Texte intégral
Q - Monsieur le Ministre, bonjour. Commençons avec le dossier palestinien ; en quoi consiste la position française exactement ?
R - Reprendre les négociations pour arriver à un accord qui est la seule façon de garantir aussi bien à lÉtat dIsraël quà lÉtat de Palestine la sécurité et la paix sur la durée : voilà ce qui inspire la proposition du président français. À partir de là, il a essayé de prendre une nouvelle initiative pour faire bouger les lignes : dabord en proposant une méthode différente pour associer lensemble des membres permanents du Conseil de sécurité, les pays arabes, les grands pays européens, car aucun pays tout seul ne peut parvenir à faire progresser les choses ; ensuite en fixant les termes de référence de la négociation et un calendrier. Et puis, cest là peut-être quest linnovation principale : le président propose daccompagner le processus de négociation par une résolution de lAssemblée générale des Nations unies qui reconnaîtrait à la Palestine la situation dÉtat observateur.
Q - En fin de compte, il ny a rien de nouveau dans cette proposition ; cela fait des années que nous répétons aux Palestiniens exactement la même chose...
R - La nouveauté, cest le dernier point de la proposition. Si lon parvenait - il faut bien sûr que nous en discutions avec les uns et les autres - à avoir une résolution de lAssemblée générale des Nations unies qui reconnaisse à la Palestine le statut dÉtat observateur, ce serait une novation complète ; cest un pas très important vers la reconnaissance totale dun État de plein exercice qui viendra lui au terme dune négociation que nous souhaitons. Il ne sagit pas de repartir pour des années de discussions. Si nous nous mettons daccord pour reprendre les négociations, mettons-nous daccord aussi pour aboutir dans un délai maximum dun an.
Q - Vous êtes conscient de ce qui se dit dans les cercles arabes : Israël est venu devant lONU dans les années 40 et a obtenu la reconnaissance de leur État par les Nations unies. Si cela sapplique aux Israéliens, pourquoi pas aux Palestiniens ?
R - Cest très exactement ce que le président de la République française a dit ce matin : cela fait 60 ans que cela dure, cela a assez duré. Je crois que le moment est vraiment venu dagir et de changer les choses parce que nous assistons à un bouleversement gigantesque qui est en train de changer la donne dans les pays arabes. Tunisie, Égypte, Libye, Syrie, et nous pourrions allonger la liste, tout change autour dIsraël et autour des Territoires palestiniens. Cest la raison pour laquelle il faut absolument tenir les promesses que lon avait faites, vous avez raison de lévoquer, cest-à-dire arriver cette la reconnaissance dun État palestinien.
Q - Pourquoi ce compromis a été imposé aux Palestiniens ? Pourquoi ne pas les soutenir au Conseil de sécurité pour obtenir la reconnaissance de leur État ?
R - La réponse à cette question est quil y aura un veto au Conseil de sécurité puisque les États-Unis lont clairement annoncé. Il ne sagit pas de porter un jugement de valeur, cest un fait. Sil y a veto, il ny aura pas de décision. Cest ce que nous avons essayé dexpliquer à nos amis palestiniens. La voie quils ont choisie - et on peut le comprendre, je ne suis pas choqué de voir les Palestiniens aller aux Nations unies - est bouchée. La France dit : «essayons dy travailler autrement si on veut vraiment arriver à un résultat». Et on ne peut pas arriver tout de suite au résultat final, cest-à-dire la reconnaissance dun État de plein exercice. Nous commençons par cette première étape, très significative, qui est celle dÉtat observateur. Et même cela doit être adopté à lunanimité. Les impressions étaient positives de la part des Palestiniens. Elles sont pour linstant interrogatives du côté américain.
Le président de la République française a rencontré le Premier ministre Netanyahou qui a pris acte de lintégralité de ces propositions. Ce qui est important, cest que le dialogue nest pas fermé. Nous pourrons continuer à en parler au cours des prochains jours puisque, de toute manière, la saisine du Conseil de sécurité par les Palestiniens ne va pas aboutir à un vote au Conseil de sécurité demain matin.
Il y a une procédure qui va prendre plusieurs semaines. Mettons ce délai à profit pour voir si on peut relancer le processus de négociations puisquaussi bien les Palestiniens que les Israéliens le disent : seules des négociations directes entre les deux parties pourra permettre darriver à la paix et donc à la sécurité des deux États.
Q - Beaucoup dArabes vont se dire : nous sommes en plein Printemps arabe, pourquoi la République française ne soppose-t-elle pas à la menace du veto américain au Conseil de sécurité ?
R - Mais quest ce que cela veut dire sopposer à la menace du veto américain ?
Q - Dire que vous nêtes pas daccord et marquer la position française plus nettement.
R - Mais quest-ce que cela change de dire que nous ne sommes pas daccord ? Il ne sagit pas de prendre des positions déclaratoires, dantagoniser les parties et de faire monter les tensions et la pression. Il sagit de calmer les choses et de faire en sorte que lon se remette autour de la table. Le droit de veto est un droit des membres permanents du Conseil de sécurité. Nous avons donc adopté une démarche différente - je le répète - parce que nous nous sentons amis dIsraël et disons à Israël : la seule façon de garantir votre sécurité, cest de parler avec les Palestiniens. Et de même nous disons aux Palestiniens : «nous sommes vos amis, alors ne vous enfermez pas dans une stratégie qui est une impasse. Essayez de prendre en considération les propositions que nous faisons».
Q - La France est-elle en train de faire un recadrage de sa politique étrangère envers les Arabes en général. Vous avez dailleurs dit à Tunis, en particulier envers les Palestiniens, que le soutien traditionnel de la France a changé. Êtes-vous en train de le recadrer ?
R - La France a recadré sa politique arabe, incontestablement.
Q - Pourquoi ?
R - Parce quil sest passé des évènements qui ont tout bouleversé. Des évènements que nous navons pas vu venir. Cest là que nous avons reconnu, peut-être, un certain manque dintuition de la part de la diplomatie française. Nous navions pas vu venir que les peuples arabes allaient dépasser les régimes autoritaires qui ne prenaient pas en compte leurs aspirations à la liberté et à la démocratie. Cest une formidable nouvelle pour nous, une chance.
Cest pour cela que nous soutenons aujourdhui les programmes de transition en Tunisie et en Égypte. On parle beaucoup, ici, de ce qui se passe sur le Proche-Orient mais je voudrais rappeler que jai présidé hier, au nom de la France, présidente du G8, une réunion très importante du Partenariat de Deauville qui a mis en place un plan extrêmement ambitieux. On pourrait atteindre entre 70 et 80 milliards de dollars au profit des pays arabes en transition, cest-à-dire la Tunisie, lÉgypte, le Maroc, la Jordanie et la Libye.
Vous voyez donc que notre politique arabe a pris ce nouveau cours et nous pensons que nous devons aussi aller dans cette direction en favorisant la prise en compte des aspirations du peuple palestinien.
Q - Monsieur le Ministre, si vous le permettez, nous allons revenir sur la question de Deauville tout à lheure. Jaimerais vous poser une autre question concernant le veto américain au Conseil de sécurité. Il y a certainement des Arabes qui vont dire que la France essaie certainement daxer un peu plus sa politique étrangère sur la politique des États-Unis envers Israël...
R - Votre analyse me surprend beaucoup. Lisez le titre du «New York Times» aujourdhui : «La France rompt avec les États-Unis sur sa politique au Moyen-Orient».
Q - Je ne parle pas des médias américains mais des médias arabes.
R - Cela vous prouve quune même réalité peut mener parfois à des interprétations différentes. Je crois que la France essaie, depuis le début, de servir de pont, non pas en prenant partie pour lun contre lautre, mais de servir de pont entre les deux parties en leur disant : «mettez-vous autour de la table, arrêtez de poser des conditions préalables avant de négocier». Cest dans cet esprit que nous agissons.
Les uns trouvent que nous nen faisons pas assez dans un sens, les autres trouvent que ce nest pas assez dans lautre. Cest, je crois, la démonstration que nous sommes sur une juste voie.
Q - Sur le Printemps arabe : à Tunis, vous avez dit que le grand mouvement qui a été déclenché à partir de Tunis et qui touche le monde arabe «suscite chez nous [Français] ladmiration et le respect parce quil faut du courage pour secouer un régime autoritaire et policier.»
R - Effectivement, il a fallu du courage aux jeunes Tunisiens et aux jeunes Égyptiens.
Q - Mais quelques mois avant votre visite, lancien ministre des Affaires étrangères, trois jours avant la chute de Ben Ali, cherchait encore à conforter sa politique sécuritaire. La politique française est-elle du recadrage ou du rattrapage ?
R - Je vous ai déjà répondu sur cette question et je lai dit publiquement. Nous avons sans doute donné trop dimportance à ce que lon a appelé la stabilité des pays arabes, cest-à-dire que nous avons prêté trop de crédit à des régimes qui nous disaient être les meilleurs remparts contre lextrémisme et le fanatisme religieux. Nous avons donc sous-estimé la frustration des peuples et leur aspiration à la liberté et la démocratie. Cest un fait, cest lhistoire, cest le passé. Ny revenons pas sans cesse.
Aujourdhui et je crois depuis plusieurs mois, sous limpulsion du président de la République, notre direction est claire et je la mets en uvre au ministère des Affaires étrangères. Cette direction est constante et nous conduit à dire à la Syrie : «le comportement du régime est inacceptable parce quon ne peut pas répondre à des manifestations politiques par la répression, par des bombes, par la torture et par des incarcérations.»
Q - Quel regard portez-vous sur lavenir du régime à Damas ?
R - Je pense quil na plus davenir ; je lai dit il y a déjà plusieurs mois. Dautres lont dit depuis : le président Obama et beaucoup de représentants dautres pays, notamment arabes, lont dit aussi. Cela prendra du temps parce que la situation en Syrie nest pas la situation en Libye et, tout simplement, parce que les pays arabes ne nous demandent pas dintervenir en Syrie, comme ils nous lont demandé en Libye.
Q - Sils vous le demandait, vous le feriez ?
R - Je pense que lintervention militaire nest pas applicable dans tous les cas. La société syrienne est plus compliquée. Cest une situation très particulière, il y a un risque de guerre civile. En tout cas, nous navons pas eu un double langage. Nous lavons clairement dit depuis le début, ce nest pas acceptable. LUnion européenne a pris des sanctions : interdiction des déplacements, gel des avoirs financiers. Nous souhaitons que le Conseil de sécurité se prononce et vous savez que jai même dit que le silence du Conseil de sécurité était dune certaine manière scandaleux.
Nous avons une fois de plus proposé un nouveau projet de résolution pour enjoindre au régime syrien darrêter la répression et les violences et peut-être encore de tenter lultime chance dengager une procédure de réforme ; je ny crois pas trop. Aujourdhui, ce régime a été trop loin. Cela dit la situation actuelle est compliquée. Pour linstant, lopposition est encore inorganisée. On ne sait pas très bien quelle est lalternative et je crains que la situation ne perdure avec, hélas, semaine après semaine, des morts supplémentaires.
Q - Ce que vous dites, cest quen Libye il y a eu lintervention militaire de lOTAN - France comprise - mais quen Syrie, il faut donner du temps au temps.
R - Non, je nai pas dit cela. Jai dit que cela prendrait du temps mais je le regrette, ce nest pas ce que je souhaite. Jai dit quune intervention militaire en Syrie nest pas dans nos intentions pour les raisons que je vous ai indiquées. Je ne dis pas quil faut donner du temps au temps mais quil faut arrêter le plus vite possible les massacres.
Q - Et vous pensez que cela suffit de dire au régime de Bachar El-Assad «ça suffit» ?
R - La preuve que cela ne suffit pas est que cela continue. Il faut monter dun cran en allant plus loin au Conseil de sécurité pour quil y ait de la part du Conseil de sécurité une condamnation plus forte. Nous souhaitons dailleurs que les pays arabes nous aident dans cette condamnation ; nous ne pouvons pas tout faire tout seul. Je vous rappelle que la résolution 1973 concernant la Libye a été présentée par la France, le Royaume-Uni et le Liban, un pays arabe. Là, les conditions ne sont pas les mêmes concernant la Syrie. Que chacun prenne ses responsabilités.
Q - Comment voyez-vous lavenir de la Libye ? Il y a des inquiétudes : les islamistes, les salafistes et dautres... Quel regard portez-vous ?
R - La tendance naturelle de tous les observateurs est davoir des inquiétudes. De temps en temps, il faut aussi faire confiance aux gens, à la vie, à lavenir. Pour ce qui nous concerne, jai confiance en lavenir de la Libye. Dabord, la situation militaire évolue. Les forces de ce qui est aujourdhui lautorité officielle en Libye, cest-à-dire le Conseil national de transition, sont en train de prendre le contrôle de la quasi-totalité du pays. Elles progressent dans les dernières poches de résistance. Il est clair que le régime de Kadhafi est fini.
Lavenir du pays passe par la reconstruction et, là aussi, je pense quil y a des signes positifs. Nous étions la semaine dernière avec le président de la République et le Premier ministre britannique à Tripoli et la situation est bien meilleure quon aurait pu le penser. Il ny a pas eu de massacre, dexplosion, de désordre ; la vie reprend son cours. Le Conseil national de transition se met progressivement en place et nous allons laccompagner. Cest aux Libyens bien entendu de choisir leur avenir, de construire la Libye de demain. Nous allons les accompagner parce quils ont besoin de notre aide et quils nous lont demandé.
Jai parlé du Partenariat de Deauville. Les Nations unies vont aussi sinvestir en Libye pour aider les Libyens. La France est prête également à le faire sur deux plans :
- sur le plan politique, il faut que la feuille de route annoncée par le Conseil national de transition se mette en place : une Constitution, des élections libres, un gouvernement ;
- sur le plan économique, il faut que la reconstruction se fasse. Avec des avoirs considérables, la Libye a la chance dêtre un pays riche.
Q - Cest pour cela que vous êtes intervenus en Libye ? Pour rendre aux Libyens leur argent ? La Libye est un pays riche, la Syrie nest pas un pays riche. Tout ce qui se dit sur le pétrole libyen, quen faites-vous ?
R - Non, pas du tout. Cet argent ne nous appartient pas, il appartient au peuple libyen. Il avait été confisqué par le régime. La situation était beaucoup plus simple avant. Avant, avec Kadhafi, on avait le pétrole aussi. Ce nest pas pour le pétrole que lon est intervenu.
Q - Le pétrole ne sera-t-il pas beaucoup plus abordable ?
R - Je nen sais rien, cest lavenir qui le dira. Le cours du pétrole nest pas lié à ce qui sest passé. Cette idée que nous sommes intervenus pour le pétrole, on ne peut pas la sortir de la tête de ceux qui ont la vue courte. Nous ne sommes pas intervenus pour cela, nous sommes intervenus tout simplement pour permettre au peuple libyen de se libérer. Cest dans ce même esprit que nous soutenons la révolution en Tunisie ou en Égypte où, heureusement, il ny a pas eu dintervention militaire et où les choses se sont passées autrement. Il est quand même assez scandaleux de voir comment fonctionnent parfois certains médias. Je vous rappelle que larticle dans lequel on a expliqué que la France avait reçu une lettre du Conseil national de transition promettant 35 % des ressources pétrolières de la Libye est un faux scandaleux.
Laissons cela de coté. Nous sommes là pour aider la Libye. Bien sûr, si la Libye retrouve demain sa prospérité, avec une démocratie stable, capable de donner de lemploi à sa jeunesse, tout le monde en profitera ; ce sera un élément de sécurité, de stabilité qui nous concerne très directement. Si nous avons, au sud de la Méditerranée, des pays qui sappauvrissent, qui connaissent linsécurité, le désordre, des flux migratoires incontrôlables, ce nest pas bon pour nous. En revanche, une Libye qui se développe, une Tunisie qui se développe, une Égypte qui se développe, qui donne du travail à ses enfants, cest bon pour nous. Le pétrole nétait pas la raison de lintervention de la France. Je persiste et signe.
Q - Après les maladresses de la politique extérieure française en Afrique du Nord en général et en Tunisie en particulier, les relations qui vont se développer avec la Libye vont conforter la position de la politique extérieure française en Afrique du Nord.
R - Cest déjà fait. Je voudrais revenir sur ce que vous disiez : les maladresses de la politique étrangère française en Afrique du Nord. Qui na pas fait de maladresse ? Je pourrais vous citer des pays très importants qui ont aussi commis des maladresses, qui nont pas vu venir les choses. Nous navons pas vu venir le grand mouvement qui nous a pris par surprise, mais je ne pense pas que lon puisse désigner plus particulièrement la France que dautres.
Et puis, nous nous sommes adaptés. Nous avons compris que la situation avait évolué et quil fallait changer, tout simplement, notre façon de voir la relation de lislam à la démocratie. Nous avons été un peu intoxiqués en nous faisant croire que lislam était incompatible avec la démocratie ; je ne crois pas que cela soit vrai. Il y a des pays musulmans qui sont attachés à leur foi, à leur religion et qui sont tout à fait capables dévolutions démocratiques. Le Maroc, par exemple, en donne une sorte de modèle quil faut soutenir.
Q - Quel regard portez-vous sur lavenir du Maroc ? Il y a le mouvement contestataire du 20 février qui continue
R - Il ny a pas de démocratie sans mouvement contestataire. Je suis très confiant sur lavenir du Maroc. Le Roi a pris des initiatives fortes. Il a proposé une modification profonde de la façon dont sa monarchie doit fonctionner. Par ailleurs, léconomie marocaine, qui est très liée à léconomie européenne et bénéficie dun statut avancé vis-à-vis de lUnion européenne est aujourdhui dans une bonne direction. Je crois que le Maroc est bien parti et nous allons laider, je lai dit tout à lheure, grâce au Partenariat de Deauville.
Q - Vous soutenez les réformes institutionnelles mais, en même temps, le mouvement du 20 février ?
R - Il ne sagit pas de soutenir des mouvements dans une démocratie. On ne va pas se mêler des partis politiques. Ce que nous souhaitons simplement, cest soutenir des régimes qui prennent en compte les aspirations de leur peuple. Permettez-moi de vous faire remarquer quil ny a pas eu dutilisation de chars ou davions pour réprimer les manifestations au Maroc. On nest pas en Libye. On nest pas en Syrie. Ne mélangeons pas tout.
Q - Voyez-vous une différence fondamentale entre les monarchies du monde arabe et les républiques ou il sagit juste dun hasard ?
R - Je constate simplement quil y a deux monarchies, qui sont la Jordanie et le Maroc, dans lesquelles les choses bougent et les réformes se font alors que dans dautres régimes, plus autoritaires, malheureusement la violence na pas été évitée.
Q - Au sujet de lAlgérie : ce qui sest passé en Libye a-t-il compliqué les relations entre Paris et Alger ?
R - Non, jai rencontré récemment, à New York, mes collègues algériens et nous avons eu un dialogue tout à fait clair. Il est vrai quil mest arrivé de dire que lattitude de lAlgérie vis-à-vis du problème libyen ne nous a pas toujours paru aussi claire que nous laurions souhaité, mais les Algériens ont clarifié ces positions et ont reconnu le Conseil national de transition il y a peu de temps. Il ny a donc pas, sur ce point, entre la France et lAlgérie, un désaccord fondamental.
Q - Mais quand on dit que le Printemps arabe soulève des espoirs mais aussi des défis pour la politique étrangère de la France, lAlgérie fait-elle partie de cette équation et suscite-t-elle lespoir et le défi ?
R - Je veux bien admettre les deux mots ; lespoir, sûrement. LAlgérie est pour nous un partenaire absolument essentiel pour les raisons que vous connaissez ; ne serait-ce que du fait de la présence en France dune communauté algérienne très nombreuse et dailleurs bien intégrée. Nous sommes aussi conscients que ce pays a des défis à relever, une immense jeunesse
Q - Je veux dire avec des défis pour la France en ce qui concerne lAlgérie
R - Le défi pour la France, ce serait que lAlgérie ait à faire face à des difficultés, notamment le défi que constitue pour elle cette immense jeunesse à qui il faut donner du travail. Cela nous concerne très directement : si lAlgérie parvient à maîtriser ce problème, ce sera bon, bien entendu, pour la stabilité du contour de la Méditerranée.
Q - Un dernier point, Monsieur le Ministre, la question du Partenariat de Deauville dont vous avez parlé tout à lheure. Cest une somme dargent très importante. Il y a bien sûr des avoirs, que ce soit de Ben Ali en Tunisie ou de Moubarak en Égypte, qui ont été gelés en Europe. Ne serait-ce pas plus utile pour eux de récupérer leur argent plutôt que de demander de laide ?
R - Il faut bien distinguer les deux situations. Il y a des biens, apparemment détournés, qui appartiennent aux régimes tunisien et égyptien, et puis il y a des avoirs qui ont été gelés par le Conseil de sécurité, en application dune résolution des Nations unies, que nous sommes en train de dégeler. La Libye, par exemple, va recevoir 15 milliards de dollars qui lui appartiennent et qui ont été confisqués par les régimes précédents ; ces fonds sont remis à sa disposition. La situation est différente en Égypte, un pays de 80 millions dhabitants, une économie fragilisée par la crise et où le tourisme sest effondré. Il faut donc absolument aider lÉgypte. Si léconomie égyptienne ne repart pas, il est évident que la transition sera plus difficile. Cest la raison pour laquelle nous avons dit aux Égyptiens : «proposez-nous un plan daction - cest à vous de le proposer - en matière déducation, de formation, dinfrastructures, de construction de lÉtat de droit et nous allons vous aider». Cest ce que nous avons fait et je peux vous dire quhier nous sommes arrivés à mettre en place un dispositif qui sera maintenant très rapidement opérationnel.
Q - À lapproche des élections en Tunisie, avez-vous des espoirs et des inquiétudes concernant le processus politique dans ce pays ?
R - On a toujours des inquiétudes. Je lai déjà dit, ce grand mouvement qui traverse le monde arabe comporte des risques et nous voyons bien quil peut y avoir des mouvements extrémistes qui profitent de la situation, notamment dune éventuelle dégradation de la situation économique, pour confisquer le pouvoir. Notre rôle est donc de favoriser lÉtat de droit et daider la démocratie à lépanouir, avec le pluralisme politique, plusieurs partis et des élections ; cest ce qui est en train de se passer en Tunisie. Il ne faut pas ignorer les inquiétudes ; il ne faut pas être aveugle. Il y a des risques et des dangers mais essayons de mettre surtout le projecteur et laccent sur la chance de voir ce pays accéder à un véritable État de droit et à une économie qui se développe.
Q - Pensez-vous quen Tunisie le gouvernement a en main la situation sécuritaire ?
R - Je pense quaujourdhui, avec évidemment les difficultés que lon connaît, la Tunisie a globalement la situation sécuritaire en main et quil sortira des urnes un gouvernement dont la légitimité sera évidemment plus forte. Ce gouvernement légitime pourra assurer la sécurité qui fait aussi partie de tout régime démocratique. La liberté et la sécurité sont des principes fondamentaux dans toute démocratie.
Q - Finalement, la France sest rattrapée dans le monde arabe ?
R - Ce nest pas exactement ma formule. Je pense que la France a été courageuse, audacieuse et que cest un des pays qui a pris le plus de risques. Nous avons pris des risques maximums et nous lavons emporté. Quand je vois laccueil qui a été fait à Nicolas Sarkozy à Benghazi et à Tripoli, je vois bien que les peuples arabes ont compris que la France était à leur côté.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 septembre 2011
R - Reprendre les négociations pour arriver à un accord qui est la seule façon de garantir aussi bien à lÉtat dIsraël quà lÉtat de Palestine la sécurité et la paix sur la durée : voilà ce qui inspire la proposition du président français. À partir de là, il a essayé de prendre une nouvelle initiative pour faire bouger les lignes : dabord en proposant une méthode différente pour associer lensemble des membres permanents du Conseil de sécurité, les pays arabes, les grands pays européens, car aucun pays tout seul ne peut parvenir à faire progresser les choses ; ensuite en fixant les termes de référence de la négociation et un calendrier. Et puis, cest là peut-être quest linnovation principale : le président propose daccompagner le processus de négociation par une résolution de lAssemblée générale des Nations unies qui reconnaîtrait à la Palestine la situation dÉtat observateur.
Q - En fin de compte, il ny a rien de nouveau dans cette proposition ; cela fait des années que nous répétons aux Palestiniens exactement la même chose...
R - La nouveauté, cest le dernier point de la proposition. Si lon parvenait - il faut bien sûr que nous en discutions avec les uns et les autres - à avoir une résolution de lAssemblée générale des Nations unies qui reconnaisse à la Palestine le statut dÉtat observateur, ce serait une novation complète ; cest un pas très important vers la reconnaissance totale dun État de plein exercice qui viendra lui au terme dune négociation que nous souhaitons. Il ne sagit pas de repartir pour des années de discussions. Si nous nous mettons daccord pour reprendre les négociations, mettons-nous daccord aussi pour aboutir dans un délai maximum dun an.
Q - Vous êtes conscient de ce qui se dit dans les cercles arabes : Israël est venu devant lONU dans les années 40 et a obtenu la reconnaissance de leur État par les Nations unies. Si cela sapplique aux Israéliens, pourquoi pas aux Palestiniens ?
R - Cest très exactement ce que le président de la République française a dit ce matin : cela fait 60 ans que cela dure, cela a assez duré. Je crois que le moment est vraiment venu dagir et de changer les choses parce que nous assistons à un bouleversement gigantesque qui est en train de changer la donne dans les pays arabes. Tunisie, Égypte, Libye, Syrie, et nous pourrions allonger la liste, tout change autour dIsraël et autour des Territoires palestiniens. Cest la raison pour laquelle il faut absolument tenir les promesses que lon avait faites, vous avez raison de lévoquer, cest-à-dire arriver cette la reconnaissance dun État palestinien.
Q - Pourquoi ce compromis a été imposé aux Palestiniens ? Pourquoi ne pas les soutenir au Conseil de sécurité pour obtenir la reconnaissance de leur État ?
R - La réponse à cette question est quil y aura un veto au Conseil de sécurité puisque les États-Unis lont clairement annoncé. Il ne sagit pas de porter un jugement de valeur, cest un fait. Sil y a veto, il ny aura pas de décision. Cest ce que nous avons essayé dexpliquer à nos amis palestiniens. La voie quils ont choisie - et on peut le comprendre, je ne suis pas choqué de voir les Palestiniens aller aux Nations unies - est bouchée. La France dit : «essayons dy travailler autrement si on veut vraiment arriver à un résultat». Et on ne peut pas arriver tout de suite au résultat final, cest-à-dire la reconnaissance dun État de plein exercice. Nous commençons par cette première étape, très significative, qui est celle dÉtat observateur. Et même cela doit être adopté à lunanimité. Les impressions étaient positives de la part des Palestiniens. Elles sont pour linstant interrogatives du côté américain.
Le président de la République française a rencontré le Premier ministre Netanyahou qui a pris acte de lintégralité de ces propositions. Ce qui est important, cest que le dialogue nest pas fermé. Nous pourrons continuer à en parler au cours des prochains jours puisque, de toute manière, la saisine du Conseil de sécurité par les Palestiniens ne va pas aboutir à un vote au Conseil de sécurité demain matin.
Il y a une procédure qui va prendre plusieurs semaines. Mettons ce délai à profit pour voir si on peut relancer le processus de négociations puisquaussi bien les Palestiniens que les Israéliens le disent : seules des négociations directes entre les deux parties pourra permettre darriver à la paix et donc à la sécurité des deux États.
Q - Beaucoup dArabes vont se dire : nous sommes en plein Printemps arabe, pourquoi la République française ne soppose-t-elle pas à la menace du veto américain au Conseil de sécurité ?
R - Mais quest ce que cela veut dire sopposer à la menace du veto américain ?
Q - Dire que vous nêtes pas daccord et marquer la position française plus nettement.
R - Mais quest-ce que cela change de dire que nous ne sommes pas daccord ? Il ne sagit pas de prendre des positions déclaratoires, dantagoniser les parties et de faire monter les tensions et la pression. Il sagit de calmer les choses et de faire en sorte que lon se remette autour de la table. Le droit de veto est un droit des membres permanents du Conseil de sécurité. Nous avons donc adopté une démarche différente - je le répète - parce que nous nous sentons amis dIsraël et disons à Israël : la seule façon de garantir votre sécurité, cest de parler avec les Palestiniens. Et de même nous disons aux Palestiniens : «nous sommes vos amis, alors ne vous enfermez pas dans une stratégie qui est une impasse. Essayez de prendre en considération les propositions que nous faisons».
Q - La France est-elle en train de faire un recadrage de sa politique étrangère envers les Arabes en général. Vous avez dailleurs dit à Tunis, en particulier envers les Palestiniens, que le soutien traditionnel de la France a changé. Êtes-vous en train de le recadrer ?
R - La France a recadré sa politique arabe, incontestablement.
Q - Pourquoi ?
R - Parce quil sest passé des évènements qui ont tout bouleversé. Des évènements que nous navons pas vu venir. Cest là que nous avons reconnu, peut-être, un certain manque dintuition de la part de la diplomatie française. Nous navions pas vu venir que les peuples arabes allaient dépasser les régimes autoritaires qui ne prenaient pas en compte leurs aspirations à la liberté et à la démocratie. Cest une formidable nouvelle pour nous, une chance.
Cest pour cela que nous soutenons aujourdhui les programmes de transition en Tunisie et en Égypte. On parle beaucoup, ici, de ce qui se passe sur le Proche-Orient mais je voudrais rappeler que jai présidé hier, au nom de la France, présidente du G8, une réunion très importante du Partenariat de Deauville qui a mis en place un plan extrêmement ambitieux. On pourrait atteindre entre 70 et 80 milliards de dollars au profit des pays arabes en transition, cest-à-dire la Tunisie, lÉgypte, le Maroc, la Jordanie et la Libye.
Vous voyez donc que notre politique arabe a pris ce nouveau cours et nous pensons que nous devons aussi aller dans cette direction en favorisant la prise en compte des aspirations du peuple palestinien.
Q - Monsieur le Ministre, si vous le permettez, nous allons revenir sur la question de Deauville tout à lheure. Jaimerais vous poser une autre question concernant le veto américain au Conseil de sécurité. Il y a certainement des Arabes qui vont dire que la France essaie certainement daxer un peu plus sa politique étrangère sur la politique des États-Unis envers Israël...
R - Votre analyse me surprend beaucoup. Lisez le titre du «New York Times» aujourdhui : «La France rompt avec les États-Unis sur sa politique au Moyen-Orient».
Q - Je ne parle pas des médias américains mais des médias arabes.
R - Cela vous prouve quune même réalité peut mener parfois à des interprétations différentes. Je crois que la France essaie, depuis le début, de servir de pont, non pas en prenant partie pour lun contre lautre, mais de servir de pont entre les deux parties en leur disant : «mettez-vous autour de la table, arrêtez de poser des conditions préalables avant de négocier». Cest dans cet esprit que nous agissons.
Les uns trouvent que nous nen faisons pas assez dans un sens, les autres trouvent que ce nest pas assez dans lautre. Cest, je crois, la démonstration que nous sommes sur une juste voie.
Q - Sur le Printemps arabe : à Tunis, vous avez dit que le grand mouvement qui a été déclenché à partir de Tunis et qui touche le monde arabe «suscite chez nous [Français] ladmiration et le respect parce quil faut du courage pour secouer un régime autoritaire et policier.»
R - Effectivement, il a fallu du courage aux jeunes Tunisiens et aux jeunes Égyptiens.
Q - Mais quelques mois avant votre visite, lancien ministre des Affaires étrangères, trois jours avant la chute de Ben Ali, cherchait encore à conforter sa politique sécuritaire. La politique française est-elle du recadrage ou du rattrapage ?
R - Je vous ai déjà répondu sur cette question et je lai dit publiquement. Nous avons sans doute donné trop dimportance à ce que lon a appelé la stabilité des pays arabes, cest-à-dire que nous avons prêté trop de crédit à des régimes qui nous disaient être les meilleurs remparts contre lextrémisme et le fanatisme religieux. Nous avons donc sous-estimé la frustration des peuples et leur aspiration à la liberté et la démocratie. Cest un fait, cest lhistoire, cest le passé. Ny revenons pas sans cesse.
Aujourdhui et je crois depuis plusieurs mois, sous limpulsion du président de la République, notre direction est claire et je la mets en uvre au ministère des Affaires étrangères. Cette direction est constante et nous conduit à dire à la Syrie : «le comportement du régime est inacceptable parce quon ne peut pas répondre à des manifestations politiques par la répression, par des bombes, par la torture et par des incarcérations.»
Q - Quel regard portez-vous sur lavenir du régime à Damas ?
R - Je pense quil na plus davenir ; je lai dit il y a déjà plusieurs mois. Dautres lont dit depuis : le président Obama et beaucoup de représentants dautres pays, notamment arabes, lont dit aussi. Cela prendra du temps parce que la situation en Syrie nest pas la situation en Libye et, tout simplement, parce que les pays arabes ne nous demandent pas dintervenir en Syrie, comme ils nous lont demandé en Libye.
Q - Sils vous le demandait, vous le feriez ?
R - Je pense que lintervention militaire nest pas applicable dans tous les cas. La société syrienne est plus compliquée. Cest une situation très particulière, il y a un risque de guerre civile. En tout cas, nous navons pas eu un double langage. Nous lavons clairement dit depuis le début, ce nest pas acceptable. LUnion européenne a pris des sanctions : interdiction des déplacements, gel des avoirs financiers. Nous souhaitons que le Conseil de sécurité se prononce et vous savez que jai même dit que le silence du Conseil de sécurité était dune certaine manière scandaleux.
Nous avons une fois de plus proposé un nouveau projet de résolution pour enjoindre au régime syrien darrêter la répression et les violences et peut-être encore de tenter lultime chance dengager une procédure de réforme ; je ny crois pas trop. Aujourdhui, ce régime a été trop loin. Cela dit la situation actuelle est compliquée. Pour linstant, lopposition est encore inorganisée. On ne sait pas très bien quelle est lalternative et je crains que la situation ne perdure avec, hélas, semaine après semaine, des morts supplémentaires.
Q - Ce que vous dites, cest quen Libye il y a eu lintervention militaire de lOTAN - France comprise - mais quen Syrie, il faut donner du temps au temps.
R - Non, je nai pas dit cela. Jai dit que cela prendrait du temps mais je le regrette, ce nest pas ce que je souhaite. Jai dit quune intervention militaire en Syrie nest pas dans nos intentions pour les raisons que je vous ai indiquées. Je ne dis pas quil faut donner du temps au temps mais quil faut arrêter le plus vite possible les massacres.
Q - Et vous pensez que cela suffit de dire au régime de Bachar El-Assad «ça suffit» ?
R - La preuve que cela ne suffit pas est que cela continue. Il faut monter dun cran en allant plus loin au Conseil de sécurité pour quil y ait de la part du Conseil de sécurité une condamnation plus forte. Nous souhaitons dailleurs que les pays arabes nous aident dans cette condamnation ; nous ne pouvons pas tout faire tout seul. Je vous rappelle que la résolution 1973 concernant la Libye a été présentée par la France, le Royaume-Uni et le Liban, un pays arabe. Là, les conditions ne sont pas les mêmes concernant la Syrie. Que chacun prenne ses responsabilités.
Q - Comment voyez-vous lavenir de la Libye ? Il y a des inquiétudes : les islamistes, les salafistes et dautres... Quel regard portez-vous ?
R - La tendance naturelle de tous les observateurs est davoir des inquiétudes. De temps en temps, il faut aussi faire confiance aux gens, à la vie, à lavenir. Pour ce qui nous concerne, jai confiance en lavenir de la Libye. Dabord, la situation militaire évolue. Les forces de ce qui est aujourdhui lautorité officielle en Libye, cest-à-dire le Conseil national de transition, sont en train de prendre le contrôle de la quasi-totalité du pays. Elles progressent dans les dernières poches de résistance. Il est clair que le régime de Kadhafi est fini.
Lavenir du pays passe par la reconstruction et, là aussi, je pense quil y a des signes positifs. Nous étions la semaine dernière avec le président de la République et le Premier ministre britannique à Tripoli et la situation est bien meilleure quon aurait pu le penser. Il ny a pas eu de massacre, dexplosion, de désordre ; la vie reprend son cours. Le Conseil national de transition se met progressivement en place et nous allons laccompagner. Cest aux Libyens bien entendu de choisir leur avenir, de construire la Libye de demain. Nous allons les accompagner parce quils ont besoin de notre aide et quils nous lont demandé.
Jai parlé du Partenariat de Deauville. Les Nations unies vont aussi sinvestir en Libye pour aider les Libyens. La France est prête également à le faire sur deux plans :
- sur le plan politique, il faut que la feuille de route annoncée par le Conseil national de transition se mette en place : une Constitution, des élections libres, un gouvernement ;
- sur le plan économique, il faut que la reconstruction se fasse. Avec des avoirs considérables, la Libye a la chance dêtre un pays riche.
Q - Cest pour cela que vous êtes intervenus en Libye ? Pour rendre aux Libyens leur argent ? La Libye est un pays riche, la Syrie nest pas un pays riche. Tout ce qui se dit sur le pétrole libyen, quen faites-vous ?
R - Non, pas du tout. Cet argent ne nous appartient pas, il appartient au peuple libyen. Il avait été confisqué par le régime. La situation était beaucoup plus simple avant. Avant, avec Kadhafi, on avait le pétrole aussi. Ce nest pas pour le pétrole que lon est intervenu.
Q - Le pétrole ne sera-t-il pas beaucoup plus abordable ?
R - Je nen sais rien, cest lavenir qui le dira. Le cours du pétrole nest pas lié à ce qui sest passé. Cette idée que nous sommes intervenus pour le pétrole, on ne peut pas la sortir de la tête de ceux qui ont la vue courte. Nous ne sommes pas intervenus pour cela, nous sommes intervenus tout simplement pour permettre au peuple libyen de se libérer. Cest dans ce même esprit que nous soutenons la révolution en Tunisie ou en Égypte où, heureusement, il ny a pas eu dintervention militaire et où les choses se sont passées autrement. Il est quand même assez scandaleux de voir comment fonctionnent parfois certains médias. Je vous rappelle que larticle dans lequel on a expliqué que la France avait reçu une lettre du Conseil national de transition promettant 35 % des ressources pétrolières de la Libye est un faux scandaleux.
Laissons cela de coté. Nous sommes là pour aider la Libye. Bien sûr, si la Libye retrouve demain sa prospérité, avec une démocratie stable, capable de donner de lemploi à sa jeunesse, tout le monde en profitera ; ce sera un élément de sécurité, de stabilité qui nous concerne très directement. Si nous avons, au sud de la Méditerranée, des pays qui sappauvrissent, qui connaissent linsécurité, le désordre, des flux migratoires incontrôlables, ce nest pas bon pour nous. En revanche, une Libye qui se développe, une Tunisie qui se développe, une Égypte qui se développe, qui donne du travail à ses enfants, cest bon pour nous. Le pétrole nétait pas la raison de lintervention de la France. Je persiste et signe.
Q - Après les maladresses de la politique extérieure française en Afrique du Nord en général et en Tunisie en particulier, les relations qui vont se développer avec la Libye vont conforter la position de la politique extérieure française en Afrique du Nord.
R - Cest déjà fait. Je voudrais revenir sur ce que vous disiez : les maladresses de la politique étrangère française en Afrique du Nord. Qui na pas fait de maladresse ? Je pourrais vous citer des pays très importants qui ont aussi commis des maladresses, qui nont pas vu venir les choses. Nous navons pas vu venir le grand mouvement qui nous a pris par surprise, mais je ne pense pas que lon puisse désigner plus particulièrement la France que dautres.
Et puis, nous nous sommes adaptés. Nous avons compris que la situation avait évolué et quil fallait changer, tout simplement, notre façon de voir la relation de lislam à la démocratie. Nous avons été un peu intoxiqués en nous faisant croire que lislam était incompatible avec la démocratie ; je ne crois pas que cela soit vrai. Il y a des pays musulmans qui sont attachés à leur foi, à leur religion et qui sont tout à fait capables dévolutions démocratiques. Le Maroc, par exemple, en donne une sorte de modèle quil faut soutenir.
Q - Quel regard portez-vous sur lavenir du Maroc ? Il y a le mouvement contestataire du 20 février qui continue
R - Il ny a pas de démocratie sans mouvement contestataire. Je suis très confiant sur lavenir du Maroc. Le Roi a pris des initiatives fortes. Il a proposé une modification profonde de la façon dont sa monarchie doit fonctionner. Par ailleurs, léconomie marocaine, qui est très liée à léconomie européenne et bénéficie dun statut avancé vis-à-vis de lUnion européenne est aujourdhui dans une bonne direction. Je crois que le Maroc est bien parti et nous allons laider, je lai dit tout à lheure, grâce au Partenariat de Deauville.
Q - Vous soutenez les réformes institutionnelles mais, en même temps, le mouvement du 20 février ?
R - Il ne sagit pas de soutenir des mouvements dans une démocratie. On ne va pas se mêler des partis politiques. Ce que nous souhaitons simplement, cest soutenir des régimes qui prennent en compte les aspirations de leur peuple. Permettez-moi de vous faire remarquer quil ny a pas eu dutilisation de chars ou davions pour réprimer les manifestations au Maroc. On nest pas en Libye. On nest pas en Syrie. Ne mélangeons pas tout.
Q - Voyez-vous une différence fondamentale entre les monarchies du monde arabe et les républiques ou il sagit juste dun hasard ?
R - Je constate simplement quil y a deux monarchies, qui sont la Jordanie et le Maroc, dans lesquelles les choses bougent et les réformes se font alors que dans dautres régimes, plus autoritaires, malheureusement la violence na pas été évitée.
Q - Au sujet de lAlgérie : ce qui sest passé en Libye a-t-il compliqué les relations entre Paris et Alger ?
R - Non, jai rencontré récemment, à New York, mes collègues algériens et nous avons eu un dialogue tout à fait clair. Il est vrai quil mest arrivé de dire que lattitude de lAlgérie vis-à-vis du problème libyen ne nous a pas toujours paru aussi claire que nous laurions souhaité, mais les Algériens ont clarifié ces positions et ont reconnu le Conseil national de transition il y a peu de temps. Il ny a donc pas, sur ce point, entre la France et lAlgérie, un désaccord fondamental.
Q - Mais quand on dit que le Printemps arabe soulève des espoirs mais aussi des défis pour la politique étrangère de la France, lAlgérie fait-elle partie de cette équation et suscite-t-elle lespoir et le défi ?
R - Je veux bien admettre les deux mots ; lespoir, sûrement. LAlgérie est pour nous un partenaire absolument essentiel pour les raisons que vous connaissez ; ne serait-ce que du fait de la présence en France dune communauté algérienne très nombreuse et dailleurs bien intégrée. Nous sommes aussi conscients que ce pays a des défis à relever, une immense jeunesse
Q - Je veux dire avec des défis pour la France en ce qui concerne lAlgérie
R - Le défi pour la France, ce serait que lAlgérie ait à faire face à des difficultés, notamment le défi que constitue pour elle cette immense jeunesse à qui il faut donner du travail. Cela nous concerne très directement : si lAlgérie parvient à maîtriser ce problème, ce sera bon, bien entendu, pour la stabilité du contour de la Méditerranée.
Q - Un dernier point, Monsieur le Ministre, la question du Partenariat de Deauville dont vous avez parlé tout à lheure. Cest une somme dargent très importante. Il y a bien sûr des avoirs, que ce soit de Ben Ali en Tunisie ou de Moubarak en Égypte, qui ont été gelés en Europe. Ne serait-ce pas plus utile pour eux de récupérer leur argent plutôt que de demander de laide ?
R - Il faut bien distinguer les deux situations. Il y a des biens, apparemment détournés, qui appartiennent aux régimes tunisien et égyptien, et puis il y a des avoirs qui ont été gelés par le Conseil de sécurité, en application dune résolution des Nations unies, que nous sommes en train de dégeler. La Libye, par exemple, va recevoir 15 milliards de dollars qui lui appartiennent et qui ont été confisqués par les régimes précédents ; ces fonds sont remis à sa disposition. La situation est différente en Égypte, un pays de 80 millions dhabitants, une économie fragilisée par la crise et où le tourisme sest effondré. Il faut donc absolument aider lÉgypte. Si léconomie égyptienne ne repart pas, il est évident que la transition sera plus difficile. Cest la raison pour laquelle nous avons dit aux Égyptiens : «proposez-nous un plan daction - cest à vous de le proposer - en matière déducation, de formation, dinfrastructures, de construction de lÉtat de droit et nous allons vous aider». Cest ce que nous avons fait et je peux vous dire quhier nous sommes arrivés à mettre en place un dispositif qui sera maintenant très rapidement opérationnel.
Q - À lapproche des élections en Tunisie, avez-vous des espoirs et des inquiétudes concernant le processus politique dans ce pays ?
R - On a toujours des inquiétudes. Je lai déjà dit, ce grand mouvement qui traverse le monde arabe comporte des risques et nous voyons bien quil peut y avoir des mouvements extrémistes qui profitent de la situation, notamment dune éventuelle dégradation de la situation économique, pour confisquer le pouvoir. Notre rôle est donc de favoriser lÉtat de droit et daider la démocratie à lépanouir, avec le pluralisme politique, plusieurs partis et des élections ; cest ce qui est en train de se passer en Tunisie. Il ne faut pas ignorer les inquiétudes ; il ne faut pas être aveugle. Il y a des risques et des dangers mais essayons de mettre surtout le projecteur et laccent sur la chance de voir ce pays accéder à un véritable État de droit et à une économie qui se développe.
Q - Pensez-vous quen Tunisie le gouvernement a en main la situation sécuritaire ?
R - Je pense quaujourdhui, avec évidemment les difficultés que lon connaît, la Tunisie a globalement la situation sécuritaire en main et quil sortira des urnes un gouvernement dont la légitimité sera évidemment plus forte. Ce gouvernement légitime pourra assurer la sécurité qui fait aussi partie de tout régime démocratique. La liberté et la sécurité sont des principes fondamentaux dans toute démocratie.
Q - Finalement, la France sest rattrapée dans le monde arabe ?
R - Ce nest pas exactement ma formule. Je pense que la France a été courageuse, audacieuse et que cest un des pays qui a pris le plus de risques. Nous avons pris des risques maximums et nous lavons emporté. Quand je vois laccueil qui a été fait à Nicolas Sarkozy à Benghazi et à Tripoli, je vois bien que les peuples arabes ont compris que la France était à leur côté.Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 26 septembre 2011