Texte intégral
Cest avec plaisir que je retrouve mes anciens collègues de lAssemblée. Soyez assurés que je répondrai avec le maximum de sincérité à vos questions.
Vous lavez dit, Monsieur le Président : lUnion est à la croisée des chemins. Il nous est impossible de maintenir le statu quo et il serait déraisonnable de revenir en arrière ; nous avons lobligation davancer mais le choix est difficile. Pour des raisons de timing, dabord : le temps des politiques nest évidemment pas le même que celui des marchés financiers. Ensuite, il faut savoir vers quoi nous voulons aller. Il est clair que pour avancer, il faut plus dintégration ; mais dans quel objectif, et pour quel idéal ?
Le premier défi est économique. La crise actuelle nest pas propre à la zone euro, elle est mondiale et liée aux dettes souveraines. Leuro est une monnaie forte et stable, aux capacités supérieures à celles du dollar. Soyons donc attentifs aux mots que lon utilise : cest la crise de la dette souveraine de certains pays de la zone euro qui met en danger la monnaie unique et la construction européenne.
Le deuxième défi est énergétique et environnemental. LEurope, qui est une démocratie évoluée, est consommatrice dénergie ; il faudra, dans lavenir, veiller au respect de lenvironnement, tout en préservant lindépendance énergétique de la zone.
La catastrophe de Fukushima nous rappelle en outre que, si nous devons garantir une sûreté maximale dans lensemble des installations nucléaires de notre pays, la question se pose à léchelle européenne ; le fait que certains pays, comme lAllemagne, naient pas fait les mêmes choix que nous ne doit pas nous empêcher dengager une réflexion commune sur la sécurité nucléaire, en matière dapprovisionnement comme en matière de protection des populations.
Enfin, lEurope est à un tournant politique. On observe avec inquiétude la montée des populismes et de leuroscepticisme. En France, le phénomène nest pas nouveau : rappelons que le référendum de 2005 a été perdu en grande partie parce que nos concitoyens ont rejeté une Europe qui leur apparaissait trop lointaine. Dans un contexte de crise économique, la tendance est souvent au repli sur soi, au retour sur le passé et au développement didéaux nationalistes ; les prises de décision deviennent particulièrement difficiles dans les pays aux majorités gouvernementales fragiles, qui se trouvent sous la pression dun euroscepticisme populaire grandissant.
On peut noter que cet euroscepticisme sest particulièrement développé en France, pays pourtant fortement impliqué dans la construction européenne. Si lon dit traditionnellement que lEurope se construit en surmontant les crises, vu la crise actuelle, létape sannonce décisive ! Ayons toutefois conscience quelle ne pourra être franchie sans un assentiment populaire ; il convient donc de partir à la reconquête dune fraction de la population qui considère que lEurope est technocratique et lointaine.
Ma conviction est que lEurope est notre meilleur atout pour relever les défis du XXIe siècle ; elle est porteuse de valeurs, dune culture et dune civilisation qui, sans être imposées aux autres peuples, doivent saffirmer à lintérieur de ses propres frontières.
Dans cette perspective, je vous propose de réfléchir à lintégration européenne que nous appelons de nos vux. Celle-ci passe dabord par le renforcement de la gouvernance économique. Si la réforme du Fonds européen de stabilité financière nest pas encore totalement acquise, il ne reste plus à obtenir que leur ratification par deux pays pour que les décisions du sommet du 21 juillet puissent être appliquées. Dans des systèmes démocratiques, il paraît normal que des décisions politiques aussi importantes soient prises, non en fonction de la fébrilité des marchés et de lévolution des notes, mais en suivant la voie parlementaire ! La France a ratifié laccord au début du mois de septembre, lAllemagne, à la fin du mois : les délais sont raisonnables.
Certes, jai conscience que les échéances semblent parfois lointaines et que, les discours ne se concrétisant pas toujours immédiatement, on peut penser que les politiques restent inactifs. Je rappelle cependant quavec la réforme du Fonds européen de stabilité financière capacité dintervenir sur les marchés secondaires et de recapitaliser les banques, dotation de 440 milliards deuros, avec la possibilité dobtenir un financement supplémentaire du FMI , nous disposerons dune réactivité de quelque 500 milliards deuros. Cela sera-t-il suffisant ? Rappelons que nous navons jusquà présent utilisé que 10 % des crédits disponibles. Si lon doublait le montant de ce fonds monétaire européen, on se retrouverait au niveau du FMI ! Faut-il autant dargent pour lEurope que pour le monde ? Cela ne reviendrait-il pas à envoyer un message négatif aux marchés, en laissant penser que nous nous préparons à une catastrophe ? Chaque jour, on nous annonce que la Grèce va faire défaut, que sa faillite est programmée, quelle va sortir de la zone euro, que leuro est une monnaie ancienne qui va disparaître, que les banques européennes vont seffondrer. Peut-être faudrait-il faire preuve dun peu plus de sang-froid, et privilégier la réactivité plutôt que la fébrilité.
Limportant est de mettre en uvre les décisions du 21 juillet. Le « six-pack », élément de contrôle et de sécurité qui avait été proposé par la Commission, vient dêtre adopté par le Parlement européen. Quant à la solution consistant à confier à Herman van Rompuy la responsabilité de piloter, de manière pérenne, lensemble du système, elle me paraît simposer. En période de crise, cest aux chefs dÉtat et de gouvernement de donner limpulsion ; ils ont davantage de légitimité démocratique à le faire que le président de la Commission européenne. Le couple franco-allemand a une histoire, et cest une réalité économique : ces deux pays pèsent à eux seuls plus de 50 % du PIB de la zone euro. Quand ils font une proposition, cela peut avoir un effet dentraînement ! Je nimagine pas M. Barroso, malgré tout son talent, être capable de proposer ce qui a été adopté le 21 juillet. Et que dirait-on si lon devait consulter la totalité des 27 États membres avant de faire la moindre proposition ?
Lintégration européenne, ce nest pas lintégration naïve. Naïve, lEurope la été longtemps, en laissant entrer dans la zone euro des pays qui nen avait peut-être pas la capacité. Rappelons toutefois que la Grèce, l'Espagne et le Portugal ne sont sortis du fascisme que récemment ; peut-être aurions-nous dû attendre lextension de lUnion vers lest, mais les pays concernés étaient eux-mêmes en train de se libérer du totalitarisme. Dans ce contexte, on ne sest pas inquiété de savoir si les nouveaux arrivants avaient le niveau économique nécessaire dautant moins que lon était dans une période de croissance. Mais en période de crise, les disparités sont criantes.
La deuxième erreur fut de créer une monnaie unique sans prévoir un pilotage économique, fiscal et financier. Il faut désormais franchir cette étape. Aujourdhui, il y a de facto une Europe à deux vitesses : dun côté, les pays de la zone euro, qui doivent passer à une intégration renforcée ; de lautre, les autres États membres. Il ny a aucune raison de mettre, par principe, des obstacles à une entrée dans la zone euro ; en revanche, on passe dune Europe naïve, en période de croissance, à une Europe réaliste, en période de crise, qui doit être à la fois plus intégrée et plus solide. Cest pourquoi il convient dappliquer à la Grèce tant la solidarité communautaire que la discipline budgétaire ; et cest pourquoi la troïka contrôle et quun groupe dexperts accompagne la mise en uvre des décisions courageuses prises par les dirigeants grecs.
Je reviens de Pologne, où lon a discuté du Partenariat oriental. Des pays comme la Biélorussie, lUkraine ou la Moldavie sont très éloignés de lintégration européenne. Le fait de développer un partenariat avec eux ne peut pas signifier quil sagit dune étape préliminaire à leur intégration. La France a dailleurs exprimé avec force, par la voix du Premier ministre, quil ne pourra y avoir daccord de libre-échange avec la Biélorussie et, dans une moindre mesure, avec lUkraine, tant que ces pays ne seront pas des États de droit. La France restera très vigilante sur ce point.
Quant aux Balkans, on sait les tensions que ces pays ont connues et les crimes contre lhumanité qui y ont été commis. LEurope doit leur laisser entrevoir un avenir européen, tout en étant exigeante sur la nécessité dune paix entre les États et entre les peuples.
Je rappelle enfin que la France apporte son soutien au Partenariat sud.
Les négociations sur les prochaines perspectives financières débutent. Tout ce que je peux dire, cest que la France nacceptera pas quelles ne prévoient pas la stabilité du budget de la Politique agricole commune (PAC) et quelle demandera une expertise sur les autres budgets. La France considère que les propositions de la Commission sont trop chères ; on ne peut pas à la fois exiger des États membres des sacrifices budgétaires et prévoir des augmentations de lordre de 9 % sur certains dispositifs européens. Il ne sagit pas de dépenser davantage, mais de dépenser mieux.
Par ailleurs, il convient de remanier les fonds structurels. Ayons le courage de tirer la leçon de la crise grecque : le versement accéléré des fonds structurels na pas empêché la Grèce de se trouver dans une situation économique extrêmement fragile. Il faut se donner les moyens dimposer aux États bénéficiaires tout à la fois une discipline budgétaire et une orientation des crédits vers la croissance et vers lemploi.
Le Programme européen daide aux plus démunis (PEAD) est une de nos préoccupations, à Bruno Le Maire et à moi-même : le président de la République et le Premier ministre nous ont donné la mission de faire aboutir ce dossier, dune façon ou dune autre.
Quant à la Politique de sécurité et de défense commune, cest aussi un de nos objectifs. Même si nous nous heurtons actuellement à une opposition britannique, nous ny renoncerons pas.
La crise actuelle est le passage entre un monde qui sachève et un monde qui se construit. LEurope doit désormais se construire différemment. Elle doit respecter ses frontières, être attachée à lespace Schengen tout en affirmant le droit des peuples à faire respecter lordre public. Elle doit parler ouvertement aux pays qui sont encore loin de la démocratie, tout en étant extrêmement exigeante en matière de droits de lHomme. Elle doit défendre une certaine idée de la culture et de la civilisation, tout en se protégeant et en protégeant les peuples. Dans les échanges commerciaux, la réciprocité doit simposer ; nous ne pouvons plus tolérer que certains ne respectent pas les règles sociales et environnementales en vigueur sur le marché européen, et que la réciprocité ne sapplique pas. LEurope a des frontières, elle parle au monde au travers de ces frontières, et elle demande à ceux qui veulent entrer de respecter ses règles intérieures. Je vous incite à relire ce que Claude Levi-Strauss a écrit sur laltérité et lidentité, ainsi que léloge des frontières par Régis Debray. Il faut franchir cette étape politique indispensable.
Q - (Sur la question des flux migratoires)
R - Monsieur Quentin, la France et lAllemagne avaient proposé à la Roumanie et à la Bulgarie une entrée dans lEspace Schengen en deux étapes : une première étape aérienne et maritime ; une deuxième étape terrestre on avait eu du mal à leur faire comprendre que lon ne voulait pas fixer de calendrier précis pour la deuxième étape, compte tenu du fait que lon souhaitait disposer dun certain nombre déléments de surveillance. Les éléments que nous avions en notre possession faisaient apparaître des efforts importants de la part de ces deux pays en matière de lutte contre la corruption et daccès à la démocratie, ainsi quune participation des policiers roumains à la gestion des flux migratoires. Je précise à ce sujet que, contrairement à ce que daucuns pourraient croire, il nexiste aucune relation entre lappartenance à lEspace Schengen et le volume des flux migratoires.
Les Pays-Bas et la Finlande ont opposé leur veto à une intégration de la Roumanie et de la Bulgarie à lespace Schengen. Jai essayé, avec mes homologues bulgare et roumain, de proposer une solution intermédiaire à nos partenaires néerlandais, mais ceux-ci lont refusée.
La situation dans laquelle nous nous trouvons est fort délicate. On a déjà demandé beaucoup defforts à la Roumanie et à la Bulgarie ; certes, ils doivent encore en faire, mais il me semble dangereux de laisser sans échéances et sans objectifs des pays qui nont accédé que récemment à la démocratie, et où le retour à des conceptions antieuropéennes est toujours possible.
La France, en concertation avec les Allemands, a fait ce quelle devait faire. La présidence polonaise avait accepté le principe dune double étape. La question sera probablement évoquée au prochain Conseil européen, ce qui nest pas une bonne chose car cela risque de polluer lensemble de la réunion.
Nous estimons quant à nous que la Roumanie et la Bulgarie ont vocation à entrer dans lEspace Schengen, et que ce serait même un élément de sécurité et de contrôle. Il reste que notre proposition intermédiaire a été refusée. Nous sommes donc en train de réfléchir aux suites à donner à ce dossier.
Schengen est un acquis majeur. Il nest pas question de revenir dessus. En revanche, les questions dordre public sont une compétence nationale, que lon ne peut pas communautariser ; le gouvernement français considère quune remise en cause du droit des nations à évaluer les atteintes à lordre public nest pas acceptable.
Des situations exceptionnelles peuvent être provoquées par des flux migratoires, soit en raison de leur importance, soit en raison dun risque de déstabilisation ; nous demandons donc quil y ait une clause de sauvegarde, et quelle soit entérinée.
La France a été confrontée à un flux migratoire de Tunisiens en provenance dItalie, pays qui avait, pendant un certain temps, accordé des visas provisoires et qui navait pas été capable détablir un contrôle à la périphérie. Il eût été logique de pouvoir renvoyer ces gens en Italie. Comme cela na pas été possible, nous avons rétabli provisoirement le contrôle aux frontières. Cela na rien à voir avec ce qui sétait produit au Danemark sous le précédent gouvernement, lorsque le contrôle aux frontières avait été rétabli sans que lon se trouve dans une situation exceptionnelle.
Nous sommes favorables à lEspace Schengen, mais aussi au renforcement des frontières extérieures. Il faut quavec lappui de lAgence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de lUnion européenne (Frontex), on aide les pays qui, comme la Pologne ou la Grèce, ont du mal à contrôler les frontières extérieures. Mais, quand on aboutit à un constat déchec, il faut pouvoir faire jouer la clause de sauvegarde et la «double coque».
Il faut donc distinguer les situations exceptionnelles, pour lesquelles des mesures dordre public simposent, et les problèmes chroniques, qui nécessitent aide, surveillance, rappels à lordre et, éventuellement, sanctions. Sur ce point, la proposition de résolution présentée par M. Quentin est conforme à la position du Gouvernement français, qui est elle-même soutenue par le Conseil européen.
Q - (Sur les grands projets européens)
R -Monsieur Deflesselles, les grands projets européens emblématiques, comme GEMS, Galileo ou ITER, ne sont pas inclus dans les perspectives financières. La France juge cela inacceptable. Peut-être sagit-il dun artifice de négociation, destiné à obtenir une forte augmentation du budget européen sous peine de labandon des grands projets ; une telle présentation nous paraît intolérable.
Q - (Sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre)
R - La conférence de Durban sinscrit dans le droit fil du protocole de Kyoto. On doit y prendre des décisions importantes. La France est le promoteur du mécanisme dinclusion carbone aux frontières de lUnion européenne, que daucuns présentent comme une mesure protectionniste, alors quil sagit simplement de faire respecter lenvironnement. La difficulté est de conclure des accords bilatéraux. LEurope doit prendre les initiatives nécessaires pour poursuivre ce qui a été fait sous limpulsion française et capitaliser les résultats de la conférence de Cancún.
Jen profite pour féliciter Bernard Deflesselles et Jérôme Lambert pour leur engagement dans ce domaine. Si lEurope parvenait à imposer une mesure qui se heurte actuellement à la réticence de la Chine et des États-Unis, ce serait très bénéfique pour son image. Continuons donc à nous battre en ce sens, tout en maintenant nos objectifs de réduction de 20 % de nos émissions de gaz à effet de serre et daugmentation de 20 % de notre efficacité énergétique.
Q - (Sur lélargissement de lUnion européenne aux Balkans)
R -Sagissant de lélargissement de lUnion européenne aux Balkans, je dois me rendre dans les deux prochains jours, avec le président Lequiller, en Croatie et en Serbie. Nous transmettrons à la Croatie le message livré par Michel Herbillon : cest le résultat dune démarche exigeante et efficace, qui a été pilotée en grande partie par le couple franco-allemand. Le processus dadhésion a débuté il y a presque dix ans, et cest en raison des perspectives européennes que de si grands progrès ont été enregistrés dans ce pays.
Nous dirons par ailleurs à nos amis serbes quils ont également vocation à entrer dans lUnion européenne, sans que cela ne saccompagne daucun diktat. En revanche, une démarche dadhésion suppose que lon ait fait la paix avec ses voisins. Ne multiplions pas les situations de conflit, comme à Chypre ; il faut au contraire jouer sur lattractivité de ladhésion à lUnion européenne pour aider ces pays à faire progresser la démocratie et létat de droit et à apaiser leurs relations avec leurs voisins.
Q - (Sur le programme européen daide aux plus démunis)
R - Le PEAD consistait à récupérer les surplus de la politique agricole commune (PAC) pour les donner aux plus démunis. Son fonctionnement sest avéré satisfaisant jusquau jour où, faute de surplus, il a fallu acheter directement des produits alimentaires : dès lors, il ne sagissait plus dune action communautaire. Laffaire ayant été portée devant les tribunaux, la sanction est tombée.
En la matière, la situation des États membres est très disparate ; en Allemagne, laide aux plus démunis relève ainsi de la responsabilité des länder. Les retours financiers sont relativement faibles : ils sont, pour la France, de lordre de 60 à 70 millions deuros. Néanmoins, je considère quil sagit dun mauvais coup porté à limage de lEurope.
La solution la plus simple serait de nationaliser les politiques daide aux plus démunis. Budgétairement, il sagirait pour la France dune opération neutre. Il serait toutefois aisé de caricaturer les choses, et daffirmer que lEurope accepte de verser des milliards aux banques en difficulté, mais refuse daider les pauvres. Cest pourquoi Bruno Le Maire et moi-même essayons de lever la minorité de blocage, en proposant dutiliser deux budgets différents, un pour la PAC, lautre pour la solidarité ; malheureusement, cela semble mal engagé. Avec beaucoup dintelligence, Bruno Le Maire na pas fait acter le refus et la décision a été renvoyée au Conseil du 20 octobre. Dici là, nous allons activer notre diplomatie.
Une pérennisation du PEAD ne poserait aucun problème au budget européen, puisque la ligne budgétaire existe. Mes homologues allemand et tchèque semblent prêts à accepter un régime transitoire pour les deux ans qui nous séparent des perspectives financières 2014-2020, sous réserve que ce ne soit pas en contradiction avec larrêt de la cour de Karlsruhe. Soyez en tout cas assurés de notre détermination sur ce dossier.
Quant au Royaume-Uni, il fait partie de la minorité de blocage.
Q - (Sur la politique européenne en matière de viticulture)
R - Robert Lecou et Philippe Armand Martin mont interrogé sur la politique européenne en matière de viticulture, notamment sur la suppression des droits de plantation et la réglementation de lirrigation de la vigne. Nous souhaitons que celle-ci continue de relever du niveau national. Actuellement, en effet, lirrigation de la vigne est régie par un décret qui, sil lencadre strictement, ne linterdit pas. Un assouplissement de cette réglementation est envisageable. A loccasion de la dernière modification du programme de développement rural pour lhexagone, le gouvernement a proposé à Bruxelles un nouveau dispositif de soutien aux infrastructures liées à lévolution et ladaptation du secteur agricole, qui répond exactement à la problématique du Languedoc-Roussillon. La Commission devrait nous donner sa réponse dans quelques jours et je pense pouvoir dire que nous devrions obtenir gain de cause.
La lettre adressée à la Commission par douze pays membres, dont la France, pour le maintien des droits de plantation au-delà de lannée 2015 devrait également obtenir une réponse positive.
Q - (Sur ladhésion de la Croatie à lUnion européenne)
R - Sagissant de ladhésion de la Croatie à lUnion européenne, nous sommes dans la phase finale du processus : le traité dadhésion doit être signé le 19 décembre, ladhésion elle-même devant intervenir en juillet 2013. Bruxelles continuera dexercer sa surveillance jusquà ladhésion.
Q - (Sur la situation économique et financière)
R - En ce qui concerne le G 20, notre préoccupation est double : que la Présidence française soit loccasion de lui imprimer une forte impulsion et que lUnion européenne y parle dune même voix. Comme vous le savez, la France a souhaité que le G 20 ne se limite pas aux problématiques économiques et financières mais quil aborde également les questions sociales. Deuxièmement, pour être crédible, lEurope doit proposer une réponse commune aux difficultés que nous traversons.
Cest aussi lobjectif des normes définies dans le cadre de Bâle III, telles que lobligation pour les banques daugmenter leurs fonds propres. Dès le premier semestre 2011, les banques françaises ont augmenté leurs fonds propres de dix milliards deuros, ce qui correspond exactement à leur niveau dexposition à la dette grecque. Il faut, à ce propos, rappeler à nos concitoyens que laide à la Grèce est, au-delà de lobligation morale, de notre intérêt économique : un manque de solidarité vis-à-vis de la Grèce nous exposerait au risque dun «effet domino», la crise de la dette souveraine sétendant par contagion à lItalie, à lEspagne et à dautres pays. Quon se rappelle que cest le refus du gouvernement américain de venir au secours dune banque qui est à lorigine de la crise financière mondiale.
En ce qui concerne la taxation des transactions financières, jespère que le G 20 saura adopter une position ferme et claire. A défaut dun accord des États-Unis, linstauration de cette taxe au niveau européen constituerait un message très fort, celui dune Europe nouvelle, plus juste et plus efficace. Une telle taxe serait en effet satisfaisante sur le plan moral, puisquelle frapperait la spéculation financière, à lorigine de la crise que nous traversons, épargnant léconomie réelle et le citoyen. Elle présenterait en outre les caractéristiques du bon impôt : un taux faible frappant une assiette large, garantie de stabilité et de rentabilité, même au cas où Londres sexclurait du dispositif : ce nest pas un taux de 0,05 % qui viderait les places financières européennes. Jespère en outre que le G 20 ne renverra pas à 2018 la mise en place de cette taxe, comme daucuns le proposent : un tel délai est une éternité pour les marchés financiers.
Il est à espérer aussi que lEurope ne se contentera pas du Fonds européen de stabilité financière, mais quelle parviendra à mettre en place un dispositif plus puissant et plus réactif de gouvernance économique, propre à contrebalancer la fébrilité des marchés. Osons le mot : il faut désormais passer à une économie plus fédérale. Il ne faut certes pas jeter le bébé avec leau du bain, ni casser le thermomètre lorsquon a la fièvre.
Les agences de notation sont utiles, mais il faut reconnaître que, faute de critères objectifs, leur fiabilité laisse à désirer. Surtout, elles ne devraient pas stigmatiser des dirigeants démocratiquement élus, comme elles le font lorsquelles dégradent la note des États-Unis sous prétexte que les représentants démocrates et républicains ne sont pas parvenus à un accord. En démocratie, ce sont les peuples qui notent les dirigeants. On peut aussi leur reprocher leur manque de transparence, propice aux conflits dintérêts. Cest précisément parce quelles navaient pas prévu la crise de 2008 quelles en remettent aujourdhui dans la sévérité.
Pour en revenir au G 20, la France a souhaité associer à ses décisions ceux des pays européens qui nen étaient pas membres, notamment la Pologne, qui assure cette année la présidence de lUnion européenne.
Q - (Sur la contribution au budget européen)
R - En 2011, la France aura contribué au budget européen à hauteur de 18,5 milliards deuros. Je voudrais profiter de loccasion pour exprimer un avis personnel. Limpossibilité pour les parlementaires nationaux de négocier la contribution de leur pays au budget européen, ainsi que la garantie symétrique de recettes dont disposent les députés européens me semblent constituer une atteinte à la souveraineté du Parlement européen. Ne vaudrait-il pas mieux asseoir le budget européen sur un prélèvement européen, une taxation sur les transactions financières par exemple, qui permettrait au Parlement européen de ne plus dépendre des contributions nationales ? Un tel système présenterait un autre avantage : celui den finir avec léternel «I want my money back». Il est temps de réfléchir aux moyens de rendre le budget européen plus efficace en matière de croissance et de création demplois. La cure de réalisme qui simpose à nous doit être loccasion de faire mieux avec autant.
Q - (Sur le règlement de la crise financière)
R - En ce qui concerne la Grèce, je partage votre analyse : lEurope a les moyens de surmonter cette crise. Cependant de nombreuses incertitudes continuent à peser sur la réponse européenne et laccord du 21 juillet ne les a pas dissipées. Ces doutes me semblent à lorigine du scepticisme des marchés, et il est à craindre que la situation ne se dégrade tant quon naura pas de certitude quant au montant de laide, à la capacité du Fonds de stabilité à faire face à cette crise, aux mécanismes qui seront mis en uvre - Fonds européen de stabilité ou Mécanisme européen de stabilité -, à la participation des banques et à leur solvabilité.
Je ne doute pas de la légitimité du rôle du couple franco-allemand dans la résolution de cette crise. Mais lAllemagne est empêtrée dans un juridisme absurde : comment lEurope entière peut-elle être ainsi suspendue aux arrêts incompréhensibles des pythies de Karlsruhe ? Sy ajoutent les divisions au sein de la coalition au pouvoir, certains souhaitant assumer un fédéralisme que les autres refusent. La France, quant à elle, est empêchée par ses problèmes économiques. Dans un tel contexte, et au vu de léchec du processus intergouvernemental, le renforcement des institutions communautaires proposé par Barroso nest pas irrecevable. Cest quand la Commission était forte que lEurope a avancé. Il est vrai quon na pas tous les jours un Jacques Delors sous la main.
Q - (Sur le Programme européen daide aux plus démunis et le Fonds social européen)
R - On peut envisager une inclusion du PEAD au FSE, à la condition que celui-ci soit abondé à due concurrence. Restera le problème de lhétérogénéité des mécanismes daide alimentaire dans lUnion européenne. La solution la plus sécurisée serait de demander aux budgets nationaux de faire lavance financière jusquà ce que le problème soit résolu, mais une telle solution a linconvénient de consacrer un recul de lEurope dans ce domaine. En tout état de cause, nous poursuivons nos efforts pour préserver lenveloppe de 500 millions deuros durant la période de transition.
Q - (Sur le montant du Fonds européen de stabilité financière)
R - Je ne comprends pas ceux qui parlent de linsuffisance du montant du Fonds européen de stabilité financière, quand les moyens du FMI sont à peine deux fois ceux du FESF. Si on adopte une telle logique, les réserves du fonds devraient couvrir lensemble des dettes souveraines de la zone euro ! Aujourdhui seuls 10 % de ce montant ont été dépensés pour venir au secours de la Grèce, de lIrlande ou du Portugal. Abonder encore le fonds serait même un mauvais signal lancé aux marchés. Il vaut mieux privilégier une démarche préventive, par exemple en intervenant sur les marchés secondaires ou en recapitalisant les banques en difficulté.
Q - (Sur le système bancaire français)
R - Le système bancaire français semble sécurisé. Alors que les normes de Bâle III nentrent en application quen 2013, les banques françaises ont déjà remboursé les 60 milliards deuros que lÉtat leur avait avancés à la suite de la faillite de Lehman Brothers, y ajoutant 2,8 milliards dintérêts. De plus, elles ont augmenté leurs fonds propres de dix milliards deuros en six mois, soit exactement le niveau de leur exposition à la dette grecque. Enfin elles ont subi le stress test avec succès. Cela ne nous dispense pas de réformer le système bancaire international, et cest dailleurs un des sujets inscrits à lordre du jour du G 20.
Q - (Sur la balance commerciale de la zone euro avec la Chine)
R - Oui, lUnion européenne parlera de réciprocité à la Chine. Il ne sagit pas de revenir au protectionnisme, mais de ne plus être naïf : est-il normal que le déficit de la balance commerciale de la zone euro avec ce pays sélève à deux mille milliards deuros en vingt ans ? Est-il normal que les partenaires commerciaux de lUnion européenne soient exemptés des règles strictes que celle-ci simpose ? Ce nest même plus une question de réciprocité, mais de loyauté des échanges commerciaux. Un marché unique de 500 millions de personnes constitue un formidable atout, à la condition que ses règles simposent aussi aux partenaires extérieurs.
Q - (Sur la convergence franco-allemande sur le plan social et fiscal)
R - Jai cru comprendre, Monsieur Caresche, que vous déploriez labsence dune personnalité comme Jacques Delors à la tête de la Commission : je ne peux que partager ce sentiment.
La convergence franco-allemande sur le plan social et fiscal est une obligation : on ne peut pas demander au peuple allemand dêtre solidaire de peuples qui nont pas supporté les mêmes sacrifices que lui. Cela ne signifie pas quil faille porter lâge de la retraite en France à soixante-sept ans. Aucun membre du Gouvernement ne la prétendu, et surtout pas le Premier ministre. Cela signifie simplement quaujourdhui lobligation de solidarité suppose une obligation symétrique de discipline.
Q - (Sur le contrôle de constitutionnalité allemand)
R - Ce qui peut paraître relever dun juridisme irritant aux yeux des Français, Monsieur Caresche, nest quune application normale du contrôle de constitutionnalité allemand. La cour de Karlsruhe a dailleurs rendu un arrêt très pro-européen.
Q - (Sur une éventuelle renégociation du Traité de Lisbonne)
R - Pitié, quon ne nous parle pas de renégociation du Traité de Lisbonne ! Pensez-vous quil serait raisonnable, dans une situation de crise aggravée, de perdre encore trois ou quatre ans à renégocier et à soumettre au peuple français un nouveau projet de traité ?
Q - (Sur la gouvernance économique de lUnion européenne)
R - Je pense que cest tout à fait possible et que loutil à notre disposition nest pas si mauvais que ça. Il permet déjà davancer sans être bloqué par la règle de lunanimité, de donner plus de pouvoir au Parlement, ou de créer des dispositifs dadaptation tels que le Fonds européen de stabilité financière ou le Mécanisme européen de stabilité. Il sagit surtout de convaincre les peuples français et allemand que cette solidarité européenne ne nous est pas imposée par les technocrates de Bruxelles, mais commandée par lintérêt des peuples.
Q - (Sur la Conférence des Organes spécialisés dans les Affaires communautaires et européennes des Parlements de lUnion européenne)
R - A propos de la COSAC, il faut rappeler que le Traité de Lisbonne a renforcé les pouvoirs des Parlements et réaffirmé le principe de subsidiarité, dont le respect sera vérifié par la Cour de justice de lUnion européenne. La présidence polonaise a eu le grand mérite dimpliquer les parlements nationaux, à côté du Parlement européen, dans le débat sur les perspectives financières. On ne pourra pas faire évoluer lEurope en excluant les parlements nationaux du processus.
Q - (Sur le projet dActe pour le marché unique)
R - Lharmonisation de lassiette de limpôt sur les sociétés est un des objectifs du projet dActe pour le marché unique préparé par Michel Barnier. Même si ce projet a été relancé par la Commission, les conditions dune coopération renforcée en la matière ne sont pas réunies pour linstant. Il faut espérer que linitiative franco-allemande constituera un précédent susceptible dentraîner dautres États membres sur la voie dune harmonisation de lIS. Si on veut renforcer la solidarité européenne, il faudra bien aller dans ce sens : comment demander aux Français, soumis à un taux dIS de 34 %, daider lIrlande, où il est de 12,5 % ? Je précise que convergence ne veut pas dire similitude.
Q - (Sur le dialogue franco-allemand)
R - Quand vous opposez, Monsieur Caresche, une France faible sur le plan économique à une Allemagne faible sur le plan politique, vous reconnaissez que la France est forte sur le plan politique. Pour avoir rencontré toutes les tendances politiques représentées au Bundestag, je savais que les députés sociaux-démocrates voteraient avec enthousiasme le renforcement du fonds européen de solidarité. Ce que Mme Merkel craignait, cétait davoir besoin des voix de lopposition, dans la mesure où elle se serait retrouvée considérablement affaiblie dans une telle hypothèse. La chancelière étant désormais débarrassée de cette crainte, le dialogue franco-allemand peut reprendre. La leçon quil faut en tirer, cest que tout ce qui renforce un des partenaires sur le plan politique renforce le couple franco-allemand.
Q - (Sur lorganisation des transports ferroviaire)
R - Les transports sont en effet essentiels pour la constitution dun marché intérieur, mais lorganisation de ce secteur reste très différente selon les États membres, en particulier celle du transport ferroviaire. Le Gouvernement français, comme la Commission européenne, travaille à améliorer lefficacité du transport ferroviaire européen, ce qui ne peut que contribuer à la croissance européenne.
Je voudrais dire pour conclure que le choix nest pas entre le statu quo et le retour en arrière : soit nous nous contentons de régler les problèmes de lheure, soit nous franchissons une étape décisive, suivant limpulsion donnée par le président de la République. Aujourdhui le monde, où linterdépendance na jamais été aussi forte, bascule vers un autre modèle. Ces bouleversements nous imposent de modifier notre conception de lEurope. La crise peut nous ouvrir de nouvelles perspectives en matière dintégration européenne. Aujourdhui, celle-ci nest plus seulement une problématique deurocrates, mais un enjeu majeur pour nos concitoyens, pour leur vie quotidienne et lidée quils se font de la démocratie et de la liberté. Puissions-nous, durant la période éminemment électorale qui va souvrir, conserver cela à lesprit.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 octobre 2011
Vous lavez dit, Monsieur le Président : lUnion est à la croisée des chemins. Il nous est impossible de maintenir le statu quo et il serait déraisonnable de revenir en arrière ; nous avons lobligation davancer mais le choix est difficile. Pour des raisons de timing, dabord : le temps des politiques nest évidemment pas le même que celui des marchés financiers. Ensuite, il faut savoir vers quoi nous voulons aller. Il est clair que pour avancer, il faut plus dintégration ; mais dans quel objectif, et pour quel idéal ?
Le premier défi est économique. La crise actuelle nest pas propre à la zone euro, elle est mondiale et liée aux dettes souveraines. Leuro est une monnaie forte et stable, aux capacités supérieures à celles du dollar. Soyons donc attentifs aux mots que lon utilise : cest la crise de la dette souveraine de certains pays de la zone euro qui met en danger la monnaie unique et la construction européenne.
Le deuxième défi est énergétique et environnemental. LEurope, qui est une démocratie évoluée, est consommatrice dénergie ; il faudra, dans lavenir, veiller au respect de lenvironnement, tout en préservant lindépendance énergétique de la zone.
La catastrophe de Fukushima nous rappelle en outre que, si nous devons garantir une sûreté maximale dans lensemble des installations nucléaires de notre pays, la question se pose à léchelle européenne ; le fait que certains pays, comme lAllemagne, naient pas fait les mêmes choix que nous ne doit pas nous empêcher dengager une réflexion commune sur la sécurité nucléaire, en matière dapprovisionnement comme en matière de protection des populations.
Enfin, lEurope est à un tournant politique. On observe avec inquiétude la montée des populismes et de leuroscepticisme. En France, le phénomène nest pas nouveau : rappelons que le référendum de 2005 a été perdu en grande partie parce que nos concitoyens ont rejeté une Europe qui leur apparaissait trop lointaine. Dans un contexte de crise économique, la tendance est souvent au repli sur soi, au retour sur le passé et au développement didéaux nationalistes ; les prises de décision deviennent particulièrement difficiles dans les pays aux majorités gouvernementales fragiles, qui se trouvent sous la pression dun euroscepticisme populaire grandissant.
On peut noter que cet euroscepticisme sest particulièrement développé en France, pays pourtant fortement impliqué dans la construction européenne. Si lon dit traditionnellement que lEurope se construit en surmontant les crises, vu la crise actuelle, létape sannonce décisive ! Ayons toutefois conscience quelle ne pourra être franchie sans un assentiment populaire ; il convient donc de partir à la reconquête dune fraction de la population qui considère que lEurope est technocratique et lointaine.
Ma conviction est que lEurope est notre meilleur atout pour relever les défis du XXIe siècle ; elle est porteuse de valeurs, dune culture et dune civilisation qui, sans être imposées aux autres peuples, doivent saffirmer à lintérieur de ses propres frontières.
Dans cette perspective, je vous propose de réfléchir à lintégration européenne que nous appelons de nos vux. Celle-ci passe dabord par le renforcement de la gouvernance économique. Si la réforme du Fonds européen de stabilité financière nest pas encore totalement acquise, il ne reste plus à obtenir que leur ratification par deux pays pour que les décisions du sommet du 21 juillet puissent être appliquées. Dans des systèmes démocratiques, il paraît normal que des décisions politiques aussi importantes soient prises, non en fonction de la fébrilité des marchés et de lévolution des notes, mais en suivant la voie parlementaire ! La France a ratifié laccord au début du mois de septembre, lAllemagne, à la fin du mois : les délais sont raisonnables.
Certes, jai conscience que les échéances semblent parfois lointaines et que, les discours ne se concrétisant pas toujours immédiatement, on peut penser que les politiques restent inactifs. Je rappelle cependant quavec la réforme du Fonds européen de stabilité financière capacité dintervenir sur les marchés secondaires et de recapitaliser les banques, dotation de 440 milliards deuros, avec la possibilité dobtenir un financement supplémentaire du FMI , nous disposerons dune réactivité de quelque 500 milliards deuros. Cela sera-t-il suffisant ? Rappelons que nous navons jusquà présent utilisé que 10 % des crédits disponibles. Si lon doublait le montant de ce fonds monétaire européen, on se retrouverait au niveau du FMI ! Faut-il autant dargent pour lEurope que pour le monde ? Cela ne reviendrait-il pas à envoyer un message négatif aux marchés, en laissant penser que nous nous préparons à une catastrophe ? Chaque jour, on nous annonce que la Grèce va faire défaut, que sa faillite est programmée, quelle va sortir de la zone euro, que leuro est une monnaie ancienne qui va disparaître, que les banques européennes vont seffondrer. Peut-être faudrait-il faire preuve dun peu plus de sang-froid, et privilégier la réactivité plutôt que la fébrilité.
Limportant est de mettre en uvre les décisions du 21 juillet. Le « six-pack », élément de contrôle et de sécurité qui avait été proposé par la Commission, vient dêtre adopté par le Parlement européen. Quant à la solution consistant à confier à Herman van Rompuy la responsabilité de piloter, de manière pérenne, lensemble du système, elle me paraît simposer. En période de crise, cest aux chefs dÉtat et de gouvernement de donner limpulsion ; ils ont davantage de légitimité démocratique à le faire que le président de la Commission européenne. Le couple franco-allemand a une histoire, et cest une réalité économique : ces deux pays pèsent à eux seuls plus de 50 % du PIB de la zone euro. Quand ils font une proposition, cela peut avoir un effet dentraînement ! Je nimagine pas M. Barroso, malgré tout son talent, être capable de proposer ce qui a été adopté le 21 juillet. Et que dirait-on si lon devait consulter la totalité des 27 États membres avant de faire la moindre proposition ?
Lintégration européenne, ce nest pas lintégration naïve. Naïve, lEurope la été longtemps, en laissant entrer dans la zone euro des pays qui nen avait peut-être pas la capacité. Rappelons toutefois que la Grèce, l'Espagne et le Portugal ne sont sortis du fascisme que récemment ; peut-être aurions-nous dû attendre lextension de lUnion vers lest, mais les pays concernés étaient eux-mêmes en train de se libérer du totalitarisme. Dans ce contexte, on ne sest pas inquiété de savoir si les nouveaux arrivants avaient le niveau économique nécessaire dautant moins que lon était dans une période de croissance. Mais en période de crise, les disparités sont criantes.
La deuxième erreur fut de créer une monnaie unique sans prévoir un pilotage économique, fiscal et financier. Il faut désormais franchir cette étape. Aujourdhui, il y a de facto une Europe à deux vitesses : dun côté, les pays de la zone euro, qui doivent passer à une intégration renforcée ; de lautre, les autres États membres. Il ny a aucune raison de mettre, par principe, des obstacles à une entrée dans la zone euro ; en revanche, on passe dune Europe naïve, en période de croissance, à une Europe réaliste, en période de crise, qui doit être à la fois plus intégrée et plus solide. Cest pourquoi il convient dappliquer à la Grèce tant la solidarité communautaire que la discipline budgétaire ; et cest pourquoi la troïka contrôle et quun groupe dexperts accompagne la mise en uvre des décisions courageuses prises par les dirigeants grecs.
Je reviens de Pologne, où lon a discuté du Partenariat oriental. Des pays comme la Biélorussie, lUkraine ou la Moldavie sont très éloignés de lintégration européenne. Le fait de développer un partenariat avec eux ne peut pas signifier quil sagit dune étape préliminaire à leur intégration. La France a dailleurs exprimé avec force, par la voix du Premier ministre, quil ne pourra y avoir daccord de libre-échange avec la Biélorussie et, dans une moindre mesure, avec lUkraine, tant que ces pays ne seront pas des États de droit. La France restera très vigilante sur ce point.
Quant aux Balkans, on sait les tensions que ces pays ont connues et les crimes contre lhumanité qui y ont été commis. LEurope doit leur laisser entrevoir un avenir européen, tout en étant exigeante sur la nécessité dune paix entre les États et entre les peuples.
Je rappelle enfin que la France apporte son soutien au Partenariat sud.
Les négociations sur les prochaines perspectives financières débutent. Tout ce que je peux dire, cest que la France nacceptera pas quelles ne prévoient pas la stabilité du budget de la Politique agricole commune (PAC) et quelle demandera une expertise sur les autres budgets. La France considère que les propositions de la Commission sont trop chères ; on ne peut pas à la fois exiger des États membres des sacrifices budgétaires et prévoir des augmentations de lordre de 9 % sur certains dispositifs européens. Il ne sagit pas de dépenser davantage, mais de dépenser mieux.
Par ailleurs, il convient de remanier les fonds structurels. Ayons le courage de tirer la leçon de la crise grecque : le versement accéléré des fonds structurels na pas empêché la Grèce de se trouver dans une situation économique extrêmement fragile. Il faut se donner les moyens dimposer aux États bénéficiaires tout à la fois une discipline budgétaire et une orientation des crédits vers la croissance et vers lemploi.
Le Programme européen daide aux plus démunis (PEAD) est une de nos préoccupations, à Bruno Le Maire et à moi-même : le président de la République et le Premier ministre nous ont donné la mission de faire aboutir ce dossier, dune façon ou dune autre.
Quant à la Politique de sécurité et de défense commune, cest aussi un de nos objectifs. Même si nous nous heurtons actuellement à une opposition britannique, nous ny renoncerons pas.
La crise actuelle est le passage entre un monde qui sachève et un monde qui se construit. LEurope doit désormais se construire différemment. Elle doit respecter ses frontières, être attachée à lespace Schengen tout en affirmant le droit des peuples à faire respecter lordre public. Elle doit parler ouvertement aux pays qui sont encore loin de la démocratie, tout en étant extrêmement exigeante en matière de droits de lHomme. Elle doit défendre une certaine idée de la culture et de la civilisation, tout en se protégeant et en protégeant les peuples. Dans les échanges commerciaux, la réciprocité doit simposer ; nous ne pouvons plus tolérer que certains ne respectent pas les règles sociales et environnementales en vigueur sur le marché européen, et que la réciprocité ne sapplique pas. LEurope a des frontières, elle parle au monde au travers de ces frontières, et elle demande à ceux qui veulent entrer de respecter ses règles intérieures. Je vous incite à relire ce que Claude Levi-Strauss a écrit sur laltérité et lidentité, ainsi que léloge des frontières par Régis Debray. Il faut franchir cette étape politique indispensable.
Q - (Sur la question des flux migratoires)
R - Monsieur Quentin, la France et lAllemagne avaient proposé à la Roumanie et à la Bulgarie une entrée dans lEspace Schengen en deux étapes : une première étape aérienne et maritime ; une deuxième étape terrestre on avait eu du mal à leur faire comprendre que lon ne voulait pas fixer de calendrier précis pour la deuxième étape, compte tenu du fait que lon souhaitait disposer dun certain nombre déléments de surveillance. Les éléments que nous avions en notre possession faisaient apparaître des efforts importants de la part de ces deux pays en matière de lutte contre la corruption et daccès à la démocratie, ainsi quune participation des policiers roumains à la gestion des flux migratoires. Je précise à ce sujet que, contrairement à ce que daucuns pourraient croire, il nexiste aucune relation entre lappartenance à lEspace Schengen et le volume des flux migratoires.
Les Pays-Bas et la Finlande ont opposé leur veto à une intégration de la Roumanie et de la Bulgarie à lespace Schengen. Jai essayé, avec mes homologues bulgare et roumain, de proposer une solution intermédiaire à nos partenaires néerlandais, mais ceux-ci lont refusée.
La situation dans laquelle nous nous trouvons est fort délicate. On a déjà demandé beaucoup defforts à la Roumanie et à la Bulgarie ; certes, ils doivent encore en faire, mais il me semble dangereux de laisser sans échéances et sans objectifs des pays qui nont accédé que récemment à la démocratie, et où le retour à des conceptions antieuropéennes est toujours possible.
La France, en concertation avec les Allemands, a fait ce quelle devait faire. La présidence polonaise avait accepté le principe dune double étape. La question sera probablement évoquée au prochain Conseil européen, ce qui nest pas une bonne chose car cela risque de polluer lensemble de la réunion.
Nous estimons quant à nous que la Roumanie et la Bulgarie ont vocation à entrer dans lEspace Schengen, et que ce serait même un élément de sécurité et de contrôle. Il reste que notre proposition intermédiaire a été refusée. Nous sommes donc en train de réfléchir aux suites à donner à ce dossier.
Schengen est un acquis majeur. Il nest pas question de revenir dessus. En revanche, les questions dordre public sont une compétence nationale, que lon ne peut pas communautariser ; le gouvernement français considère quune remise en cause du droit des nations à évaluer les atteintes à lordre public nest pas acceptable.
Des situations exceptionnelles peuvent être provoquées par des flux migratoires, soit en raison de leur importance, soit en raison dun risque de déstabilisation ; nous demandons donc quil y ait une clause de sauvegarde, et quelle soit entérinée.
La France a été confrontée à un flux migratoire de Tunisiens en provenance dItalie, pays qui avait, pendant un certain temps, accordé des visas provisoires et qui navait pas été capable détablir un contrôle à la périphérie. Il eût été logique de pouvoir renvoyer ces gens en Italie. Comme cela na pas été possible, nous avons rétabli provisoirement le contrôle aux frontières. Cela na rien à voir avec ce qui sétait produit au Danemark sous le précédent gouvernement, lorsque le contrôle aux frontières avait été rétabli sans que lon se trouve dans une situation exceptionnelle.
Nous sommes favorables à lEspace Schengen, mais aussi au renforcement des frontières extérieures. Il faut quavec lappui de lAgence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de lUnion européenne (Frontex), on aide les pays qui, comme la Pologne ou la Grèce, ont du mal à contrôler les frontières extérieures. Mais, quand on aboutit à un constat déchec, il faut pouvoir faire jouer la clause de sauvegarde et la «double coque».
Il faut donc distinguer les situations exceptionnelles, pour lesquelles des mesures dordre public simposent, et les problèmes chroniques, qui nécessitent aide, surveillance, rappels à lordre et, éventuellement, sanctions. Sur ce point, la proposition de résolution présentée par M. Quentin est conforme à la position du Gouvernement français, qui est elle-même soutenue par le Conseil européen.
Q - (Sur les grands projets européens)
R -Monsieur Deflesselles, les grands projets européens emblématiques, comme GEMS, Galileo ou ITER, ne sont pas inclus dans les perspectives financières. La France juge cela inacceptable. Peut-être sagit-il dun artifice de négociation, destiné à obtenir une forte augmentation du budget européen sous peine de labandon des grands projets ; une telle présentation nous paraît intolérable.
Q - (Sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre)
R - La conférence de Durban sinscrit dans le droit fil du protocole de Kyoto. On doit y prendre des décisions importantes. La France est le promoteur du mécanisme dinclusion carbone aux frontières de lUnion européenne, que daucuns présentent comme une mesure protectionniste, alors quil sagit simplement de faire respecter lenvironnement. La difficulté est de conclure des accords bilatéraux. LEurope doit prendre les initiatives nécessaires pour poursuivre ce qui a été fait sous limpulsion française et capitaliser les résultats de la conférence de Cancún.
Jen profite pour féliciter Bernard Deflesselles et Jérôme Lambert pour leur engagement dans ce domaine. Si lEurope parvenait à imposer une mesure qui se heurte actuellement à la réticence de la Chine et des États-Unis, ce serait très bénéfique pour son image. Continuons donc à nous battre en ce sens, tout en maintenant nos objectifs de réduction de 20 % de nos émissions de gaz à effet de serre et daugmentation de 20 % de notre efficacité énergétique.
Q - (Sur lélargissement de lUnion européenne aux Balkans)
R -Sagissant de lélargissement de lUnion européenne aux Balkans, je dois me rendre dans les deux prochains jours, avec le président Lequiller, en Croatie et en Serbie. Nous transmettrons à la Croatie le message livré par Michel Herbillon : cest le résultat dune démarche exigeante et efficace, qui a été pilotée en grande partie par le couple franco-allemand. Le processus dadhésion a débuté il y a presque dix ans, et cest en raison des perspectives européennes que de si grands progrès ont été enregistrés dans ce pays.
Nous dirons par ailleurs à nos amis serbes quils ont également vocation à entrer dans lUnion européenne, sans que cela ne saccompagne daucun diktat. En revanche, une démarche dadhésion suppose que lon ait fait la paix avec ses voisins. Ne multiplions pas les situations de conflit, comme à Chypre ; il faut au contraire jouer sur lattractivité de ladhésion à lUnion européenne pour aider ces pays à faire progresser la démocratie et létat de droit et à apaiser leurs relations avec leurs voisins.
Q - (Sur le programme européen daide aux plus démunis)
R - Le PEAD consistait à récupérer les surplus de la politique agricole commune (PAC) pour les donner aux plus démunis. Son fonctionnement sest avéré satisfaisant jusquau jour où, faute de surplus, il a fallu acheter directement des produits alimentaires : dès lors, il ne sagissait plus dune action communautaire. Laffaire ayant été portée devant les tribunaux, la sanction est tombée.
En la matière, la situation des États membres est très disparate ; en Allemagne, laide aux plus démunis relève ainsi de la responsabilité des länder. Les retours financiers sont relativement faibles : ils sont, pour la France, de lordre de 60 à 70 millions deuros. Néanmoins, je considère quil sagit dun mauvais coup porté à limage de lEurope.
La solution la plus simple serait de nationaliser les politiques daide aux plus démunis. Budgétairement, il sagirait pour la France dune opération neutre. Il serait toutefois aisé de caricaturer les choses, et daffirmer que lEurope accepte de verser des milliards aux banques en difficulté, mais refuse daider les pauvres. Cest pourquoi Bruno Le Maire et moi-même essayons de lever la minorité de blocage, en proposant dutiliser deux budgets différents, un pour la PAC, lautre pour la solidarité ; malheureusement, cela semble mal engagé. Avec beaucoup dintelligence, Bruno Le Maire na pas fait acter le refus et la décision a été renvoyée au Conseil du 20 octobre. Dici là, nous allons activer notre diplomatie.
Une pérennisation du PEAD ne poserait aucun problème au budget européen, puisque la ligne budgétaire existe. Mes homologues allemand et tchèque semblent prêts à accepter un régime transitoire pour les deux ans qui nous séparent des perspectives financières 2014-2020, sous réserve que ce ne soit pas en contradiction avec larrêt de la cour de Karlsruhe. Soyez en tout cas assurés de notre détermination sur ce dossier.
Quant au Royaume-Uni, il fait partie de la minorité de blocage.
Q - (Sur la politique européenne en matière de viticulture)
R - Robert Lecou et Philippe Armand Martin mont interrogé sur la politique européenne en matière de viticulture, notamment sur la suppression des droits de plantation et la réglementation de lirrigation de la vigne. Nous souhaitons que celle-ci continue de relever du niveau national. Actuellement, en effet, lirrigation de la vigne est régie par un décret qui, sil lencadre strictement, ne linterdit pas. Un assouplissement de cette réglementation est envisageable. A loccasion de la dernière modification du programme de développement rural pour lhexagone, le gouvernement a proposé à Bruxelles un nouveau dispositif de soutien aux infrastructures liées à lévolution et ladaptation du secteur agricole, qui répond exactement à la problématique du Languedoc-Roussillon. La Commission devrait nous donner sa réponse dans quelques jours et je pense pouvoir dire que nous devrions obtenir gain de cause.
La lettre adressée à la Commission par douze pays membres, dont la France, pour le maintien des droits de plantation au-delà de lannée 2015 devrait également obtenir une réponse positive.
Q - (Sur ladhésion de la Croatie à lUnion européenne)
R - Sagissant de ladhésion de la Croatie à lUnion européenne, nous sommes dans la phase finale du processus : le traité dadhésion doit être signé le 19 décembre, ladhésion elle-même devant intervenir en juillet 2013. Bruxelles continuera dexercer sa surveillance jusquà ladhésion.
Q - (Sur la situation économique et financière)
R - En ce qui concerne le G 20, notre préoccupation est double : que la Présidence française soit loccasion de lui imprimer une forte impulsion et que lUnion européenne y parle dune même voix. Comme vous le savez, la France a souhaité que le G 20 ne se limite pas aux problématiques économiques et financières mais quil aborde également les questions sociales. Deuxièmement, pour être crédible, lEurope doit proposer une réponse commune aux difficultés que nous traversons.
Cest aussi lobjectif des normes définies dans le cadre de Bâle III, telles que lobligation pour les banques daugmenter leurs fonds propres. Dès le premier semestre 2011, les banques françaises ont augmenté leurs fonds propres de dix milliards deuros, ce qui correspond exactement à leur niveau dexposition à la dette grecque. Il faut, à ce propos, rappeler à nos concitoyens que laide à la Grèce est, au-delà de lobligation morale, de notre intérêt économique : un manque de solidarité vis-à-vis de la Grèce nous exposerait au risque dun «effet domino», la crise de la dette souveraine sétendant par contagion à lItalie, à lEspagne et à dautres pays. Quon se rappelle que cest le refus du gouvernement américain de venir au secours dune banque qui est à lorigine de la crise financière mondiale.
En ce qui concerne la taxation des transactions financières, jespère que le G 20 saura adopter une position ferme et claire. A défaut dun accord des États-Unis, linstauration de cette taxe au niveau européen constituerait un message très fort, celui dune Europe nouvelle, plus juste et plus efficace. Une telle taxe serait en effet satisfaisante sur le plan moral, puisquelle frapperait la spéculation financière, à lorigine de la crise que nous traversons, épargnant léconomie réelle et le citoyen. Elle présenterait en outre les caractéristiques du bon impôt : un taux faible frappant une assiette large, garantie de stabilité et de rentabilité, même au cas où Londres sexclurait du dispositif : ce nest pas un taux de 0,05 % qui viderait les places financières européennes. Jespère en outre que le G 20 ne renverra pas à 2018 la mise en place de cette taxe, comme daucuns le proposent : un tel délai est une éternité pour les marchés financiers.
Il est à espérer aussi que lEurope ne se contentera pas du Fonds européen de stabilité financière, mais quelle parviendra à mettre en place un dispositif plus puissant et plus réactif de gouvernance économique, propre à contrebalancer la fébrilité des marchés. Osons le mot : il faut désormais passer à une économie plus fédérale. Il ne faut certes pas jeter le bébé avec leau du bain, ni casser le thermomètre lorsquon a la fièvre.
Les agences de notation sont utiles, mais il faut reconnaître que, faute de critères objectifs, leur fiabilité laisse à désirer. Surtout, elles ne devraient pas stigmatiser des dirigeants démocratiquement élus, comme elles le font lorsquelles dégradent la note des États-Unis sous prétexte que les représentants démocrates et républicains ne sont pas parvenus à un accord. En démocratie, ce sont les peuples qui notent les dirigeants. On peut aussi leur reprocher leur manque de transparence, propice aux conflits dintérêts. Cest précisément parce quelles navaient pas prévu la crise de 2008 quelles en remettent aujourdhui dans la sévérité.
Pour en revenir au G 20, la France a souhaité associer à ses décisions ceux des pays européens qui nen étaient pas membres, notamment la Pologne, qui assure cette année la présidence de lUnion européenne.
Q - (Sur la contribution au budget européen)
R - En 2011, la France aura contribué au budget européen à hauteur de 18,5 milliards deuros. Je voudrais profiter de loccasion pour exprimer un avis personnel. Limpossibilité pour les parlementaires nationaux de négocier la contribution de leur pays au budget européen, ainsi que la garantie symétrique de recettes dont disposent les députés européens me semblent constituer une atteinte à la souveraineté du Parlement européen. Ne vaudrait-il pas mieux asseoir le budget européen sur un prélèvement européen, une taxation sur les transactions financières par exemple, qui permettrait au Parlement européen de ne plus dépendre des contributions nationales ? Un tel système présenterait un autre avantage : celui den finir avec léternel «I want my money back». Il est temps de réfléchir aux moyens de rendre le budget européen plus efficace en matière de croissance et de création demplois. La cure de réalisme qui simpose à nous doit être loccasion de faire mieux avec autant.
Q - (Sur le règlement de la crise financière)
R - En ce qui concerne la Grèce, je partage votre analyse : lEurope a les moyens de surmonter cette crise. Cependant de nombreuses incertitudes continuent à peser sur la réponse européenne et laccord du 21 juillet ne les a pas dissipées. Ces doutes me semblent à lorigine du scepticisme des marchés, et il est à craindre que la situation ne se dégrade tant quon naura pas de certitude quant au montant de laide, à la capacité du Fonds de stabilité à faire face à cette crise, aux mécanismes qui seront mis en uvre - Fonds européen de stabilité ou Mécanisme européen de stabilité -, à la participation des banques et à leur solvabilité.
Je ne doute pas de la légitimité du rôle du couple franco-allemand dans la résolution de cette crise. Mais lAllemagne est empêtrée dans un juridisme absurde : comment lEurope entière peut-elle être ainsi suspendue aux arrêts incompréhensibles des pythies de Karlsruhe ? Sy ajoutent les divisions au sein de la coalition au pouvoir, certains souhaitant assumer un fédéralisme que les autres refusent. La France, quant à elle, est empêchée par ses problèmes économiques. Dans un tel contexte, et au vu de léchec du processus intergouvernemental, le renforcement des institutions communautaires proposé par Barroso nest pas irrecevable. Cest quand la Commission était forte que lEurope a avancé. Il est vrai quon na pas tous les jours un Jacques Delors sous la main.
Q - (Sur le Programme européen daide aux plus démunis et le Fonds social européen)
R - On peut envisager une inclusion du PEAD au FSE, à la condition que celui-ci soit abondé à due concurrence. Restera le problème de lhétérogénéité des mécanismes daide alimentaire dans lUnion européenne. La solution la plus sécurisée serait de demander aux budgets nationaux de faire lavance financière jusquà ce que le problème soit résolu, mais une telle solution a linconvénient de consacrer un recul de lEurope dans ce domaine. En tout état de cause, nous poursuivons nos efforts pour préserver lenveloppe de 500 millions deuros durant la période de transition.
Q - (Sur le montant du Fonds européen de stabilité financière)
R - Je ne comprends pas ceux qui parlent de linsuffisance du montant du Fonds européen de stabilité financière, quand les moyens du FMI sont à peine deux fois ceux du FESF. Si on adopte une telle logique, les réserves du fonds devraient couvrir lensemble des dettes souveraines de la zone euro ! Aujourdhui seuls 10 % de ce montant ont été dépensés pour venir au secours de la Grèce, de lIrlande ou du Portugal. Abonder encore le fonds serait même un mauvais signal lancé aux marchés. Il vaut mieux privilégier une démarche préventive, par exemple en intervenant sur les marchés secondaires ou en recapitalisant les banques en difficulté.
Q - (Sur le système bancaire français)
R - Le système bancaire français semble sécurisé. Alors que les normes de Bâle III nentrent en application quen 2013, les banques françaises ont déjà remboursé les 60 milliards deuros que lÉtat leur avait avancés à la suite de la faillite de Lehman Brothers, y ajoutant 2,8 milliards dintérêts. De plus, elles ont augmenté leurs fonds propres de dix milliards deuros en six mois, soit exactement le niveau de leur exposition à la dette grecque. Enfin elles ont subi le stress test avec succès. Cela ne nous dispense pas de réformer le système bancaire international, et cest dailleurs un des sujets inscrits à lordre du jour du G 20.
Q - (Sur la balance commerciale de la zone euro avec la Chine)
R - Oui, lUnion européenne parlera de réciprocité à la Chine. Il ne sagit pas de revenir au protectionnisme, mais de ne plus être naïf : est-il normal que le déficit de la balance commerciale de la zone euro avec ce pays sélève à deux mille milliards deuros en vingt ans ? Est-il normal que les partenaires commerciaux de lUnion européenne soient exemptés des règles strictes que celle-ci simpose ? Ce nest même plus une question de réciprocité, mais de loyauté des échanges commerciaux. Un marché unique de 500 millions de personnes constitue un formidable atout, à la condition que ses règles simposent aussi aux partenaires extérieurs.
Q - (Sur la convergence franco-allemande sur le plan social et fiscal)
R - Jai cru comprendre, Monsieur Caresche, que vous déploriez labsence dune personnalité comme Jacques Delors à la tête de la Commission : je ne peux que partager ce sentiment.
La convergence franco-allemande sur le plan social et fiscal est une obligation : on ne peut pas demander au peuple allemand dêtre solidaire de peuples qui nont pas supporté les mêmes sacrifices que lui. Cela ne signifie pas quil faille porter lâge de la retraite en France à soixante-sept ans. Aucun membre du Gouvernement ne la prétendu, et surtout pas le Premier ministre. Cela signifie simplement quaujourdhui lobligation de solidarité suppose une obligation symétrique de discipline.
Q - (Sur le contrôle de constitutionnalité allemand)
R - Ce qui peut paraître relever dun juridisme irritant aux yeux des Français, Monsieur Caresche, nest quune application normale du contrôle de constitutionnalité allemand. La cour de Karlsruhe a dailleurs rendu un arrêt très pro-européen.
Q - (Sur une éventuelle renégociation du Traité de Lisbonne)
R - Pitié, quon ne nous parle pas de renégociation du Traité de Lisbonne ! Pensez-vous quil serait raisonnable, dans une situation de crise aggravée, de perdre encore trois ou quatre ans à renégocier et à soumettre au peuple français un nouveau projet de traité ?
Q - (Sur la gouvernance économique de lUnion européenne)
R - Je pense que cest tout à fait possible et que loutil à notre disposition nest pas si mauvais que ça. Il permet déjà davancer sans être bloqué par la règle de lunanimité, de donner plus de pouvoir au Parlement, ou de créer des dispositifs dadaptation tels que le Fonds européen de stabilité financière ou le Mécanisme européen de stabilité. Il sagit surtout de convaincre les peuples français et allemand que cette solidarité européenne ne nous est pas imposée par les technocrates de Bruxelles, mais commandée par lintérêt des peuples.
Q - (Sur la Conférence des Organes spécialisés dans les Affaires communautaires et européennes des Parlements de lUnion européenne)
R - A propos de la COSAC, il faut rappeler que le Traité de Lisbonne a renforcé les pouvoirs des Parlements et réaffirmé le principe de subsidiarité, dont le respect sera vérifié par la Cour de justice de lUnion européenne. La présidence polonaise a eu le grand mérite dimpliquer les parlements nationaux, à côté du Parlement européen, dans le débat sur les perspectives financières. On ne pourra pas faire évoluer lEurope en excluant les parlements nationaux du processus.
Q - (Sur le projet dActe pour le marché unique)
R - Lharmonisation de lassiette de limpôt sur les sociétés est un des objectifs du projet dActe pour le marché unique préparé par Michel Barnier. Même si ce projet a été relancé par la Commission, les conditions dune coopération renforcée en la matière ne sont pas réunies pour linstant. Il faut espérer que linitiative franco-allemande constituera un précédent susceptible dentraîner dautres États membres sur la voie dune harmonisation de lIS. Si on veut renforcer la solidarité européenne, il faudra bien aller dans ce sens : comment demander aux Français, soumis à un taux dIS de 34 %, daider lIrlande, où il est de 12,5 % ? Je précise que convergence ne veut pas dire similitude.
Q - (Sur le dialogue franco-allemand)
R - Quand vous opposez, Monsieur Caresche, une France faible sur le plan économique à une Allemagne faible sur le plan politique, vous reconnaissez que la France est forte sur le plan politique. Pour avoir rencontré toutes les tendances politiques représentées au Bundestag, je savais que les députés sociaux-démocrates voteraient avec enthousiasme le renforcement du fonds européen de solidarité. Ce que Mme Merkel craignait, cétait davoir besoin des voix de lopposition, dans la mesure où elle se serait retrouvée considérablement affaiblie dans une telle hypothèse. La chancelière étant désormais débarrassée de cette crainte, le dialogue franco-allemand peut reprendre. La leçon quil faut en tirer, cest que tout ce qui renforce un des partenaires sur le plan politique renforce le couple franco-allemand.
Q - (Sur lorganisation des transports ferroviaire)
R - Les transports sont en effet essentiels pour la constitution dun marché intérieur, mais lorganisation de ce secteur reste très différente selon les États membres, en particulier celle du transport ferroviaire. Le Gouvernement français, comme la Commission européenne, travaille à améliorer lefficacité du transport ferroviaire européen, ce qui ne peut que contribuer à la croissance européenne.
Je voudrais dire pour conclure que le choix nest pas entre le statu quo et le retour en arrière : soit nous nous contentons de régler les problèmes de lheure, soit nous franchissons une étape décisive, suivant limpulsion donnée par le président de la République. Aujourdhui le monde, où linterdépendance na jamais été aussi forte, bascule vers un autre modèle. Ces bouleversements nous imposent de modifier notre conception de lEurope. La crise peut nous ouvrir de nouvelles perspectives en matière dintégration européenne. Aujourdhui, celle-ci nest plus seulement une problématique deurocrates, mais un enjeu majeur pour nos concitoyens, pour leur vie quotidienne et lidée quils se font de la démocratie et de la liberté. Puissions-nous, durant la période éminemment électorale qui va souvrir, conserver cela à lesprit.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 octobre 2011