Déclaration de M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, sur le patrimoine culturel, architectural, monumental et muséal, Paris le 13 septembre 2011.

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Circonstance : Lancement du label "Maison des illustres" à Paris le 13 septembre 2011

Texte intégral


« Combien j’ai passé de matins et de soirs assis au pied des beaux châtaigniers, dans ce petit vallon des Charmettes, où le souvenir de Jean-Jacques Rousseau m’attirait et me retenait par la sympathie de ses impressions, de ses rêveries, de ses malheurs et de son génie ! Ainsi de plusieurs autres écrivains ou grands hommes dont le nom ou les écrits ont fortement retenti en moi. J’ai voulu les étudier, les connaître dans les lieux qui les avaient enfantés ou inspirés ; et presque toujours un coup d’oeil intelligent découvre une analogie secrète et profonde entre la patrie et l’homme, entre la scène et l’acteur, entre la nature et le génie qui en fut formé et inspiré. » Ainsi s’exprimait Lamartine, dans le Voyage en Orient.
Une maison face à la mer, celle de Jard-sur-Mer, celle de Georges Clemenceau au soir de sa vie, celle du Tigre endurci par les épreuves de la Première Guerre mondiale, devenu « Père la Victoire » à la faveur du 11 novembre. Le Clemenceau de Saint-Vincent-sur-Jard est un grand témoin de l’histoire retiré du monde contingent, méditant devant la mer. Dans cette « bicoque » louée à partir de 1919 et destinée aux beaux mois du printemps et de l’été, il revient une ultime fois sur les événements de sa destinée et y écrit Au soir de la pensée ; il reçoit ses amis et allie tous les tons de « la palette embroussaillée » d’un jardin composé avec le peintre Claude Monet. Sa « cabane de paysan », comme il aimait l’appeler, est aussi celle d’un amateur d’art féru de culture extrême-orientale qui vit entouré de ses estampes et de ses peintures japonaises, de ses vases asiatiques, de divinités bouddhiques. L’intime croise ici le destin du siècle, les choix esthétiques l’aventure d’une vie faite de conquêtes et de combats.
J’ai souhaité aujourd’hui vous présenter le nouveau label décerné par le Ministère de la Culture et de la Communication, celui de « Maisons des illustres ». Ce dernier a pris forme grâce au travail de la direction générale des patrimoines, ainsi qu’à la mobilisation des directions régionales des Affaires culturelles, auxquelles je tiens à rendre un hommage chaleureux, mais aussi celle de l’ensemble des collectivités territoriales et des propriétaires privés. Au terme d’un inventaire de 900 Maisons dont la vocation est précisément de conserver, transmettre et valoriser cette mémoire, j’ai souhaité cette année attribuer ce label national à 111 sites. Neuf d’entre elles sont en Outre-mer, et sont la marque d’une mémoire en partage, qu’il s’agisse de Saint-John Perse, du Père Jean-Baptiste Labat ou de Félix Eboué.
Je voudrais insister sur l’importance de la « maison », comme nom mais également comme univers, qui a valeur de programme culturel. La maison est un refuge, un lieu secret de création, un abri comme un atelier permanent. « Les murs semblent reconnaître et appeler l’homme, comme l’homme reconnaît et embrasse les murs » : c’est ainsi que Lamartine évoque cette synthèse profonde qui existe entre son occupant et le lieu qui l’a vu naître au monde, à l’art, à la connaissance. Ce sont des lieux où s’incarne la vie de l’esprit, où se sédimente la mémoire, à la manière de ces « lieux » dont Pierre Nora a si bien montré qu’ils étaient autant matériels qu’imaginaires. Visiter la maison de Clemenceau, c’est aussi comprendre ce que fut le combat de la République ; visiter la maison de Sarah Bernhardt sur la côté sauvage de Belle-Île, c’est mesurer la solitude de l’actrice au trac dévorant, jamais assurée, face à la houle déferlante des applaudissements du public : « La première fois que je vis Belle-Île, je la vis comme un havre, un paradis, un refuge. J'y découvris à l'extrémité la plus venteuse un fort, un endroit spécialement inaccessible, spécialement inhabitable, spécialement inconfortable. et qui, par conséquent, m'enchanta ». Visiter la Boisserie, dans la profondeur des forêts de Haute-Marne, c’est comprendre combien l’homme du 18 juin a fait de sa solitude une force résistante, de sa « traversée du désert » l’origine d’un élan politique et spirituel. Visiter le moulin de Villeneuve à Saint-Arnoult en Yvelines, découvrir son parc magnifique, cet « univers de verdure » comme l’appelait Elsa Triolet, c’est toucher du doigt la conversation amoureuse de Louis Aragon et de celle qu’il aimait intensément, que restitue si admirablement l’épitaphe gravé sur la tombe du couple : « Quand côte à côte nous serons enfin des gisants, l’alliance de nos livres nous réunira pour le meilleur et pour le pire dans cet avenir qui était notre rêve et notre souci majeur, à toi et à moi ». Et j’y associe évidemment moment le souvenir de Lili Brik, soeur d’Elsa, compagne de Maïakovski.
Une maison ne se visite pas de la même manière qu’un musée des beaux-arts, où le rapport aux oeuvres prédomine sur le rapport au lieu. Franchir son seuil, c’est être invité à percevoir l’esprit d’une vie qui s’y est déployée ; c’est faire corps avec le principe même d’une oeuvre, dans l’espace où elle a été pensée et conçue. Il s’agit, pour le visiteur, de s’approcher au plus près des sources d’inspiration d’artistes, de scientifiques, d’hommes et de femmes politiques qui ont marqué l’histoire et la culture non seulement de notre pays mais aussi de l’Europe. Les Maisons des Illustres viennent prolonger une créativité dont elles ont la marque. Davantage que des reliquaires, elles doivent s’épanouir comme des foyers vivants, et contribuer à une proximité nouvelle entre le public et les lieux du patrimoine.
Cette première sélection de Maisons répond à des critères d’excellence en termes de conservation, de mise en valeur, de dispositifs d’accueil et d’accompagnement à la visite, auxquels l’ensemble des sites labellisés ont pleinement répondu. Elles ne seront pas les seules à pouvoir apposer sur leur façade une plaque « Maisons des Illustres », frappée du sceau de l’élégance grâce au lettrage raffiné de Claude Garamont, dont le ministère de la Culture et de la Communication commémore cette année le 450e anniversaire. Dès cet automne, en effet, les sites qui le souhaitent et dont les missions, comme l’investissement, sont conformes à ses exigences pourront se porter candidat à l’obtention du label. Dès 2012 et dans les années qui suivent, le réseau « Maisons des Illustres » s’étendra partout en France ; à terme, il sera présent dans chaque territoire, au plus près des attentes et des pratiques des amateurs d’histoire et de patrimoine, du jeune public et des nombreux touristes qui continuent à témoigner, par leur venue, de leur admiration face à l’offre culturelle et patrimoniale de nos régions.
La création du label « Maisons des Illustres » est le reflet d’une des ambitions que je porte pour le Ministère de la Culture et de la Communication : un ministère pilote de la politique nationale du patrimoine, un ministère garant de la diversité des héritages culturels qu’il contribue à inventorier, conserver et restaurer, un ministère garant enfin de leur accessibilité et de leur proximité. Le recensement réalisé grâce à nos services présents en région a de la même manière fait ressortir le partenariat étroit avec les collectivités territoriales, grâce auquel peut véritablement s’épanouir une action publique culturelle efficace, cohérente et dynamique. Sur les 111 sites qui vont dès aujourd’hui bénéficier du label Maisons des Illustres, 25 dépendent de Conseils généraux et 40 de l’échelon des villes, tandis que le domaine de Malagar cher à François Mauriac, ce lieu d’inspiration où il venait chercher une « flaque de passé », et « où les livres mûrissent en trois semaines », « cette pauvre maison déguisée en manoir (…) Paysage le plus beau du monde, à mes yeux, palpitant, fraternel, seul à connaître ce que je sais, seul à se souvenir des visages détruits dont je ne parle plus à personne, et dont le vent, au crépuscule, après un jour torride, est le souffle vivant, chaud, d’une créature de Dieu », est aujourd’hui propriété du Conseil régional de l’Aquitaine.
La vocation première de ce nouveau label consiste à donner une meilleure visibilité au travail de valorisation effectué sur place par les défenseurs et les acteurs du patrimoine. Je veux ici rendre hommage à ces propriétaires privés qui ne ménagent ni leur peine, ni leurs efforts pour conserver et rendre accessibles leurs châteaux, leurs propriétés, leurs jardins. Ce sont véritablement les héros discrets mais infatigables du patrimoine de notre pays. Je veux saluer l’action de la Fondation du patrimoine mais aussi celle des associations de protection du patrimoine, celle des sociétés savantes, celle des sociétés d’amis de musées : aiguillons nécessaires, acteurs exigeants.
Dès le début de l’année 2010 et la mise en place de la direction générale des patrimoines, j’avais insisté sur la modernisation dont elle devait se porter garante, modernisation dans l’organisation de ses services mais également dans l’approche du patrimoine, embrassant dans un même regard architecture, musées, archives, patrimoine monumental, paysager et archéologique.
Dans le domaine des musées, je voudrais rappeler que les musées de France ont reçu l’année dernière 57 millions de visites en 2010; la fréquentation des musées nationaux a connu une hausse de 3% pour le premier semestre 2011, et une hausse de 10% de leur fréquentation estivale. Ces chiffres sont le reflet de la bonne santé des musées français, des plus prestigieux mais aussi des plus modestes. A cet égard, je veux rappeler l’engagement qui a été le mien à travers le « Plan musées » qui permet d’accompagner les projets de rénovation, d’extension ou de construction les plus ambitieux. Annoncé à l’automne 2010, ce plan entendait mettre en valeur la « mosaïque France », ces mille musées servis par l’engagement et l’expertise scientifique de professionnels hors pair, que je rencontre dans ce « tour de France » entrepris maintenant depuis plus de deux ans, je veux parler des conservateurs du patrimoine. Avec près de 70 millions d’euros engagés pour trois ans et 79 établissements concernés, en métropole comme en Outre-mer, il dit l’engagement de l’Etat au service du patrimoine, des collections et des territoires.
Voilà près de dix ans que l’Etat, en concertation avec les collectivités territoriales, agit afin de favoriser un plus large accès aux musées, notamment aux collections permanentes des musées nationaux. Cet effort a trouvé un aboutissement heureux en 2009 avec la mise en place d’un principe de gratuité accordée aux 18-25 ans résidant dans l’Union européenne. L’impact de cette mesure, annoncée par le Président de la République dès 2008 et portée par le ministère de la Culture et de la Communication, est un succès, je suis fier de le confirmer : depuis 2009, la mesure a entraîné plus de 4,5 millions d’entrées, et le nombre d’entrées gratuites dans les Musées de France a progressé en cinq ans de 60%, participant pour une large part à la hausse globale de la fréquentation.
Le label « Maisons des Illustres » est une étape supplémentaire dans l’histoire des politiques du patrimoine depuis ses premiers pas sous Prosper Mérimée jusqu’aux dernières campagnes d’inventaire. Il s’inscrit dans la continuité du réseau de qualité des établissements, des sites et des démarches patrimoniales labellisés par le ministère de la Culture et de la Communication.
Le label Villes et Pays d’art et d’histoire, par exemple, compte aujourd’hui 153 territoires labellisés, dont il récompense et reconnaît l'ensemble d'une politique de protection et de mise en valeur du patrimoine d'une ville ou d’un territoire. Villes ou Pays d’art et d’histoire ou Maisons des Illustres, ces labels répondent à des critères d’excellence et contribuent dans leur mise en oeuvre aux mêmes objectifs : faciliter l’accès de chacun au patrimoine architectural, paysager et culturel qui nous entoure, participer au développement social et culturel des territoires.
Le patrimoine se décline en effet au pluriel. De la modestie à la grandeur, il est fils de la diversité : il s’incarne autant dans la petite église de La Laupie dans la Drôme, oubliée des cadastres et évoquée récemment par Adrien Goetz, que dans le canot d’Ouessant, dont j’ai souhaité qu’il bénéficie de mesures de protection ; ce sont autant les phares de nos côtes que les friches industrielles ou les ensembles urbains façonnés par les architectes du XXe siècle. Le patrimoine industriel, scientifique et technique, le patrimoine du XXe siècle, le patrimoine du logement social sont aussi un sujet d'intérêt pour notre politique de protection. Cette mission de conservation et de protection, qui est une obligation morale et intellectuelle de l’Etat comme des propriétaires, possède une véritable signification. Elle garantit la transmission du patrimoine auprès des générations futures, un patrimoine dont nous ne sommes, il faut jamais cesser de le rappeler, que les dépositaires et non les propriétaires. « J’avais la maison de mes souvenirs pour abriter les futurs souvenirs de mes enfants » (Georges Sand, Histoire de la ma vie) dit George Sand à propos de son domaine de Nohant, traduisant l’exigence de transmission inséparable de l’idée que je me fais du patrimoine. À cet égard, je me réjouis des premières orientations annoncées par le Président de la République Valéry Giscard d’Estaing concernant l’avenir de l’Hôtel de la Marine, ancien garde-meuble royal ayant accueilli des activités régaliennes sur l’une des places les plus éminentes et les plus symboliques de notre pays : elles valident exactement les préconisations que j’aurais exposées au Président de la République dès mon arrivée au Ministère. Et c’est dans le même esprit que je me suis engagé afin de procéder à la restauration de l’hôtel Lambert, sur l’île Saint-Louis, dans la fidélité à l’architecture originelle, éteignant par la négociation entre toutes les parties concernées, contentieux et controverses.
Dans une économie ouverte et mondialisée, dans une société du mouvement et de la communication, nos instruments de protection évoluent eux aussi. Ils se doivent d’intégrer de nouveaux paramètres, tels que les objectifs du développement durable et le partenariat avec les collectivités territoriales. Les « Aires de mise en valeur de l'architecture et du patrimoine », qui doivent se substituer aux 450 zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager existantes dans un délai de 5 ans, devront tenir compte d'un bilan environnemental préalable et favoriser la mise en valeur du patrimoine architectural. Cette adaptation est le fruit d’un équilibre, mais elle ne doit pas faire perdre de vue les véritables priorités : conserver la qualité architecturale du bâti, la qualité et l'âme des centres-villes anciens, des villages, du patrimoine rural qui donne son caractère à nos campagnes et aux paysages de nos régions. Le développement économique des territoires passe aussi par le respect de ces principes et des ces valeurs, seules à même de garantir notre cohésion sociale et ce qu’on appelle notre « vivre ensemble ». C’est là le coeur des expertises et des missions du ministère que j’ai l’honneur de servir.
Sur ce sujet, je sais que nous ne sommes pas isolés. Le conseil des collectivités territoriales pour le développement culturel que je réunis régulièrement, la Fédération des élus de la culture, les parlementaires et les associations de défense et de valorisation du patrimoine, les partagent, et je leur suis reconnaissant de leur aide, de leurs idées et de la liberté de nos débats.
Mais le patrimoine monumental et muséal, auquel je viens de le rappeler, j’attache le plus grand prix, n’est pas tout le patrimoine. Le patrimoine ce sont aussi, bien entendu, les oeuvres de nos écrivains, de nos artistes et de nos savants, plus largement l'ensemble des écrits et des témoignages laissés par les créateurs sous des formes diverses : archives et livres imprimés ou manuscrits, estampes, cartes, photographies, films, documents sonores, documents informatiques et numériques désormais.
Année après année, les collections publiques ne cessent de s’enrichir, avec le soutien du ministère de la Culture et de la Communication, de documents significatifs et même emblématiques, comme le manuscrit autographe du Journal de Stendhal acheté en 2006 par la Ville de Grenoble, la bibliothèque de Montesquieu, acquise par l'Etat en dation et déposée à la Bibliothèque de Bordeaux en 2010 ; très récemment, les manuscrits de Casanova acquis par la BnF grâce au mécénat, ou encore le manuscrit inédit de Robespierre acquis par les Archives de France, et pour lequel l’Assemblée nationale a consenti à nous accompagner pour un montant significatif. Répartis à travers des milliers d'établissements et des collections de tailles et de statuts très divers, ces documents composent une sorte de bibliothèque idéale, une bibliothèque inépuisable et inégalable dont des pans entiers sont trop souvent oubliés.
Le patrimoine, ce sont les archives, pour lesquelles l’Etat investit près de 300 millions d’euros afin de créer le plus grand centre de dépôt et de valorisation en Europe à Pierrefitte-sur-Seine. Mémoire de l’Etat et de la nation, les archives sont un patrimoine vivant, sans cesse alimenté, sans cesse enrichi. Par les moyens attribués, notamment en faveur de l’appui à la reconstruction des centres d’archives départementaux, véritables services culturels de proximité – celui de Bar-le-Duc, que j’inaugurerai prochainement, celui construit par Zaha Hadid à Montpellier - comme par l’intérêt que j’y ai porté, j’ai voulu placer les archives au coeur de nos ambitions culturelles. Le patrimoine, c’est aussi la photographie, qui bénéficie désormais d’un interlocuteur unique au sein de l’administration de la rue de Valois grâce à la Mission de la photographie et par la restauration de l’hôtel de Nevers qui remplacera les espaces d’exposition de l’hôtel de Sully devenus indisponibles. Le patrimoine, c’est aussi le continent immense des voix, des images et des sons, ces archives sonores, audiovisuelles, cinématographiques conservées par l’INA, par la Bibliothèque nationale de France (BnF), par la RMN-Grand Palais et par tant d’autres institutions. Pour toutes ces traces du passé, pour toutes ces archives, l’enjeu consiste bien à développer une ambitieuse politique de numérisation afin que ce patrimoine immense soit accessible au plus grand nombre. La numérisation, j’en suis convaincu, est un moyen de sauvegarde du patrimoine culturel mais également un moyen d’accès privilégié à la culture pour un grand nombre de nos concitoyens. Elle constitue un outil fondamental au service de la culture, sous toutes ses formes et dans toute sa diversité. Elle démultiplie l’accès au patrimoine et à la création contemporaine dans une dynamique de démocratisation culturelle et de transmission des savoirs. C'est donc une chance formidable pour le rayonnement de notre patrimoine culturel et de nos créateurs, pour l'ensemble des filières de contenu et pour l'économie de la culture.
Dans le cadre des investissements d'avenir décidés par le Président de la République, j’ai porté et accompagné plusieurs grands projets de numérisation qui pourront faire l'objet de partenariats entre l'Etat et des opérateurs privés :
- Je voudrais d'abord rappeler l'ambitieux programme de numérisation des oeuvres cinématographiques mis en place cette année par l'Etat : à travers l'accord cadre cosigné en mai dernier avec plusieurs grandes entreprises comme Gaumont, Pathé, StudioCanal ou TF1, et les nouveaux dispositifs de financement mis en place par le Centre national de la cinématographie et de l’image animée, ce sont près de 5 000 films de notre patrimoine national, notamment le continent immense des court-métrages, qui connaîtront une nouvelle vie.
- Dans le domaine du livre, je voudrais mentionner l'appel à partenariats lancé par la Bibliothèque nationale de France (BnF) au début du mois de juillet dernier et visant à numériser douze nouveaux grands corpus, issus des collections de la première bibliothèque de France, soit plus d'un million de nouveaux documents.
- Je voudrais également citer le cas des oeuvres indisponibles - c'est à dire de livres récents aujourd'hui presque introuvables (indisponibles) dans les circuits commerciaux du livre mais encore sous droits. Le protocole d'accord conclu le 1er février 2011 entre le Ministère de la culture et de la communication, la Bibliothèque nationale de France (BnF), le Syndicat national de l'édition (SNE), la Société des gens de lettres (SGDL) et le Commissariat à l'investissement (CGI) rend possible leur exploitation par l'instauration d'un mécanisme original de gestion collective qui garantira une juste rémunération aux ayants droit. J'ai le ferme espoir que dès cet automne le texte modifiant en ce sens le Code de la propriété intellectuelle soit examiné par le Parlement. Avec l'accord des ayants droit et en toute légalité, ce sont plus de 500 000 livres d'auteurs du XXe siècle, connus ou moins connus, qui pourront ainsi être numérisés et diffusés dans les années à venir.
Investir le terrain du numérique, j’en suis convaincu, c’est renouer le fil jamais interrompu de la démocratisation culturelle, qui est au coeur des missions et des ambitions de ce ministère. À titre d’illustration, le succès du site internet bovary.fr, mis en ligne en avril 2009 par la Bibliothèque municipale de Rouen, confirme l'intérêt que les manuscrits des grands écrivains français, comme Gustave Flaubert, Jules Verne ou Victor Hugo peuvent légitimement susciter dans l'opinion. J'ai plaisir à constater que ce message de l'Etat a été bien compris et que de nombreuses collectivités répondent à mes propositions et faire part de leur intention de construire des bibliothèques numériques d'un nouveau type, avec le soutien financier de l'Etat.
Le patrimoine est un univers immense : il est présent sur tous les territoires, dans les villages les plus reculés comme au coeur des métropoles, dans les formes matérielles comme dans les cultures immatérielles. Une politique des patrimoines au XXIe siècle ne peut faire l’économie d’une réflexion en profondeur sur leur inscription dans des territoires, dans leurs dynamiques, tiraillés qu’ils sont entre le grand vent de la mondialisation et les désirs, parfois puissant, d’enracinement et d’identité. Il n’y a pas de politique patrimoniale sans ambition territoriale. J’ai souhaité, vous le savez, que mon ministère renforce des partenariats stratégiques avec les collectivités territoriales, acteurs majeurs de la politique culturelle dans notre pays. Il était nécessaire de repenser nos outils et nos modes d’action dans un contexte profondément évolutif, où la contrainte financière nous impose une meilleure convergence et une plus grande cohérence entre la politique culturelle de l’Etat et celles des collectivités territoriales. C’est pour cela que j’ai notamment relancé les conventions territoriales, qui étaient tombées en désuétude : 62 sont en préparation, dont 40 concernent le monde rural, et je viens de signer la première à Sancy-Artense, en Auvergne, il y a quelques jours de cela. C’est l’objectif également des conventions sectorielles et des conventions signées par les établissements publics, comme par exemple la Comédie Française et la Région Nord-Pas-de-Calais, le Château de Versailles avec la Ville d’Arras et la Région, Universcience avec l’Auvergne ; tous ces outils visent une véritable concertation stratégique entre mon ministère et les collectivités.
Le mois de septembre est décidément une époque privilégiée pour le patrimoine. Dans quelques jours, nous allons embarquer pour ce grand voyage que représentent les Journées européennes du patrimoine. Pour la 28e année – le succès ne se dément pas depuis la première initiative lancée rue de Valois en 1984 – ces deux jours si chers aux Français emmèneront près de 12 millions de passionnés, qu’ils soient amateurs confirmés ou « historiens du dimanche », à franchir les portes cochères, à lever le regard sur les façades et les corniches, à battre le pavé pour comprendre ce qui s’est passé et ce qui a duré dans 16 000 sites, soit 1 000 de plus que l’année dernière.
Mon voeu le plus cher, au moment de placer les Journées européennes du patrimoine sous le signe du voyage, a été d’éveiller la curiosité, de dérouler le fil de l’histoire et d’emboîter le pas aux bâtisseurs et créateurs qui ont su faire vivre des lieux, leur donner une coloration, un goût, une patine. Le patrimoine n’est pas ce fétiche sacré qu’il conviendrait de ne pas réveiller. Bien au contraire, il est vivant, il est ouvert à la création contemporaine, il est une invitation au voyage ici et maintenant. Les trésors du passé disposent maintenant de nouveaux accès numériques et multimédias, grâce auxquels l’accès aux oeuvres rares et donc précieuses se trouve renouvelé, facilité, invitant, j’en suis persuadé, à la visite et à leur redécouverte.
« Tout est encore devant mes yeux, le jardin aux murs chauds, les dernières cerises sombres pendues à l'arbre, le ciel palmé de longues nuées roses, - tout est sous mes doigts : révolte vigoureuse de la chenille, cuir épais et mouillé des feuilles d'hortensia, - et la petite main durcie de ma mère » (Colette, la Maison de Claudine, 1922). Grâce à la mobilisation de la Société des amis de Colette, grâce à l’engagement de tous ceux qui aiment la « dame du Palais Royal », sa maison de Saint-Sauveur-en-Puisaye, dans l’Yonne, a pu être achetée et sauvée de l’oubli. L’Etat a apporté toute sa part dans cette issue favorable, conscient qu’il y avait là un lieu de mémoire littéraire, un jardin de souvenirs vibrants, une « grande maison grave, revêche » en façade avec un « revers souriant au lourd manteau de glycine et de bignonier ». Je ne doute pas que cette maison, comme bien d’autres, intégrera bientôt la liste des Maisons des illustres.
Je vous remercie.
Source http://www.culture.gouv.fr, le 14 septembre 2011