Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, à "RTL" le 20 septembre 2011, sur les menaces pesant sur l'aide alimentaire européenne d'urgence.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

YVES CALVI Bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE Bonjour.

YVES CALVI Vous serez donc en mission de la dernière chance en quelque sorte aujourd’hui à Bruxelles, Objectif : sauver l’aide alimentaire, est-ce que c’est encore possible ?

BRUNO LE MAIRE Non seulement nous pouvons sauver cette aide alimentaire européenne, mais nous devons la sauver. Moi le projet de décision européen de suppression de l’aide alimentaire pour les plus démunis elle me révolte, ça me révolte. Ce n’est pas conception de l’Europe, ce n’est pas ma conception de ce que doit être la construction européenne. La construction européenne ce n’est pas une somme de décisions techniques ou juridiques, c’est un projet politique. Et dans ce projet politique il y a le soutien à ceux qui sont les plus démunis, ceux qui n’ont pas de quoi se payer un repas par jour.

YVES CALVI On rappelle les chiffres, 13 millions d’européens, les plus pauvres sont concernés entre 3 et 4 millions en France. Dans notre pays ce serait 130 millions de repas en moins et le Secours Populaire parle de Tsunami alimentaire. Vous partagez l’analyse, vous reprenez le terme, l’adjectif ?

BRUNO LE MAIRE Je partage totalement l’analyse des associations que ce soit les Restos du Coeur, que ce soit le Secours Catholique, toutes les associations qui font un travail exceptionnel pour apporter des repas à ceux qui en ont le plus besoin, notamment en hiver. Ils ont besoin de cette aide et ils ont besoin que l’aide reste européenne parce que, c’est la garantie de la solidarité des 500 millions de citoyens européens à l’égard de tous ceux qui ne peuvent pas se payer de repas chaque jour.

YVES CALVI Mais justement Bruno LE MAIRE nous avons quand même 7 pays qui s’y opposent dont l’Allemagne ; est-ce que ça veut dire qu’ils n’ont pas de pauvres ?

BRUNO LE MAIRE Non, ça veut dire qu’ils ont un raisonnement qui est différent du nôtre mais qu’il faut comprendre si on veut arriver à les convaincre. Leur raisonnement c’est de dire : on a crée l’aide alimentaire en 1987, sur la base des surplus alimentaires européens, il y avait trop de beurre, il y avait trop de stocks alimentaires, on les prenait, on les redistribuait physiquement. Au fur et à mesure, comme on a mieux gérer nos stocks alimentaires, il y a eu moins de surplus et l’aide physique est devenue une aide financière, et donc l’Allemagne plus un certain nombre d’autres pays on dit : écoutez l’aide physique d’accord mais l’aide financière ça ne rentre pas dans le cadre de la politique agricole commune donc nous refusons de payer. Ils ont fait un recours auprès de la Cour de Justice, ils ont gagné ce recours et c’est pour ça que nous en arrivons à cette extrémité de dire on va supprimer l’aide alimentaire d’urgence. Je refuse le bout du raisonnement. Je comprends les principes, mais je refuse la décision et je le dirais avec beaucoup de forces aujourd’hui. On doit trouver des solutions européennes.

YVES CALVI Comment concrètement allez-vous vous y prendre et quelles solutions imaginez-vous ?

BRUNO LE MAIRE Alors première étape, c’est de dire aujourd’hui que la France n’acceptera jamais qu’on supprime l’aide alimentaire européenne, jamais, pour des raisons politiques, de conception de l’Europe. Et donc je vais demander aujourd’hui à ce que nous ne votions pas sur ce projet, car si nous votions aujourd’hui au Conseil effectivement l’aide alimentaire d’urgence risquerait fort d’être menacée. Deuxième étape, aller voir l’Allemagne et trouver des solutions avec elle. Je connais bien ce pays, je travaille bien avec les Allemands, je souhaite que nous réfléchissions à une sortie commune sur ce projet. Troisième étape : Essayer de réfléchir à un autre budget européen, si ce qui gène les allemands et un certain nombre de pays c’est de dire qu’on finance l’aide alimentaire d’urgence sur le budget de la politique agricole commune, moi je ne suis pas buté, je suis tout à fait prêt à regarder d’autres sources de financements.

YVES CALVI On pourrait aller voir s’il y a un autre budget qui…

BRUNO LE MAIRE On peut voir si on ne peut pas créer…

YVES CALVI Qu’on puisse fournir.

BRUNO LE MAIRE Un fonds spécifique pour financer cette aide. La seule chose c’est que l’aide doit rester européenne. L’idée qu’on re-nationalise cette aide et qu’on dise voilà chaque Etat s’occupe de ses pauvres je trouve ça scandaleux. Je trouve ça scandaleux au regard de ce qu’est l’Europe. Et je trouve ça scandaleux parce qu’on sait très bien que si ce sont les budgets des Etats qui prennent en charge l’aide aux plus démunis, les Etats qui ont les plus en difficulté, les plus pauvres, le Portugal, la Grèce aujourd’hui, mais peut-être d’autres demain ne pourront pas faire face à ces exigences financières. Ils ne pourront pas aider leur plus démunis, ils ne pourront pas payer les repas pour les plus pauvres et ça je le refuse catégoriquement.

YVES CALVI La France a-t-elle encore assez poids en Europe et notamment de poids vis-à-vis de son partenaire allemand pour se faire entendre Bruno LE MAIRE ? Visiblement ils ne pensent pas comme nous et d’ailleurs vous le comprenez.

BRUNO LE MAIRE Bien sûr que nous avons le poids suffisant, sous réserve une fois encore qu’on travaille intelligemment avec les Allemands. Lorsque nous avons eu une difficulté sur la crise du lait en 2009, j’ai travaillé avec les Allemands, nous avons mis en place avec les Allemands une régulation sur le marché du lait. Lorsque la Commission européenne proposait de baisser le budget de la PAC de 30% avec les Allemands nous avons travaillé un an ensemble et nous avons dit il faut maintenir le budget de la PAC. Eh bien ce que je propose aux Allemands, c’est que nous regardions ensemble la voie de sortie pour maintenir sur un autre budget l’aide alimentaire d’urgence pour les plus pauvres en Europe.

YVES CALVI Quel est votre moyen de pression, parce que c’est, voilà, il faut commencer par parler poliment, et puis à un moment où il faut éventuellement fourbir certaines armes, quel est votre moyen de pression ?

BRUNO LE MAIRE Moi ce que je constate c’est que l’Allemagne avec ses partenaires représentent une minorité du blocage, donc elle est capable effectivement de faire abandonner ce projet parce qu’elle a une minorité de blocage. Mais si on regarde le verre à moitié plein, ce qui est plutôt mon état d’esprit, une majorité d’Etats européens, eux, disent clairement nous voulons impérativement que l’aide humanitaire d’urgence, l’aide pour les plus démunis soit maintenue, donc appuyons nous sur cette majorité, essayons de convaincre les Allemands il ne s’agit pas de faire pression, la pression ne marche pas avec nos grands partenaires européens. Et je suis sûr que nous pourrons avoir gain de cause.

YVES CALVI Est-ce que ça veut dire peut-être aussi que sous l’effet de la crise la grande idée portée par Coluche et Jacques DELORS est morte ?

BRUNO LE MAIRE Je crois que sous l’effet de la crise ce qui menace l’Europe c’est l’égoïsme, c’est le repli sur soi, c’est la xénophobie, c’est ce que l’on voit monter dans un certain nombre de pays européens. Eh bien la responsabilité politique aujourd’hui justement c’est de lutter contre ce repli sur soi, de lutter contre les égoïsmes et de ne jamais oublier que la construction européenne elle repose sur un principe de solidarité entre les Etats européens. Solidarité pour les plus faibles, solidarité pour les plus démunis, solidarité vis-à-vis des Etats qui ont plus de difficultés. Eh bien c’est ce principe de solidarité que je vais rappeler fortement ce matin à Bruxelles.

YVES CALVI Merci beaucoup Bruno LE MAIRE, ministre de l’Agriculture et donc plus que jamais de l’alimentaire. Vous partez maintenant à Bruxelles.

BRUNO LE MAIRE Je pars dans 15 minutes très exactement.

YVES CALVI Alors bon marathon pour sauver l’aide alimentaire, bonne journée à vous.

BRUNO LE MAIRE Merci Yves CALVI.

Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 22 septembre 2011