Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à RFI le 21 mai 2001, sur les initiatives diplomatiques de la France au Proche-Orient pour mettre un terme à l'escalade de la violence entre Israéliens et Palestiniens, le soutien français aux conclusions de la Commission Mitchell et la coordination diplomatique franco-américaine pour la reprise des négociations entre Israël et l'Autorité palestinienne, Paris le 21 mai 2001.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - La France, vous le savez, multiplie les initiatives diplomatiques pour mettre fin à l'engrenage de la violence dans les territoires autonomes. Paris s'efforce de faire en sorte que Palestiniens et Israéliens reviennent enfin à la table de négociations.
Je vous le disais, Yasser Arafat est attendu à Paris ce mercredi. Il s'entretiendra avec le président de la République Jacques Chirac et avec le Premier ministre Lionel Jospin.
Richard Labevière a demandé tout d'abord à Hubert Védrine quelle était sa réaction après l'utilisation ce vendredi des chasseurs bombardiers, les F16 par l'armée israélienne après l'attentat suicide du militant du Hamas, dans la banlieue de Tel Aviv.
R - C'est un acte d'escalade extrêmement grave, cet acte après d'autres dans un sens ou dans l'autre, confirme les avertissements, les appels qui ont été lancés par la France depuis plusieurs semaines ; cela fait longtemps que nous disons que la situation est la plus grave depuis dix à quinze ans, malheureusement c'est en train de se confirmer par l'aggravation quotidienne.
Il est clair aux yeux de la France qu'il n'y a pas de solution militaire à cette crise, à cet affrontement, qu'il faut revenir sur la recherche d'une solution politique ; mais avant cela, il faut naturellement que les protagonistes, les responsables - s'ils veulent mériter ce nom - interrompent immédiatement ces actes de violence ou de force ou de répression.
Q - Plus précisément, Monsieur le Ministre, est-ce que vous qualifiez l'engagement de ces avions comme un acte de guerre ?
R - Ce n'est pas une question de qualification : à quel moment ? A partir de quand ? Vous avez une combinaison de violences, de terrorisme, de répression, de moyens de guerre, cela est clair. Ce qui est tragique, c'est que jusqu'à maintenant et en dépit de ce qui est dit par tous les responsables internationaux, on ne voit pas de mécanisme à l'oeuvre au Proche-Orient qui arrête cet engrenage et c'est cela qui est urgent. Il faut qu'ils arrêtent sans préalable, sans prétexte.
A cet égard, le fait que Colin Powell vienne d'endosser les conclusions de la Commission Mitchell qui est arrivée il y a quelques jours à des conclusions courageuses et claires, que nous avons saluées immédiatement, que l'Union européenne a soutenue, c'est un élément très important de la part des Etats-Unis. Il y a une convergence qui est en train de s'élaborer, vous le constatez, entre les Etats-Unis et l'Union européenne sur ce qu'il faut faire au Proche-Orient, c'est-à-dire application immédiate des conclusions de la Commission Mitchell et combinaison entre ces conclusions et l'initiative égypto-jordanienne, qui est importante également. Ce sont les deux points sur lesquels on peut s'appuyer pour travailler aujourd'hui.
Q - En quoi, le fait d'accepter les conclusions du rapport Mitchell, en quoi cette décision est très importante et en quoi elle peut surtout modifier l'actuel rapport de force ?
R - C'est très important parce qu'il y a souvent des dissensions au sein de la communauté internationale quant aux réactions à avoir par rapport au Proche-Orient, aux actes de violence ou de terrorisme, ou de répression, ou de l'armée israélienne.
Le fait qu'une cohésion se forme avec des positions très claires et très nettes de la part des Etats-Unis, des Européens, de tous les Européens et que par conséquent les nuances et les précautions soient un peu dépassées, un peu délaissées en raison de l'aggravation de la situation, cela montre une prise de conscience, une exigence très forte. Cette harmonie des positions est une condition sine qua non à la recherche d'une vraie solution. C'est pour cela que c'est très important ; surtout de la part des Etats-Unis. Cela veut dire que ceux qui en Israël ont voté pour Ariel Sharon en pensant que c'était un vote qui allait leur apporter la sécurité, peut-être en plus la paix, même si ce n'était pas leur vote prioritaire, sont peut-être en train de s'apercevoir à travers la réaction américaine - en générale compréhensive, par rapport à cette politique israélienne - que cette politique n'apporte ni la sécurité, ni la paix. Donc c'est peut-être le début d'une prise de conscience à travers cette escalade de trop qui est le recours aux avions de guerre dans cette situation.
Q - Monsieur le Ministre, plus concrètement, l'acceptation du rapport Mitchell par Colin Powell et l'administration américaine, c'est important. Concrètement, qu'est ce que cela va modifier, sur quels dossiers, notamment sur la question centrale des colonies ?
R - Cela veut dire que ce qui a été dit de précis par la Commission Mitchell sur la violence du côté palestinien et le terrorisme, mais aussi du côté israélien en ce qui concerne le recours à la répression et le rôle des colonies est très important, parce que cela n'a jamais été dit dans ces termes auparavant, dans une commission organisée, à l'initiative du président des Etats-Unis, avec des représentants de différents pays qui sont tous profondément attachés à la sécurité d'Israël.
Malgré tout, ils ont conclu que la politique des colonies était un élément grave de la situation, c'était une des composantes de la tension. Ils ont pointé du doigt les colonies et ce que l'on appelle en Israël la croissance naturelle des colonies qui est une façon de tourner la demande internationale de gel des colonies. Donc, c'est précis, c'est exigeant, plus exigeant que cela ne l'a été jusqu'ici et comme nous, Français, nous l'avons dit et constaté depuis longtemps, cette politique de colonisation menée de façon systématique depuis plus de trente ans par tous les gouvernements israéliens, finissait par être une des composantes majeures de la crise d'aujourd'hui. Ce sera donc un élément évident de toute solution à l'avenir si l'on en veut une.
C'est très important que les Etats-Unis arrivent aujourd'hui, par l'intermédiaire de la Commission Mitchell à des conclusions nettes, claires et courageuses - je le répète -. Et ces mêmes conclusions serviront de base sur laquelle nous allons pouvoir travailler, je crois, avec plus de capacité dans les prochains jours.
Q - Est-ce que la France appelle également au gel des colonies ?
R - La France l'a dit cinquante fois ; la France a dit en permanence que la politique de colonisation devait être arrêtée et nous avions, quand M. Barak faisait ses propositions, nous avions salué son courage à de nombreuses reprises.
Je dois vous faire rappeler que M. Barak a été prêt à évacuer toutes les colonies en Cisjordanie, à Gaza, dans les territoires occupés, il restait la question de Jérusalem sur laquelle il y avait les discussions que vous savez et cette position concernant les colonies était approuvée à ce moment là par une majorité d'Israéliens. Il y a d'ailleurs encore récemment en dépit de la crainte des Israéliens pour leur sécurité depuis la nouvelle intifada, et en dépit de l'aggravation, il y a encore un pourcentage très élevé d'Israéliens qui reconnaissent que la question des colonies est fondamentale par rapport à la recherche de la paix.
Le peuple israélien est comme le peuple palestinien : ils veulent en réalité profondément tous la paix, la paix dans la sécurité,. Simplement par des engrenages malencontreux, par des concours de circonstances ou des choix erronés, ils sont les uns et les autres dans un engrenage qui les amène à s'affronter de façon de plus en plus impitoyable, de plus en plus durement. Il faut d'une façon ou d'une autre arrêter cet engrenage et les sortir de cette situation.
Dans ce contexte, le gel de la politique de colonisation y compris la pseudo-croissance naturelle en attendant le règlement comme cela avait été proposé à la fin de l'an dernier, ce sera un élément fondamental pour changer immédiatement le climat.
Q - Monsieur le Ministre, est-ce qu'il a été aussi question du gel des colonies à la réunion du Comité d'association Europe-Israël aujourd'hui à Bruxelles ?
R - C'est une réunion qui ne porte pas spécifiquement sur la question des colonies mais au cours de laquelle la Commission devait rappeler solennellement aux Israéliens qu'ils se sont mis sur certains points en contradiction avec les règles mêmes de cet accord, en ce qui concerne l'origine des produits qui doivent aller ensuite sur le marché européen.
Là, c'est un peu différent. Il y a un accord et cet accord n'a pas été respecté sur certains points et la Commission devait le dire clairement aux Israéliens.
Q - Vous parliez d'une coordination entre les diplomaties américaine, européenne, sinon française, avant de recevoir mercredi le président de l'Autorité palestinienne à Paris, plus précisément, comment s'organise dans la phase actuelle cette coordination entre la diplomatie américaine et française ?
R - Elle est constante. En réalité, les échanges ne cessent pas, nous échangeons nos analyses, nos suggestions, en ce qui concerne la coordination franco-américaine. Immédiatement après notre entretien, je vais avoir Colin Powell au téléphone et nous allons, à partir de la prise de position qu'ils ont adoptée et qui rejoint ce que nous avions dit ces derniers jours sur la Commission Mitchell, nous allons voir ce que nous faisons ensuite. Nous sommes en contact permanent avec la Suède, qui exerce la Présidence, comme avec les autres grands pays européens, comme avec M. Solana. C'est notre mode de travail quotidien, surtout quand nous sommes devant une crise aussi aiguë, que nous voulons tous ensemble arrêter.
Q - Alors après demain le président de la république, le Premier ministre, et vous-même recevez le président de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, à Paris. Début juin, ce sera le Premier ministre israélien, Ariel Sharon ; donc à quoi doit servir cette disponibilité, cette utilité de la France ?
R - Si la France veut être utile à la paix dans la région, il faut qu'elle soit en contact en permanence avec tous les protagonistes. Quoique nous pensions de leur politique, et des conséquences de tel ou tel acte, si nous voulons être utiles, il faut que nous ayons cette capacité de dialogue, parce que c'est cela qui nous permet d'avoir une analyse qui est constamment au fait de la situation, de parler avec tous nos partenaires européens et américains, de faire les propositions adéquates et nous continuerons jusqu'à ce que nous ayons atteint nos objectifs, car la politique française au Proche-Orient ne baissera jamais les bras quelles que soient les difficultés et les déceptions.
Q - Monsieur le Ministre, hormis l'avancée que représente indéniablement le rapport Mitchell : en quoi la dernière initiative égypto-jordanienne est-elle complémentaire de ce rapport Mitchell ?
R - Parce qu'elle a permis à deux pays arabes importants de montrer qu'eux aussi ne se satisfaisaient pas de la situation, qu'ils ne se contentaient pas uniquement de condamnation et de dénonciation, mais qu'ils avaient réfléchi aux étapes et aux gestes simultanés à effectuer du côté israélien et du côté arabo-palestinien permettant de sortir du piège dans lequel ils sont enfermés maintenant.
Il est donc important que ces deux grands pays, eux aussi, persévèrent, ne se découragent pas comme nous le faisons nous et que tous ceux qui uvrent pour la paix dans le monde, obstinément, harmonisent leurs efforts et au bout du compte, je l'espère, réussissent à inverser les événements qui continuent malheureusement à se produire sous nos yeux.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 22 mai 2001)