Conférence de presse conjointe de M. François Fillon, Premier ministre, et de M. Alassane Ouattara, président de la république de Côte d'Ivoire, sur les relations bilatérales entre la France et la Côte d'Ivoire, Abidjan le 15 juillet 2011.

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Circonstance : Visite officielle en Côte d'Ivoire, les 14 et 15 juillet 2011 - Conférence de presse du 15 juillet

Texte intégral

Je voudrais vous dire le très grand honneur que je ressens à être à vos côtés dans une période qui marque la fin d’événements qui ont été tragiques pour la Côte-d’Ivoire et que vous avez traversés avec un courage, une dignité et une détermination qui ont fait l’admiration de tous les Français, mais aussi j’en suis sûr, l’admiration dans le monde entier.
C’est une grande joie d’être à Abidjan pour ce qui est la première visite d’un chef de gouvernement français depuis un quart de siècle, puisque la dernière visite remontait à 1986. Et je crois qu’on peut dire qu’en 1986, c’était une autre Côte-d’Ivoire et c’était une autre France.
Aujourd’hui, nos deux pays engagent une relation décomplexée, mais une relation qui s’appuie sur une amitié très ancienne et qui s’appuie sur des preuves d’amitié que nous nous sommes données les uns et les autres, en particulier ces derniers mois.
La crise ivoirienne avait beaucoup mobilisé l’attention des Français, parce que d’abord il y avait cette histoire très ancienne entre la France et la Côte-d’Ivoire. Vous rappeliez vous-même que beaucoup d’Ivoiriens ont de la famille en France et beaucoup de Français ont des liens étroits avec la Côte-d’Ivoire.
Mais aussi parce que la Côte-d’Ivoire, c’était pendant de nombreuses années le symbole du développement, de la croissance en Afrique, c’était ce qu’on appelait le miracle ivoirien. Et le déclin de ce miracle, à partir du début des années 2000, avait au fond provoqué beaucoup de déception chez les Français qui voyaient là un signe des difficultés de l’Afrique toute entière à s’engager sur la voie de la croissance et du développement.
Et puis enfin, il y avait le combat pour la démocratie, pour le respect des droits de l’homme que vous incarnez. Il y a eu en Côte-d’Ivoire une élection présidentielle, qui avait d’ailleurs tardé. Cette élection présidentielle, vous l’aviez gagnée. Il n’y avait aucune raison que le président Ouattara, élu par les Ivoiriens, ne prenne pas en charge le destin de la Côte-d’Ivoire et nous avons vu les malheurs qu’a provoqués l’entêtement d’un clan qui ne voulait pas respecter le droit, qui ne voulait pas respecter la démocratie.
Et c’est tout cela au fond que la France observait avec le sentiment que se jouait en Côte-d’Ivoire, non seulement l’avenir de la Côte-d’Ivoire, mais aussi d’une certaine façon l’avenir de l’Afrique parce que la démonstration que la démocratie, que les droits de l’homme, que l’Etat de droit ne sont pas réservés à quelques-uns, elle trouvait ici un point d’application particulier en Côte-d’Ivoire. Et donc nous avons fait tous nos efforts, avec l’organisation des Nations unies, dans le respect strict du droit international, pour faire en sorte que la démocratie, le respect du droit triomphent en Côte-d’Ivoire. Et c’est ce que le président de la République française est venu dire le 21 mai à l’occasion de sa visite.
Mais maintenant il faut enclencher entre nous le renforcement des relations économiques, des relations politiques, des relations diplomatiques pour faire en sorte que la Côte-d’Ivoire réussisse et que les engagements que nous avons pris, soient tenus. C’est ce que j’ai essayé de dire tout au long de l’entretien que nous avons eu ensemble, Monsieur le Président.
D’abord sur le plan de la défense, nous tiendrons les engagements que le Président de la République française a indiqués devant vous. Nous allons négocier ensemble un accord de défense. Le ministre de la Défense, Gérard Longuet, est venu il y a quelques jours pour le préparer. Ce sera un accord de défense qui prendra en compte l’ensemble des considérations qui sont les vôtre et ceux de la politique française en matière de sécurité en Afrique. La France restera solide en matière de sécurité aux côtés de la Côte-d’Ivoire.
Ensuite il y a les engagements les plus importants, ceux qui vont permettre à la Côte-d’Ivoire de renouer avec la croissance. Je vous ai indiqué que l’engagement que nous avions pris de 400 millions d’euros d’appui budgétaire, serait tenu ; 350 ont déjà été affectés. Nous avons discuté ensemble des 50 restants. Nous allons régler cette question dans le sens que vous souhaitez dans les meilleurs délais. De la même façon nous allons nous engager dans un effort très important, sans précédent d’ailleurs finalement, de désendettement et de développement avec le contrat de désendettement et de développement.
Ce contrat qui va porter sur deux milliards d’euros, nous allons le négocier ensemble et nous allons à cette occasion remettre en place la commission mixte franco-ivoirienne. Et e vous ai indiqué que nous avions décidé d’ajouter sans condition à ce contra, à ces mesures, un milliard d’euros de suppression de dettes de la part de la France. De la même façon, la France va travailler aux côtés des autres créanciers de la Côte-d’Ivoire pour qu’ils prennent des décisions similaires.
Enfin je suis venu avec une délégation très importante de chefs d’entreprises, pour permettre aux entreprises françaises de renouer avec la coopération en Côte-d’Ivoire, pour permettre aux entreprises françaises d’investir en Côte-d’Ivoire. Il y a des besoins immenses en matière d’infrastructures, il y a des entreprises françaises qui ont un savoir-faire. Il faut naturellement qu’elles soient les meilleures dans une compétition qui est une compétition ouverte.
J’ai eu l’occasion de dire deux fois déjà depuis que je suis en Côte-D’ivoire que la France ne souhaite pas être le partenaire exclusif de la Côte-d’Ivoire - ça, c’était une autre époque. Nous souhaitons être le partenaire de référence de la Côte-d’Ivoire et nous allons faire en sorte que nos entreprises soient les plus performantes dans la compétition internationale. Je suis d’ailleurs venu avec Henri de Raincourt, Pierre Lellouche et David Douillet pour mettre en œuvre ensemble tous ces partenariats.
Je voudrais terminer, Monsieur le président de la République, en vous disant que nous avons beaucoup d’admiration pour la manière dont vous avez traversé cette crise et dont vous avez traversé ces événements. Vous avez dû affronter une crise sans précédent et vous l’avez fait avec sérénité, avec courage mais surtout en ne vous départissant pas des principes et des valeurs qui sont les vôtres.
Et c’est fondamental. L’avenir de l’Afrique comme l’avenir du monde reposent sur le respect du droit, sur le respect de la démocratie, sur le respect des droits de l’homme. Je sais que c’est des valeurs auxquelles vous êtes attaché et je suis admiratif de la façon dont vous avez su les respecter pendant toute la durée de cette crise.
Tout ceci me permet de dire qu’au-delà de l’admiration personnelle que je vous porte, au-delà de l’amitié que vous porte le président de la République française, nous avons une grande confiance dans l’avenir de la Côte-d’Ivoire et nous avons une grande confiance dans l’avenir des relations entre la France et la Côte-d’Ivoire.
QUESTIONS-REPONSES
JOURNALISTE
Monsieur le Président, Monsieur le Premier ministre, merci de nous donner la parole. Monsieur Fillon, vous avez choisi le jour de la Fête nationale française pour cette visite à Abidjan qui est destinée à marquer le nouveau départ des relations, notamment économiques, entre la France et la Côte-d’Ivoire. Or ce matin, certains journaux ivoiriens ont protesté contre ce qu’ils ont appelé "le retour du colon". Que répondez-vous aux Ivoiriens qui considèrent les Français de cette façon ? Et d’autre part, certaines informations font état d’un certain agacement de diplomates américains à l’égard des prétentions françaises, des revendications qu’a la France sur la reconstruction de ce pays. Est-il exact, Monsieur le Président, que vous ayez ajourné certaines commandes d’équipement de sécurité à la France pour apaiser ces inquiétudes ? Merci.
FRANÇOIS FILLON
D’abord je voudrais vous dire que le choix du 14 juillet avait une seule explication : il me permettait tout en répondant à l’invitation du président Ouattara et du gouvernement ivoirien et à la demande que m’avait faite le président de la République française de venir ici pour consolider les relations économiques entre la France et la Côte-d’Ivoire. La date du 14 juillet me permettait aussi de venir fêter la Fête nationale avec la communauté française en Côte-d’Ivoire qui est très importante et qui a subi elle aussi les conséquences de la crise grave que la Côte-d’Ivoire vient de traverser. Pour le reste, ces accusations et ces critiques correspondent à des logiciels qui sont des logiciels dépassés.
Et j’appelle tous ceux qui continuent à vouloir évoquer les relations entre la France et l’Afrique, en parlant de "Françafrique", à changer de vocabulaire et à changer de logiciel. Tout cela n’a plus rien à voir avec la réalité des relations qu’il y a entre nos deux pays. Ce que nous voulons, nous, c’est aider la Côte-d’Ivoire à assumer la plénitude de sa souveraineté.
Ce que nous voulons, nous, dans le cadre du droit international, c’est faire en sorte que la démocratie et les droits de l’homme soient de mieux en mieux respectés sur le continent africain. Et je rappelle que nous n’avons agi ici en Côte-d’Ivoire que dans le cadre du mandat qui nous a été confié par les Nations unies, comme nous n’agissons d’ailleurs aujourd’hui en Libye que dans le cadre du mandat qui nous a été confié par les Nations unies.
Et pour le reste, je pense qu’il y a suffisamment de liens d’amitié entre la France et la Côte-d’Ivoire pour que ces liens d’amitié permettent de développer les partenariats économiques au-delà de tous ces discours idéologiques, de tous ces discours convenus qui n’ont plus aucune réalité dans le monde d’aujourd’hui. On nous a accusés dans le passé de ne pas avoir compris suffisamment tôt les changements du monde, de ne pas avoir compris suffisamment tôt que la chute du rideau de fer hier, les révolutions arabes aujourd’hui étaient en train de dessiner un 21e siècle qui allait être complètement différent du 20e siècle.
C’est vrai que nous avons parfois un peu tardé à le comprendre, mais aujourd’hui nous assumons l’ensemble de nos responsabilités dans le cadre de ce nouveau monde qui est en train de se construire. Par contre, les observateurs et les commentateurs qui continuent à parler de relations coloniales entre la France et l’Afrique, eux n’ont pas encore compris la nature des changements qui ont affecté le monde. Donc je leur demande de faire cet effort de remise à jour de leur logiciel et de compréhension du monde et je pense que tout le monde s’en portera mieux.
JOURNALISTE
Monsieur le président de la République, Monsieur le Premier ministre. Vous avez évoqué au cours de vos échanges la prochaine redéfinition des accords de défense entre la Côte-d’Ivoire et la France. Peut-on avoir une idée des grandes lignes de ce changement à venir ?
FRANÇOIS FILLON
Je peux simplement ajouter du point de vue de la France – et ce sera une nouvelle réponse à la question précédente – nous n’avons pas vocation à assurer nous-mêmes la sécurité de la Côte-d’Ivoire comme de n’importe quel autre pays dans le monde. Nous n’en avons ni la vocation d’ailleurs ni les moyens. En revanche, nous voulons assumer toutes nos responsabilités internationales, nous voulons aider nos amis ; nous voulons les aider notamment à assurer leur sécurité face aux menaces terroristes, face à toutes les sortes de trafics qui, nous le savons, prennent de l’importance dans le monde et qui menacent l’Etat de droit.
Nous maintiendrons si le gouvernement ivoirien le souhaite une présidence militaire en Côte-d’Ivoire. Le président de la République française a d’ailleurs évoqué le volume de cette puissance militaire. Nous souhaitons, dans le cadre de cet accord de défense, apporter aux forces ivoiriennes tout notre concours en termes de formation, en termes de soutien mais la place des forces françaises et la doctrine d’emploi des forces françaises nous conduira à réduire notre présence militaire en Côte-d’Ivoire, comme d’ailleurs dans le reste du monde en privilégiant le soutien, la formation et puis les capacités de déploiement dont nous nous sommes dotés lorsque dans le cadre du droit international elles sont sollicitées.
JOURNALISTE
Monsieur le Premier ministre, hier à l’occasion du 14 juillet, vous avez rendu hommage aux soldats français tués en Afghanistan ainsi qu’aux soldats présents sur tous les théâtres d’opérations extérieures et vous avez évidemment ici à Abidjan rendu hommage à la Force Licorne. En France, le défilé militaire fait l’objet d’un débat : la candidate écologiste Eva Joly, candidate à la présidentielle, propose de le supprimer pour le remplacer par un défilé citoyen. Comment réagissez-vous ?
FRANÇOIS FILLON
Je réagis avec tristesse. Je pense que cette dame n’a pas une culture très ancienne des traditions françaises, des valeurs françaises, de l’histoire française. Ce défilé, il est d’abord le symbole d’une armée qui défend la République. Et si chaque année, nous rendons hommage à nos forces armées le jour de la Fête nationale, c’est parce que nous rendons hommage à une institution qui assure la défense des valeurs de la République française, de la liberté, de la fraternité, de l’égalité parce que les forces armées françaises concourent au bon fonctionnement de la démocratie dans notre pays et c’est normal de leur rendre hommage. Et je vous dis que vraiment je crois qu’il y a bien peu de Français qui partagent l’avis de madame Joly.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 29 juillet 2011