Extraits de l'entretien de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, avec "RTL" le 1er septembre 2011, sur la conférence sur l'avenir de la Libye et sa reconstruction, la poursuite des opérations militaires et la question syrienne.

Prononcé le 1er septembre 2011

Intervenant(s) : 

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Q - Bonjour Alain Juppé.
R - Bonjour Jean-Michel Apathie.
Q - Cet après-midi à 17h00 s’ouvrira une conférence pour l’avenir de la Libye à laquelle participent 60 pays, pourtant tout n’est pas terminé sur le terrain, des opérations militaires s’y poursuivent et surtout, Mouammar Kadhafi échappe toujours à ses opposants. Savez-vous ce matin, Alain Juppé, où se trouve Mouammar Kadhafi ?
R - Non ! Je le dis en toute franchise, nous ne le savons pas, diverses hypothèses circulent...
Q - Les services secrets par exemple occidentaux, ne sont pas capables de le localiser, de le savoir ?
R - J’ai rappelé qu’avant de localiser Saddam Hussein en Irak il a fallu plusieurs mois, donc c’est bien sûr aux forces du Conseil national de transition de faire leur travail. Aujourd’hui, la situation est largement stabilisée sur le terrain. Ceux qu’on appelait les rebelles, c’est-à-dire les forces de libération de la Libye, contrôlent bien la situation. Il y a encore des problèmes autour de Syrte qui est la ville natale de Kadhafi. Les négociations sont en cours. Un ultimatum a été lancé jusqu’à samedi et j’espère que les derniers combattants pro-Kadhafi déposeront les armes.
Q - Confirmez-vous une demande d’asile de Kadhafi à l’Algérie ?
R - Non je n’ai pas de confirmation. L’Algérie a eu dans toute cette affaire une attitude ambiguë, c’est le moins que l’on puisse dire. Je suis allé moi-même en parler au président Bouteflika qui m’avait assuré que l’Algérie ne donnait à la Libye qu’une aide humanitaire, j’espère que cela se vérifiera.
Q - On parle de livraison d’armes de l’Algérie aux partisans du colonel Kadhafi.
R - Les autorités algériennes l’ont démenti. Et ce qui est important aujourd’hui, et vous l’avez dit tout à l’heure en évoquant cette conférence, c’est de passer à une autre phase de l’opération en Libye...
Q - La reconstruction ?
R - La reconstruction...
Q - On va parler de l’Algérie après, mais la reconstruction.
R - Je reviens quand même sur la première phase. Je voudrais quand même souligner quelque chose, c’est que l’opération militaire a été conduite sous l’égide de l’OTAN par la France et par la Grande-Bretagne, dans des conditions qui méritent quand même qu’on salue le courage et l’efficacité de nos militaires. Il n’y a pas eu de victimes du côté de la coalition et les victimes collatérales en Libye ont été très, très peu nombreuses.
Alors, la reconstruction : aujourd’hui, il faut aider le Conseil national de transition parce que le pays est dévasté, la situation humanitaire est difficile. Cet État manque d’eau, d’électricité, et de carburant.
La Libye est potentiellement un pays riche, elle a d’ailleurs des avoirs gelés qui ont été plus ou moins détournés par le précédent régime. Nous sommes en train de les dégeler, la France par exemple vient d’obtenir l’autorisation de verser 1,5 milliard d’euros qui appartiennent aux Libyens, ce n’est pas de l’argent français, c’est de l’argent libyen, au CNT pour qu’il puisse s’engager dans la reconstruction.
Q - Et tout le financement en fait de la reconstruction de la Libye sera fait comme cela : essayer de repérer les avoirs libyens détournés par Kadhafi pour permettre à la reconstruction.
R - Absolument, il y a des dizaines de milliards de dollars qui sont gelés, les Américains viennent d’en dégeler, les Britanniques, les Allemands, les Français vont faire de même et cela va permettre au Conseil national transition de travailler.
Cette conférence ce soir est extrêmement importante parce qu’elle va permettre à un très grand nombre de pays - il y a 19 chefs d’État, 16 chefs de gouvernement, une soixantaine de délégations, des organisations internationales, la Ligue Arabe en particulier - de dire au Conseil national de transition : «présentez nous votre plan de bataille, comment allez-vous construire la démocratie en Libye et dites nous ce dont vous avez besoin pour sortir la Libye de l’état où elle est aujourd’hui.»
Q - Le journal Libération publie un courrier ce matin émanant début avril du Conseil national de transition et faisant état d’un accord entre lui, Conseil national de transition, et les autorités françaises pour une exploitation du brut libyen, 35 % de brut libyen par des entreprises françaises, une fois que Kadhafi serait parti. Confirmez-vous un tel accord avec le Conseil national de transition, Alain Juppé ?
R - Je n’ai pas connaissance de cette lettre. Ce que je sais c’est que le Conseil national de transition a dit très officiellement que dans la reconstruction de la Libye, il s’adresserait de manière préférentielle à ceux qui l’ont soutenu, cela me paraît assez logique et assez juste.
Q - Vous dites, pour être précis, Alain Juppé, que vous n’avez pas connaissance de la lettre. Existe-t-il un accord ?
R - Je viens de vous dire qu’il y a une déclaration du Conseil national de transition, je n’ai pas connaissance d’accord formel.
Q - D’accord, une déclaration unilatérale mais pas d’accord entre les autorités françaises....
R - …à laquelle nous sommes tout à fait prêts à répondre.
Q - Je l’imagine bien.
R - Nous ne sommes pas les seuls, je préfère vous le dire, les Italiens et les Américains sont aussi présents. Vous savez, on nous a dit que cette opération en Libye coûte cher, c’est un investissement pour l’avenir, parce qu’une Libye démocratique va être un pays qui va se développer, cela sera un facteur de stabilité, de sécurité et de développement dans la région.
Q - L’Algérie puisque vous en avez parlé tout à l’heure Alain Juppé, c’est une question importante. L’Algérie c’est le puissant voisin de la Libye et pour l’instant, le gouvernement algérien refuse de reconnaître le Conseil national de transition ; ceci vous inquiète-t-il ?
R - Nous le regrettons, je pense qu’aujourd’hui le Conseil national de transition a fait la preuve de sa représentativité, vous avez vu qu’il gère la situation à Tripoli aussi bien que possible, on aurait pu s’attendre à des représailles ou à un très grand désordre, ce n’est pas le cas. Je crois, donc, qu’il faut faire confiance à ces hommes et à ses femmes qui sont en train de s’organiser et leur demander maintenant de tenir leurs engagements. C’est-à-dire un gouvernement intérimaire, une Constitution, des élections, nous ne sommes pas allés en Libye pour que la Libye remette en place un régime qui ne respecterait pas les droits fondamentaux des Libyens.
Q - Le gouvernement algérien dit qu’Al Qaïda, des militants islamistes radicaux profitent du désordre aujourd’hui en Libye et peuvent - c’est pour cela qu’ils ne veulent pas reconnaître le Conseil national de transition - exporter cette forme de violence.
R - Ecoutez, ce que nous aimerions c’est que l’Algérie s’engage à fond avec nous, d’ailleurs, avec la Mauritanie, le Mali et le Niger, pour lutter contre Al-Qaïda au Maghreb.
Q - Vous avez des contacts avec les autorités algériennes pour espérer qu’ils reconnaissent rapidement le Conseil national de transition ?
R - Bien sûr, nos relations avec l’Algérie sont bonnes, je vous ai dit que j’y étais il y a quelques semaines et, s’agissant précisément du Sahel, nous sommes en train de travailler avec l’Algérie et les autres pays riverains.
Q - Si le front libyen s’apaise comment allez-vous traiter la question syrienne et le maintien au pouvoir de Bachar El Assad ?
R - Je voudrais d’abord dire qu’il n’y a pas eu deux poids et deux mesures de la part de la diplomatie française. Dès le départ nous avons dit : ce qui se passe en Syrie est inacceptable. Et nous avons beaucoup travaillé pour que les Européens mettent en œuvre des sanctions contre le régime syrien. Ce qui est tout à fait différent par rapport à la situation en Libye, c’est que nous n’avons pas de feu vert, d’accord international au niveau du Conseil de sécurité parce que la Russie, la Chine et quelques autres pays bloquent la situation. Nous continuons à y travailler, ma conviction personnelle c’est que les mêmes causes produisent les mêmes effets, que le régime de Syrie a été trop loin dans la répression et que, donc, il a perdu sa légitimité et qu’à un moment ou à un autre les choses basculeront.
Notre grande question en Syrie est de savoir sur qui nous appuyer, quels sont les opposants, comment s’organisent-ils et c’est à cela que nous travaillons pour mieux les connaître.
Q - Vous allez faire tout à l’heure Alain Juppé un discours devant les ambassadeurs, c’est la traditionnelle Conférence des ambassadeurs.
Vous déploriez au mois de juillet de l’année dernière, 2010, dans un papier signé avec Hubert Védrine qui a, lui aussi, été ministre des Affaires étrangères, un rétrécissement des moyens de l’action diplomatique française et vous le disiez, la rigueur doit épargner ce budget déjà mince des Affaires étrangères, cela ne doit pas s’arranger avec le temps.
R - C’est vrai, cela fait 15 ans maintenant que le ministère des Affaires étrangères a subi des coupes budgétaires qui ont été, à mon avis, trop loin et je m’emploie aujourd’hui à redresser la situation, après avoir dit que je n’avais pas de baguette magique, je l’ai dit aux diplomates dès que je suis arrivé.
Nous avons un service diplomatique de très grande qualité et je crois que ce qui peut-être était nécessaire, c’était de lui rendre confiance en lui-même. C’est cela l’objet de la Conférence des ambassadeurs, c’est de permettre à nos diplomates de se réunir, de discuter des grandes questions de fond, de répondre à l’appel que leur a lancé hier le président de la République, c’est-à-dire d’être en anticipation, d’être à l’écoute des sociétés civiles des pays dans lesquels ils sont, pour que nous ne commettions pas les mêmes erreurs que par le passé où nous avons sous-estimé les aspirations populaires.
Q - Vous aurez assez d’argent dans le budget 2012 ?
R - Nous aurons assez d’argent pour faire ce que nous avons à faire. (…).source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 septembre 2011