Texte intégral
Je suis très heureux davoir loccasion de mexprimer devant vous ce matin.
Je souhaiterais, si vous le voulez bien, exposer devant vous une idée simple, qui est chez moi une conviction forte : les enjeux migratoires, pour un pays comme le nôtre, constituent désormais des enjeux majeurs.
Enjeux immédiats et à court terme, enjeux stratégiques et à plus long terme.
Sagissant des premiers, des enjeux à court terme, je crois quil faut partir dun constat en quelque sorte élémentaire : les pressions migratoires continuent de saccroître, dans des proportions non négligeables, sur notre pays alors que, dans le même temps, les capacités dintégration de notre société, fragilisée par des difficultés économiques, connaissent, il est inutile et même contre-productif de le nier, des limites certaines.
Pourquoi ces pressions migratoires ? Pour des raisons qui tiennent à des facteurs conjoncturels, comme le grand et positif mouvement de libéralisation des peuples sur la rive sud de la Méditerranée, mais aussi à des facteurs de fond, comme linsuffisance de la protection des frontières extérieures de lUnion européenne dans le cadre de Schengen, ou, bien entendu, les évolutions démographiques à luvre dans le monde et les facilités accrues de mobilité dues à la mondialisation.
Dans ce contexte, que faire ? Quelle est la politique du gouvernement ?
Nous disposons principalement de trois leviers pour lesquels, à des titres divers, votre rôle, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, est important.
Dabord la lutte contre limmigration illégale, qui fait partie, je le note au passage, des engagements contenus dans le Pacte européen sur limmigration et lasile, adopté le 16 octobre 2008.
Elle passe dabord, bien sûr, par un combat acharné contre les filières dimmigration clandestine, qui sapparentent largement à une traite des êtres humains. Elle implique aussi une attitude rigoureuse en matière de délivrance des visas et une capacité déloigner effectivement les étrangers en situation irrégulière.
Je marrête un instant sur ce dernier point : pour léloignement des étrangers, nous sommes tributaires de la bonne volonté des pays dorigine - souvent proches de nous politiquement - à délivrer des laissez-passer consulaires. Cette affaire de laissez-passer consulaires nest pas une question subalterne ; cest une question importante, car elle conditionne au moins en partie lefficacité de notre effort pour limiter limmigration clandestine.
Un plan spécifique à ce sujet a été mis en place par nos deux départements ministériels, qui vise notamment à exercer ce quil faut bien appeler des pressions sur un groupe de huit pays prioritaires. Clairement les résultats, pour linstant, ne sont pas au niveau de nos attentes. Sans doute faudra-t-il par conséquent insister encore.
Notre deuxième levier, cest une certaine régulation de limmigration légale, et donc de limmigration professionnelle, familiale et étudiante.
Comme vous le savez, nous accueillons légalement en France chaque année 200.000 étrangers. Jai proposé une réduction de 20.000 personnes sur un an. Dans ce cadre, Xavier Bertrand et moi-même avons divisé par deux le nombre des métiers dits en tension, cest-à-dire pour lesquels laccès à de la main duvre étrangère est objectivement possible sans déséquilibrer le marché du travail.
Soyons clairs entre nous : ni le gouvernement ni moi-même nentendons naturellement priver léconomie française des ressources humaines dont elle aurait besoin. Ce dont il sagit, cest de sassurer de la bonne adéquation entre des demandes demploi venant de létranger et nos besoins réels ; cest aussi déviter certains abus ou certaines formes de laxisme dans la mobilité étudiante ou le regroupement familial. Cest le sens des instructions qui vous ont été adressées par le ministre dÉtat et moi-même, en liaison avec le ministre en charge de lEmploi et le ministre de lEnseignement supérieur, pour assurer une meilleure maîtrise de la délivrance des visas de long séjour. Une certaine stabilisation est observée en ce domaine depuis quelques semaines, et je vous en remercie. Mais je vous demande daccentuer dans les prochains mois cette tendance, pour que le nombre diminue.
Troisième levier enfin, la politique dintégration. Jobserve au passage que lintégration est lun des domaines de compétence, qui, dans nos traités européens, reste totalement de la responsabilité des États membres. Et pourtant, on assiste à une convergence étonnante. Partout, cest le constat déchec du multiculturalisme qui prévaut. Partout en Europe, une demande plus forte se manifeste pour que les personnes immigrées respectent pleinement les règles et les modes de vie de nos sociétés européennes. Nous navons fait, quant à nous, aucune surenchère dans ce domaine. Mais comme dautres partenaires, nous considérons que la maîtrise de la langue constitue une condition forte de lintégration. Nous avons donc décidé délever le niveau de français exigé au moment de lacquisition de la nationalité. Et je crois quil est légitime dattendre des migrants qui veulent sinstaller durablement sur notre territoire, quils sefforcent dassimiler nos valeurs, notre culture, notre règle commune de vie en société.
Mesdames et Messieurs, en vous rappelant ces données de base de notre politique, à laquelle vous êtes encore une fois directement associés, jai conscience de déranger un certain confort intellectuel et de heurter un tabou politique.
Le confort intellectuel, cest celui qui consiste à répéter que limmigration est un bien en soi puisquelle répondrait à des carences démographiques et à des besoins économiques de sociétés européennes vieillissantes et soi-disant essoufflées.
Je demande pour ma part quon laisse de côté lidéologie et que lon examine, pays par pays, je dirais même bassin demploi par bassin demploi, ce quil en est exactement. Je constate que, pour la France, qui se porte bien sur le plan démographique, 24 % des étrangers non communautaires sont au chômage. Nous avons plus de 2,7 millions de demandeurs demploi. Notre population active va continuer daugmenter, durablement, denviron 110.000 personnes par an.
Jai parlé de tabou politique. Qui peut croire sérieusement que tout gouvernement français responsable pourrait vraiment faire une politique substantiellement différente de la nôtre ? Comment ne pas voir en tout cas que les gouvernements européens sorientent tous vers les mêmes options, quelle que soit leur orientation politique, socialiste en Espagne, conservatrice au Royaume Uni, ou encore bicolore en Allemagne ?
La France est un pays ouvert et généreux et doit le rester. Mais la mesure de notre politique migratoire doit être notre capacité à bien intégrer. Sagissant de limmigration professionnelle, la mesure de notre politique est léquilibre du marché du travail : sauf exceptions sectorielles, nous devons donner toutes leurs chances aux travailleurs, français ou étrangers, déjà présents sur le marché du travail, plutôt que de recourir à une nouvelle main-duvre étrangère. Sagissant de limmigration ou de la mobilité étudiante, cest lhonneur de lUniversité française que doffrir à des étudiants la chance de bénéficier de notre excellence à condition, bien sûr, de maitriser le nombre, de lutter contre les abus et de faire en sorte que ces étudiants, de retour dans leur pays dorigine, len fasse profiter. A condition aussi bien sûr que les études ne constituent pas un moyen de rester dans notre pays pour des raisons tout simplement étrangères.
Ceci posé, notre réflexion et notre action sur ces sujets ne doivent pas sarrêter aux circonstances du moment et aux mesures à court terme.
Les phénomènes migratoires sont et vont rester pour longtemps un facteur stratégique, un facteur structurant de la vie internationale et, par conséquent, de notre vie nationale. Il suffit pour sen convaincre de parcourir les chiffres publiés récemment par lInstitut national des études démographiques. Notre planète a franchi cette année le seuil des 7 milliards dhabitants. La population pourrait atteindre 8 milliards en 2025, puis de 9 à 10 milliards dhabitants à la fin du XXIème siècle. Le continent africain devrait atteindre 3,7 milliards dhabitants en 2100, plus dun tiers de la population mondiale contre un septième aujourdhui. Parallèlement, lAfrique, notamment sub-saharienne, restera encore pour longtemps le continent le plus pauvre, une majorité de sa population vivant avec moins de deux dollars par jour.
Je crois donc quil nous appartient de dessiner des perspectives qui vont au-delà du traitement au jour le jour des affaires, si nous voulons concilier dans la durée à la fois nos intérêts et la vocation de la France à défendre des valeurs humanistes et douverture.
Quelles perspectives ?
Il y a dabord la réforme de la gouvernance de Schengen. Dans mon esprit bien sûr, il devrait sagir dune mesure à court terme, qui devrait déjà être derrière nous. Les données institutionnelles et la culture politique des institutions européennes sont telles que plusieurs mois seront encore nécessaires pour que lon parvienne, de manière équivalente à ce qui est en train de se passer pour leuro, à lémergence dune meilleure gouvernance de lespace de libre circulation en Europe.
Cependant, je suis heureux que, conformément aux idées avancées par le président de la République, et à la suite dune action conjointe de nos deux départements ministériels, des orientations satisfaisantes aient été arrêtées par le Conseil européen du 24 juin dernier. Il faut notamment que les nouvelles règles de gouvernance de Schengen permettent aux États membres de réagir collectivement, et dans certains cas limites, individuellement, à des crises éventuelles, en particulier migratoires. Il faut aussi, grâce notamment à une montée en puissance de Frontex, être en mesure de prévenir le plus possible de telles crises.
Deuxième orientation : il me semble que nous devons accorder beaucoup plus dattention aux diverses formes de partenariats qui, à lavenir, nous permettront daccueillir en France, conformément à notre vocation, des étudiants ou des jeunes professionnels, ou dautres migrants, quel que soit leur profil, mais capables dapporter une plus-value, quils viennent de pays en voie de développement ou dautres régions, en garantissant que leur séjour chez nous, sans accroître les pressions migratoires sur notre société, sera bénéfique pour eux, pour les sociétés dont ils viennent et bien sûr pour notre pays.
Dans le même registre, je souscris totalement à lidée selon laquelle le grand mouvement de libération qui emporte certains pays arabes doit être loccasion de refonder le partenariat entre lEurope et la rive sud de la Méditerranée. Avec le corollaire, souligné par le président Sarkozy, que ce nouveau partenariat doit inclure les questions migratoires en établissant, en toute transparence, une conditionnalité entre lappui que nous devons apporter aux nouvelles démocraties et la coopération que nous sommes en droit dattendre delles en matière de lutte contre limmigration illégale.
Enfin, troisième orientation, le moment est venu de repenser le droit dasile en Europe. Là aussi, des engagements solennels ont été pris au plus haut niveau des instances européennes pour parvenir à un régime dasile européen commun dans le courant de lannée prochaine. Cest fondamental, car dans la situation actuelle, il y a trop de disparités dans le traitement des demandes dasile selon les États membres auxquels les demandeurs sadressent. Ce qui fait que la France a reçu, en 2010, plus de 50 000 demandes, le Royaume-Uni 23 700, lItalie 10 100, la Pologne 6 500. Il y va du reste du respect de la priorité que nous accordons au droit dasile, qui est menacée par les demandes abusives.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Ces analyses, et les propositions qui en résultent, me paraissent, sur le plan intellectuel, difficilement contestables. Et en même temps, je devine que, parmi vous, certains sinterrogent sur leur compatibilité avec limage que nous avons tous de la France - cette image quil est de votre vocation et de votre honneur de défendre à létranger.
Je conçois, bien évidemment, que les hauts diplomates que vous êtes aient le souci que la France napparaisse pas dans le monde comme un pays replié sur lui-même, barricadé contre les étrangers, fermé aux grands mouvements, y compris humains, qui vont de pair avec la mondialisation. Le gouvernement a lui aussi ce souci.
Je vous invite cependant à y réfléchir : louverture à légard du monde, est-ce que cela doit vouloir dire fermer les yeux sur les lendemains qui déchanteront inévitablement si lUnion européenne nest pas davantage capable de protéger ses frontières extérieures ? La générosité de la France, est-ce que cela peut consister à laisser venir chez nous des personnes condamnées au chômage, et avec des perspectives limitées dintégration ? Est-ce vraiment être fidèle à notre tradition daccueil des persécutés politiques que de tolérer une saturation de notre système dasile, dont il est clair quelle résulte très souvent dune pratique de détournement de procédures ?
En toute honnêteté, je ne le crois pas.
Ce que je crois en revanche, cest que, tout en traitant de manière responsable les enjeux à court et moyen termes, il convient de mettre la France en mesure dapporter une contribution constructive, cest-à-dire lucide et positive, à la gestion des enjeux immenses qui sont devant nous. Je viens de mentionner à ce sujet quelques idées. Mais le champ est très vaste, et en fait très largement ouvert, tant la gouvernance internationale reste, sur ces sujets, embryonnaire. Or, cest bien dabord sur le terrain de la coopération internationale que nous devons nous placer pour relever les défis de lavenir, sur le terrain du dialogue entre les États, de la concertation entre les sociétés, de la mobilisation des organisations régionales et internationales, éventuellement même de la négociation de nouveaux instruments. Bref, sur votre terrain de prédilection, dans votre domaine dexcellence !
Je conclurai donc en vous disant que le gouvernement de la République attend de vous que vous remplissiez deux tâches précises en matière dimmigration : en premier lieu, appliquer avec une rigueur totale les instructions que vous avez reçues sagissant de délivrance des visas, de maîtrise raisonnée de limmigration légale, dobtention des laissez-passer consulaires ; le gouvernement souhaite que vous vous y impliquiez personnellement ; en second lieu, apporter une contribution qui ne peut être que déterminante au rôle que notre pays doit jouer pour assurer à lavenir une meilleure régulation des flux migratoires dans le cadre des instances internationales existantes ou à mettre en place.
Je ne doute pas que vous aurez à cur, avec votre détermination habituelle, dassumer ces deux missions.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 septembre 2011
Je souhaiterais, si vous le voulez bien, exposer devant vous une idée simple, qui est chez moi une conviction forte : les enjeux migratoires, pour un pays comme le nôtre, constituent désormais des enjeux majeurs.
Enjeux immédiats et à court terme, enjeux stratégiques et à plus long terme.
Sagissant des premiers, des enjeux à court terme, je crois quil faut partir dun constat en quelque sorte élémentaire : les pressions migratoires continuent de saccroître, dans des proportions non négligeables, sur notre pays alors que, dans le même temps, les capacités dintégration de notre société, fragilisée par des difficultés économiques, connaissent, il est inutile et même contre-productif de le nier, des limites certaines.
Pourquoi ces pressions migratoires ? Pour des raisons qui tiennent à des facteurs conjoncturels, comme le grand et positif mouvement de libéralisation des peuples sur la rive sud de la Méditerranée, mais aussi à des facteurs de fond, comme linsuffisance de la protection des frontières extérieures de lUnion européenne dans le cadre de Schengen, ou, bien entendu, les évolutions démographiques à luvre dans le monde et les facilités accrues de mobilité dues à la mondialisation.
Dans ce contexte, que faire ? Quelle est la politique du gouvernement ?
Nous disposons principalement de trois leviers pour lesquels, à des titres divers, votre rôle, Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs, est important.
Dabord la lutte contre limmigration illégale, qui fait partie, je le note au passage, des engagements contenus dans le Pacte européen sur limmigration et lasile, adopté le 16 octobre 2008.
Elle passe dabord, bien sûr, par un combat acharné contre les filières dimmigration clandestine, qui sapparentent largement à une traite des êtres humains. Elle implique aussi une attitude rigoureuse en matière de délivrance des visas et une capacité déloigner effectivement les étrangers en situation irrégulière.
Je marrête un instant sur ce dernier point : pour léloignement des étrangers, nous sommes tributaires de la bonne volonté des pays dorigine - souvent proches de nous politiquement - à délivrer des laissez-passer consulaires. Cette affaire de laissez-passer consulaires nest pas une question subalterne ; cest une question importante, car elle conditionne au moins en partie lefficacité de notre effort pour limiter limmigration clandestine.
Un plan spécifique à ce sujet a été mis en place par nos deux départements ministériels, qui vise notamment à exercer ce quil faut bien appeler des pressions sur un groupe de huit pays prioritaires. Clairement les résultats, pour linstant, ne sont pas au niveau de nos attentes. Sans doute faudra-t-il par conséquent insister encore.
Notre deuxième levier, cest une certaine régulation de limmigration légale, et donc de limmigration professionnelle, familiale et étudiante.
Comme vous le savez, nous accueillons légalement en France chaque année 200.000 étrangers. Jai proposé une réduction de 20.000 personnes sur un an. Dans ce cadre, Xavier Bertrand et moi-même avons divisé par deux le nombre des métiers dits en tension, cest-à-dire pour lesquels laccès à de la main duvre étrangère est objectivement possible sans déséquilibrer le marché du travail.
Soyons clairs entre nous : ni le gouvernement ni moi-même nentendons naturellement priver léconomie française des ressources humaines dont elle aurait besoin. Ce dont il sagit, cest de sassurer de la bonne adéquation entre des demandes demploi venant de létranger et nos besoins réels ; cest aussi déviter certains abus ou certaines formes de laxisme dans la mobilité étudiante ou le regroupement familial. Cest le sens des instructions qui vous ont été adressées par le ministre dÉtat et moi-même, en liaison avec le ministre en charge de lEmploi et le ministre de lEnseignement supérieur, pour assurer une meilleure maîtrise de la délivrance des visas de long séjour. Une certaine stabilisation est observée en ce domaine depuis quelques semaines, et je vous en remercie. Mais je vous demande daccentuer dans les prochains mois cette tendance, pour que le nombre diminue.
Troisième levier enfin, la politique dintégration. Jobserve au passage que lintégration est lun des domaines de compétence, qui, dans nos traités européens, reste totalement de la responsabilité des États membres. Et pourtant, on assiste à une convergence étonnante. Partout, cest le constat déchec du multiculturalisme qui prévaut. Partout en Europe, une demande plus forte se manifeste pour que les personnes immigrées respectent pleinement les règles et les modes de vie de nos sociétés européennes. Nous navons fait, quant à nous, aucune surenchère dans ce domaine. Mais comme dautres partenaires, nous considérons que la maîtrise de la langue constitue une condition forte de lintégration. Nous avons donc décidé délever le niveau de français exigé au moment de lacquisition de la nationalité. Et je crois quil est légitime dattendre des migrants qui veulent sinstaller durablement sur notre territoire, quils sefforcent dassimiler nos valeurs, notre culture, notre règle commune de vie en société.
Mesdames et Messieurs, en vous rappelant ces données de base de notre politique, à laquelle vous êtes encore une fois directement associés, jai conscience de déranger un certain confort intellectuel et de heurter un tabou politique.
Le confort intellectuel, cest celui qui consiste à répéter que limmigration est un bien en soi puisquelle répondrait à des carences démographiques et à des besoins économiques de sociétés européennes vieillissantes et soi-disant essoufflées.
Je demande pour ma part quon laisse de côté lidéologie et que lon examine, pays par pays, je dirais même bassin demploi par bassin demploi, ce quil en est exactement. Je constate que, pour la France, qui se porte bien sur le plan démographique, 24 % des étrangers non communautaires sont au chômage. Nous avons plus de 2,7 millions de demandeurs demploi. Notre population active va continuer daugmenter, durablement, denviron 110.000 personnes par an.
Jai parlé de tabou politique. Qui peut croire sérieusement que tout gouvernement français responsable pourrait vraiment faire une politique substantiellement différente de la nôtre ? Comment ne pas voir en tout cas que les gouvernements européens sorientent tous vers les mêmes options, quelle que soit leur orientation politique, socialiste en Espagne, conservatrice au Royaume Uni, ou encore bicolore en Allemagne ?
La France est un pays ouvert et généreux et doit le rester. Mais la mesure de notre politique migratoire doit être notre capacité à bien intégrer. Sagissant de limmigration professionnelle, la mesure de notre politique est léquilibre du marché du travail : sauf exceptions sectorielles, nous devons donner toutes leurs chances aux travailleurs, français ou étrangers, déjà présents sur le marché du travail, plutôt que de recourir à une nouvelle main-duvre étrangère. Sagissant de limmigration ou de la mobilité étudiante, cest lhonneur de lUniversité française que doffrir à des étudiants la chance de bénéficier de notre excellence à condition, bien sûr, de maitriser le nombre, de lutter contre les abus et de faire en sorte que ces étudiants, de retour dans leur pays dorigine, len fasse profiter. A condition aussi bien sûr que les études ne constituent pas un moyen de rester dans notre pays pour des raisons tout simplement étrangères.
Ceci posé, notre réflexion et notre action sur ces sujets ne doivent pas sarrêter aux circonstances du moment et aux mesures à court terme.
Les phénomènes migratoires sont et vont rester pour longtemps un facteur stratégique, un facteur structurant de la vie internationale et, par conséquent, de notre vie nationale. Il suffit pour sen convaincre de parcourir les chiffres publiés récemment par lInstitut national des études démographiques. Notre planète a franchi cette année le seuil des 7 milliards dhabitants. La population pourrait atteindre 8 milliards en 2025, puis de 9 à 10 milliards dhabitants à la fin du XXIème siècle. Le continent africain devrait atteindre 3,7 milliards dhabitants en 2100, plus dun tiers de la population mondiale contre un septième aujourdhui. Parallèlement, lAfrique, notamment sub-saharienne, restera encore pour longtemps le continent le plus pauvre, une majorité de sa population vivant avec moins de deux dollars par jour.
Je crois donc quil nous appartient de dessiner des perspectives qui vont au-delà du traitement au jour le jour des affaires, si nous voulons concilier dans la durée à la fois nos intérêts et la vocation de la France à défendre des valeurs humanistes et douverture.
Quelles perspectives ?
Il y a dabord la réforme de la gouvernance de Schengen. Dans mon esprit bien sûr, il devrait sagir dune mesure à court terme, qui devrait déjà être derrière nous. Les données institutionnelles et la culture politique des institutions européennes sont telles que plusieurs mois seront encore nécessaires pour que lon parvienne, de manière équivalente à ce qui est en train de se passer pour leuro, à lémergence dune meilleure gouvernance de lespace de libre circulation en Europe.
Cependant, je suis heureux que, conformément aux idées avancées par le président de la République, et à la suite dune action conjointe de nos deux départements ministériels, des orientations satisfaisantes aient été arrêtées par le Conseil européen du 24 juin dernier. Il faut notamment que les nouvelles règles de gouvernance de Schengen permettent aux États membres de réagir collectivement, et dans certains cas limites, individuellement, à des crises éventuelles, en particulier migratoires. Il faut aussi, grâce notamment à une montée en puissance de Frontex, être en mesure de prévenir le plus possible de telles crises.
Deuxième orientation : il me semble que nous devons accorder beaucoup plus dattention aux diverses formes de partenariats qui, à lavenir, nous permettront daccueillir en France, conformément à notre vocation, des étudiants ou des jeunes professionnels, ou dautres migrants, quel que soit leur profil, mais capables dapporter une plus-value, quils viennent de pays en voie de développement ou dautres régions, en garantissant que leur séjour chez nous, sans accroître les pressions migratoires sur notre société, sera bénéfique pour eux, pour les sociétés dont ils viennent et bien sûr pour notre pays.
Dans le même registre, je souscris totalement à lidée selon laquelle le grand mouvement de libération qui emporte certains pays arabes doit être loccasion de refonder le partenariat entre lEurope et la rive sud de la Méditerranée. Avec le corollaire, souligné par le président Sarkozy, que ce nouveau partenariat doit inclure les questions migratoires en établissant, en toute transparence, une conditionnalité entre lappui que nous devons apporter aux nouvelles démocraties et la coopération que nous sommes en droit dattendre delles en matière de lutte contre limmigration illégale.
Enfin, troisième orientation, le moment est venu de repenser le droit dasile en Europe. Là aussi, des engagements solennels ont été pris au plus haut niveau des instances européennes pour parvenir à un régime dasile européen commun dans le courant de lannée prochaine. Cest fondamental, car dans la situation actuelle, il y a trop de disparités dans le traitement des demandes dasile selon les États membres auxquels les demandeurs sadressent. Ce qui fait que la France a reçu, en 2010, plus de 50 000 demandes, le Royaume-Uni 23 700, lItalie 10 100, la Pologne 6 500. Il y va du reste du respect de la priorité que nous accordons au droit dasile, qui est menacée par les demandes abusives.
Mesdames et Messieurs les Ambassadeurs,
Ces analyses, et les propositions qui en résultent, me paraissent, sur le plan intellectuel, difficilement contestables. Et en même temps, je devine que, parmi vous, certains sinterrogent sur leur compatibilité avec limage que nous avons tous de la France - cette image quil est de votre vocation et de votre honneur de défendre à létranger.
Je conçois, bien évidemment, que les hauts diplomates que vous êtes aient le souci que la France napparaisse pas dans le monde comme un pays replié sur lui-même, barricadé contre les étrangers, fermé aux grands mouvements, y compris humains, qui vont de pair avec la mondialisation. Le gouvernement a lui aussi ce souci.
Je vous invite cependant à y réfléchir : louverture à légard du monde, est-ce que cela doit vouloir dire fermer les yeux sur les lendemains qui déchanteront inévitablement si lUnion européenne nest pas davantage capable de protéger ses frontières extérieures ? La générosité de la France, est-ce que cela peut consister à laisser venir chez nous des personnes condamnées au chômage, et avec des perspectives limitées dintégration ? Est-ce vraiment être fidèle à notre tradition daccueil des persécutés politiques que de tolérer une saturation de notre système dasile, dont il est clair quelle résulte très souvent dune pratique de détournement de procédures ?
En toute honnêteté, je ne le crois pas.
Ce que je crois en revanche, cest que, tout en traitant de manière responsable les enjeux à court et moyen termes, il convient de mettre la France en mesure dapporter une contribution constructive, cest-à-dire lucide et positive, à la gestion des enjeux immenses qui sont devant nous. Je viens de mentionner à ce sujet quelques idées. Mais le champ est très vaste, et en fait très largement ouvert, tant la gouvernance internationale reste, sur ces sujets, embryonnaire. Or, cest bien dabord sur le terrain de la coopération internationale que nous devons nous placer pour relever les défis de lavenir, sur le terrain du dialogue entre les États, de la concertation entre les sociétés, de la mobilisation des organisations régionales et internationales, éventuellement même de la négociation de nouveaux instruments. Bref, sur votre terrain de prédilection, dans votre domaine dexcellence !
Je conclurai donc en vous disant que le gouvernement de la République attend de vous que vous remplissiez deux tâches précises en matière dimmigration : en premier lieu, appliquer avec une rigueur totale les instructions que vous avez reçues sagissant de délivrance des visas, de maîtrise raisonnée de limmigration légale, dobtention des laissez-passer consulaires ; le gouvernement souhaite que vous vous y impliquiez personnellement ; en second lieu, apporter une contribution qui ne peut être que déterminante au rôle que notre pays doit jouer pour assurer à lavenir une meilleure régulation des flux migratoires dans le cadre des instances internationales existantes ou à mettre en place.
Je ne doute pas que vous aurez à cur, avec votre détermination habituelle, dassumer ces deux missions.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 2 septembre 2011