Texte intégral
Voici plusieurs années, me dit-on, que l'habitude s'est prise de réunir après les vacances d'été l'ensemble des attachés de police représentés à travers le monde afin de leur permettre d'échanger leurs expériences, de s'informer sur les orientations nouvelles en matière de coopération policière et de recevoir les instructions pour l'avenir. C'est bien volontiers que je prolonge ce qui est devenu une tradition et que je vous dis tout le plaisir que j'ai de recevoir dans ce ministère, des fonctionnaires qui en sont les représentants dans plus de cinquante de nos ambassades en Afrique, en Amérique, en Asie et en Europe.
Permettez-moi cependant avant de m'adresser directement à vous, de saluer tout particulièrement mon collègue Charles Josselin chargé de la Coopération, que je remercie et Monsieur Bertrand Dufourcq, Secrétaire général au ministère des Affaires étrangères représentant Hubert Védrine en visite à Moscou, d'avoir accepté de franchir la Seine pour nous rejoindre et pour participer à des travaux portant sur des sujets relevant largement de leur compétence
Vous êtes, Madame et Messieurs, les membres du Service de coopération technique internationale de police qu'on appelle familièrement SCTIP. Il a été créé depuis plus de 35 ans, en un temps où il fallait aider les Etats africains devenus indépendants à assumer leurs responsabilités nouvelles en matière de sécurité. Derrière ce sigle, se développent des activités diverses dont les plus importantes sont évidemment le transfert de connaissances, l'échange d'expériences, l'information réciproque et, d'une façon générale, la représentation à l'étranger, auprès des polices locales, de la police nationale dans toutes ses composantes.
A l'origine, il s'agissait surtout de former des polices nouvelles dans des Etats qui n'en disposaient pratiquement pas, de les assister dans leur mise en route et de les accompagner de plus en plus loin dans l'exercice de leur mission. Pour ma part, et je pense que mon collègue Josselin partage ce point de vue, j'estime aujourd'hui que cette activité de coopération technique doit désormais évoluer et prendre de plus en plus de distance par rapport à la gestion quotidienne des affaires. J'imagine bien ce que peuvent être, dans certains cas, les sollicitations reçues de vos partenaires, la propension à faire soi-même plutôt qu'à faire faire, surtout lorsque l'action policière met en cause comme victimes, ou comme auteurs nos compatriotes expatriés. Mais la place de la police nationale à l'étranger ne se justifie en matière de coopération technique que dans le transfert de connaissances, et cette remarque vaut d'ailleurs pour tous les pays du monde, qu'il s'agisse de l'Europe, de l'Afrique ou de l'Amérique.
Cette orientation n'est pas une restriction d'activité. D'abord parce que vous avez beaucoup d'autres choses à faire, comme nous le verrons tout à l'heure, mais aussi parce qu'il y a toutes sortes de domaines où notre police nationale a des compétences unanimement reconnues et pour lesquelles elle est sollicitée à l'extérieur parce qu'elles sont des pôles d'excellence - le maintien de l'ordre républicain, parce que le professionnalisme et le sang-froid acquis à travers 50 ans d'expérience sont enviés et respectés ;
- la protection de hautes personnalités que nous assurons en France avec des techniques discrètes, souples et très efficaces ;
- l'organisation des services, et les audits de contrôle interne où s'exprime toute notre culture administrative fondée sur la séparation des pouvoirs et la rigueur des fonctionnaires chargés d'inspection ;
- la police judiciaire et ses techniques d'investigations où notre expérience est maintenant plus que centenaire.
Inversement, nous pouvons aussi trouver chez nos partenaires de quoi nous enrichir nous-mêmes. Vous pouvez croire qu'il n'est pas dans ma nature de faire preuve d'une humilité particulière pour ce qui concerne la capacité de notre pays à appréhender les problèmes auxquels il est confronté ! Je n'en suis que plus à l'aise pour vous dire qu'il ne faut pas hésiter à prendre chez les autres ce qui est bon pour nous et, s'ils sont prêts à nous offrir leurs connaissances, à ne pas faire preuve à leur égard de la hauteur, de l'arrogance, dont on nous taxe parfois et qui nous conduit à considérer que nos comportements et nos méthodes sont toujours supérieurs !
Coopération technique pour nous signifie donc aussi, échange et enrichissement réciproque dont nous ne serons pas les derniers bénéficiaires. Mais au-delà de ce qui est écrit dans la "raison sociale" de votre service, la "coopération technique", il y a maintenant bien d'autres tâches qui vous sont assignées et sur lesquelles je voudrais vous apporter ma façon de voir.
D'abord, ce que nous appelons le "retour en sécurité intérieure". Si la police nationale est présente à l'étranger aujourd'hui, c'est principalement pour que nos concitoyens y trouvent directement leur compte, c'est-à-dire pour que la lutte engagée contre la criminalité y gagne des moyens et des renforts. La mondialisation de l'économie, c'est aussi hélas ! la mondialisation du crime ; la communication en temps réel, c'est aussi l'échange instantané d'informations permettant de commettre des forfaits à distance ; le libre échange des personnes et des biens, c'est aussi la porte ouverte aux migrations irrégulières, à la fraude, à la contrefaçon, et pire encore, au terrorisme.
Contre toutes ces activités délictueuses, vous êtes, Madame et Messieurs les Attachés de police, vous aussi bien sûr, Messieurs les Officiers de liaison, les éléments avancés de la police nationale en territoire étranger. Vous n'y êtes pas des espions puisque que tous les renseignements que vous recueillez ou que vous donnez sont destinés à d'autres services de police ; vous n'êtes pas chargés non plus de travailler indépendamment des organisations internationales ou européennes de police puisque vous pouvez aussi leur apporter votre concours ; vous n'êtes pas là seulement pour renseigner, mais aussi pour agir et je sais que l'exécution des commissions rogatoires internationales est une de vos activités les plus prenantes. Vous êtes là surtout pour organiser la collaboration des polices étrangères avec la nôtre, quelquefois même pour les inciter à s'intéresser à des pratiques criminelles sur lesquelles elles fermeraient volontiers les yeux et principalement pour leur faire comprendre que notre sécurité est aussi la leur et qu'il est de l'intérêt de l'humanité tout entière que la lutte contre la criminalité organisée ne connaisse elle-même pas de frontière. Il ne vous est pas interdit non plus, bien au contraire, de mettre votre compétence à la disposition des services de l'Union européenne qui ont vocation à lutter contre des exactions financières.
Votre mission professionnelle s'exerce au service des intérêts de la France. Notre société est moins menacée par des agressions strictement militaires, que par des mouvements de toute nature et fort complexes qui peuvent remettre en cause la démocratie, la liberté et le respect des valeurs républicaines. Contre les menaces diffuses, il nous appartient de définir une véritable politique de sécurité intérieure. Il vous appartient à vous, - vous en avez le devoir - de contribuer à l'élaboration et à l'application de cette politique. D'abord en étant de bons observateurs des sociétés et des économies auprès desquelles vous êtes placés, en vous efforçant d'en deviner les ressorts profonds, les objectifs de leurs gouvernements, les techniques de leur action internationale; en participant à votre manière, c'est-à-dire d'une façon nullement cachée mais très ouverte, à l'information dont nos entreprises ont besoin pour leur développement et en participant ainsi à l'effort "d'intelligence économique" que bien des pays qui sont nos concurrents ou nos adversaires savent si aisément mettre en uvre, sans "états d'âme" et sans vergogne !
Puis-je saisir l'occasion qui m'est ici donnée pour vous dire que je ne vois aucun inconvénient, bien au contraire, à ce que vous entreteniez avec la SOFREMI qui est un outil du ministère de l'Intérieur, des relations régulières dont les limites ne seront constituées que par l'interdiction d'introduire une confusion des genres qui conduirait nos partenaires à ne plus savoir que vous êtes des policiers et que les experts de la SOFREMI sont, eux, des commerçants.
Dans un autre ordre d'idée, je vous encourage à soutenir toute action qui aurait pour objectif de faire connaître et promouvoir nos principes d'organisation des pouvoirs publics, notre ordre juridique, nos méthodes, bref notre culture institutionnelle. Toute administration qui s'inspirera de nos règles pour son organisation et son fonctionnement est à priori une administration avec laquelle nous travaillerons facilement. Tout système judiciaire - civil ou pénal - inspiré des mêmes principes que le nôtre
coopérera plus directement avec nous. Tout policier étranger qui s'exprimera dans notre langue - et je sais que je rejoins ici l'une des préoccupations de M. Josselin - échangera plus volontiers des informations avec nous que s'il lui est nécessaire de recourir à un truchement.
De même, et je n'hésite pas à le dire aux défenseurs de l'ordre et des valeurs républicaines que vous êtes, toute action qui a pour objet la promotion de nos valeurs de respect des personnes, de responsabilité individuelle et d'universalité et à laquelle vous seriez associés aura ma faveur parce qu'elle contribuera à défendre notre République à l'extérieur et à faire reconnaître la prééminence de son inspiration sur tout autre système de pensée et d'organisation politique !
Vous ayant dit tout cela, je suis conduit à m'interroger sur la capacité matérielle de votre service à répondre à tous ces défis. Vous n'êtes pas très nombreux, moins de 350 (mais à l'étranger vous êtes moins de 200) ; vos moyens financiers d'intervention sont pour l'essentiel ceux que vous accordent les ministères des Affaires étrangères et de la Coopération. Vos bureaux ne comprennent parfois que vous-mêmes et vos secrétaires. Avec de tels moyens pouvez-vous faire face à l'ensemble des objectifs qui vous sont fixés ?
Pour ma part, je le crois si vous faites preuve d'imagination ou plutôt si vous accepter de vous prêter à l'effort de réflexion que je vous propose.
Je pense tout d'abord que des ressources humaines sont disponibles dans les délégations les mieux dotées: si nous acceptons l'idée que la coopération de substitution relève d'une vision passéiste des choses, si nous limitons - en accord avec M. Josselin - notre coopération technique à une coopération de transfert des connaissances et de formation de formateurs, nous pouvons dégager suffisamment de moyens en hommes pour les redéployer à la fois dans des postes qui n'en sont pas suffisamment pourvus (et pour ma part, j'estime que chacun d'entre vous doit disposer au moins d'un collaborateur) et dans des pays où il est nécessaire que la police nationale soit représentée dorénavant parce que l'intensité criminogène y est forte, ou que le besoin de coopération s'y exprime avec beaucoup de vigueur.
S'agissant des moyens financiers, je vous invite à vous tourner vers les ressources considérables que mettent à notre disposition les organisations internationales comme les programmes des Nations unies de lutte contre le crime ou contre les trafics de stupéfiants, ou comme l'Union européenne à travers ses programmes d'aide au développement ou d'assistance aux pays de l'est européen. Certes, les financements proposés ne correspondent pas toujours à nos propres préoccupations, mais l'expérience montre que certains des objectifs poursuivis par ces organisations sont tout à fait en phase avec les nôtres.
Comme la contribution de la France représente une proportion importante des financements internationaux, il me paraît tout à fait normal que nous en usions comme d'autres pour conduire notre action et je vous invite à en explorer sérieusement la possibilité. Votre service central bien sûr, mais aussi les délégations de l'Union européenne - et celles du PNUD ou du PNUCID sont là pour vous aider.
Mais vos moyens et vos ressources sont aussi en vous-mêmes et dans le réseau que vous constituerez avec le reste de la police nationale. Vous le savez mieux que quiconque, c'est parce que vous êtes l'élément d'une longue chaîne que vous êtes capables d'assurer votre mission. Cette chaîne passe par votre service central qui reçoit vos demandes et les redistribue vers les autres directions de la police nationale ; inversement le service central reçoit les communications de ces directions et vous les rediffuse pour que vous y répondiez. Dans tous les cas, vous devez savoir que vous n'êtes rien sans des contacts étroits avec les autres, mais que vous disposez d'une force considérable si vous savez bien utiliser les réseaux auxquels vous appartenez. Messieurs les Directeurs des services actifs qui sont ici présents auront bien compris que je m'adresse aussi à eux à travers ces propos et que je leur demande de considérer que les attachés de police n'ont d'activité intéressante pour notre sécurité que celles qui peuvent être reprises et développées par eux-mêmes.
Vous seriez surpris que je ne profite pas de l'occasion pour évoquer brièvement la question de la nature des relations entres les attachés de police et des officiers de liaison compétents en matière de lutte contre les trafics de stupéfiants, contre le terrorisme et contre les migrations irrégulières. A cette question pourtant, la réponse est simple : il n'y a qu'un seul représentant de la police nationale auprès de l'ambassadeur et c'est l'attaché de police : les officiers de liaison lui sont bien sûr subordonnés, ce qui, pour des affaires "opérationnelles", ne les empêche naturellement pas de correspondre directement avec leur hiérarchie d'emploi. Mais il est exclu qu'il puisse y avoir plusieurs discours sur le même sujet ou pire encore, des divergences d'information du fait d'une dualité des services que je n'accepte pas. Les attachés de police doivent être informés.
Cette même remarque, je pourrais la faire pour ce qui concerne nos relations avec MM. les ambassadeurs et MM. les chefs de mission d'aide et de coopération dans les pays du "champ". Vous êtes placés sous leur autorité pour ce qui les concerne et vous ne pouvez pas avoir d'action autonome par rapport à eux, ce qui ne vous empêche pas, naturellement, de continuer à appartenir à la police nationale et d'en recevoir des directives.
La force d'un réseau est dans sa cohésion, et dans la conscience claire des missions à remplir au service de l'intérêt public.
Vous ayant dit tout cela, je voudrais pour conclure mes propos de ce matin vous donner quelques directives précises pour l'avenir immédiat que je vous demande de considérer comme vos priorités.
A chacun, je demande de placer au premier rang de ses préoccupations la lutte contre la criminalité organisée. Je ne voudrais pas revenir trop longtemps sur ces thèmes que j'ai déjà abordés précédemment, mais je voudrais vous dire combien je suis impressionné par l'emprise qu'ont certains systèmes mafieux sur bon nombre de pays avec lesquels nous sommes en relation. Or, une telle emprise contredit tous les discours que l'on peut tenir par ailleurs sur l'Etat de droit, les libertés fondamentales et le développement. Je ne peux imaginer l'émergence ou l'instauration d'un système démocratique sans que soient combattues simultanément toutes les tentations d'appropriation du profit économique par une organisation de malfaiteurs manipulant violence et corruption.
C'est pourquoi je pense que la priorité de votre action doit aller vers la réduction de cette menace qui pourrait bientôt nous concerner si nous n'y prenions pas garde et je vous encourage à poursuivre le travail déjà accompli notamment vers l'Est de notre continent et dont on m'a déjà rapporté l'efficacité.
Ma deuxième priorité est d'une toute autre nature et elle est liée à l'évolution institutionnelle de l'Europe. Les traités déjà signés, et ceux qui pourront l'être prochainement, comportent une novation tout à fait extraordinaire puisqu'ils organisent la sécurité intérieure de notre pays d'une manière qui n'est plus exclusivement nationale. Or, je pense que s'il est admissible et souvent utile de partager à plusieurs, le fardeau de la lutte contre le crime, nous devons pouvoir conserver la maîtrise de nos priorités en la matière.
J'invite donc ceux parmi vous qui participent à des instances communautaires à ne jamais perdre de vue l'intérêt national, et ceux qui exercent leur activité dans des pays de l'Union ou dans des pays candidats à l'intégration à défendre fermement nos positions, notamment en ne relâchant pas l'effort en matière de coopération technique qui est une bonne manière de faire valoir notre culture juridique et policière, et en développant la coopération opérationnelle bilatérale qui nous permet de garder la maîtrise de certaines opérations.
Ma troisième priorité est en quelque sorte un complément des deux autres et elle s'adresse tout autant aux responsables de votre service central qu'à vous-mêmes, Madame et Messieurs les Attachés de police : il faut que vous soyez plus que jamais de véritables professionnels perçus comme tels à l'extérieur, c'est-à-dire dans les ambassades, dans les missions de coopération et auprès de nos partenaires étrangers ; il faut aussi que ce professionnalisme vous soit reconnu par l'ensemble de vos collègues de la police nationale qui doivent voir en vous leurs représentants qualifiés et légitimes à l'étranger.
Cette professionnalisation suppose de votre part de véritables connaissances historiques, sociales et géostratégiques: elle implique que vous sachiez conduire des négociations, que vous pratiquiez les langues parlées dans les pays de votre résidence, que vous sachiez monter financièrement des dossiers de coopération, bref, que vous ayez des connaissances supplémentaires à celles de bons policiers compétents dans leurs métiers de base.
Plus votre compétence d'attachés sera reconnue, mieux en effet on saura que vous êtes aptes à aborder toutes les questions qui peuvent se poser en matière de sécurité et de coopération. Des efforts ont déjà été accomplis dans ce sens, mais j'entends qu'ils soient accentués et je demande à votre chef de service, sous l'autorité de M. le directeur général, de me faire prochainement des propositions en ce sens.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que j'attends de vous pour l'avenir et avant de laisser la parole à mon collègue de la coopération et à M. le Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères qui auront certainement à cur de donner à vos travaux de cette semaine l'éclairage de leurs départements respectifs, je voudrais simplement conclure mes propos en vous remerciant du travail que vous accomplissez pour la défense des intérêts de la France en matière de sécurité et en vous encourageant à la poursuivre avec la même ardeur tout au long de cette année nouvelle.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 octobre 2001)
Permettez-moi cependant avant de m'adresser directement à vous, de saluer tout particulièrement mon collègue Charles Josselin chargé de la Coopération, que je remercie et Monsieur Bertrand Dufourcq, Secrétaire général au ministère des Affaires étrangères représentant Hubert Védrine en visite à Moscou, d'avoir accepté de franchir la Seine pour nous rejoindre et pour participer à des travaux portant sur des sujets relevant largement de leur compétence
Vous êtes, Madame et Messieurs, les membres du Service de coopération technique internationale de police qu'on appelle familièrement SCTIP. Il a été créé depuis plus de 35 ans, en un temps où il fallait aider les Etats africains devenus indépendants à assumer leurs responsabilités nouvelles en matière de sécurité. Derrière ce sigle, se développent des activités diverses dont les plus importantes sont évidemment le transfert de connaissances, l'échange d'expériences, l'information réciproque et, d'une façon générale, la représentation à l'étranger, auprès des polices locales, de la police nationale dans toutes ses composantes.
A l'origine, il s'agissait surtout de former des polices nouvelles dans des Etats qui n'en disposaient pratiquement pas, de les assister dans leur mise en route et de les accompagner de plus en plus loin dans l'exercice de leur mission. Pour ma part, et je pense que mon collègue Josselin partage ce point de vue, j'estime aujourd'hui que cette activité de coopération technique doit désormais évoluer et prendre de plus en plus de distance par rapport à la gestion quotidienne des affaires. J'imagine bien ce que peuvent être, dans certains cas, les sollicitations reçues de vos partenaires, la propension à faire soi-même plutôt qu'à faire faire, surtout lorsque l'action policière met en cause comme victimes, ou comme auteurs nos compatriotes expatriés. Mais la place de la police nationale à l'étranger ne se justifie en matière de coopération technique que dans le transfert de connaissances, et cette remarque vaut d'ailleurs pour tous les pays du monde, qu'il s'agisse de l'Europe, de l'Afrique ou de l'Amérique.
Cette orientation n'est pas une restriction d'activité. D'abord parce que vous avez beaucoup d'autres choses à faire, comme nous le verrons tout à l'heure, mais aussi parce qu'il y a toutes sortes de domaines où notre police nationale a des compétences unanimement reconnues et pour lesquelles elle est sollicitée à l'extérieur parce qu'elles sont des pôles d'excellence - le maintien de l'ordre républicain, parce que le professionnalisme et le sang-froid acquis à travers 50 ans d'expérience sont enviés et respectés ;
- la protection de hautes personnalités que nous assurons en France avec des techniques discrètes, souples et très efficaces ;
- l'organisation des services, et les audits de contrôle interne où s'exprime toute notre culture administrative fondée sur la séparation des pouvoirs et la rigueur des fonctionnaires chargés d'inspection ;
- la police judiciaire et ses techniques d'investigations où notre expérience est maintenant plus que centenaire.
Inversement, nous pouvons aussi trouver chez nos partenaires de quoi nous enrichir nous-mêmes. Vous pouvez croire qu'il n'est pas dans ma nature de faire preuve d'une humilité particulière pour ce qui concerne la capacité de notre pays à appréhender les problèmes auxquels il est confronté ! Je n'en suis que plus à l'aise pour vous dire qu'il ne faut pas hésiter à prendre chez les autres ce qui est bon pour nous et, s'ils sont prêts à nous offrir leurs connaissances, à ne pas faire preuve à leur égard de la hauteur, de l'arrogance, dont on nous taxe parfois et qui nous conduit à considérer que nos comportements et nos méthodes sont toujours supérieurs !
Coopération technique pour nous signifie donc aussi, échange et enrichissement réciproque dont nous ne serons pas les derniers bénéficiaires. Mais au-delà de ce qui est écrit dans la "raison sociale" de votre service, la "coopération technique", il y a maintenant bien d'autres tâches qui vous sont assignées et sur lesquelles je voudrais vous apporter ma façon de voir.
D'abord, ce que nous appelons le "retour en sécurité intérieure". Si la police nationale est présente à l'étranger aujourd'hui, c'est principalement pour que nos concitoyens y trouvent directement leur compte, c'est-à-dire pour que la lutte engagée contre la criminalité y gagne des moyens et des renforts. La mondialisation de l'économie, c'est aussi hélas ! la mondialisation du crime ; la communication en temps réel, c'est aussi l'échange instantané d'informations permettant de commettre des forfaits à distance ; le libre échange des personnes et des biens, c'est aussi la porte ouverte aux migrations irrégulières, à la fraude, à la contrefaçon, et pire encore, au terrorisme.
Contre toutes ces activités délictueuses, vous êtes, Madame et Messieurs les Attachés de police, vous aussi bien sûr, Messieurs les Officiers de liaison, les éléments avancés de la police nationale en territoire étranger. Vous n'y êtes pas des espions puisque que tous les renseignements que vous recueillez ou que vous donnez sont destinés à d'autres services de police ; vous n'êtes pas chargés non plus de travailler indépendamment des organisations internationales ou européennes de police puisque vous pouvez aussi leur apporter votre concours ; vous n'êtes pas là seulement pour renseigner, mais aussi pour agir et je sais que l'exécution des commissions rogatoires internationales est une de vos activités les plus prenantes. Vous êtes là surtout pour organiser la collaboration des polices étrangères avec la nôtre, quelquefois même pour les inciter à s'intéresser à des pratiques criminelles sur lesquelles elles fermeraient volontiers les yeux et principalement pour leur faire comprendre que notre sécurité est aussi la leur et qu'il est de l'intérêt de l'humanité tout entière que la lutte contre la criminalité organisée ne connaisse elle-même pas de frontière. Il ne vous est pas interdit non plus, bien au contraire, de mettre votre compétence à la disposition des services de l'Union européenne qui ont vocation à lutter contre des exactions financières.
Votre mission professionnelle s'exerce au service des intérêts de la France. Notre société est moins menacée par des agressions strictement militaires, que par des mouvements de toute nature et fort complexes qui peuvent remettre en cause la démocratie, la liberté et le respect des valeurs républicaines. Contre les menaces diffuses, il nous appartient de définir une véritable politique de sécurité intérieure. Il vous appartient à vous, - vous en avez le devoir - de contribuer à l'élaboration et à l'application de cette politique. D'abord en étant de bons observateurs des sociétés et des économies auprès desquelles vous êtes placés, en vous efforçant d'en deviner les ressorts profonds, les objectifs de leurs gouvernements, les techniques de leur action internationale; en participant à votre manière, c'est-à-dire d'une façon nullement cachée mais très ouverte, à l'information dont nos entreprises ont besoin pour leur développement et en participant ainsi à l'effort "d'intelligence économique" que bien des pays qui sont nos concurrents ou nos adversaires savent si aisément mettre en uvre, sans "états d'âme" et sans vergogne !
Puis-je saisir l'occasion qui m'est ici donnée pour vous dire que je ne vois aucun inconvénient, bien au contraire, à ce que vous entreteniez avec la SOFREMI qui est un outil du ministère de l'Intérieur, des relations régulières dont les limites ne seront constituées que par l'interdiction d'introduire une confusion des genres qui conduirait nos partenaires à ne plus savoir que vous êtes des policiers et que les experts de la SOFREMI sont, eux, des commerçants.
Dans un autre ordre d'idée, je vous encourage à soutenir toute action qui aurait pour objectif de faire connaître et promouvoir nos principes d'organisation des pouvoirs publics, notre ordre juridique, nos méthodes, bref notre culture institutionnelle. Toute administration qui s'inspirera de nos règles pour son organisation et son fonctionnement est à priori une administration avec laquelle nous travaillerons facilement. Tout système judiciaire - civil ou pénal - inspiré des mêmes principes que le nôtre
coopérera plus directement avec nous. Tout policier étranger qui s'exprimera dans notre langue - et je sais que je rejoins ici l'une des préoccupations de M. Josselin - échangera plus volontiers des informations avec nous que s'il lui est nécessaire de recourir à un truchement.
De même, et je n'hésite pas à le dire aux défenseurs de l'ordre et des valeurs républicaines que vous êtes, toute action qui a pour objet la promotion de nos valeurs de respect des personnes, de responsabilité individuelle et d'universalité et à laquelle vous seriez associés aura ma faveur parce qu'elle contribuera à défendre notre République à l'extérieur et à faire reconnaître la prééminence de son inspiration sur tout autre système de pensée et d'organisation politique !
Vous ayant dit tout cela, je suis conduit à m'interroger sur la capacité matérielle de votre service à répondre à tous ces défis. Vous n'êtes pas très nombreux, moins de 350 (mais à l'étranger vous êtes moins de 200) ; vos moyens financiers d'intervention sont pour l'essentiel ceux que vous accordent les ministères des Affaires étrangères et de la Coopération. Vos bureaux ne comprennent parfois que vous-mêmes et vos secrétaires. Avec de tels moyens pouvez-vous faire face à l'ensemble des objectifs qui vous sont fixés ?
Pour ma part, je le crois si vous faites preuve d'imagination ou plutôt si vous accepter de vous prêter à l'effort de réflexion que je vous propose.
Je pense tout d'abord que des ressources humaines sont disponibles dans les délégations les mieux dotées: si nous acceptons l'idée que la coopération de substitution relève d'une vision passéiste des choses, si nous limitons - en accord avec M. Josselin - notre coopération technique à une coopération de transfert des connaissances et de formation de formateurs, nous pouvons dégager suffisamment de moyens en hommes pour les redéployer à la fois dans des postes qui n'en sont pas suffisamment pourvus (et pour ma part, j'estime que chacun d'entre vous doit disposer au moins d'un collaborateur) et dans des pays où il est nécessaire que la police nationale soit représentée dorénavant parce que l'intensité criminogène y est forte, ou que le besoin de coopération s'y exprime avec beaucoup de vigueur.
S'agissant des moyens financiers, je vous invite à vous tourner vers les ressources considérables que mettent à notre disposition les organisations internationales comme les programmes des Nations unies de lutte contre le crime ou contre les trafics de stupéfiants, ou comme l'Union européenne à travers ses programmes d'aide au développement ou d'assistance aux pays de l'est européen. Certes, les financements proposés ne correspondent pas toujours à nos propres préoccupations, mais l'expérience montre que certains des objectifs poursuivis par ces organisations sont tout à fait en phase avec les nôtres.
Comme la contribution de la France représente une proportion importante des financements internationaux, il me paraît tout à fait normal que nous en usions comme d'autres pour conduire notre action et je vous invite à en explorer sérieusement la possibilité. Votre service central bien sûr, mais aussi les délégations de l'Union européenne - et celles du PNUD ou du PNUCID sont là pour vous aider.
Mais vos moyens et vos ressources sont aussi en vous-mêmes et dans le réseau que vous constituerez avec le reste de la police nationale. Vous le savez mieux que quiconque, c'est parce que vous êtes l'élément d'une longue chaîne que vous êtes capables d'assurer votre mission. Cette chaîne passe par votre service central qui reçoit vos demandes et les redistribue vers les autres directions de la police nationale ; inversement le service central reçoit les communications de ces directions et vous les rediffuse pour que vous y répondiez. Dans tous les cas, vous devez savoir que vous n'êtes rien sans des contacts étroits avec les autres, mais que vous disposez d'une force considérable si vous savez bien utiliser les réseaux auxquels vous appartenez. Messieurs les Directeurs des services actifs qui sont ici présents auront bien compris que je m'adresse aussi à eux à travers ces propos et que je leur demande de considérer que les attachés de police n'ont d'activité intéressante pour notre sécurité que celles qui peuvent être reprises et développées par eux-mêmes.
Vous seriez surpris que je ne profite pas de l'occasion pour évoquer brièvement la question de la nature des relations entres les attachés de police et des officiers de liaison compétents en matière de lutte contre les trafics de stupéfiants, contre le terrorisme et contre les migrations irrégulières. A cette question pourtant, la réponse est simple : il n'y a qu'un seul représentant de la police nationale auprès de l'ambassadeur et c'est l'attaché de police : les officiers de liaison lui sont bien sûr subordonnés, ce qui, pour des affaires "opérationnelles", ne les empêche naturellement pas de correspondre directement avec leur hiérarchie d'emploi. Mais il est exclu qu'il puisse y avoir plusieurs discours sur le même sujet ou pire encore, des divergences d'information du fait d'une dualité des services que je n'accepte pas. Les attachés de police doivent être informés.
Cette même remarque, je pourrais la faire pour ce qui concerne nos relations avec MM. les ambassadeurs et MM. les chefs de mission d'aide et de coopération dans les pays du "champ". Vous êtes placés sous leur autorité pour ce qui les concerne et vous ne pouvez pas avoir d'action autonome par rapport à eux, ce qui ne vous empêche pas, naturellement, de continuer à appartenir à la police nationale et d'en recevoir des directives.
La force d'un réseau est dans sa cohésion, et dans la conscience claire des missions à remplir au service de l'intérêt public.
Vous ayant dit tout cela, je voudrais pour conclure mes propos de ce matin vous donner quelques directives précises pour l'avenir immédiat que je vous demande de considérer comme vos priorités.
A chacun, je demande de placer au premier rang de ses préoccupations la lutte contre la criminalité organisée. Je ne voudrais pas revenir trop longtemps sur ces thèmes que j'ai déjà abordés précédemment, mais je voudrais vous dire combien je suis impressionné par l'emprise qu'ont certains systèmes mafieux sur bon nombre de pays avec lesquels nous sommes en relation. Or, une telle emprise contredit tous les discours que l'on peut tenir par ailleurs sur l'Etat de droit, les libertés fondamentales et le développement. Je ne peux imaginer l'émergence ou l'instauration d'un système démocratique sans que soient combattues simultanément toutes les tentations d'appropriation du profit économique par une organisation de malfaiteurs manipulant violence et corruption.
C'est pourquoi je pense que la priorité de votre action doit aller vers la réduction de cette menace qui pourrait bientôt nous concerner si nous n'y prenions pas garde et je vous encourage à poursuivre le travail déjà accompli notamment vers l'Est de notre continent et dont on m'a déjà rapporté l'efficacité.
Ma deuxième priorité est d'une toute autre nature et elle est liée à l'évolution institutionnelle de l'Europe. Les traités déjà signés, et ceux qui pourront l'être prochainement, comportent une novation tout à fait extraordinaire puisqu'ils organisent la sécurité intérieure de notre pays d'une manière qui n'est plus exclusivement nationale. Or, je pense que s'il est admissible et souvent utile de partager à plusieurs, le fardeau de la lutte contre le crime, nous devons pouvoir conserver la maîtrise de nos priorités en la matière.
J'invite donc ceux parmi vous qui participent à des instances communautaires à ne jamais perdre de vue l'intérêt national, et ceux qui exercent leur activité dans des pays de l'Union ou dans des pays candidats à l'intégration à défendre fermement nos positions, notamment en ne relâchant pas l'effort en matière de coopération technique qui est une bonne manière de faire valoir notre culture juridique et policière, et en développant la coopération opérationnelle bilatérale qui nous permet de garder la maîtrise de certaines opérations.
Ma troisième priorité est en quelque sorte un complément des deux autres et elle s'adresse tout autant aux responsables de votre service central qu'à vous-mêmes, Madame et Messieurs les Attachés de police : il faut que vous soyez plus que jamais de véritables professionnels perçus comme tels à l'extérieur, c'est-à-dire dans les ambassades, dans les missions de coopération et auprès de nos partenaires étrangers ; il faut aussi que ce professionnalisme vous soit reconnu par l'ensemble de vos collègues de la police nationale qui doivent voir en vous leurs représentants qualifiés et légitimes à l'étranger.
Cette professionnalisation suppose de votre part de véritables connaissances historiques, sociales et géostratégiques: elle implique que vous sachiez conduire des négociations, que vous pratiquiez les langues parlées dans les pays de votre résidence, que vous sachiez monter financièrement des dossiers de coopération, bref, que vous ayez des connaissances supplémentaires à celles de bons policiers compétents dans leurs métiers de base.
Plus votre compétence d'attachés sera reconnue, mieux en effet on saura que vous êtes aptes à aborder toutes les questions qui peuvent se poser en matière de sécurité et de coopération. Des efforts ont déjà été accomplis dans ce sens, mais j'entends qu'ils soient accentués et je demande à votre chef de service, sous l'autorité de M. le directeur général, de me faire prochainement des propositions en ce sens.
Voilà, Mesdames et Messieurs, ce que j'attends de vous pour l'avenir et avant de laisser la parole à mon collègue de la coopération et à M. le Secrétaire général du ministère des Affaires étrangères qui auront certainement à cur de donner à vos travaux de cette semaine l'éclairage de leurs départements respectifs, je voudrais simplement conclure mes propos en vous remerciant du travail que vous accomplissez pour la défense des intérêts de la France en matière de sécurité et en vous encourageant à la poursuivre avec la même ardeur tout au long de cette année nouvelle.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 25 octobre 2001)