Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur les priorités et l'avenir de l'Union européenne, Paris le 5 septembre 2011.

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Circonstance : Rencontre avec des parlementaires européens français à Paris le 5 septembre 2011

Texte intégral

Mesdames et Messieurs les Parlementaires soyez les bienvenus.
Jean Leonetti et moi-même sommes très heureux de vous accueillir ici et d'accueillir aussi nos ambassadeurs, notre représentant permanent auprès de l'Union européenne.
Nous souhaitons avoir, avec les représentants français au Parlement européen, des relations aussi franches et constructives que possible. Et c'est bien volontiers, comme le fait régulièrement, je crois, Jean Leonetti, que je viendrai à votre écoute, peut-être devant la Commission des Affaires étrangères du Parlement européen, puisque nous avons un certain nombre de choses à y dire.
Cette rencontre est d'abord et avant tout amicale. Je ne vais donc pas vous faire de grand discours mais simplement mettre le projecteur sur un certain nombre de préoccupations qui sont les nôtres et les vôtres, je le sais aussi.
D'abord Strasbourg. Nous n'abandonnons pas le combat, malgré les initiatives fâcheuses de certains de nos partenaires, nos amis britanniques qui n'abandonnent pas, eux non plus. Nous avons donc saisi la Cour de justice. Nous sommes en train de préparer le nouveau contrat triennal Strasbourg-capitale européenne pour améliorer encore l'attractivité et l'accessibilité de Strasbourg. Il n'est pas question de lâcher. C'est inscrit dans les traités et c'est pour nous un enjeu politique majeur. Je compte donc sur votre mobilisation à tous, toutes sensibilités confondues, pour cet enjeu qui nous réunit.
Cela étant dit, je voudrais insister sur certaines priorités en réponse à ce qu'on appelle la crise ou les crises qui se succèdent. Et vous voyez qu'encore aujourd'hui les marchés sont turbulents. Face à cette situation, j'ai eu l'occasion de le dire à la Conférence des ambassadeurs qui s'est réunie à Paris la semaine dernière, nous avons le choix entre plusieurs attitudes, bien qu'en réalité nous n'ayons pas le choix.
La première attitude c'est de faire du surplace européen, c'est comme à bicyclette, lorsque l'on fait du surplace on se casse la figure. La seconde attitude prônée par certains c'est de faire marche-arrière et de remettre en cause ce que l'on a mis des décennies à construire : l'Union elle-même, la zone euro. Pour nous c'est évidemment tout à fait exclu.
Il faut donc aller de l'avant. Les gens comme moi sont absolument convaincus que cette situation de crise difficile en Europe doit nous inciter à aller plus loin, plus loin dans l'intégration européenne.
Pour cela, nous disposons d'une boîte à outils qui est le Traité de Lisbonne. Je m'exprime à titre personnel mais je crois refléter le sentiment de beaucoup d'entre vous et, en tout cas, celui de gens avec qui nous en avons parlé : il est urgent de ne pas se lancer dans une nouvelle réforme institutionnelle. Nous avons un traité qui est ce qu'il est et quand on s'en sert bien, il permet de faire des progrès.
La présidence stable est exercée dans d'excellentes conditions par M. Van Rompuy qui est un partenaire tout à fait constructif. Les pouvoirs nouveaux qui ont été donnés au Parlement européen permettent, là aussi, d'aller un peu plus loin dans la démocratisation nécessaire de nos institutions. La Haute représentante qui est parfois critiquée fait son travail et elle a une tâche extrêmement difficile. Le Service européen d'action extérieure est un jeune enfant qui a moins d'un an et nous investissons beaucoup, contrairement à ce que l'on dit parfois, pour y envoyer de bons diplomates français de façon à ce que nous y soyons présents et à ce qu'on le fasse fonctionner du mieux possible.
Dans ce contexte-là, quelles sont les priorités ? Je les rappelle très brièvement, vous les avez en tête aussi bien que moi. D'abord, face aux turbulences que j'évoquais à l'instant, il nous faut absolument disposer du paquet des six textes sur le renforcement du gouvernement économique qui a été décidé le 21 juillet par le Conseil européen, sans parler des initiatives prises par la chancelière et le président français le 16 août.
Je sais qu'il y a eu une discussion serrée entre le Conseil et le Parlement. Evidemment vous ne serez pas surpris si j'estime que le Conseil a fait beaucoup de pas en avant en direction du Parlement. Je souhaite donc vraiment que ce paquet soit adopté maintenant sans tarder. Je fais appel à vous pour œuvrer dans ce sens parce que la sensibilité des marchés est extrêmement grande et il faut marquer notre crédibilité.
Deuxième priorité, c'est le renforcement de la gouvernance Schengen qui est pour nous aussi extrêmement importante. Je suis heureux que la Commission ait réagi favorablement à l'appel qui avait été lancé par la France notamment, et par d'autres. Je rappelle que, pour nous, le principe de la libre circulation à l'intérieur de l'Espace Schengen est un principe fondateur de l'Union et qu'il n'est donc pas question de la remettre en cause. En revanche, il faut porter remède à un certain nombre de dysfonctionnements, faire en sorte que la gouvernance de Schengen soit plus efficace, que l'évaluation des résultats soit plus régulière et plus précise, que FRONTEX se dote des moyens de fonctionner et qu'enfin, lorsqu'un pays est manifestement défaillant dans le respect de ses obligations, qu'une clause de sauvegarde puisse fonctionner. J'espère que l'ensemble de ce dispositif pourra être adopté.
Les finances, tant le budget 2012 que les perspectives financières 2014-2020, sont là aussi des sujets centraux et dans lesquels le Parlement européen a un rôle décisionnaire. On ne peut pas demander à chacun de nos pays de respecter un certain nombre de normes, et même de les inscrire dans sa Constitution pour maîtriser les déficits, et puis laisser filer la dépense européenne. On a beau nous expliquer qu'elle ne représente que1 % du PIB européen, il n'en reste pas moins que nous sommes là dans une situation tellement contrainte que tout le monde doit respecter les mêmes disciplines. Sur 2012, nous avons donc cet objectif de +2,02 % sur les capacités propres, ce qui est une prise en compte de l'inflation. Et sur 2014, nous aurons sans doute des discussions serrées parce que les propositions actuelles de la Commission ne nous paraissent pas acceptables.
La France - et j'espère là aussi pouvoir compter sur la solidarité de tous les parlementaires européens français - fait du maintien des crédits de la Politique agricole commune au niveau 2013 en euros courants un point dur non négociable.
L'agriculture est un enjeu majeur. Quand j'entends dire qu'il y a des dépenses modernes et des dépenses qui ne le sont pas, les bras m'en tombent. On va avoir 9 milliards d'êtres humains à nourrir d'ici 2050 et l'agriculture ne serait pas un enjeu moderne ? Le fait que la France reste une puissance agricole majeure, que l'Europe puisse aussi jouer tout son rôle dans ce domaine est un enjeu capital et, pour nous, c'est vraiment un point tout à fait dur.
Il faudra aussi faire des efforts de discipline sur d'autres chapitres budgétaires, je ne vais pas entrer dans le détail, vous êtes plus savants que moi en la matière. Nous ne sommes pas hostiles à ce que l'on réforme un peu le système des ressources propres avec un système plus juste et plus transparent - le système des rabais est devenu tout à fait opaque - à condition que, s'il y a de nouvelles taxes et notamment une taxe sur les transactions financières, elle vienne en substitution et pas en complément. Et, là aussi, il y a un vaste champ de travail avec le Parlement européen.
Je terminerai ce bref propos en évoquant des sujets plus politiques, enfin, tout est politique dans ce que j'ai évoqué, mais plus diplomatiques d'une certaine manière.
D'abord l'élargissement. Nous avons beaucoup contribué à trouver une solution avec la Croatie qui est donc en voie d'adhésion. Vous savez que notre position est très claire sur l'élargissement à l'ensemble des pays des Balkans qui sont au cœur de l'Europe et qui, au fur et à mesure qu'ils respecteront les conditions requises, ont vocation à nous rejoindre. Nous travaillons notamment avec la Serbie qui a fait des pas en avant mais qui a encore à régler sa relation avec le Kosovo.
En revanche, au-delà, vous connaissez la position de la France. Cela vaut pour la Turquie, cela vaut pour l'ensemble des partenaires du partenariat oriental, nous considérons qu'aujourd'hui, l'Union européenne, compte-tenu des difficultés qui sont les siennes, n'a pas la capacité de s'élargir à ces pays-là. Je ne sais pas ce qui se passera dans quelques décennies mais, pour l'instant, c'est notre position et je l'ai défendue lors du «Gymnich», à la réunion informelle des ministres des Affaires étrangères qui s'est tenue à Sopot. J'ai bien indiqué lors de cette réunion que, lors du sommet du partenariat oriental qui doit se tenir à Varsovie dans quelques semaines, la France ne souhaite pas que l'on donne une perspective à nos partenaires orientaux parce que nous n'avons pas la capacité de le faire.
Un coup de projecteur rapide sur le Sud. Vous savez à quel point nous considérons que le voisinage Sud est, pour nous, un enjeu absolument stratégique et c'est la raison pour laquelle nous pesons beaucoup pour que la proportion de deux-tiers vers le Sud, un tiers vers l'Est soit respectée dans l'utilisation des crédits de voisinage de l'Union européenne, tout en essayant de relancer l'Union pour la Méditerranée. Un nouveau Secrétaire général s'est installé à Barcelone. C'est quelqu'un de qualité, un ancien haut-fonctionnaire marocain, M. Amrani et nous lui avons donné une feuille de route pour qu'il travaille dans le concret.
Enfin, je voudrais évoquer d'un mot, parce que c'est un sujet qui me tient à cœur, la Politique de sécurité et de défense commune. Ce qui s'est passé en Libye a bien montré que l'Europe n'avait pas, même lorsque l'opération est conduite pour l'essentiel par des pays européens, les moyens de planifier et de conduire une opération de ce type. Cela doit nous inciter, je pense, à aller, là encore, un coup plus loin sur la Politique de sécurité et de défense commune qui a déjà fait des progrès considérables puisque l'Union européenne a été capable de mener à bien un certain nombre d'opérations, plus d'une vingtaine dont une petite dizaine d'opérations militaires dans les années passées. Il faut aller de l'avant ; là aussi, c'est compliqué.
Mme Ashton, à la demande des pays de Weimar, Allemagne, France, Pologne a fait un excellent rapport. Nous souhaitons qu'il ne soit pas enterré et nous venons de re-signer à Sopot une nouvelle lettre, les trois de Weimar plus l'Espagne et l'Italie, pour lui demander de continuer à travailler sur les grands sujets que nous avions évoqués, c'est-à-dire une meilleure mutualisation des capacités militaires entre les pays qui le souhaitent, une meilleure utilisation des forces tactiques, la mise en place d'un système de planification et de conduite des opérations et une meilleure clarification des relations entre l'Alliance atlantique et l'Union européenne. Tout ceci ne fait pas l'objet de consensus entre nous. Mais nous avons demandé à Mme Ashton de commencer à explorer aussi les possibilités qu'ouvre le Traité avec notamment la coopération structurée permanente qui pourrait être un moyen de faire avec ceux qui veulent bien faire, sans que les autres puissent nous bloquer.
Voilà, j'ai évoqué quelques sujets d'une actualité plus ou moins brûlante, mais tout à fait importants et, sur tous ces sujets, nous souhaitons travailler en étroite liaison avec vous. Vous êtes des parlementaires. Vous avez votre totale liberté de parole et d'appréciation. Vous appartenez à des groupes politiques différents - chacun a sa ligne - mais vous êtes Français et donc l'idée que nous avons des intérêts communs, des intérêts nationaux qui, de temps en temps, aussi souvent que possible je l'espère, peuvent justifier une approche commune des problèmes, j'espère que nous pourrons partager cela.
Jean Leonetti est à votre disposition, je suis très heureux de l'avoir à mes côtés dans cette fonction de ministre des Affaires européennes. Il a fait d'ailleurs devant la Conférence des ambassadeurs à la fin de la semaine dernière, une excellente prestation sur tous ces sujets. Je ne soupçonnais pas, lorsqu'il m'a rejoint, qu'il était aussi savant et aussi compétent. Il a fait ses preuves en très peu de temps et nous fonctionnons donc très bien.
Merci à tous de votre présence ce soir.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 septembre 2011