Déclaration de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, sur l'intervention militaire en Libye, à l'Assemblée nationale le 12 juillet 2011.

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Circonstance : Débat à l'Assemblée nationale sur la prolongation de l'intervention des forces armées françaises en Libye, le 12 juillet 2011

Texte intégral

Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Députés, je souhaite avant tout, en ma qualité de ministre de la Défense, remercier l'ensemble des orateurs et, à l'instant, le ministre d'État, ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, pour avoir rendu hommage à nos combattants engagés dans des opérations extérieures et plus précisément, cet après-midi, pour avoir rendu hommage à nos aviateurs et à nos marins grâce auxquels la voix de notre pays fait autorité dans l'ordre international pour permettre au peuple libyen d'espérer plus de paix, plus de sérénité et plus de respect.
À cet instant, j'emprunterai au président Christian Jacob sa formule : le temps médiatique n'est ni le temps militaire ni le temps diplomatique.
À propos du temps diplomatique, je reviens sur une évidence que j'entends souligner avec force : lorsque le président de la République a pris l'initiative de recevoir et d'écouter avant de décider qu'il fallait soutenir le CNT, la France apparaissait singulière : exemplaire pour les uns et au bord de l'initiative pour les autres. Aujourd'hui, grâce au travail du ministre d'État, plus de trente pays reconnaissent le CNT.
Ce choix, que nous avons été les premiers à faire, a été mis en œuvre par un temps diplomatique en quatre mois. Aujourd'hui, même l'Union africaine se désolidarise de celui qu'elle reconnaissait encore comme l'un des siens il y a quelques semaines et qu'elle invite désormais à s'éloigner des responsabilités. Ce temps diplomatique n'a pas été un temps perdu, grâce à l'initiative de la France.
Je reviens à présent au temps militaire. Peut-on reprocher à une population civile se dressant sans armes contre un dictateur établi sur quarante années d'autorité et de force, exerçant un pouvoir absolu de ne pouvoir constituer en quelques jours, ou même en quelques semaines, la force capable, sur le terrain, de repousser un dispositif militaire solidement adossé sur les moyens accumulés de la rente pétrolière ?
On ne peut décemment reprocher au peuple libyen soulevé contre son dictateur de ne pouvoir devenir en quelques jours ou en quelques semaines l'armée de choc capable de porter sa liberté jusqu'à Tripoli.
L'intervention aérienne extérieure a toutefois arrêté la main qui allait frapper et permis à la population libérée de l'emprise kadhafiste de se constituer progressivement en une véritable force civile et militaire. C'est la situation militaire que j'observe en cet instant. Le front a été stabilisé à Brega et la population de la Cyrénaïque peut s'organiser librement.
Ce sont les Libyens de Misrata, certes avec le bénéfice de l'appui aérien assuré dans les conditions que vous avez rappelées et auquel la France a pris une part prépondérante, qui ont eux-mêmes desserré l'étau, en repoussant notamment la trente-deuxième brigade kadhafiste dirigée par l'un des fils de Kadhafi, unité sur laquelle le dictateur comptait pour rétablir son autorité.
Des gens qui, hier, étaient avocats, médecins, commerçants, agriculteurs, ouvriers, se sont transformés en combattants. Peut-on leur reprocher de ne pas régler un problème militaire en quelques semaines alors que la communauté internationale s'est mise d'accord pour établir une zone d'exclusion aérienne et assurer un soutien aérien tout en décidant de ne pas intervenir au sol ? Ces citoyens, hier sous l'autorité d'un dictateur, ont pris leurs responsabilités et nous donnent une belle leçon de courage. Cela méritait d'être signalé.
Sur le plan militaire, il existe trois fronts bien identifiés : Brega, que j'ai évoqué, Misrata, à 200 kilomètres à l'est de Tripoli, et, au sud-ouest de la capitale, le Djebel Nefoussa, où des populations traditionnellement enracinées dans leurs montagnes ont pris l'initiative de se libérer elles-mêmes et de constituer un territoire, et que nous avons en effet soutenues par un parachutage au début du mois de juin : lorsque nous avons reçu l'appel d'urgence du CNT, véritable SOS, nous étions les seuls de la coalition à disposer des moyens militaires et de la technicité permettant d'opérer des parachutages à haute altitude de grande précision.
Nous pouvons gloser sur l'ouverture de la résolution 1973, qui interdit le soutien à la Jamahiriya libyenne et permet d'autres choses. Dans tous les cas, qu'aurait-on dit si nous avions appelé les gens à se libérer avant de les abandonner au moment où ils exprimaient avec courage leur engagement ?
Que pouvons-nous espérer sur le plan militaire ? Je souhaite à ce sujet répondre très simplement aux questions qui ont été posées.
Je remercie une nouvelle fois Christian Jacob d'avoir rappelé que le temps militaire n'est pas le temps diplomatique. C'est un rappel de bon sens, que seul un agriculteur enraciné dans le terroir pouvait nous apporter avec autant d'autorité.
Je remercie M. Bernard Cazeneuve de son soutien et de ses questions, de son soutien parce qu'il place l'intérêt et l'image de notre pays au-dessus de considérations partisanes et de ses questions car elles permettent d'enrichir le débat. Si la Constitution, à son article 35, alinéa 3, a prévu ce débat, c'est pour que le Gouvernement réponde aux questions, y compris les plus difficiles, que vous vous posez.
En ce qui concerne le coût de l'opération, question également posée par Philippe Folliot, nous connaissons les sommes à cet instant. Au 30 juin, nous en sommes à 104 millions d'euros.
L'essentiel va aux munitions, pour 67 millions. Les suppléments de salaires correspondant à la partie en extérieur représentent 27 millions, et le solde va aux dépenses de logistique. N'est pas comprise dans cette somme - cela satisfera les députés à mon extrême gauche -, car à cet instant non évaluée rationnellement, l'usure prématurée des matériels, qui peut être estimée à une soixantaine de millions d'euros, mais dont l'ampleur exacte mérite d'être confirmée.
Je veux dire aussi à M. Cazeneuve, député de Cherbourg, que je remercie de défendre avec passion la construction navale que chacun peut se tromper. Les qualités ne vont parfois pas sans certains défauts. Il m'arrive d'avoir spontanément l'imagination imprécise. Pour répondre très précisément à votre question, monsieur le député, j'ai évoqué, lors d'une émission de BFM, la volonté que les militaires retournent dans leurs casernes et que les Libyens se parlent entre eux, sans qu'à aucun moment le colonel Kadhafi ne puisse être partie à la négociation. Où que soit sa résidence, ce dernier doit être écarté du pouvoir.

Vous me donnez l'occasion de préciser ma position. C'est celle-là même que j'ai exposée dans Le Figaro de ce matin où j'ai dit les choses très clairement dans un entretien publié après l'émission mais recueilli avant mon intervention. Il y a bien continuité : notre souhait est que Kadhafi se retire du pouvoir, il n'est qualifié en rien pour participer à une négociation entre Libyens.

En revanche, tout le monde peut se tromper. Vous avez évoqué 54 000 emplois, mais c'est la loi de programmation 2009-2014 et non la période actuelle. Quant aux 3,6 milliards d'euros, diminués en juin 2010, vous avez eu raison de les rappeler, mais il eût été honnête de préciser que, sur ces 3,6 milliards, 2 milliards sont compensés par des cessions d'actifs sur trois ans. Par conséquent, l'armée, avec son budget et sa productivité, pourra maintenir son effort au niveau défini par la loi de programmation militaire. Si nous avions, d'ailleurs, la tentation de l'oublier, le président Teissier me rappellerait à l'ordre.

Je remercie Axel Poniatowski, dont l'analyse militaire était parfaitement pertinente.
Monsieur Folliot, si des JTAC étaient présents, cela signifierait que nous aurions déployé des hommes sur le terrain. Cette absence de conducteurs au sol est assurément une limite de l'action aérienne, mais c'est la condition de la résolution 1973, seul cadre dans lequel nous nous inscrivons.

Le Parlement a voté en loi de finances initiale 630 millions d'euros pour les OPEX, abondés de 80 millions de remboursements des Nations unies. Nous risquons, comme l'année précédente, en 2010, de dépasser ce montant. Il y aura naturellement un rendez-vous budgétaire. Ce gouvernement a posé comme principe que les OPEX n'étaient pas financées sur le budget d'équipement de la défense, tant il est vrai que, si nous demandons à nos militaires d'être moins nombreux et mieux formés, nous respectons l'engagement qu'ils soient en même temps mieux équipés. Ils apportent la démonstration sur le terrain de la pertinence de ce choix : moins nombreux, mieux entraînés, mieux équipés.

Le diagnostic militaire est parfaitement exact et je n'ai rien à y ajouter. En ce qui concerne l'Alliance atlantique, c'est une bonne surprise : le système de gouvernance des opérations, la planification des objectifs, la circulation de l'information et l'intégration des moyens fonctionnent.

Certes, sur les vingt-huit pays, seuls huit pratiquent des attaques au sol. Nous en faisons partie. Nous n'avons pas à porter le fardeau de ceux qui ont la faiblesse de se croiser les bras lorsque, manifestement, il faut intervenir.

En revanche, les états-majors fonctionnent. Je rends hommage au général canadien Bouchard, lequel a parfaitement compris l'importance de cette opération, qui s'appuie très largement sur les Britanniques mais aussi sur les Français.
Le porte-avions fonctionne lui aussi. Ne nous privons pas du plaisir de constater que, sur le plan technique, après une période de montée en puissance, nos marins ont un outil remarquable. Ils n'en ont qu'un ; il faudra à un moment ou à un autre, au cours de l'automne, que le porte-avions se soumette à de courtes interventions d'entretien. Il est impossible qu'il en soit autrement. Je vous rappelle que, dans la loi de programmation militaire ainsi que dans le Livre blanc, une réactualisation du Livre blanc était prévue au printemps 2012. Nous aurons l'occasion de déterminer, entre responsables politiques, si nous avons ou non besoin d'un second porte-avions. Pour l'instant, le porte-avions fonctionne et est envié par nos partenaires. Il est servi admirablement par les équipages de l'Aéronavale.

Je voudrais à présent traiter deux sujets ponctuels, le premier ayant trait aux munitions. Les munitions françaises sont de très haute gamme, performantes et très coûteuses. Nous les économisons, car il faut les utiliser à bon escient, lorsqu'elles répondent à des objectifs parfaitement définis.

Pour le reste, grâce à l'intervention des hélicoptères, nous avons des armes beaucoup plus simples, plus modestes, qui permettent d'éviter des dommages collatéraux. Comme l'a souligné le Premier ministre, des dommages collatéraux se sont certes produits, mais deux sur mille opérations, c'est un résultat qui peut être considéré comme tout à fait exceptionnel.
Enfin, je remercie l'ensemble des parlementaires de la commission de la défense, ainsi que tous ceux ici présents, de suivre avec autant d'engagement et d'expression civique la mobilisation de nos troupes. Nous avons des combattants, aviateurs, marins, fantassins, engagés sur six théâtres extérieurs. Sur le théâtre principal que nous évoquons aujourd'hui, la Libye, ils portent une responsabilité forte, celle de donner à vos décisions politiques toute leur autorité. Ils le font. Qu'ils en soient remerciés.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 juillet 2011