Entretien de M. Henri de Raincourt, ministre de la coopération, avec RFI le 21 octobre 2011, sur la mort du colonel Kadhafi et sur le G20 développement.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - Quelle a été votre réaction hier en apprenant la mort du colonel Kadhafi ?
R - Je pense que c’est la fin de toute cette période, qui permet à la Libye d’envisager l’avenir d’une manière un peu plus souriante. Cela fait quarante-deux ans que ce pays vit sous le joug de ce dictateur fantasque et mégalomane. Je pense aussi, et principalement d’ailleurs, aux innombrables victimes qui ont jalonné les quatre décennies de ce tyran qui, je le rappelle, est resté quarante-deux ans au pouvoir sans titre et sans élections.
Q - Oui, mais que nous avons tout de même reçu en France en grandes pompes.
R - Vous savez que les relations internationales sont ainsi, que les relations se font d’État à État et que, parfois, il faut passer au-dessus d’un sentiment personnel pour que les relations internationales puissent quand même s’ordonner.
Q - Les conditions de la mort du colonel Kadhafi ne sont pas encore bien claires. Est-ce qu’il a été tué au combat ? Est-ce qu’il a été abattu à bout portant ? Quel est le rôle des tirs de l’OTAN ? Est-ce qu’il vous paraît important que la lumière soit faite sur la manière dont il a été tué ?
R - La vérité historique est toujours utile, et il me semble qu’en cette période assez particulière pour la Libye, c’est normal que les habitants sachent les conditions exactes dans lesquelles cette opération a pu être menée avec succès hier matin.
Q - Est-ce que sa capture suivie d’un procès n’auraient pas permis une meilleure transition ?
R - Quand on est dans le feu de l’événement, ce n’est pas toujours facile d’organiser les choses d’une manière qui peut paraître la plus satisfaisante possible. Je comprends tout à fait qu’un procès aurait été certainement très utile parce qu’il aurait dû s’expliquer, ou du moins peut-on l’espérer. Sans doute pour des raisons factuelles cela n’a pas été possible hier. Quand on est dans le feu de l’action, quand vous avez un avion avec une bombe, quand vous avez des gens qui tirent, vous avez des balles qui passent et voilà…
Q - François Hollande, qui est le candidat socialiste à la présidentielle de 2012, a estimé hier que la France devrait avoir, je le cite, des exigences à l’égard du nouveau pouvoir libyen en matière de démocratie, de développement et de stabilisation de la région car, dit-il, la Libye, par sa position sur le continent africain et ses ressources, peut avoir un très grand rôle. Est-ce que vous êtes d’accord avec lui sur ces exigences que la France doit avoir à l’égard du CNT ?
R - Je suis d’accord sur le rôle que la Libye va jouer ; je suis d’accord sur le fait que la Libye démocratique aura un grand rayonnement dans ce secteur géographique et que cela doit entraîner d’autres pays vers davantage de liberté et de démocratie.
Mais en revanche, je pense que d’exprimer cette idée d’«exigences», je crois que c’est disproportionné parce que comment peut-on «exiger» d’un pays quelque chose ? - Ce n’est pas possible.
Il faut respecter le pays, il faut respecter ses institutions qui vont se mettre en place, et respecter ses habitants. Nous n’avons aucun ordre à donner à qui que ce soit. Je pense donc que ce qu’a exprimé François Hollande, soit cela dépasse un peu sa pensée, soit alors cela veut dire qu’il est encore dans une conception des relations entre les pays du Nord et ceux du Sud de dominant-dominé. C’est une conception qui aujourd’hui est totalement dépassée puisque nos relations sont basées sur le respect mutuel. Pas d’ingérence mais pas d’indifférence.
Q - Pas d’ingérence : la France a tout de même eu une action déterminante dans le renversement du régime du colonel Kadhafi. Cela ne la met pas en position d’avoir des exigences en effet en matière de démocratie, par exemple ?
R - Non.
Q - Non ?
R - Nous n’avons pas d’exigences. La France agit, c’est une constante de la politique qui est menée par le président de la République et le gouvernement dans le cadre de la communauté internationale. Je rappelle qu’en Libye comme dans d’autres pays ces derniers mois, c’est la communauté internationale qui s’est prononcée, qui a pris des délibérations et nous avons participé, c’est vrai, à l’application des décisions de la communauté internationale, mais jamais à titre individuel.
Q - La mort de Kadhafi va-t-elle accélérer la coopération économique entre la France et la Libye ?
R - En tout cas ce qui est clair, c’est que la mort de Kadhafi c’est la fin du changement institutionnel, donc un nouveau départ pour la Libye.
Et vous savez que les patrons français, les représentants économiques français se sont déjà rendus sur place la semaine dernière avec mon collègue Pierre Lellouche et naturellement, de nouveaux marchés vont s’ouvrir. Il y a toute la reconstruction de la Libye à faire et je pense que les entreprises françaises seront bien placées pour répondre aux appels d’offres qui seront lancés dans ce pays.
Q - Vous n’avez pas de doutes sur l’avenir démocratique de la Libye ?
R - Vous savez, la démocratie c’est un combat qui n’est jamais définitivement gagné. C’est valable dans tous les pays, les jeunes démocraties comme les vieilles démocraties. Il y a toujours des démons qui rongent les opinions publiques, et c’est donc un combat permanent.
Je me réjouis donc que la Libye accède à la démocratie. Mais, maintenant, c’est à elle de la construire, de la faire vivre, en respectant la liberté et la diversité des opinions et des sensibilités.
Q - On va parler, Henri de Raincourt, d’un autre sujet qui vous tient à cœur puisqu’à quelques jours du G20 de Cannes qui sera le point d’orgue de la Présidence française, vous organisez aujourd’hui à Paris la Conférence du G20 développement : des solutions pour un nouveau monde. À quoi faut-il s’attendre ? Y aura-t-il des engagements clairs, chiffrés ou est-ce que ce sera plutôt de belles déclarations d’intention ?
R - Le président de la République française qui préside, comme l’on sait, cette année, le G8 et le G20, veut que cette année soit marquée par des décisions concrètes et c’est la raison pour laquelle un nombre de thèmes relativement restreints a été retenu de façon à ce que cela débouche.
Nous avons des grands sujets - la sécurité alimentaire avec tout ce qui relève de la partie agricole, qui est très importante.
Nous avons les infrastructures - l’accès à l’eau, l’électricité, les routes, les voies ferrées, etc.
Nous avons un sujet sur un minimum de protection sociale qu’il faut mettre en place dans l’ensemble des pays.
Et puis : comment faire face aux besoins nouveaux qui se font jour - par exemple le changement climatique, par exemple l’évolution démographique du continent africain - et donc la nécessité pour répondre à ces besoins nouveaux de trouver des financements nouveaux. C’est la proposition d’instauration d’une taxe sur les transactions financières à l’échelon international.
Q - Dans la situation de crise économique que traverse le monde, notamment l’Europe aujourd’hui, mais les États-Unis aussi, les pays développés ont-ils encore les moyens d’être généreux ?
R - Je pense même que c’est l’inverse parce que, si on regarde bien, il y a trois catégories de pays. Les pays émergents, comme la Chine ou le Brésil, qui ont un taux de croissance très important ; des pays du continent africain qui ont un taux de croissance de l’ordre de 6 % ; et nous, qui sommes à 1,5 %. Nous n’avons pas les ressorts, chez nous, de trouver une évolution positive de la croissance suffisamment forte. Il faut donc aller la chercher ailleurs.
Par conséquent, toute politique de développement international est en réalité une politique d’investissement qui nous permet de bénéficier des fruits de la croissance.
Q - Est-ce que la France elle-même, aujourd’hui, respecte ses propres engagements en matière d’aide au développement ? L’objectif était de 0,7 % du PIB ; on n’y est pas encore, non ?
R - Nous n’y sommes pas encore, nous sommes à 0,5 %. L’engagement international qui a été pris est 0,7 % du revenu national brut en 2015 - nous sommes en 2011. En 2010, l’aide publique au développement en France a augmenté de 8 % et sur les trois années 2011, 2012, 2013, cette aide publique a été sanctuarisée et il n’y a pas eu de diminution budgétaire comme pour la plupart des autres ministères. La France tient ses engagements en matière d’aide publique au développement.
Q - Sur quels sujets pensez-vous que les choses pourraient avancer à l’occasion de cette conférence d’aujourd’hui puis du G20 à Cannes les 3 et 4 novembre ?
R - La Conférence d’aujourd’hui prolonge le G20 Développement-Finances qui s’est tenu à Washington le 23 septembre dernier où, avec mon collègue François Baroin, nous avons animé la réunion.
Nous avons progressé encore une fois sur le plan de propositions à faire en matière de sécurité alimentaire, en matière d’élaboration et de financement d’infrastructures au niveau des grandes régions, africaines en particulier, et puis sur la création de nouveaux financements pour répondre aux nouveaux besoins.
Q - La protection sociale universelle ou ce socle, et la transaction, la taxe sur les transactions financières, est-ce que ce ne sont pas des dossiers extrêmement difficiles finalement à faire aboutir ?
R - C’est sûr que ce sont des dossiers difficiles mais ce n’est pas parce que c’est difficile qu’il faut ne rien faire. C’est exactement l’inverse. Je crois que nous avons un rendez-vous historique. Au moment où le monde change, il ne faut pas manquer de s’engager résolument dans la voie du développement : c’est celle de la paix et de la sécurité pour la planète dans les décennies qui viennent.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 8 novembre 2011