Déclaration de M. François Fillon, Premier ministre, sur la politique de modernisation de l'agriculture et le plan d'action du G20 pour lutter contre la volatilité des prix agricoles du fait de la spéculation des marchés financiers, à Mortagne-au-Perche (Orne) le 2 septembre 2011.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Déplacement du Premier ministre accompagné du ministre de l'agriculture à Mortagne-au-Perche (Orne) le 2 septembre 2011

Texte intégral

Mesdames et Messieurs,
Je voudrais d’abord dire à Jean-Claude LENOIR toute l’estime, mais surtout toute l’amitié que j’ai pour lui, l’estime que j’ai pour son travail, pour sa personnalité, une personnalité fidèle et généreuse, et je le remercie d’avoir évoqué les longues années de travail en commun et d’amitié. J’ai beaucoup de respect pour Jean-Claude, et cela fait longtemps que j’avais promis de venir lui rendre visite. Je ne regrette pas de l’avoir fait, tant l’accueil qui m’a été réservé, avec Bruno LE MAIRE, aujourd’hui à Mortagne, a été un accueil chaleureux, en même temps qu’il nous a permis d’évoquer des sujets difficiles, en allant au fond des choses.
Je viens de visiter un groupement agricole d’exploitation en commun, qui est un groupement particulièrement entreprenant. Et j’ai évoqué avec plusieurs agriculteurs de la région les enjeux qui les concernent. Nous sommes, et ils sont au premier chef, confrontés à un environnement économique qui est un environnement économique extrêmement difficile. Mais je veux dire avant de l’évoquer, que je tire de cette visite d’abord un message de confiance, et en particulier un message de confiance pour l’avenir de notre agriculture.
L’idée-force de la politique que nous conduisons, sous l’autorité du président de la République avec Bruno LE MAIRE, consiste à placer les agriculteurs au cœur d’un dispositif dans lequel ils doivent être considérés comme des entrepreneurs, comme des entrepreneurs à part entière, comme des acteurs responsables d’un domaine économique qui est un domaine économique d’avenir, et qui est un domaine économique vital pour l’économie française et pour l’économie européenne.
Alors cette politique, nous la déployons dans trois directions. La première, c’est l’engagement que nous avons pris, et que nous avons respecté, de réagir sans délai aux difficultés conjoncturelles que rencontre l’agriculture française. Et nous savons que les agriculteurs, compte tenu de la spécificité de leur métier, sont confrontés à des difficultés, à des aléas climatiques, à des catastrophes naturelles, et à la volatilité des cours.
La deuxième direction, c’est la réforme des structures. Il faut donner aux exploitants agricoles les moyens de développer une agriculture de production, une agriculture de qualité, une agriculture qui soit rentable, et une agriculture qui soit respectueuse de son environnement.
Et enfin, la troisième direction, c’est d’être à l’initiative pour promouvoir sur la scène internationale la vision française de l’agriculture, c’est-à-dire une vision qui n’a rien d’une vision passéiste, qui n’a rien d’une vision dépassée, qui est une vision exigeante, exigeante en termes de santé, en termes d’environnement, et en termes d’équité dans les échanges commerciaux internationaux.
Bruno conduit cette politique avec beaucoup de force et avec beaucoup de talent ; il la conduit sur tous les fronts, avec une conviction et avec une rigueur qui sont unanimement respectées. Je veux aussi saluer la présence de Xavier BEULIN, qui défend avec passion les intérêts de la profession, et de tous les responsables agricoles qui sont présents ici.
Je le disais, le contexte est difficile, et le courage des agriculteurs est immense. Depuis 2008, les agriculteurs français ont été touchés par la crise mondiale ; 2009 a été une année noire pour les revenus agricoles ; 2010 a vu une amélioration ; et 2011 est une année, même si elle n’est pas encore complètement terminée, qui est contrastée : elle a été favorable pour certains, mais elle a aussi été marquée par des coups durs.
Il y a eu au printemps la sécheresse qui a occasionné pour beaucoup d’agriculteurs, et en particulier pour les éleveurs, des pertes irrattrapables. Nous avons pris nos responsabilités face à cette catastrophe naturelle : nous l’avons fait en mobilisant le Fonds national de garantie des risques en agriculture 65 départements ont été reconnus en état de calamité agricole, et l’Orne en fait évidemment partie. Les premières indemnisations vont intervenir dans les tout prochains jours, à partir du 15 septembre. Je crois qu’on n’a jamais été aussi vite face à une situation de catastrophe comme celle qu’on vient de connaître, pour mettre en place les procédures d’identification des dommages, et puis les premières indemnisations.
Il y a aussi la crise du secteur des fruits et légumes, qui est frappé à la fois par la sécheresse, qui a désorganisé le calendrier de la production, mais également par les problèmes sanitaires qui sont apparus en Allemagne au printemps, et qui illustrent bien le caractère désormais mondialisé de notre commerce en matière agricole. Dès le début de la saison, confronté à ces difficultés, le gouvernement a réagi en prenant des mesures pour soutenir la commercialisation des produits, et en obtenant – et cela n’a pas été facile – des aides européennes exceptionnelles.
Mais pour résoudre durablement les problèmes de la filière, il faut aller beaucoup plus loin. Bruno LE MAIRE a mis en place trois groupes de travail, pour étudier les relations commerciales au sein des filières des fruits et légumes, la compétitivité économique de ces filières, la régulation des marchés, et la gestion des crises. Ces groupes présenteront leurs conclusions la semaine prochaine, et nous allons ensemble travailler à leur mise en œuvre.
Je me suis engagé, c’était au congrès de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, à proposer des mesures d’allègement de charges sur le travail permanent, puisque cette question du coût du travail, notamment dans la compétition avec les autres pays européens, et avec notre grand voisin allemand, est désormais une question absolument stratégique. Nous avons engagé le travail pour aboutir sur ces mesures.
Cela suppose d’abord de négocier avec la Commission Européenne parce que, je veux le redire devant vous, je l’ai dit et Bruno l’a dit tout à l’heure devant les agriculteurs, nous ne mettrons jamais en place des aides qui n’ont pas reçu le feu vert de la Commission Européenne, parce que nous ne voulons pas faire comme certains de nos prédécesseurs, qui pour avoir la paix, ont fait verser des aides qui ensuite ont été réclamées aux agriculteurs et que ceux-ci ont dû rembourser. cela n’est pas ma conception de la crédibilité, de la confiance qui doit exister entre les pouvoirs publics et le monde agricole.
Nous avons donc engagé cette négociation à l’échelle européenne, et un député, le député Bernard REYNES, va prochainement, très prochainement, conduire une délégation parlementaire à Bruxelles pour aller explorer, avec les autorités européennes, toutes les voies qui nous permettront de mettre en place des mesures d’allègement du coût du travail en agriculture.
Mais les difficultés que rencontrent plusieurs de nos filières agricoles sont aussi liées à des problèmes d’organisation, auxquels il fallait que nous répondions. Défendre notre agriculture, c’est lui donner les moyens de conquérir sa rentabilité ; c’est mettre à sa disposition les outils nécessaires à sa compétitivité ; c’est donner aux agriculteurs des instruments pour qu’ils soient les acteurs de leur propre réussite. C’est tout le sens de la loi de modernisation de l’agriculture qui a été votée en 2010 par le Parlement, et qui commence à produire ses premiers effets.
Nous avons décidé, et c’est vraiment le cœur de ce travail de réforme, que la contractualisation devrait être désormais la règle pour sécuriser les prix et les volumes de productions, et donner des revenus aux agriculteurs. Nous avons accru le rôle de l’Observatoire des prix et des marges pour améliorer la transparence dans les circuits commerciaux. Cet Observatoire des prix et des marges a commencé à publier des résultats qui ont montré qu’il y avait des abus, qui ont montré qu’il y avait des pratiques qui devaient être corrigées. Nous allons progressivement étendre le travail de cet Observatoire à l’ensemble des secteurs de la production agricole.
Nous avons renforcé le poids des organisations professionnelles, pour que les agriculteurs soient plus unis dans la défense de leurs intérêts. Nous avons pris des mesures de simplification des procédures et de relèvement des seuils pour les installations classées, pour la protection de l’environnement, et en particulier pour l’élevage laitier – ce qui ici, dans l’Orne, prend une signification particulière. Et puis nous poursuivons les réflexions pour développer les dispositifs d’assurance contre les aléas, et en particulier contre les aléas climatiques.
Nous avons fait tout cela pour répondre aux attentes des agriculteurs, qui sont les mieux placés pour savoir que les réformes sont nécessaires au développement de leur activité. Mais je veux dire que, même si ce travail n’est pas terminé, parce qu’on n’a jamais fini de réformer, parce qu’il faut toujours adapter les dispositifs. Désormais c’est aux agriculteurs, c’est à la profession de se saisir des possibilités qui leur sont offertes pour valoriser leurs productions, en faisant en sorte que l’offre soit toujours mieux adaptée à la demande, en répondant aux attentes des consommateurs, en renouvelant et en diversifiant les débouchés par la valorisation des produits nationaux, par la vente directe, comme je viens de le voir tout à l’heure, par les circuits courts, par le développement des produits sous signe officiel de qualité, comme l’AOC, comme le Label Rouge, ou encore comme l’Agriculture Biologique.
On voit les progrès qui ont été accomplis dans notre pays depuis quelques années dans ce domaine. On est parti sur des productions qui étaient presque anecdotiques. On a longtemps considéré que l’ensemble de ces signes de reconnaissance de la qualité ne pouvait pas concerner des gros volumes, ne pouvait pas être une solution principale aux problèmes posés par la production agricole. On voit aujourd’hui le développement spectaculaire de ces signes de qualité, le développement spectaculaire de ces filières, qui correspondent bien à des attentes qui sont celles des consommateurs français.
Je veux dire qu’il n’y a pas de modèle unique, et c’est très important que toutes les pistes que je viens d’évoquer soient poursuivies, explorées, mises à la disposition des agriculteurs. Toutes ces pistes sont complémentaires, et elles sont porteuses de ressources, et elles sont porteuses de rendements. Comme l’est aussi le développement, au sein des exploitations, des énergies renouvelables – nous l’avons évoqué tout à l’heure.
Oui, nous avons été amenés à moraliser un dispositif d’incitation au développement des énergies renouvelables qui ne l’était pas. Oui, nous avons été amenés à faire en sorte que l’évolution du coût de l’électricité dans notre pays soit maîtrisée. Je ne pense pas que dans la salle on souhaiterait que l’électricité augmente de 10 % par an, simplement parce qu’il faut honorer des engagements qui n’étaient pas des engagements raisonnables.
Nous avons remis de l’ordre dans tout cela, et nous avons maintenant un dispositif qui fonctionne, avec des objectifs qui sont des objectifs ambitieux, et qui permettent une rentabilité pour ceux qui se lancent dans les énergies renouvelables, mais dans un contexte économique qui est un contexte économique acceptable. Et bientôt, la France aura rempli les engagements qu’elle a pris : 23 % d’énergies renouvelables en 2020, dans des conditions qui sont des conditions économiques acceptables.
Notre agriculture a des atouts. Notre agriculture a un potentiel remarquable. Elle peut jouer un très grand rôle dans un marché mondial où la demande ne va pas cesser d’augmenter dans les décennies à venir, à condition de produire plus, à condition de produire mieux, à condition d’être une agriculture moderne, une agriculture qui soit consciente des réalités de son environnement, qui soit décidée à s’y confronter avec efficacité ; à condition aussi, et c’est évidemment très important, que les déséquilibres qui affectent aujourd’hui le marché mondial des produits alimentaires soient aplanis.
Je veux vous dire sur ce sujet, mais vous le voyez bien, que la France est en première ligne dans le combat pour une meilleure équité dans les règles du commerce international. Il faut dire d’ailleurs que la conjoncture actuelle est paradoxale, parce que d’un côté la population mondiale se développe plus vite que prévu, elle se développe plus vite que la production agricole ; et nous savons aujourd’hui que nous devrons augmenter de 70 %, globalement à l’échelle de la planète la production agricole pour répondre aux besoins humains qui vont apparaître. Et d’un autre côté, l’agriculture est prise sous le feu de la mondialisation, elle se retrouve victime de phénomènes de spéculation, qui sont totalement étrangers à ses missions, et en particulier à sa mission essentielle, qui est de nourrir la planète.
Dans tous les pays du monde, la volatilité des prix agricoles a des conséquences dramatiques. Cette volatilité a été une des principales causes des émeutes de la faim en 2008 ; et on voit aujourd’hui la situation dramatique qui frappe les pays de la Corne de l’Afrique. Eh bien, face à cette crise, la France n’est pas restée sans agir. Nous nous sommes mobilisés, avec la communauté internationale. Nous avons d’ailleurs, s’agissant de la famine dans la Corne de l’Afrique, mis en place une aide importante.
Mais ces aides sont des aides qui ne visent qu’à, et c’est déjà fondamental, sauver des vies humaines, mais qui ne permettent pas d’assurer dans la durée la résolution des problèmes. Il faut donc empêcher que ces situations dramatiques se multiplient, et pour cela, il faut avoir une vision stratégique, et il faut avoir le courage de faire valoir les nécessités d’une régulation du marché des produits agricoles dans le monde.
Il n’est pas acceptable, en effet, que les produits agricoles deviennent des variables de produits financiers extrêmement complexes, tournés vers la seule recherche de la rentabilité à court terme. Il n’est pas admissible que des populations entières soient privées de ce qu’il y a de plus vital, parce que des spéculateurs achètent des récoltes entières uniquement pour les revendre aussitôt et réaliser un bénéfice sur cette opération de spéculation. Et il n’est pas concevable que dans les moments de crise on voit réapparaître des réflexes protectionnistes, qui ne sont en rien une solution aux problèmes de l’agriculture, mais qui au contraire aggravent les fluctuations brutales du marché, et mettent en péril l’ensemble de notre économie agricole.
Lorsque nous avons pris la présidence du G20, nous avons décidé, sous l’autorité du président de la République, de placer, pour la première fois, je vous le fais remarquer, cela ne s’est jamais produit : le G20 a parmi ses principales priorités, la question agricole. Nous avons proposé un plan d’action, et ce plan a été accepté par l’ensemble des pays membres du G20. C’est une première étape, et nous allons avoir dans quelques semaines à Cannes une rencontre des pays du G20 qui nous permettra de marquer de nouveaux développements.
Nous avons une ambition de réguler le marché mondial, une ambition d’équilibre, une ambition d’équité. Nous avons cette ambition aussi pour les relations commerciales, pour les négociations commerciales internationales. Parce que nous disons – et je sais que les agriculteurs le disent depuis longtemps, et ils n’étaient pas suffisamment entendus – qu’il n’est pas raisonnable, qu’il n’est pas légitime d’ouvrir nos frontières à des produits qui ne sont pas soumis aux mêmes normes environnementales et sanitaires que celles qui s’imposent en Europe. Cela n’est pas faire du protectionnisme que de dire cela ; c’est simplement dire qu’il doit y avoir réciprocité dans les échanges.
Si on fixe des objectifs très élevés en matière de qualité sanitaire aux producteurs français, aux producteurs européens, eh bien alors les produits qui rentrent en Europe doivent satisfaire aux mêmes critères. Le contraire est absurde ; c’est évidemment absurde parce que les éleveurs, les agriculteurs européens ne peuvent pas faire face à une concurrence qui est une concurrence déloyale, et c’est aussi absurde parce que cela veut dire qu’on accepte pour nos consommateurs des produits qui n’ont pas les mêmes normes de qualité, notamment en matière de sécurité sanitaire, que ce que nous imposons à nos éleveurs et à nos agriculteurs.
Nous défendons cette politique sur notre continent également contre tous ceux qui voudraient démanteler la Politique Agricole Commune, et qui voudraient déréguler l’agriculture. C’est une politique qui a été conduite par beaucoup d’Etats européens pendant les dernières années du 20e siècle. Les événements aujourd’hui donnent tort à ceux qui voulaient démanteler la Politique Agricole Commune, à ceux qui au fond estimaient que l’Europe n’avait plus besoin d’agriculteurs, qu’il suffisait d’acheter les produits agricoles dans d’autres pays, et de se concentrer sur des filières de services ou des filières industrielles à très haute valeur ajoutée.
C’était une erreur, on le voit : c’est une erreur pour notre pays, c’est une erreur pour l’emploi, c’est une erreur pour notre richesse nationale ; mais c’est aussi une erreur pour le monde entier parce que le monde a besoin de la production agricole européenne, et singulièrement de la production agricole française.
Nous nous battons donc pour maintenir le budget de la Politique Agricole Commune et pour que la réforme qui doit intervenir après 2013, prenne largement en compte les idées françaises en matière agricole. Nous ne le faisons pas par égoïsme national, comme je l’entends parfois dire, mais nous le faisons parce que nous pensons que c’est vraiment un enjeu essentiel pour l’Europe : préserver une agriculture forte, préserver une agriculture de haute qualité environnementale et sanitaire.
Je ne crois pas à un monde à deux vitesses, avec dans les pays du Nord la finance, la recherche, les services, et puis dans les pays du Sud l’agriculture et l’industrie. Je pense que c’est une vision dangereuse, et c’est d’ailleurs une vision qui est aujourd’hui complètement dépassée. Elle est dépassée par l’accroissement de la demande mondiale, qui rend nécessaire le développement des ressources agricoles dans toutes les nations. Oui, il faut développer l’agriculture dans les pays en développement, dans les pays du Sud, mais parallèlement il faut développer la production dans les pays du Nord ; sinon, nous n’arriverons pas à faire face à la demande de produits alimentaires dans les prochaines années.
Elle est dépassée aussi parce que nous sommes dans un monde où s’affirment de nouvelles puissances, qui ne se contenteront pas de la seule question de la production industrielle et de la production agricole, qui se sont aussi lancées sur la compétition à tous les niveaux : la finance, la recherche, les services à très haute valeur ajoutée. Et nous sommes dans un monde où les équilibres internationaux sont extrêmement fragiles ; on ne peut pas dépendre totalement des autres sur un enjeu aussi vital que celui de l’agriculture. De la même façon que nous nous sommes battus pour assurer notre indépendance énergétique, notamment avec le programme nucléaire français, eh bien, nous avons le devoir d’assurer notre indépendance alimentaire. C’est aussi important sur le plan stratégique pour notre pays.
La France est une grande puissance agricole ; l’agriculture et l’industrie agroalimentaire sont devenues le deuxième solde excédentaire de notre balance commerciale. Les agriculteurs incarnent une part essentielle de la tradition de notre pays, et je veux leur dire tout le respect que m’inspire la ferveur, la persévérance qu’ils engagent dans leur activité. Mais s’ils incarnent les traditions, ils ont aussi su se moderniser ; ils ont fait progresser la productivité de façon spectaculaire. Et si la France est une grande puissance agricole, c’est avant tout grâce à nos agriculteurs.
Mesdames et messieurs, en présence de Jean-Claude LENOIR – je suis heureux de saluer Monsieur DENIAUD, dont l’optimisme est inoxydable, j’aimerais pouvoir promettre des lendemains faciles ; mais je vais vous dire que je n’en ai pas le droit. Notre pays est confronté depuis trois ans à une crise financière, à une crise économique internationale, qui nous a demandé beaucoup d’efforts. Nous avons été plusieurs fois au bord du gouffre.
En 2008, sans l’intervention du président de la République française et du Premier ministre britannique, l’ensemble du système financier international se serait effondré. C’est-à-dire que les banques auraient fait faillite. Vous auriez été faire la queue pour essayer de récupérer vos économies. C’était la situation en 2008. Si Nicolas SARKOZY, Gordon BROWN, suivis par l’ensemble des grands pays européens, n’avaient pas dit, souvenez-vous : il n’y aura pas de faillite des banques en Europe, parce que nous allons garantir les banques ; si nous n’avions pas fait cela, nous serions aujourd’hui dans une situation économique inextricable avec des dégâts terribles sur la production industrielle, sur l’emploi, sur l’ensemble de nos sociétés européennes.
Nous avons été de nouveau confrontés à des difficultés graves pendant l’été, avec ces menaces qui pesaient sur la monnaie européenne, avec cette spéculation qui était engagée contre certains Etats européens dont la France d’ailleurs. Là encore, nous avons trouvé, avec l’Allemagne, la force de réagir pour bloquer les spéculateurs, pour rassurer les investisseurs, pour faire en sorte que notre système financier se consolide, et que ceux qui en ont besoin pour investir, pour produire, pour se développer, pour créer de l’emploi, puissent continuer à le faire.
Ceci demande des efforts de la part de tous. Il ne faut pas croire que le débat d’aujourd’hui c’est un débat seulement entre des Etats qui seraient irréprochables et des spéculateurs qui auraient tous les défauts. Quand on a un endettement comme le nôtre, ou comme ceux des autres grands pays développés, quand on accumule les déficits depuis 35 ans, quand on est obligé de rembourser chaque année 45 milliards d’euros d’intérêts à ceux qui nous prêtent de l’argent, on a nos propres responsabilités dans la situation qui est la nôtre aujourd'hui. Et ceux qu’on appelle les marchés, ce sont pour une part simplement des gens qui nous prêtent de l’argent. Et si on n’a pas envie de dépendre des marchés, il y a une solution très simple pour ne pas dépendre des marchés : c’est de ne pas être obligé de leur emprunter autant d’argent. Et alors, on ne dépendra pas d’eux.
Et pour y arriver, il faut remettre de l’ordre dans nos économies. Il faut remettre de l’ordre dans nos finances publiques. Il faut réduire nos déficits. Pendant des années, on a cru que cela allait pouvoir continuer éternellement. 35 ans de déficits ininterrompus ! Tous les gens qui sont dans la salle qui ont moins de 35 ans pensent que cela marche comme ça. Et tous ceux qui ont plus de 35 ans se disent : si cela a marché 35 ans, cela va bien marcher encore quelques années de plus. On est arrivé au bout de ces difficultés, et nous sommes aujourd’hui placés devant nos responsabilités. Nous devons retrouver l’équilibre de nos finances publiques. Nous devons réduire nos déficits. Et c’est un objectif qui concerne chacun d’entre nous. Et la première des responsabilités des hommes politiques, c’est de ne pas faire des promesses que nous ne serions pas capables de tenir.
La France est aujourd’hui, grâce aux réformes que nous avons faites, depuis quatre ans notamment, un des pays dont la crédibilité financière, malgré la dette que je viens d’évoquer, est considérée à l’échelle mondiale comme l’une des meilleures. C’est le résultat des réformes que nous avons engagées. Si nous n’avions pas fait la réforme des retraites, nous ne serions pas crédibles aujourd’hui face aux difficultés financières que je viens d’évoquer. Si nous n’avions pas engagé la réduction du nombre de fonctionnaires, dans un pays qui a aujourd’hui quasiment le record du monde de la dépense publique, nous ne serions pas crédibles sur le plan de la confiance dans nos finances publiques.
Nous avons engagé la réforme des universités pour faire en sorte que la matière grise, la création de richesses de demain, se produisent bien dans les universités françaises, et ne se délocalisent plus. Nous avons libéré les heures supplémentaires, parce qu’il fallait permettre de donner de la souplesse à un système qui était bloqué par le carcan des 35 heures.
Et puis nous avons la chance d’avoir un peuple français qui, malgré tous les défauts qu’on lui prête, a fait preuve de beaucoup de sens des responsabilités devant cette crise, et qui a assumé cette situation avec beaucoup de courage. Malgré la dureté de la récession que nous avons connue en 2009, malgré l’enchaînement des réformes, dont certaines, c’est vrai, n’ont pas été agréables, dont certaines ont bouleversé ce qu’on appelle nos acquis, nos habitudes, malgré des réductions budgétaires que nous avons dû conduire, les Français ont fait preuve de maturité.
Alors bien sûr, les Français sont inquiets, ils sont impatients, ils sont sceptiques. Et comment ne pas les comprendre, alors que nous sommes dans une société qui est confrontée à la crise ? Mais dans ce contexte, où l’horizon n’est pas encore éclairci, les Français gardent un sang-froid remarquable. Si l’on regarde autour de nous, dans d’autres sociétés européennes, il y a un vent de contestation qui souffle, alors que dans notre pays, c’est le bon sens qui l’emporte.
Cela prouve que dans les tréfonds de la société française, chacun sent l’ampleur des enjeux ; chacun sent qu’il y a une obligation de s’organiser pour affronter ces défis. Les Français ne cherchent ni la fuite en avant, ni des excuses, ni des faux-semblants. Je crois qu’ils demandent du sérieux à leurs responsables politiques. Ils acceptent les efforts ; simplement, ils veulent que ces efforts soient équitables. Et je crois vraiment qu’ils sont prêts à entendre la vérité.
Si notre nation assume la crise et ses conséquences avec tant de cran et de réalisme, je crois que c’est parce qu’elle a déjà changé en profondeur. C’est toujours difficile de mesurer les changements d’une société quand on vit en son sein – c’est plus facile quand on a le recul de l’historien. Mais regardez, déjà : on a mis en place le service minimum dans les transports – cela veut dire quoi ? Cela veut dire que désormais, une pratique qui était traditionnelle dans notre pays, qui consistait, lorsqu’une réforme était combattue, lorsqu’une réforme était critiquée, à bloquer les transports parisiens pendant une semaine pour faire reculer le gouvernement – est-ce que c’est conforme à la démocratie ?
Il y a une majorité qui a été élue par les Français, sur un programme ; elle met en oeuvre ce programme. Il peut y avoir naturellement des débats, des critiques, des contentieux ; tout le monde n’est pas d’accord, c’est normal, c’est la vie. Mais est-ce que quelques personnes ont le droit de prendre en otages des millions de Français, bloquer l’économie, pour faire reculer un gouvernement qui est issu du suffrage universel ? Eh bien cela, c’est fini. Et nous avons vu, à l’occasion des dernières crises sociales dans notre pays, que le service minimum a fonctionné. Ce qui montre d’ailleurs que lorsque la loi est votée, il y a un grand respect de la légalité par nos concitoyens.
Regardez ce que nous avons fait sur l’université. Les universités françaises étaient en train de disparaître dans les classements internationaux, simplement parce que leur organisation était mauvaise – et tout le monde le savait. Et à chaque fois qu’on voulait réformer l’université, il y avait une grève, les étudiants descendaient dans la rue, en général le ministre était remercié, et on renonçait à une réforme qui était par ailleurs jugée indispensable par tout le monde, à droite comme à gauche !
Nous avons mis en place un processus, qui est un processus de long terme, qui donne à toutes les universités françaises leur autonomie, et qui permet à ces universités désormais de s’organiser comme elles l’entendent, de recruter les enseignants qu’elles veulent recruter, en France ou à l’étranger, de les rémunérer comme elles veulent les rémunérer, pour attirer les meilleurs, d’organiser les formations pour s’adapter aux besoins de leur territoire.
Alors évidemment, il va falloir du temps pour que ces réformes donnent des résultats ; mais si on ne les avait pas faites aujourd’hui, alors c’est tout le système de l’enseignement supérieur français – donc les emplois de demain, les filières économiques de demain, les produits innovants de demain – qui n’aurait plus été à la portée de l’économie française.
Regardez le dialogue social. On caricature souvent dans la presse, dans les commentaires, le dialogue social dans notre pays – et il est parfois caricatural. Mais il a fait énormément de progrès. Nous avons eu, sur la réforme des retraites, un débat très dur avec les organisations syndicales : normal, elles étaient dans leur rôle, elles défendaient un certain nombre d’acquis, elles croyaient nécessaires de le faire. Nous avons respecté leurs positions, simplement, nous n’avons pas cédé. Au lendemain de cette réforme des retraites, adoptée par le Parlement, eh bien le dialogue social a repris dans notre pays, normalement.
Et je vais même vous dire une chose : depuis dix-huit mois, il n’y a jamais eu autant d’accords signés par les partenaires sociaux que ce qui a été fait ces derniers mois. Cela ne veut pas dire, encore une fois, que tout est pour le mieux, que tout le monde est d’accord sur tout, que les accords qui sont signés sont parfaits ! Cela veut dire simplement que progressivement la société française devient plus mature, que le dialogue social devient plus serein, qu’on se respecte plus, que chacun se sent au fond peut-être plus fort, pour être moins caricatural, moins violent dans ses réactions.
Alors bien sûr, l’approche des élections ne va peut-être pas totalement favoriser le climat que je viens d’évoquer, parce que l’approche des élections amplifie les controverses. Mais moi je voudrais vous dire que, avec le président de la République, je m’en tiens à une ligne, à une ligne que je crois conforme à l’intérêt national : c’est la ligne des réformes. C’est la ligne de la compétitivité et de la productivité ; parce qu’il n’y a aucun avenir pour la société française sans effort de productivité et de compétitivité.
C’est la ligne de l’autorité républicaine. On nous parle toute la journée à juste titre, des questions de sécurité, mais la question de la sécurité c’est d’abord la question du respect de l’autorité ; c’est la question du respect de l’autorité républicaine. La sécurité, c’est l’affaire de la police, c’est l’affaire de la gendarmerie, c’est l’affaire des pouvoirs publics, c’est l’affaire de la justice, mais c’est d’abord l’affaire des citoyens : on ne peut pas obtenir des résultats en matière de sécurité, si chacun ne fait pas un effort pour assumer ses responsabilités, pour respecter les règlements, pour donner à ses enfants l’éducation qui leur permettra de comprendre les règles du monde dans lequel ils vivent.
Enfin, c’est la ligne de la discipline budgétaire. Je crois, Mesdames et Messieurs, le peuple Français suffisamment solide pour comprendre que le progrès économique et social, cela n’est pas un dû, mais un combat qui exige à chaque instant de donner le meilleur de nous-mêmes. Et je crois que la France est suffisamment forte pour pouvoir réussir et pour pouvoir récompenser chacun de ces efforts.
En tout cas, c’est le message de responsabilité et de confiance que Mortagne-au-Perche m’inspire, et je voulais vous l’adresser avec beaucoup d’amitié, en redisant à Jean-Claude LENOIR l’immense plaisir que j’ai eu de le retrouver, au milieu des siens, dans cette magnifique salle, au milieu d’hommes et de femmes qui sont conscients des difficultés de notre pays, mais qui savent qu’en se retroussant les manches, en faisant preuve de volonté, en acceptant de regarder la vérité en face, oui, la France est un grand pays, un magnifique pays, dont nous avons le devoir de le conduire au plus haut.Source http://www.gouvernement.fr, le 5 septembre 2011