Extraits d'une déclaration de M. Jean Leonetti, ministre des affaires européennes, notamment sur la crise financière et sur le Programme européen d'aide aux plus démunis, au Sénat le 11 octobre 2011.

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Circonstance : Débat préalable au Conseil européen, au Sénat le 11 octobre 2011

Texte intégral

Au nom de l’esprit républicain, je félicite les sénateurs nouvellement élus et le président Jean-Pierre Bel.
Les Conseils européens définissent la politique européenne et prennent des décisions souvent courageuses, aujourd’hui indispensables. L’Europe et le monde sont à un tournant de leur histoire. La «crise» actuelle nous conduit vers un monde nouveau. C’est une source d’angoisse, mais aussi une opportunité, source d’espérance. Grâce à un nouvel équilibre, nous renforcerons l’Union.
Les chefs d’États et de gouvernements ont pris des décisions importantes le 21 juillet, puisque le fonds européen de stabilité évolue vers un fonds monétaire européen. En outre, le «paquet de gouvernance économique» a été ratifié récemment : il concilie vigilance et correction des déséquilibres macro-économiques. Mais il faut encore conforter le pilotage européen, comme la France et l’Allemagne l’ont reconnu. Il reste à étoffer les moyens du comité économique et financier : sans fédéralisme économique, l’Europe sera désintégrée par les spéculateurs.
Bien sûr, nous avons besoin d’une politique de croissance. A cette fin, nous devons développer notre marché intérieur - déjà le plus vaste au monde -, redéfinir la politique industrielle et obtenir une concurrence loyale. La communication d’octobre 2010 allait déjà dans ce sens, en mettant l’accent sur certains secteurs industriels.
Nous voulons imposer à l’ensemble du monde un principe de réciprocité - le terme est peut-être impropre - pour éviter que d’autres pays ne pratiquent le dumping social et environnemental. Loin de tout protectionnisme, il y a là un modèle incitatif pour l’ensemble du monde. Comment accepter que des entreprises chinoises construisent des autoroutes en Pologne, alors qu’elles sont aidées par l’État et pratiquent un dumping social ?
J’en viens au G20 qui sera préparé par le Conseil européen. Sans préparation adéquate, nous risquons un « G20 de la dette de la zone euro «, désignée comme responsable de tous les maux.
Il faudra réformer le système monétaire international, renforcer la régulation financière en prolongeant les accords de Bâle 3, et réfléchir à la dimension sociale de la mondialisation : on ne peut pas parler que d’économie et de finance.
La France souhaite qu’une grande attention soit portée aux infrastructures.
Il est question depuis vingt ans de taxer les transactions financières. Si les États-Unis la refusent, il faudra la pratiquer en Europe. Un taux de 0,005 % risque-t-il sérieusement de faire fuir les opérateurs de Francfort à Hong Kong ou de Paris à Londres ? Il y a là aussi un impératif moral : exonérer les transactions financières de toute contribution au développement, alors qu’elles n’apportent rien à l’économie réelle et à l’humain serait contraire à notre conception de l’Europe.
Sur le plan écologique, les «3 20» à l’horizon 2020 au plan européen ne suffiront pas, car l’Europe, c’est 10 % seulement des émissions de gaz à effet de serre.
Durban doit prendre la suite de Kyoto. Il faut prolonger les Accords de Cancun et faire évoluer la lutte contre les gaz à effet de serre vers un dispositif universel et obligatoire. L’enjeu ? L’avenir de la planète.
L’Europe n’a pas d’autre choix que de promouvoir ses valeurs de solidarité et de démocratie.
(Interventions des sénateurs)
Ce débat riche et approfondi présage bien de l’action de la France.
L’euro n’est pas en cause, ni l’Europe, mais la dette souveraine de certains pays de la zone euro. Depuis ma jeunesse, on parle de pays «émergents» ... mais ils ont émergé, et nous n’avons pas su face à eux maintenir notre compétitivité. Beaucoup de démocraties ont répondu par la dette, ont soutenu par elle la croissance et aujourd’hui la situation n’est plus soutenable.
Le temps du débat politique n’est pas celui des spéculateurs. Dans un système politique morcelé comme en Europe, la réponse démocratique, logiquement, est lente.
De toute évidence, le couple franco-allemand peut répondre à la situation. Il est historiquement et économiquement légitime pour agir.
Nous sommes à la croisée des chemins : l’histoire ne se rembobine pas ; il n’y a pas moyen de reculer. La question est de savoir dans quelle direction avancer, avec quel objectif.
Mme Morin-Desailly a évoqué le déficit de la balance commerciale. Il résulte de notre compétitivité mais n’a rien d’une fatalité. En vingt ans, la Chine a déséquilibré la balance commerciale européenne de 2 500 milliards ! L’Union européenne a été trop naïve. On peut battre sa coulpe pour les fautes passées, mais il faut surtout agir, sans tomber dans l’excès de rigueur qui crée la récession ni aller à la banqueroute.
Comment effacer l’impression de retard permanent du politique ? La Slovaquie se prononce aujourd’hui. Je suis optimiste, car quelques semaines ont suffi pour qu’il soit admis d’envisager un gouvernement économique européen et la taxation des transactions financières. On peut même parler de fédéralisme économique sans être déporté au goulag ! Malgré le populisme et l’euroscepticisme, chacun a compris que nous avions le choix entre la création d’un gouvernement économique européen et la dissolution par les marchés. Qui est plus indépendant à ce jour, la France avec son AAA ou la Grèce menacée d’être réduite à la misère ? Les Grecs doivent prendre des mesures sans consulter le peuple, car l’alternative est simple : une sortie de l’euro lui imposerait une dévaluation de 40 %. La misère donc. Il serait moins coûteux d’aider la Grèce que d’affronter un effet de domino, qui pourrait affecter jusqu’à l’Allemagne.
L’effet de levier, je ne sais pas ce que c’est. On nous reproche d’aller trop lentement, mais pourrait-on demander au Bundestag de modifier une réforme qu’il vient d’adopter ?
Nous voulons une intégration accrue et une solidarité protégeant les citoyens et les clients des banques. Le gouvernement américain a jugé que les dirigeants avaient fauté et que la banque ne devait pas être aidée. On a vu le résultat ! Si vous avez aimé l’abandon de Lehmann Brothers, vous adorerez celui de la Grèce ! Nous devons pratiquer à la foi rigueur et solidarité.
Il faut non pas plus d’Europe, mais mieux d’Europe. Allons plus vite et plus loin. L’Union s’est élargie parce que la démocratie a vaincu le totalitarisme communiste et celui des fascistes. Nous devons assumer ces choix, en les corrigeant pour faire de la zone euro le pendant de la zone dollar et du yuan. Sans donner de leçons urbi et orbi, l’Europe doit défendre ses valeurs, elle n’a pas à renier le modèle qu’elle a construit, celui d’un capitalisme d’entrepreneurs et non de spéculateurs. Défendre la Grèce est un impératif du cœur et de la raison !
Monsieur Baylet, si nous surmontons la crise actuelle et faisons converger nos économies, les euro-obligations seront légitimes. Neutraliser une dette non stabilisée serait mettre la charrue avant les bœufs.
Monsieur Masson, vous n’êtes pas anti-européen ; moi non plus. Mais le choix n’est pas entre populismes !
Monsieur Yung, vous avez parlé de fédéralisme économique. Nous en parlerons ensemble, et nous serons en bonne compagnie avec MM. Chirac et Sarkozy, qui n’ont pas hésité à employer aussi le mot. Vous ne me ferez pas dire un taux ni une assiette pour la taxation des transactions financières ; je dirai seulement que nous ne sommes pas restreints. Si la France prenait cette décision seule, nous aurions sans doute un fort sentiment de solitude. Le fédéralisme économique commence avec des rencontres régulières des chefs d’État pour faire un pilotage du fonds de solidarité financière.
L’Europe franchit une étape décisive. On peut craindre le chaos, on peut également espérer une Europe fixant ses frontières, s’approfondissant et affirmant ses valeurs. Le prochain Conseil aura l’ardente obligation de décider. Historiquement, l’Europe avance d’une étape à chaque crise. Celle en cours nous permettra peut-être d’en franchir une nouvelle !
Q - (Sur les divergences des régimes fiscaux)
R - Vous m’amenez sur le marché intérieur. Il est difficile de comparer les régimes des différents pays de l’Union pour ce qui concerne les retraites, la TVA, la fiscalité sur le patrimoine. Beaucoup de mutuelles ont des marges importantes et elles pourraient absorber le relèvement de la fiscalité les frappant.
Qu’est-ce qu’un riche ? Un candidat qui ne l’était pas et a fini par l’être parlait de 4 000 euros par mois. Vous voyez que la prudence s’impose... N’oubliez pas que la France consacre à la solidarité quatre points de PIB de plus que les autres États membres, Suède incluse.
C’est en menant conjointement une réduction des déficits et des investissements d’avenir que nous préservons notre note AAA.
Gardons à l’esprit l’exigence d’équilibre entre rigueur, croissance et solidarité.
Q - (Sur le Progremme européen d’aide aux plus démunis)
Q - (Sur la réglementation européenne du secteur bancaire)
R - La campagne hivernale de 2011 est assurée par le PEAD. En l’absence de surplus agricoles, la Cour de justice de l’Union européenne nous interdit d’acheter des aliments pour nourrir les plus pauvres. On ne peut donner des milliards aux banques et refuser toute aide aux plus démunis. A la demande du président de la République, je m’évertue à trouver une solution. Les plus démunis ne seront pas abandonnés. Après le changement de gouvernement danois, j’ai bon espoir.
Lorsque la banque Lehmann Brothers est tombée, Northern Roch l’a suivie dans sa chute, alors qu’il s’agissait d’une simple banque de dépôts...
La réciprocité doit assurer un commerce loyal. Cet objectif suppose aussi une taxe carbone à la frontière.
(…)
Le PEAD représente 400 millions de tonnes, alors que le surplus PAC se limite à 113 millions. La France récupère à peu près ce qu’elle donne. La solution simple, et même simpliste, serait de renationaliser l’aide aux plus démunis. En Allemagne, cette mission est confiée aux Länder.
Je pense que nos partenaires pourraient accepter une ligne modeste au titre de la PAC, renforcée par une mesure de solidarité. Nous espérons infléchir nos amis Tchèques et Danois.
Q - (Sur la politique de lutte contre le réchauffement climatique)
R - Vous avez raison : Kyoto arrive à sa fin, alors que seules certaines émissions de gaz à effet de serre sont concernées.
Tout report des surplus menacerait la deuxième période. C’est pourquoi la France veut qu’une période de transition préserve les acquis de Kyoto et permette d’aller plus loin. Mais ni les États-Unis, ni le Canada, ni la Russie ne sont dans cet esprit.
Q - (Sur le soutien aux PME françaises)
R - Effectivement, les PME assurent deux tiers des emplois et 60 % du chiffre d’affaires de l’Union européenne. Il faut donc être attentif à leur environnement économique. Le Small Business Act a été adopté sous présidence française.
Nous devons mettre en place des protections et des incitations, en commençant par diminuer les contraintes administratives inutiles et en favorisant l’accès aux marchés publics. Il reste beaucoup à faire pour inciter nos PME à exporter.
Les directives européennes sont élaborées très en amont, ce qui justifie d’associer plus tôt les représentants professionnels à la réflexion.
Q - (Sur le Programme européen d’aide aux plus démunis).
R - Je suis en mission avec le ministre de l’Agriculture pour faire aboutir ce dossier. Après l’interdiction d’approvisionner les PEAD autrement que pour les surplus agricoles, il faut trouver une faille juridique pour la campagne 2012. La Commission a proposé un dispositif à double détente, associant la PAC et la cohésion sociale. Je ne doute pas de notre succès dans la recherche d’une solution avec nos partenaires.
Q - Le gouvernement prendrait-il le relais ?
R - Je suis trop européen pour envisager cette extrémité, mais en cas de nécessité, comment imaginer que le gouvernement et le président de la République refuseraient ?
Q - (Sur la taxation des transactions financières)
R - La Commission propose un taux de 0,1 % sur les produits obligatoires et 0,01 % sur les produits dérivés. Un bon impôt a une assiette large et un taux bas. Les États-Unis ont déjà refusé le principe, tout comme le Royaume-Uni. Le champ de la taxe semble donc se réduire à la zone euro.
Si la taxe avait été mondiale, elle aurait pu financer des enjeux mondiaux ; étendue à toute l’Union européenne, elle alimenterait le budget communautaire ; réduite à la zone euro, son utilisation sera plus limitée. Selon les hypothèses, le produit pourrait aller de 25 à 100 milliards. Pour convaincre le maximum d’États, il faut commencer par un taux faible, qui pourra augmenter ensuite.
Q - Quel est l’état d’esprit du gouvernement face à la réforme de la PAC ?
R - Son état d’esprit est déterminé. Ce n’est pas une politique française mais européenne, une des rares politiques communautarisées.
L’indépendance alimentaire de l’Europe, la stabilité des prix et le maintien d’une veille sanitaire efficace exigent de préserver l’agriculture européenne. La Pologne nous suit sur ce point. La PAC a été évaluée et jugée pertinente à quatre reprises, ce qui n’est pas le cas de toutes les politiques communautaires. Pensons à la politique de cohésion territoriale : beaucoup de régions en sont sorties ; il peut y avoir là des ressources à récupérer.
La France n’acceptera pas une perspective financière qui n’assure pas la stabilité de la PAC.
Q - (Sur le Programme européen d’aide aux plus démunis)
R - Lorsque j’étais député, je répugnais à ce qu’un ministre se mêle du travail des parlementaires. Je reste fidèle à ce point de vue.
Nous ne pouvons pas intégrer le PEAD dans la PAC, qui a un autre objet. A partir de 2014, le PEAD doit entrer dans la politique de cohésion ; en 2012 et 2013, nous veillerons à assurer la liaison et nous nous efforcerons de surmonter la minorité de blocage. En cas d’échec, le président de la République et le gouvernement assureront, je n’en doute pas, la pérennité des moyens.
Q - (Sur la situation du système bancaire européen)
R - En effet, le système bancaire est fondé sur la confiance. Les ratios bancaires doivent être améliorés. Mais les fonds propres des banques françaises ont déjà augmenté de 50 milliards au premier semestre. Elles détiennent 10 milliards d’euros de dette grecque : elles sont donc solides.
Dexia est un cas très particulier : elle emprunte à très court terme à taux très bas et prête à très long terme à haut taux. D’où le grippage induit par la conjoncture.
Le cantonnement de la dette «pourrie» sauvera collectivités en France et épargnants en Belgique. Le prêt accordé en 2008 à Dexia par l’État nous a rapporté 500 millions d’euros : nous ne jetons pas l’argent par les fenêtres ! Notre but est de restaurer la confiance, car les banques prêtent moins aux autres banques, mais surtout aux entreprises et aux collectivités, d’où le risque de récession. La recapitalisation des banques est indispensable.
Q - (Sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre)
R - Dans le meilleur des mondes, le bon exemple est suivi au lieu d’être pénalisé. Dans le meilleur des mondes, l’Europe, qui fait de grands efforts pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, ne se heurterait pas à la concurrence déloyale des États-Unis et de la Chine. On aurait même une taxe mondiale pour régler un problème mondial. N’y a-t-il pas une taxe sur les billets d’avion, qui sans nuire au trafic a permis de soigner des malades du sida qui n’auraient pu l’être avec l’aide d’aucun pays, pas même de l’Europe ?
Le vrai danger serait de renvoyer à plus tard la conclusion d’un nouveau pacte, après l’échéance de Kyoto. Il faut à la fois tenir nos engagements antérieurs, et établir les bases d’un système plus contraignant.
Enfin, l’Europe devra prendre ses responsabilités et imposer une taxe carbone aux frontières. Les règles de vertu imposées à nos industries doivent s’appliquer aux produits venus d’ailleurs.
Q - (Sur les accords de libre échange)
R - Certains accords de libre échange posent problème. L’accord avec le Japon est refusé, parce qu’il déséquilibrerait les marchés européens ; la négociation est bloquée avec le Mercosur car nous refusons un accord inéquitable.
Q - (Sur une réforme politique de l’Union européenne et une initiative de croissance avec de grands projets)
R - Encore une fois, une solution sera trouvée sur le PEAD. Le président de la République l’a assuré.
Quant à la relance politique, elle a eu lieu le 21 juillet. L’Europe est une construction complexe, mais le couple franco-allemand a toujours su sortir des crises. Les marchés financiers se plieront à la décision politique : c’est la loi de la démocratie. Il est normal de prendre le temps de consulter les Parlements, malgré le ralentissement imposé à la décision.
Les grands projets existent. Iter, GMS, Galiléo, les énergies renouvelables : c’est là que la croissance se fera demain. Mais ces domaines sont aussi soumis à la concurrence internationale. L’Europe protège ; elle projette également !
Q - (Sur la taxe sur les transactions financières)
R - Vous avez raison : la crise nous donne enfin l’occasion de créer cette taxe sur les transactions financières.
Q - (A propos de la mise en œuvre d’une solution pérenne de desserte de la ville de Strasbourg)
R - Strasbourg est un symbole, car c’est là, entre Forêt noire et Vosges, que se sont succédé les plus graves tensions et qu’a eu lieu la réconciliation. Mais l’Europe, c’est aussi Bruxelles et Luxembourg.
Je plaide pour deux sessions. Les solutions pour mieux desservir Strasbourg comme vous le suggérez ou à partir de Bâle ou de Francfort sont à l’étude pour que votre ville soit à une heure des autres capitales européennes.
Q - (À propos d’une harmonisation économique, fiscale et financière au sein de l’Union européenne)
R - Sans harmonisation économique, fiscale et financière, il est impossible de mutualiser les dettes grecques et allemandes. Comment faire accepter aux Allemands une hausse de leurs taux d’intérêt sans imposer de discipline collective ?
Comment faire accepter aux Français que le taux d’impôt sur les sociétés ne soit que de 12 % en Irlande contre 34 % en France ? Les euro-obligations ne peuvent précéder l’harmonisation : solidarité et discipline vont de pair.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 octobre 2011