-Guiga, j'ai reçu à Jérusalem la mère de Salah Hamouri. Les associations juives que j'ai rencontrées à New York m'ont amèrement reproché de l'avoir traitée sur le même pied que les parents de Gilad Shalit, mais je ne confonds pas les deux situations : dans un cas il s'agit d'une prise d'otage, violation insupportable des droits les plus élémentaires, dans l'autre, d'une condamnation par la justice israélienne, que nous ne remettons pas en cause.
Recevoir la mère de Salah Hamouri était pour moi un geste d'humanité, parce qu'elle me l'avait demandé : rien de plus. Voilà ce que j'ai expliqué à mon auditoire new-yorkais, qui m'a finalement applaudi, mais je ne suis pas sûr que cela vous rassure...
Q - (À propos des négociations israélo-palestiniennes)
R - M. Netanyahou est-il incité à rouvrir les négociations ? À court terme, rien ne presse : en Israël, on vit à peu près en sécurité, le taux de croissance est élevé -de l'ordre de 4,5 ou 5 % -, le chômage faible, le taux d'investissement dans la recherche-développement à faire pâlir - 4,5 % du PIB -, l'économie dynamique et innovante. Le pays commerce avec l'Europe et les États-Unis bien plus qu'avec les pays de la région. Mais il n'est pas interdit à des dirigeants politiques de se projeter à moyen ou à long terme ! Or l'environnement n'est pas favorable à Israël : des manifestations ont eu lieu dans le Golan, la situation en Syrie est instable, l'Égypte change. L'opinion publique israélienne, si elle ne souhaite pas la reprise rapide des pourparlers, est toutefois majoritairement favorable à la solution des deux États. J'ai aussi senti que les dirigeants israéliens étaient mal à l'aise à l'idée que l'Assemblée générale de l'ONU puisse reconnaître unilatéralement un État palestinien.
J'ai d'ailleurs perçu quelques ouvertures dans le discours prononcé par M. Netanyahou devant le Congrès américain, qui est passé pour très dur : il a annoncé qu'Israël devait se préparer à des compromis douloureux, c'est-à-dire à l'abandon de colonies. Il s'est dit prêt à faire preuve de «créativité» - sans s'expliquer sur ce que cela signifiait lorsque je lui ai posé la question. Pour assurer la sécurité dans la vallée du Jourdain, il n'a parlé que d'une présence militaire sur le fleuve, pour une durée limitée.
Dans notre esprit, les deux parties doivent renoncer à la violence. La France s'est toujours refusée à prendre fait et cause pour les uns ou pour les autres : nous sommes les amis des Israéliens comme des Palestiniens, et faisons en sorte qu'ils s'entendent.
Notre attitude en septembre dépendra du succès ou de l'échec de notre initiative de paix, du choix de l'Assemblée générale des Nations unies de prendre ou non une résolution, et du contenu de celle-ci. Nous nous concerterons naturellement avec nos partenaires européens.
Q - (À propos de l'Afghanistan)
R - Sur l'Afghanistan, M. Boulaud dispose d'informations toutes fraîches, mais notre position est claire : nous demandons que la Surobi entre cette année dans une nouvelle phase du processus de transition ; je l'ai dit à Mme Clinton lors de mon déplacement aux États-Unis. La décision appartient formellement au président afghan, mais le feu vert du commandement américain est évidemment indispensable.
J'ai demandé que la France soit mieux associée au travail des Américains sur quatre sujets : le calendrier de retrait, les pourparlers avec les talibans, le dialogue avec le Pakistan -le Premier ministre pakistanais m'a parlé, le mois dernier, d'un triangle Washington-Kaboul-Islamabad-, et l'après-2014, c'est-à-dire le «partenariat de longue durée» qui fera suite à la transition. Notre demande est légitime, compte tenu de notre effort : 4 000 soldats sur le terrain, et 61 morts. En tant que ministre de la Défense, je me suis rendu à trois reprises aux obsèques de soldats français morts en Afghanistan : il faut beaucoup de force de conviction pour persuader les familles du bien-fondé de notre intervention dans ce pays, et encore n'y parvient-on pas toujours...
Q - (À propos de l'attribution éventuelle d'un siège permanent au Conseil de sécurité à l'Inde, au Brésil et à l'Afrique du Sud)
R - Quant à l'Inde, au Brésil et à l'Afrique du Sud, on pourrait dire au contraire que, pour se voir accorder un siège permanent au Conseil de sécurité, ils devraient faire preuve de maturité politique sur les grands dossiers du jour.
Q - (À propos du rôle de l'Union européenne sur la scène internationale)
R - Comme l'a souligné M. Pintat, une question se pose aux Européens -que M. Robert Gates leur a d'ailleurs posée- : sont-ils capables d'assumer des responsabilités sur la scène internationale ? Aujourd'hui, seuls la France et le Royaume-Uni jouent vraiment un rôle : nos deux pays supportent la plus grande part de l'effort militaire en Libye, l'aide américaine se limitant depuis quelque temps à une assistance logistique et à un soutien moral. Les Européens prennent-ils conscience de la nécessité de relancer la PSDC ? J'aimerais le croire. Nous pressons Mme Ashton de prendre des initiatives en vue du Conseil européen de la fin de l'année, sous la présidence polonaise.
Q - (À propos de l'aide européenne à la reconstruction de la Libye)
R - Je vais rassurer M. Cambon sur l'aide européenne à la reconstruction de la Libye : autant les Européens sont réticents à prendre des initiatives politiques, autant ils sont enthousiastes lorsqu'il s'agit de payer... La Commission européenne a annoncé des crédits supplémentaires au titre de la politique de voisinage, et le pacte de Deauville comporte une aide financière de 40 milliards d'euros, dont 20 milliards de la Banque européenne d'investissement (BEI) et de la Berd. On peut regretter qu'une banque d'investissement spécifique à la Méditerranée n'ait pas été créée, mais le champ d'action de la Berd a été élargi. Lors de la réunion du G8, les chefs d'État ont demandé à leurs ministres des Affaires étrangères et des Finances de mettre au point un plan d'action pour que cette aide se concrétise, à destination de la Tunisie et de l'Égypte, bien sûr, mais aussi du Maroc et de la Jordanie. Mme Clinton et moi-même sommes convenus d'organiser une réunion des ministres concernés à New York en septembre.
Q - (À propos de la situation humanitaire en Libye)
R - Monsieur Pozzo di Borgo, vous avez raison : la situation humanitaire en Libye est très difficile. M. Jibril, plaidant à Abu Dhabi pour une mise en œuvre rapide des aides financières, a parlé de famine, de «starvation». La France s'apprête à débloquer 290 millions d'euros ; j'ai reconnu que le CNT était investi de l'autorité gouvernementale qui lui permet de récupérer ces fonds, mais la banque française qui les détient réclame d'autres garanties. Mon ministère y travaille, en collaboration avec Bercy. Les pays du Golfe font aussi des efforts, comme les Européens qui essaient de dégeler d'autres fonds, mais les juristes britanniques sont pointilleux... L'Union européenne apporte une aide humanitaire massive. M. Jibril évalue les besoins à 4 ou 5 milliards de dollars. Outre Benghazi et les autres villes cernées par les combats, la situation est préoccupante à la frontière tunisienne où les réfugiés affluent.
Q - (À propos de la reconnaissance éventuelle du Hezbollah)
R - Monsieur Berthou, nous sommes disposés à reconnaître le Hezbollah libanais comme un parti de gouvernement ayant renoncé à la violence, s'il évolue en ce sens. C'est dans le même esprit que nous avons salué la réconciliation entre le Fatah et le Hamas. Mais nous jugerons sur pièces : nous exigeons du Hezbollah qu'il respecte les engagements internationaux du Liban, qu'il préserve l'indépendance et la souveraineté du pays, qu'il permette au Tribunal spécial pour le Liban de travailler en le dotant des moyens financiers nécessaires, et qu'il garantisse la sécurité de la Force intérimaire des Nations unies au Liban, la Finul. Nous parlons d'ailleurs avec le Hezbollah, et non avec le Hamas.
Q - (À propos du Kosovo)
R - Au Kosovo, Monsieur Vantomme, la situation s'améliore - ce qui n'est pas le cas en Bosnie. Nous incitons les dirigeants serbes à mener un dialogue constructif avec les Kosovars : au-delà de l'arrestation de Radko Mladic, c'est une condition de l'intégration de la Serbie à l'Union européenne. Nous pouvons donc sans dommages réduire notre présence militaire sur place. Le ministère de la Défense cherche autant que possible à rapatrier ses soldats à l'étranger : ce fut le cas pour les gendarmes mobiles, et ce sera bientôt le cas pour la force Licorne de Côte-d'Ivoire.
Q - (À propos de l'Egypte)
R - La transition démocratique en Égypte est en bonne voie, Monsieur Badinter. Le Conseil suprême des forces armées contrôle la situation, tout en tenant compte du mécontentement qui s'exprime dans la rue. Un référendum a permis l'adoption d'une constitution. Le calendrier électoral est critiqué, parce qu'il prévoit des élections législatives d'ici la fin de l'année, avant l'élection présidentielle, ce qui, selon certains, ne laisse pas le temps nécessaire aux forces démocratiques de s'organiser, et ouvre la voie à un affrontement entre les Frères musulmans et ce qui reste du parti de Moubarak. Mais le Conseil supérieur des forces armées et le référendum ont validé ce calendrier. Certains candidats à l'élection présidentielle sont déjà en campagne, comme l'ancien secrétaire général de la Ligue arabe, M. Amr Moussa.
Je suis donc confiant, à condition que nous sachions accompagner la reprise économique. Pour l'heure, tous les ingrédients d'une crise économique majeure sont réunis : effondrement du tourisme, afflux de réfugiés de Libye, non-rapatriement des salaires des travailleurs égyptiens de Libye, frilosité des investisseurs internationaux et fortes attentes sociales de la population. Un plan d'aide est indispensable. Se pose aussi le problème des Frères musulmans. D'après M. Moussa, si des forces démocratiques parviennent à s'organiser, les Frères ne réuniront que 20 % des voix environ. Mais on ne sait pas encore très bien quel est leur programme. J'ai dit qu'il fallait parler avec tous ceux qui ne franchissaient pas la ligne rouge, c'est-à-dire qui ne versaient pas dans le terrorisme et la violence et qui acceptaient le principe de l'alternance politique. Il est essentiel que la transition se déroule dans de bonnes conditions, car un Arabe sur quatre vit en Égypte.
Q - (À propos de la double-nationalité)
R - En tant que président de l'Assemblée des Français de l'étranger, je m'intéresse de près à ces questions. Sur la double nationalité, je ne sais pas quelle est la position du gouvernement, mais je partage votre avis -même si les États-Unis et d'autres pays ne la reconnaissent pas. Ce sont des parlementaires qui ont lancé ce débat. Quant à la taxation des habitations des non-résidents, elle est destinée à compenser d'autres allègements fiscaux, mais je viens d'écrire au ministre du budget pour lui faire part des inquiétudes de nos compatriotes expatriés : j'entends parler de cette question chaque fois que je me rends à l'étranger.
Q - (À propos du rôle des futurs députés des Français de l'étranger)
R - Je déjeunais ce matin avec les ambassadeurs d'Amérique latine, qui s'interrogent sur le rôle des futurs députés des Français de l'étranger : auront-ils tendance à se substituer aux ambassadeurs ? Je suis sûr que chacun trouvera son rôle.
Q - (À propos du transit d'armes entre la Libye et les pays de la région)
R - J'ai la tentation de réserver ma réponse, Monsieur le président, car je me rends en Algérie mercredi soir - une première depuis trois ans pour un ministre des Affaires étrangères français. Je puis toutefois vous dire qu'au cours des opérations en Libye, le CNT nous avait avertis que des centaines de camions chargés d'armes arrivaient d'Algérie à destination des forces de Kadhafi ; les autorités algériennes ont démenti vivement. En sens inverse, il est presque certain que des armes transitent de Libye vers le Sahel. Dans cette région, nous cherchons à coordonner les efforts des pays intéressés - Mauritanie, Nigel, Mali, Algérie, Tchad peut-être - dans la lutte contre le terrorisme. Les pays les plus coopératifs, jusqu'à présent, ont été la Mauritanie et le Niger. L'Algérie a eu tendance à se désintéresser de ce qui se passait au-delà de ses frontières, mais les choses changent, comme l'a montré la première réunion de coordination il y a quelques jours. J'en saurai plus à mon retour.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 juin 2011