Interview de Mme Nicole Notat, secrétaire générale de la CFDT, à France 2 le 3 avril 2001, sur les restructurations d'entreprises et les plans sociaux.

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Média : France 2 - Télévision

Texte intégral

F. David On a l'impression, 15 jours après les municipales, que le social a pris le pas sur le politique. Il y a eu toute une série d'annonces dans le domaine du social, des annonces graves : les fermetures annoncées de deux sites chez Danone, la fermeture de tous les magasins Marks Spencer, le conflit à la SNCF qui donne l'impression de s'enliser, l'annonce de SAirGroup qui est prêt à lâcher AOM, Air Littoral. Avez-vous l'impression qu'on arrive dans une situation d'ébullition sociale ?
- "Il y a un certain nombre de cas qui ont pignon sur rue et qui, fort légitimement, attirent l'attention ; c'est normal. La vie économique a ses propres réalités, son propre rythme par rapport à la vie politique. Au demeurant, ce qui est en train de se passer en ce moment devrait nous permettre de réfléchir à nouveau sur la manière dont un certain nombre d'entreprises peuvent d'ailleurs avoir à faire face à des ajustements d'effectifs car une entreprise ça vit, les problèmes de concurrence sont une réalité, de même que l'évolution des techniques de production..."
Vous ne croyez pas que vous allez faire hurler les salariés de Lu en disant cela ?
- "Justement non, parce que je comprends et je soutiens la manière dont les salariés réagissent. Comment voulez-vous comprendre des situations qui amènent à rayer de la carte des sites de production ? C'est très difficile à supporter, d'autant plus que les groupes affichent des résultats positifs. On avait l'habitude de plans de restructuration et sociaux dans des situations difficiles, aujourd'hui ce sont des situations florissantes. Ce qui devrait attirer maintenant notre attention, surtout dans les groupes qui vont bien, c'est que lorsqu'il y a des prévisions de réductions d'effectifs - en admettant qu'elles soient justifiées et démontrées, ce que chaque groupe doit faire auprès des salariés -, c'est le fait que cela ne doit pas vouloir dire licenciement des salariés. Il faut définitivement en finir avec l'idée qu'un groupe n'aurait pas comme principale responsabilité de devoir assurer envers et contre tout la garantie de l'emploi de ses salariés, que ce soit à l'intérieur du groupe ou à l'extérieur, dans des conditions satisfaisantes pour chaque salarié, adaptées à chaque situation."
Vous légitimez le fait qu'on puisse réduire de façon drastique les effectifs pour peu qu'on ait un bon plan social à proposer ?
- " Non, je veux dire qu'un premier temps doit être respecté pour limiter au maximum ces plans : y a-t-il des justifications aux décisions que prennent les entreprises ? Il faut de la transparence, de la consultation, la recherche de propositions alternatives au maximum. C'est le cas chez Danone, qui est une entreprise qui a une tradition, une pratique sociale ancrée ; ce n'est pas le cas chez Marks Spencer où il y a un mépris total des salariés, des procédures d'information et de consultation des salariés. A partir du moment où ce serait inéluctable, il ne faut pas s'arrêter là. Il faut que les groupes soient tenus de reclasser, de reconvertir, de garantir l'emploi dans les conditions satisfaisantes pour chacun, en faisant du sur-mesure en fonction des situations de chacun. Ce sont des responsabilités sur lesquelles on pourrait faire évoluer la législation."
Qu'est-ce qui peut contraindre un groupe à fabriquer un bon plan social de reclassement, de formation, quand la justification du licenciement est la hausse du taux de l'action par exemple ?
- Si ce n'est que cela, à mon avis, cela ne dure pas longtemps. Il me semble aléatoire que des entreprises ne comptent que sur les cours en Bourse pour leur développement durable. Mais en tout état de cause, c'est insupportable et cela ne peut jamais, à nos yeux, être de tels objectifs qui justifient des évolutions d'entreprises. Par contre, on voit bien qu'en fonction de la force qu'ont les salariés à l'intérieur d'un groupe ou d'une entreprise, selon qu'ils sont organisés, selon qu'ils ont des organisations syndicales fortes ou selon qu'il n'en existe pas, il ne se passe pas la même chose au bout du compte sur la manière dont les salariés sont traités. On l'a bien vu chez Michelin : cette entreprise, il y a quelques mois, ignorait la négociation sociale ; Michelin avait annoncé des licenciements et aujourd'hui, Michelin amorce la voix de nouvelles relations sociales. Une négociation sur la RTT a eu lieu, d'autres négociations sont en cours ; on peut espérer qu'une page va se tourner et qu'elle augure de meilleures politiques sociales à l'intérieur de cette entreprise."
Il y a débat sur "le coup de barre à gauche" que certains réclament en ce moment au sein de la majorité plurielle. Il se traduirait notamment sur le plan social, par une augmentation du Smic, par une série de concrétisations d'avantages sociaux. Emboîtez-vous le pas de cette démarche ?
- "Tous les ans, la question de la revalorisation du Smic se pose. Elle se posera donc au mois de juin, fort normalement. Ce que nous attendons d'un gouvernement en cette période de reprise de la croissance - même s'il faut être attentif aux signes de fragilité actuelle -, c'est qu'un gouvernement garde le cap pour nous préparer les bonnes nouvelles de l'avenir, qui nécessitent des positions et des actions dès aujourd'hui. Le cap, c'est le plein-emploi. Nous sommes contents - et on le comprend - que le chômage soit en train de régresser mais attention ! il ne faudrait pas penser qu'il va régresser magiquement jusqu'à ce qu'il n'y ait plus aucun chômeur. Le plein-emploi exige vraiment une action de tous les instants, dans la durée et non des mesures simplistes, uniquement magiques ou symboliques. Ce Gouvernement gagnerait à compter davantage sur l'action des partenaires sociaux, sur ce que nous pouvons réaliser sur des objectifs aussi forts à l'intérieur des entreprises, des branches professionnelles. Il me semble qu'il devrait moins ignorer l'action des forces que nous représentons."
(Source http://www,cfdt,fr le 14 janvier 2003)