Texte intégral
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames, Messieurs,
Ce débat parlementaire sur la Coopération internationale est le deuxième depuis que notre réforme est entrée dans les faits. C'est pour moi un rendez-vous politique essentiel. Je souhaite qu'il soit un moment de bilan, mais aussi l'occasion d'une vraie discussion sur les orientations, bref l'occasion d'une réflexion stratégique.
Pour cette raison, je vous propose de partir de la mondialisation, afin d'examiner ensemble comment notre coopération peut lui apporter une réponse et aider à la rendre plus humaine.
La mondialisation n'est pas une théorie que l'on pourrait accepter ou rejeter. Elle est un processus avec lequel nous devons vivre. Mais cela ne nous oblige pas à verser dans la résignation. La mondialisation pose des problèmes nouveaux, des problèmes qui pèsent lourd dans les relations Nord-Sud. Ceux qui ne voulaient pas le voir l'ont appris à leurs dépens, voici 18 mois, à Seattle.
Je distinguerai deux catégories de sujets parmi ceux auxquels nous sommes confrontés.
D'un côté, il y a une série de défis que le Nord ressent, pour l'instant, de manière plus pressante que le Sud. Ce sont des défis que les pays industriels pourront traiter que s'ils obtiennent le concours ou, tout au moins, l'assentiment, des pays en développement. Je pense avant tout à l'environnement, aux risques sanitaires, à tout ce qui peut mettre en cause la stabilité et la sécurité de notre planète. Mais il en va de même de la diversité culturelle. Elle fait le sel de notre civilisation. Mais, quand elle est regardée à travers les yeux de la misère, elle peut assez facilement être cataloguée comme un luxe et se trouve, de ce seul fait, fragilisée.
D'un autre côté, il y a les difficultés que la mondialisation cause au Sud, aux pays en développement en tant que tels. Ces difficultés, scrutons-les avec attention. Si nous ne le faisions pas, comment demander à ces pays de se montrer réceptifs face aux défis dont je parlais à l'instant ? Les difficultés que la mondialisation cause au Sud procèdent de trois phénomènes différents.
Le premier - et le plus connu - d'entre eux est la concentration des richesses. Un chiffre suffit à l'illustrer : la part de la richesse reçue par les 20 % les plus pauvres de la population mondiale est tombée à 1 % à peine du total.
Le second phénomène est la dépendance. C'est la dépendance des parties vis à vis du tout et nul n'y échappe. Mais tout le monde n'est pas "égal" face à elle. Les pays pauvres y sont particulièrement vulnérables, en raison des chocs auxquels ils sont exposés. L'instabilité, nous le savons trop bien, est l'ennemie du développement.
A ces deux premiers phénomènes, j'en ajouterai un troisième qui est peut-être le plus typique de l'actuelle mondialisation. C'est ce que l'on pourrait appeler le phénomène de la "sophistication". Je pense ici à l'exigence dont nous faisons preuve à travers les standards et les normes techniques dont nous nous dotons. Les experts considèrent aujourd'hui qu'adapter leurs produits à ces normes est, pour les pays du Sud, une tâche encore plus difficile que d'assumer les conséquences de l'ouverture de leurs propres marchés. J'y reviendrai car il y a là, par excellence, matière à coopération.
Face aux défis globaux et aux difficultés du Sud, nous avons plus que jamais besoin de valeurs. Ces valeurs ont besoin du débat politique, de l'intervention des citoyens, de l'irruption de la société civile pour se faire entendre. C'est pourquoi, dans mon esprit, la coopération non gouvernementale n'est pas seulement utile en soi. Elle sert aussi à donner de l'âme à la coopération d'Etat à Etat, à la stimuler et à lui donner, en quelque sorte, des repères.
Tel est en tout cas l'usage que j'entends en faire. C'est pour cela, par exemple, qu'avant de me rendre la semaine dernière, à la Conférence des Nations unies sur les PMA, j'ai tenu à me ménager, au tout début de ce mois, une séance de travail avec le Haut Conseil de la Coopération internationale. Je saisis l'occasion pour le remercier de l'avis qu'il a rendu et des suggestions qu'il m'a adressées.
Face aux enjeux de la mondialisation, la société civile et le Parlement lui-même attendent au moins deux choses de notre politique de coopération : que nous pesions dans le débat global et que nos actions bilatérales soient efficaces.
Entre le multilatéral et le bilatéral, il existe un maillon essentiel. C'est l'échelon européen. Les élus que vous êtes se sont trop souvent fait l'écho des lenteurs et des travers de l'aide européenne au développement pour que je ne vous dise pas un mot de ce qu'a été, dans mon domaine, l'action de la présidence française.
Lancée sous présidence française, la réforme de l'aide européenne va nous permettre d'agir plus efficacement et de peser davantage
Les contributions françaises à la coopération européenne absorbent, vous le savez, 14 % de notre effort d'APD. Au niveau de l'Union européenne, si l'on additionne aides communautaires et aides des Etats membres, on obtient un total qui représente plus de la moitié de l'APD mondiale.
En ce sens, la lourdeur du dispositif européen et le manque de complémentarité entre les aides européennes et les aides bilatérales représentaient une énorme occasion manquée.
Comme il s'y était engagé, le gouvernement a mis un point d'honneur à faire évoluer ce dispositif. Là aussi, nous avons largement consulté. Avant même de prendre en charge la présidence européenne, nous avons organisé à Paris, en juin 2000, en liaison avec mon collègue portugais Luis Amado, un Séminaire des ministres européens du développement. Nous avons associé à ses travaux des représentants des pays du Sud et des personnalités issues de la société civile.
Ce séminaire a abouti à un diagnostic sans complaisance et, avec le concours de la Commission, nous avons pu faire adopter, le 10 novembre 2000, une déclaration sur la politique de développement de la Communauté.
Cette Déclaration a d'abord voulu servir l'identité européenne. Elle énonce, pour la première fois, les principes qui unissent les Européens en matière de développement. Elle forge, en quelque sorte, une grille de lecture commune, qui vaudra pour toutes les régions du monde. Telle a été la première étape de notre démarche.
Le second volet de la Déclaration a pour objet de recentrer l'aide européenne sur les domaines dans lesquels elle peut être le plus utile. Je pense par exemple à la promotion de l'intégration régionale ou au lien commerce-développement. Vous l'avez souvent dit dans cette enceinte : l'Europe ne doit pas tout faire et son aide ne doit pas ressembler à celle d'un seizième Etat membre. C'est l'idée dont nous nous sommes inspirés.
Parallèlement, nous nous sommes attachés à alléger les procédures, à déconcentrer les responsabilités, à faire reconnaître le besoin de coordination avec les Etats membres. Il faudra du temps pour que tout cela entre dans les faits. Mais des progrès sont déjà en cours. C'est ainsi qu'un plan d'action a été mis en uvre pour renforcer les moyens de gestion de l'aide communautaire, avec la création de l'Office EuropAid et des ouvertures de postes à la clé (300 postes créés par le Conseil). Dans le même temps - et les deux démarches sont indissociables - la Commission a accepté que l'aide européenne puisse, dans certains cas, être mise en uvre par les organismes nationaux existants.
Désormais, si l'agence d'un Etat membre est la mieux placée pour le faire, elle pourra soumissionner à un projet européen et le mettre en uvre, en liaison éventuelle avec l'agence d'un autre Etat membre. Les connaisseurs du sujet savent que c'est une petite révolution.
Bien sûr, la remise en ordre de l'aide européenne ne fait que commencer. Mais elle est d'autant plus opportune qu'un vent nouveau souffle sur les institutions internationales et ce, en partie sous impulsion française.
PPTE, l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés, en est un bon exemple. A force d'insistance, nous avons pu obtenir que, sur les 41 pays concernés, 22 franchissent avant le 31 décembre 2000 une étape essentielle dans la réduction de leur dette, celle du point dit de "décision".
Cela n'a pas été facile, notamment parce que les Etats-Unis n'avaient pas rempli leur quote-part et étaient tentés de durcir les conditionnalités pour étaler le processus dans le temps. C'est un sujet sur lequel les Européens ont fait front commun et je me souviens notamment avoir vu, à Prague, dans un moment particulièrement décisif, ma collègue britannique prendre une position diamétralement opposée à celle du délégué américain qui venait d'intervenir juste avant elle. Ceux qui connaissent de près les affaires européennes savent qu'un tel cas de figure n'est pas si fréquent.
En outre, grâce à l'initiative PPTE, les critères des Institutions de Bretton-Woods sont en train d'évoluer. L'exigence de lutte contre la pauvreté qui est la marque de fabrique de cette initiative confère un poids croissant aux thèmes du développement social, ceux auxquels les Européens sont les plus attachés, en l'occurrence la santé, l'éducation, le développement local. Jean-Louis Bianco, qui accompagnait Laurent Fabius et moi-même le mois dernier à Washington, a pu, je crois s'en rendre compte par lui-même.
Concrètement - et pour la première fois depuis bien longtemps - les dépenses sociales ont cessé de reculer l'année dernière dans les pays pauvres très endettés. Un début de redressement paraît même s'opérer.
Dans les pays émergents eux-mêmes, nous essayons de faire droit à l'exigence de réduction des inégalités. A Washington, nous avons par exemple proposé que, dans ces pays, les prêts de la Banque mondiale aux secteurs sociaux bénéficient de taux d'intérêts privilégiés. C'est l'une des pièces que nous versons au débat.
En même temps, à chaque fois que l'occasion nous en est donnée, nous préconisons le rapprochement entre ce que j'appellerai le "pôle de Washington" et le "pôle de New York". En pratique, nous poussons le FMI et la Banque mondiale à coopérer avec le PNUD et les autres agences spécialisées des Nations unies. Nous donnons nous-mêmes l'exemple. C'est ainsi que j'ai signé, le 29 juin dernier, une lettre commune avec l'administrateur du PNUD, Mark Malloch-Brown, afin d'amener nos représentations sur le terrain à travailler ensemble.
Si l'on prend l'exemple du SIDA, la communauté internationale est en passe d'entreprendre un effort massif dans la lutte contre la pandémie. Cet effort avait été demandé par la France à l'automne. Il devrait connaître des étapes significatives lors de la session spéciale des Nations unies en juin, puis de la réunion du G8 à Gènes en juillet. D'ores et déjà, les mentalités évoluent dans le sens des positions que nous défendons. Nous avons été les premiers à poser la question de l'accès aux soins, qui ne se résume pas à celle de l'accès aux médicaments. Aujourd'hui un très large consensus se dessine autour de thèses qu'il y a peu de temps encore, nous étions les seuls à défendre.
Nos actions de coopération bilatérale visent, quant à elles, à devenir, plus stratégiques, mieux ciblées
A propos de notre coopération bilatérale, je commencerai par évoquer notre effort de transparence dont les Parlementaires que vous êtes ont été, à plusieurs reprises, les témoins et, parfois même, les acteurs.
Laissez-moi mentionner, à cet égard, quelques exemples : celui du premier rapport annuel de la DGCID (que vous avez en main depuis hier) ; celui de la Journée mondiale de l'eau que nous avons célébrée avec le concours de la DGCID et de l'AFD ; celui du Comité d'orientation stratégique du FSP, réuni pour la première fois le 13 février et dont la documentation, rendue publique a représenté un exercice de transparence sans précédent.
La mise en uvre du volet bilatéral de l'initiative sur la dette est, elle aussi, l'occasion d'une modernisation de notre dispositif. Je ne m'y étendrai pas mais je tiens à relever deux caractéristiques des Contrats de désendettement-développement que nous proposerons aux pays concernés : l'association de la société civile à la mise en uvre de l'aide et le travail commun que réaliserons sur le terrain les services du ministère des Affaires étrangères et ceux de l'AFD.
Dans le même temps, nous achevons la réforme de l'assistance technique, qui représente l'un des atouts de la France dans le concert des bailleurs de fonds. Cette réforme s'inscrit dans la logique de la fusion puisqu'il s'agit notamment d'harmoniser les régimes de gestion issus du ministère de la Coopération et du ministère des Affaires étrangères. Mais elle vise également à intégrer des besoins qui n'existaient pas il y a quelques années, en particulier en matière d'expertise dite "pointue".
Il peut s'agir, en l'occurrence, d'appuyer des politiques de réformes sectorielles, d'apporter une assistance technique au commerce, d'aider aux sorties de crise, etc
Tout cela suppose le concours d'experts venus d'horizons variés pour des durées variables. Nous pensons être bientôt en mesure de le faire et ceci posera en termes nouveaux la question des moyens de l'assistance technique, dont j'entends bien arrêter le déclin.
Il a beaucoup été question, ces dernières semaines, de la baisse qu'aurait subi, en 2000, notre effort d'aide au développement. Cette crainte s'est nourrie de la publication par le CAD de chiffres provisoires qui font apparaître un recul de notre statistique. Tout en demeurant le premier des pays du G7, notre effort calculé par le CAD tomberait à 0,33 % du PIB.
Sans nier la nécessité d'un débat sur le niveau de l'aide, j'invite chacun à la prudence dans l'interprétation des chiffres. Ceci pour au moins trois raisons. D'abord, les variations d'une année sur l'autre peuvent être fortement affectées par l'imputation sur un exercice ou un autre des contributions multilatérales des pays donateurs. Un effet de ce type s'est par exemple fait sentir dans le cas de l'aide britannique, dont il a fortement dopé la croissance apparente. Ensuite, les aides aux TOM sortent du calcul de l'APD et c'est un effet purement statistique.
En outre, le CAD comptabilise l'aide en dollars et la baisse de l'euro a très directement affecté les chiffres de l'année 2000. Si l'on compte en francs ou en euros, notre APD est beaucoup plus stable, du moins depuis 1997. Ces chiffres doivent retenir notre attention mais ils ne doivent, ni nous décourager, ni nous dissuader d'agir pour une meilleure efficacité de l'aide.
Par ailleurs, notre action de coopération internationale s'attache à développer de nouveaux dynamismes culturels :
Nombre d'entre vous suivent avec attention le dossier de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, l'AEFE. Après bien des difficultés, nous sommes parvenus à un accord avec les personnels sur les "faux résidents". La négociation a été délicate, mais, grâce à un effort additionnel de l'Etat, elle a débouché sur une amélioration sensible des revenus et de la couverture sociale des enseignants concernés.
Dans un ordre d'idées assez proche, nous devons nous réjouir des premiers succès remportés en matière d'accueil des étudiants étrangers. Ils tiennent, d'une part, au desserrement de la politique des visas (qui s'est traduit par un doublement en trois ans des visas pour études) et, de l'autre, à la promotion des formations supérieures françaises assurée par EDUFRANCE. Le bilan tient en un chiffre : nous accueillons cette année, en 2000-2001, plus de 170 000 étudiants étrangers. L'année dernière, ils n'étaient que 150 000.
Autre dossier difficile : TV5. Après une difficile négociation avec nos partenaires, nous avons simplifié les structures. Une étape est ainsi franchie pour que notre audiovisuel extérieur public réponde mieux aux enjeux mondiaux.
Dans notre action, le travail et les propositions des parlementaires sont un apport et un encouragement précieux. On ne le dira jamais assez. Le rapport d'information sur les centres culturels à l'étranger présenté par Yves Dauge en est un bon exemple.
Ce rapport dresse un constat sévère sur l'état de notre réseau mais il souligne aussi l'importance du patrimoine qu'il constitue.
Nous prenons ce rapport en considération. Un effort est engagé pour mieux cibler le public, notamment en direction des étudiants et des futurs décideurs. De même, nous entendons remodeler et diversifier le dispositif pour l'adapter aux objectifs poursuivis
Un mot de la Francophonie. Son institutionnalisation a beaucoup progressé depuis 1997. Vous connaissez le travail accompli pour la rénovation des opérateurs. J'ajouterai que la Francophonie politique s'affirme, notamment depuis la réunion de Bamako en novembre dernier. Elle fait de l'Etat de droit une valeur et une finalité communes des Etats membres. A Beyrouth, en octobre prochain, le Sommet de la Francophonie centrera ses travaux sur la diversité culturelle et nous retrouvons ici les contrepoints à apporter au contexte de mondialisation.
A défaut d'être exhaustif, j'espère avoir moi-même fait preuve, dans le tableau que je vous ai dressé, d'une diversité suffisante. La tâche est difficile mais elle est riche. Les chantiers que nous avons ouverts sont nombreux. Puissent-ils permettre à la société française de trouver toute sa place à l'international. C'est cela aussi la recherche d'une mondialisation plus humaine.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 mai 2001)
Mesdames et Messieurs les Députés,
Mesdames, Messieurs,
Ce débat parlementaire sur la Coopération internationale est le deuxième depuis que notre réforme est entrée dans les faits. C'est pour moi un rendez-vous politique essentiel. Je souhaite qu'il soit un moment de bilan, mais aussi l'occasion d'une vraie discussion sur les orientations, bref l'occasion d'une réflexion stratégique.
Pour cette raison, je vous propose de partir de la mondialisation, afin d'examiner ensemble comment notre coopération peut lui apporter une réponse et aider à la rendre plus humaine.
La mondialisation n'est pas une théorie que l'on pourrait accepter ou rejeter. Elle est un processus avec lequel nous devons vivre. Mais cela ne nous oblige pas à verser dans la résignation. La mondialisation pose des problèmes nouveaux, des problèmes qui pèsent lourd dans les relations Nord-Sud. Ceux qui ne voulaient pas le voir l'ont appris à leurs dépens, voici 18 mois, à Seattle.
Je distinguerai deux catégories de sujets parmi ceux auxquels nous sommes confrontés.
D'un côté, il y a une série de défis que le Nord ressent, pour l'instant, de manière plus pressante que le Sud. Ce sont des défis que les pays industriels pourront traiter que s'ils obtiennent le concours ou, tout au moins, l'assentiment, des pays en développement. Je pense avant tout à l'environnement, aux risques sanitaires, à tout ce qui peut mettre en cause la stabilité et la sécurité de notre planète. Mais il en va de même de la diversité culturelle. Elle fait le sel de notre civilisation. Mais, quand elle est regardée à travers les yeux de la misère, elle peut assez facilement être cataloguée comme un luxe et se trouve, de ce seul fait, fragilisée.
D'un autre côté, il y a les difficultés que la mondialisation cause au Sud, aux pays en développement en tant que tels. Ces difficultés, scrutons-les avec attention. Si nous ne le faisions pas, comment demander à ces pays de se montrer réceptifs face aux défis dont je parlais à l'instant ? Les difficultés que la mondialisation cause au Sud procèdent de trois phénomènes différents.
Le premier - et le plus connu - d'entre eux est la concentration des richesses. Un chiffre suffit à l'illustrer : la part de la richesse reçue par les 20 % les plus pauvres de la population mondiale est tombée à 1 % à peine du total.
Le second phénomène est la dépendance. C'est la dépendance des parties vis à vis du tout et nul n'y échappe. Mais tout le monde n'est pas "égal" face à elle. Les pays pauvres y sont particulièrement vulnérables, en raison des chocs auxquels ils sont exposés. L'instabilité, nous le savons trop bien, est l'ennemie du développement.
A ces deux premiers phénomènes, j'en ajouterai un troisième qui est peut-être le plus typique de l'actuelle mondialisation. C'est ce que l'on pourrait appeler le phénomène de la "sophistication". Je pense ici à l'exigence dont nous faisons preuve à travers les standards et les normes techniques dont nous nous dotons. Les experts considèrent aujourd'hui qu'adapter leurs produits à ces normes est, pour les pays du Sud, une tâche encore plus difficile que d'assumer les conséquences de l'ouverture de leurs propres marchés. J'y reviendrai car il y a là, par excellence, matière à coopération.
Face aux défis globaux et aux difficultés du Sud, nous avons plus que jamais besoin de valeurs. Ces valeurs ont besoin du débat politique, de l'intervention des citoyens, de l'irruption de la société civile pour se faire entendre. C'est pourquoi, dans mon esprit, la coopération non gouvernementale n'est pas seulement utile en soi. Elle sert aussi à donner de l'âme à la coopération d'Etat à Etat, à la stimuler et à lui donner, en quelque sorte, des repères.
Tel est en tout cas l'usage que j'entends en faire. C'est pour cela, par exemple, qu'avant de me rendre la semaine dernière, à la Conférence des Nations unies sur les PMA, j'ai tenu à me ménager, au tout début de ce mois, une séance de travail avec le Haut Conseil de la Coopération internationale. Je saisis l'occasion pour le remercier de l'avis qu'il a rendu et des suggestions qu'il m'a adressées.
Face aux enjeux de la mondialisation, la société civile et le Parlement lui-même attendent au moins deux choses de notre politique de coopération : que nous pesions dans le débat global et que nos actions bilatérales soient efficaces.
Entre le multilatéral et le bilatéral, il existe un maillon essentiel. C'est l'échelon européen. Les élus que vous êtes se sont trop souvent fait l'écho des lenteurs et des travers de l'aide européenne au développement pour que je ne vous dise pas un mot de ce qu'a été, dans mon domaine, l'action de la présidence française.
Lancée sous présidence française, la réforme de l'aide européenne va nous permettre d'agir plus efficacement et de peser davantage
Les contributions françaises à la coopération européenne absorbent, vous le savez, 14 % de notre effort d'APD. Au niveau de l'Union européenne, si l'on additionne aides communautaires et aides des Etats membres, on obtient un total qui représente plus de la moitié de l'APD mondiale.
En ce sens, la lourdeur du dispositif européen et le manque de complémentarité entre les aides européennes et les aides bilatérales représentaient une énorme occasion manquée.
Comme il s'y était engagé, le gouvernement a mis un point d'honneur à faire évoluer ce dispositif. Là aussi, nous avons largement consulté. Avant même de prendre en charge la présidence européenne, nous avons organisé à Paris, en juin 2000, en liaison avec mon collègue portugais Luis Amado, un Séminaire des ministres européens du développement. Nous avons associé à ses travaux des représentants des pays du Sud et des personnalités issues de la société civile.
Ce séminaire a abouti à un diagnostic sans complaisance et, avec le concours de la Commission, nous avons pu faire adopter, le 10 novembre 2000, une déclaration sur la politique de développement de la Communauté.
Cette Déclaration a d'abord voulu servir l'identité européenne. Elle énonce, pour la première fois, les principes qui unissent les Européens en matière de développement. Elle forge, en quelque sorte, une grille de lecture commune, qui vaudra pour toutes les régions du monde. Telle a été la première étape de notre démarche.
Le second volet de la Déclaration a pour objet de recentrer l'aide européenne sur les domaines dans lesquels elle peut être le plus utile. Je pense par exemple à la promotion de l'intégration régionale ou au lien commerce-développement. Vous l'avez souvent dit dans cette enceinte : l'Europe ne doit pas tout faire et son aide ne doit pas ressembler à celle d'un seizième Etat membre. C'est l'idée dont nous nous sommes inspirés.
Parallèlement, nous nous sommes attachés à alléger les procédures, à déconcentrer les responsabilités, à faire reconnaître le besoin de coordination avec les Etats membres. Il faudra du temps pour que tout cela entre dans les faits. Mais des progrès sont déjà en cours. C'est ainsi qu'un plan d'action a été mis en uvre pour renforcer les moyens de gestion de l'aide communautaire, avec la création de l'Office EuropAid et des ouvertures de postes à la clé (300 postes créés par le Conseil). Dans le même temps - et les deux démarches sont indissociables - la Commission a accepté que l'aide européenne puisse, dans certains cas, être mise en uvre par les organismes nationaux existants.
Désormais, si l'agence d'un Etat membre est la mieux placée pour le faire, elle pourra soumissionner à un projet européen et le mettre en uvre, en liaison éventuelle avec l'agence d'un autre Etat membre. Les connaisseurs du sujet savent que c'est une petite révolution.
Bien sûr, la remise en ordre de l'aide européenne ne fait que commencer. Mais elle est d'autant plus opportune qu'un vent nouveau souffle sur les institutions internationales et ce, en partie sous impulsion française.
PPTE, l'initiative en faveur des pays pauvres très endettés, en est un bon exemple. A force d'insistance, nous avons pu obtenir que, sur les 41 pays concernés, 22 franchissent avant le 31 décembre 2000 une étape essentielle dans la réduction de leur dette, celle du point dit de "décision".
Cela n'a pas été facile, notamment parce que les Etats-Unis n'avaient pas rempli leur quote-part et étaient tentés de durcir les conditionnalités pour étaler le processus dans le temps. C'est un sujet sur lequel les Européens ont fait front commun et je me souviens notamment avoir vu, à Prague, dans un moment particulièrement décisif, ma collègue britannique prendre une position diamétralement opposée à celle du délégué américain qui venait d'intervenir juste avant elle. Ceux qui connaissent de près les affaires européennes savent qu'un tel cas de figure n'est pas si fréquent.
En outre, grâce à l'initiative PPTE, les critères des Institutions de Bretton-Woods sont en train d'évoluer. L'exigence de lutte contre la pauvreté qui est la marque de fabrique de cette initiative confère un poids croissant aux thèmes du développement social, ceux auxquels les Européens sont les plus attachés, en l'occurrence la santé, l'éducation, le développement local. Jean-Louis Bianco, qui accompagnait Laurent Fabius et moi-même le mois dernier à Washington, a pu, je crois s'en rendre compte par lui-même.
Concrètement - et pour la première fois depuis bien longtemps - les dépenses sociales ont cessé de reculer l'année dernière dans les pays pauvres très endettés. Un début de redressement paraît même s'opérer.
Dans les pays émergents eux-mêmes, nous essayons de faire droit à l'exigence de réduction des inégalités. A Washington, nous avons par exemple proposé que, dans ces pays, les prêts de la Banque mondiale aux secteurs sociaux bénéficient de taux d'intérêts privilégiés. C'est l'une des pièces que nous versons au débat.
En même temps, à chaque fois que l'occasion nous en est donnée, nous préconisons le rapprochement entre ce que j'appellerai le "pôle de Washington" et le "pôle de New York". En pratique, nous poussons le FMI et la Banque mondiale à coopérer avec le PNUD et les autres agences spécialisées des Nations unies. Nous donnons nous-mêmes l'exemple. C'est ainsi que j'ai signé, le 29 juin dernier, une lettre commune avec l'administrateur du PNUD, Mark Malloch-Brown, afin d'amener nos représentations sur le terrain à travailler ensemble.
Si l'on prend l'exemple du SIDA, la communauté internationale est en passe d'entreprendre un effort massif dans la lutte contre la pandémie. Cet effort avait été demandé par la France à l'automne. Il devrait connaître des étapes significatives lors de la session spéciale des Nations unies en juin, puis de la réunion du G8 à Gènes en juillet. D'ores et déjà, les mentalités évoluent dans le sens des positions que nous défendons. Nous avons été les premiers à poser la question de l'accès aux soins, qui ne se résume pas à celle de l'accès aux médicaments. Aujourd'hui un très large consensus se dessine autour de thèses qu'il y a peu de temps encore, nous étions les seuls à défendre.
Nos actions de coopération bilatérale visent, quant à elles, à devenir, plus stratégiques, mieux ciblées
A propos de notre coopération bilatérale, je commencerai par évoquer notre effort de transparence dont les Parlementaires que vous êtes ont été, à plusieurs reprises, les témoins et, parfois même, les acteurs.
Laissez-moi mentionner, à cet égard, quelques exemples : celui du premier rapport annuel de la DGCID (que vous avez en main depuis hier) ; celui de la Journée mondiale de l'eau que nous avons célébrée avec le concours de la DGCID et de l'AFD ; celui du Comité d'orientation stratégique du FSP, réuni pour la première fois le 13 février et dont la documentation, rendue publique a représenté un exercice de transparence sans précédent.
La mise en uvre du volet bilatéral de l'initiative sur la dette est, elle aussi, l'occasion d'une modernisation de notre dispositif. Je ne m'y étendrai pas mais je tiens à relever deux caractéristiques des Contrats de désendettement-développement que nous proposerons aux pays concernés : l'association de la société civile à la mise en uvre de l'aide et le travail commun que réaliserons sur le terrain les services du ministère des Affaires étrangères et ceux de l'AFD.
Dans le même temps, nous achevons la réforme de l'assistance technique, qui représente l'un des atouts de la France dans le concert des bailleurs de fonds. Cette réforme s'inscrit dans la logique de la fusion puisqu'il s'agit notamment d'harmoniser les régimes de gestion issus du ministère de la Coopération et du ministère des Affaires étrangères. Mais elle vise également à intégrer des besoins qui n'existaient pas il y a quelques années, en particulier en matière d'expertise dite "pointue".
Il peut s'agir, en l'occurrence, d'appuyer des politiques de réformes sectorielles, d'apporter une assistance technique au commerce, d'aider aux sorties de crise, etc
Tout cela suppose le concours d'experts venus d'horizons variés pour des durées variables. Nous pensons être bientôt en mesure de le faire et ceci posera en termes nouveaux la question des moyens de l'assistance technique, dont j'entends bien arrêter le déclin.
Il a beaucoup été question, ces dernières semaines, de la baisse qu'aurait subi, en 2000, notre effort d'aide au développement. Cette crainte s'est nourrie de la publication par le CAD de chiffres provisoires qui font apparaître un recul de notre statistique. Tout en demeurant le premier des pays du G7, notre effort calculé par le CAD tomberait à 0,33 % du PIB.
Sans nier la nécessité d'un débat sur le niveau de l'aide, j'invite chacun à la prudence dans l'interprétation des chiffres. Ceci pour au moins trois raisons. D'abord, les variations d'une année sur l'autre peuvent être fortement affectées par l'imputation sur un exercice ou un autre des contributions multilatérales des pays donateurs. Un effet de ce type s'est par exemple fait sentir dans le cas de l'aide britannique, dont il a fortement dopé la croissance apparente. Ensuite, les aides aux TOM sortent du calcul de l'APD et c'est un effet purement statistique.
En outre, le CAD comptabilise l'aide en dollars et la baisse de l'euro a très directement affecté les chiffres de l'année 2000. Si l'on compte en francs ou en euros, notre APD est beaucoup plus stable, du moins depuis 1997. Ces chiffres doivent retenir notre attention mais ils ne doivent, ni nous décourager, ni nous dissuader d'agir pour une meilleure efficacité de l'aide.
Par ailleurs, notre action de coopération internationale s'attache à développer de nouveaux dynamismes culturels :
Nombre d'entre vous suivent avec attention le dossier de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, l'AEFE. Après bien des difficultés, nous sommes parvenus à un accord avec les personnels sur les "faux résidents". La négociation a été délicate, mais, grâce à un effort additionnel de l'Etat, elle a débouché sur une amélioration sensible des revenus et de la couverture sociale des enseignants concernés.
Dans un ordre d'idées assez proche, nous devons nous réjouir des premiers succès remportés en matière d'accueil des étudiants étrangers. Ils tiennent, d'une part, au desserrement de la politique des visas (qui s'est traduit par un doublement en trois ans des visas pour études) et, de l'autre, à la promotion des formations supérieures françaises assurée par EDUFRANCE. Le bilan tient en un chiffre : nous accueillons cette année, en 2000-2001, plus de 170 000 étudiants étrangers. L'année dernière, ils n'étaient que 150 000.
Autre dossier difficile : TV5. Après une difficile négociation avec nos partenaires, nous avons simplifié les structures. Une étape est ainsi franchie pour que notre audiovisuel extérieur public réponde mieux aux enjeux mondiaux.
Dans notre action, le travail et les propositions des parlementaires sont un apport et un encouragement précieux. On ne le dira jamais assez. Le rapport d'information sur les centres culturels à l'étranger présenté par Yves Dauge en est un bon exemple.
Ce rapport dresse un constat sévère sur l'état de notre réseau mais il souligne aussi l'importance du patrimoine qu'il constitue.
Nous prenons ce rapport en considération. Un effort est engagé pour mieux cibler le public, notamment en direction des étudiants et des futurs décideurs. De même, nous entendons remodeler et diversifier le dispositif pour l'adapter aux objectifs poursuivis
Un mot de la Francophonie. Son institutionnalisation a beaucoup progressé depuis 1997. Vous connaissez le travail accompli pour la rénovation des opérateurs. J'ajouterai que la Francophonie politique s'affirme, notamment depuis la réunion de Bamako en novembre dernier. Elle fait de l'Etat de droit une valeur et une finalité communes des Etats membres. A Beyrouth, en octobre prochain, le Sommet de la Francophonie centrera ses travaux sur la diversité culturelle et nous retrouvons ici les contrepoints à apporter au contexte de mondialisation.
A défaut d'être exhaustif, j'espère avoir moi-même fait preuve, dans le tableau que je vous ai dressé, d'une diversité suffisante. La tâche est difficile mais elle est riche. Les chantiers que nous avons ouverts sont nombreux. Puissent-ils permettre à la société française de trouver toute sa place à l'international. C'est cela aussi la recherche d'une mondialisation plus humaine.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 23 mai 2001)