Interview de M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, à France 2 le 19 juillet 2011, sur les militaires français en Afghanistan, la situation en Libye et sur la signification du défilé militaire du 14 juillet.

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Média : France 2

Texte intégral

ALEXANDRE KARA Bonjour à tous, bonjour Laurent. Bonjour Gérard LONGUET.
 
GERARD LONGUET Bonjour.
 
ALEXANDRE KARA Merci d’être avec nous ce matin pour un jour grave. Il y aura dans quelques heures un hommage national rendu par la France à ses militaires, les sept morts qui sont tombés en Afghanistan la semaine dernière. Pourquoi avoir choisi aujourd'hui de leur rendre cet hommage ?
 
GERARD LONGUET Parce que nous sommes au lendemain du 14 Juillet qui est la fête où la nation se retrouve avec son armée. Cette armée a défilé admirablement sur les Champs Élysées mais chacun des soldats qui défilaient pensait à ses camarades laissés en Afghanistan et le président de la République, chef des Armées, a souhaité que les Français puissent se recueillir et penser à tous ceux qui, dans l’exercice de leur mission, prennent le risque de leur vie et effectivement rencontrent la mort sur leur parcours.
 
ALEXANDRE KARA Aujourd'hui vous voulez associer la nation à cet hommage pour une guerre qui est parfois critiquée dans le pays ?
 
GERARD LONGUET La guerre est une chose, l’armée en est une autre. La France s’est rassemblée autour de son État, autour de son armée. L’armée a été compagnon de toutes les grandes libertés françaises, que ce soit Valmy ou la bataille de la Marne, l’armée populaire ou l’armée de métier était là. Aujourd'hui c’est une armée professionnelle mais c’est l’armée de la République et elle a besoin de savoir que la République s’intéresse à son armée.
 
ALEXANDRE KARA Depuis le début de l’année, il y a eu dix-sept morts sur le sol afghan. Est-ce que ça veut dire que la guerre s’intensifie aujourd'hui ?
 
GERARD LONGUET Ça veut dire qu’une guerre reste une guerre, que l’exposition des troupes est réelle. Nous avons, sur une période de plusieurs années, des pertes qui sont inférieures en proportion des effectifs à ce que les Américains ou les Canadiens ont connu, mais nous avons toujours eu des pertes et nous avons connu avec le nouveau terrorisme des Talibans, c'est-à-dire des attentats suicides, des pertes que nous n’avions jamais eues au combat. Au combat, on a eu des combats difficiles mais là, nous avons été victimes d’un attentat, une bombe humaine.
 
ALEXANDRE KARA La semaine dernière, donc c’était le jour de la fête nationale, le 14 Juillet ; il y a eu un conseil de défense. L’objectif est de renforcer la sécurité des soldats français sur le terrain. Qu’est-ce qu’on peut faire ?
 
GERARD LONGUET L’objectif c’est d’analyser, c’est le chef d’état major de l’armée de terre qui est un vieux soldat, le général IRASTORZA, qui est allé au contact de ces troupes pour voir à la fois quel est l’état d’esprit des combattants sur place et il est solide. Il est solide parce que ce sont des hommes, et des femmes d’ailleurs, qui souhaitent faire leur métier, assurer leur mission et leur mission c’est la sécurité des populations. En revanche, il faut en effet se poser la question du déploiement et en particulier dans cette région de la Kapisa qui est une région qui est un enjeu politique aujourd'hui et région dans laquelle nous sentons une pression des Talibans. Là, en Surobi, ça se passe plutôt convenablement et en Kapisa on sent une pression forte. Nous allons, avec le chef d’état major, examiner le dispositif mais il n’est absolument pas question de baisser les bras. De deux choses l’une : où on assure une mission de sécurit et on l’assure vraiment, ou bien on fait autre chose, mais nous ne sommes pas en situation d’équivoque.
 
ALEXANDRE KARA Bien sûr, mais maintenant ça fait presque dix ans bientôt que la France est en Afghanistan. Est-ce qu’il n’y a pas quelque part un bourbier afghan ?
 
GERARD LONGUET Il y a un problème politique très ancien entre l’Afghanistan, le Pakistan, l’Inde, les pays riverains et ce malheureux pays d’Afghanistan est l’objet de toutes ces pressions. Et il y a, vous avez tout à fait raison, une dimension de politique nationale et internationale qui est d’une complexité effrayante. En revanche, pour l’armée française, elle est en Kapisa et en Surobi depuis exactement vingt-quatre mois et elle a rétabli dans une partie de sa responsabilité, une sécurité solide et dans l’autre partie, elle ne l’a pas encore fait. Nous ne sommes pas depuis dix ans dans la même activité. Pendant six ans, nous avons fait de la formation et de la sécurité dans Kaboul avec l’effectif d’un bataillon ; il n’y a que depuis deux ans qu’il y a une vraie participation à un projet de sécurité et avec un objectif qui est 2014 – la transition totale – et une étape intermédiaire qui est fin 2012 – le retrait d’un quart de nos combattants.
 
ALEXANDRE KARA Depuis 2001, soixante-dix soldats français sont tombés au combat. BEN LADEN est mort il y a maintenant quelques mois. Est-ce que cette guerre est encore justifiée ? Est-ce qu’on peut encore la justifier auprès de l’opinion française ?
 
GERARD LONGUET La France est l’un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies. Nous ne sommes pas allés en Afghanistan tous seuls, de notre propre motif : nous sommes allés dans le cadre d’une décision du Conseil de sécurité des Nations unies aux côtés des alliés américains avec lesquels nous avons, tous Français, une longue histoire et nous faisons partie de cette coalition. Cette coalition a le devoir de réfléchir et elle a réfléchi récemment et elle a fixé un objectif : la transition à la charge de l’État afghan pour 2014. Nous sommes à cet instant sur cette ligne : transmettre le relais pour, je dirais, 2014.
 
ALEXANDRE KARA Aujourd'hui le Parti socialiste vous interpelle, réclame un retrait immédiat et total des troupes le plus rapidement possible, si possible dès 2012. Est-ce que c’est réaliste ?
 
GERARD LONGUET C’est un manque de responsabilité de sa part. Je rappelle que Lionel JOSPIN était Premier ministre lorsque les Français sont entrés en Afghanistan et les socialistes – en tous les cas, ceux qui ont exercé des responsabilités – savent que lorsque l’on fait partie d’une coalition, on ne peut pas s’en désolidariser ou alors c’est la parole de la France qui est sujette à caution. La parole de la France, elle consiste à faire évoluer une coalition et nous avons, en effet – c’était le rôle du ministre d’État Alain JUPPÉ – fait évoluer cette coalition en disant : « Bon, la transition c’est 2014 et il n’est pas question de la remettre en cause ». Mais nous sommes solidaires d’une coalition sinon la France aurait une parole incertaine, ce qui ne serait pas à la hauteur de son statut de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies.
 
ALEXANDRE KARA Autre coalition à laquelle appartient la France : celle qui intervient aujourd'hui en Libye. Est-ce qu’il y a une issue aujourd'hui à cette intervention ?
 
GERARD LONGUET Manifestement le théâtre bouge. Vous m’auriez posé la question il y a dix jours, j’aurais été beaucoup plus prudent. Manifestement le théâtre bouge parce que l’opinion libyenne, toutes origines confondues, a aujourd'hui la certitude absolue que KADHAFI ne représente plus une solution d’avenir. Maintenant il y a des raisons différentes d’être opposé à KADHAFI, il y a des théâtres d’opérations différents. Je constate que ce sont des théâtres vivants, c'est-à-dire des femmes et des hommes qui n’ont jamais été des combattants ont décidé de s’organiser pour ne plus supporter l’autorité militaire et dictatoriale de KADHAFI et cela bouge sur le terrain après, c’est vrai, des semaines où des gens se sont préparés à ce qui n’était pas leur métier il y a quelques mois encore.
 
ALEXANDRE KARA Gérard LONGUET, est-ce que ça veut dire pour vous qu’aujourd'hui les jours de KADHAFI sont comptés ?
 
GERARD LONGUET Je pense profondément que le compte à rebours est engagé et que dans ce type d’opération, les choses peuvent aller plus vite qu’on ne le pense. Mais je suis d’une prudence de Sioux si vous me permettez, parce que KADHAFI n’est pas rationnel et qu’il peut opter pour la stratégie du bunker en prenant en otage la population civile de Tripoli.
 
ALEXANDRE KARA Très vite je voudrais revenir sur une polémique qui a secoué la France pendant le week-end. Eva JOLY a proposé la suppression sous sa forme actuelle de la cérémonie du 14 Juillet. Aujourd'hui qu’est-ce que vous en pensez ? Est-ce que vous pensez que le fait d’avoir attaqué Eva JOLY sur sa nationalité, sa bi-nationalité, était vraiment quelque chose de digne ?
 
GERARD LONGUET Ce n’est pas une question de bi-nationalité : c’est vraiment une question de culture profonde. Il y a en France 36 000 monuments aux morts. Le 11 Novembre, nous égrenons les morts ; le 8 Mai nous égrenons le nom des morts et il faut que madame JOLY se rende compte que cela fait partie à part entière de notre histoire. Je ne reprocherais à personne de ne pas avoir fait Marignan ou Austerlitz et on peut être Français de nouvelle génération : ils sont bienvenus. Mais que chacun fasse l’effort de comprendre ce que nous apportent les nouveaux – les Norvégiens nous apportent certainement des choses très utiles – et que les Norvégiens comprennent ce qu’est l’histoire de notre pays rassemblé autour de combats menés en commun. Et ces morts, ces militaires, ce sont les morts d’hier, ce sont peut-être quelques-uns des militaires d’aujourd'hui, et c’est la raison pour laquelle le 14 Juillet reste le lien entre l’armée et la Nation. Il y a des fêtes populaires, il y en a d’autres ; madame JOLY peut défiler quand elle veut avec les syndicats, avec les églises, avec les écoles, avec d’autres manifestations. Le 14 Juillet, c’est la France rassemblée autour de ce qui est le symbole de son indépendance des femmes et des hommes prêts à combattre pour elle.
 
ALEXANDRE KARA Gérard LONGUET, merci.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 12 août 2011