Déclarations de MM. Henri de Raincourt, ministre de la coopération, et Pierre Lellouche, secrétaire d'Etat au commerce extérieur, sur l'aide publique au développement, à l'Assemblée nationale le 7 novembre 2011.

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Circonstance : Examen du projet de loi de finances pour 2012 consacré à l'aide publique au développement, à l'Assemblée nationale le 7 novembre 2011

Texte intégral

- M. Henri de Raincourt -
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
Je veux tout d’abord remercier l’ensemble de ceux qui ont accepté de venir ce soir échanger avec nous sur un volet extrêmement important - quoique ce ne soit pas forcément le plus médiatique - de la politique de notre pays : l’aide publique au développement.
Je remercie plus précisément les commissions qui traitent de ces questions et les rapporteurs pour leur intérêt et leur assiduité ; ils nous accompagnent tout au long de l’année et nous font des propositions. Plus généralement, nos relations sont marquées par une grande confiance et une grande transparence.
Je suis donc désolé d’entendre des parlementaires dire - mais, s’ils le disent, c’est qu’ils le ressentent - que le gouvernement chercherait à ne pas donner l’ensemble des informations que la représentation parlementaire est en droit de demander sur tel ou tel aspect de cette politique.
Pour ma part, j’ai au contraire le sentiment que, depuis quelques mois, depuis quelques années, des efforts ont été fournis pour que le Parlement soit associé le plus étroitement possible à la politique du développement.
J’en veux pour preuve l’élaboration du document-cadre et la mission d’évaluation confiée à Mme Martinez.
Je ne reviens pas sur le retard avec lequel le document de politique transversale vous a été transmis et sur les excuses qui vous ont été présentées.
Je tiens simplement à vous dire - mais cela n’est pas de nature à vous mettre du baume au cœur - que, lors de mon audition par la Commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat, j’avais dit que les éléments seraient transmis le vendredi. Ils l’ont été le jour dit ; partageons donc ensemble ces petites satisfactions.
Je veux simplement revenir sur quelques points, mon ami Pierre Lellouche ayant déjà traité de très nombreux sujets.
Je n’ai pas grand-chose à ajouter à propos de la trajectoire de l’aide publique au développement. Elle se déroule très exactement comme cela a été prévu et annoncé l’année dernière dans les documents auxquels vous faites référence et que vous aviez reçus avec retard. Dans son rapport, M. Emmanuelli a fait état de ces chiffres. L’aide publique au développement s’établit, à ce stade, à 0,46 % ; nous la ferons remonter l’année prochaine à 0,50 %. La France tient à préserver et à maintenir l’engagement que, il faut le souligner, elle a pris avant les crises auxquelles elle doit faire face depuis plusieurs années. Qu’elle parvienne à cet objectif un an plus tôt ou un an plus tard, elle ne renonce pas à consacrer 0,7 % de son revenu national brut à l’aide publique au développement. Je souhaite que cet engagement très fort de l’État soit commun à tous les bancs. Quels que soient les gouvernements qui se succèdent à la tête de notre pays, ils partagent cette même ambition : nous le devons aux pays les plus pauvres.
J’aborderai maintenant les grandes masses du programme 209. Je signale que 60 % des 10 milliards d’euros de l’APD correspondent à de l’aide bilatérale. Nous nous employons à augmenter cette proportion, comme le Parlement nous l’a demandé à plusieurs reprises. Nous entendons parvenir à 65 % à la fin du triennum budgétaire sur lequel tout notre engagement est calé, c’est-à-dire la période 2011, 2012 et 2013. Plusieurs d’entre vous l’ont noté - ce dont je les remercie -, le gouvernement français est au rendez-vous pour ces trois années : le niveau budgétaire est maintenu et le coup de rabot n’est pas passé.
Je ne suis peut-être pas très doué, monsieur Loncle, mais je suis franc : jusqu’à maintenant, le coup de rabot n’est pas passé. Nous allons nous battre tous ensemble pour essayer de faire en sorte que le deuxième coup de rabot épargne le programme 209. Nous pouvons conjuguer nos efforts pour qu’il en soit ainsi.
Par ailleurs, la contribution que nous apportons au Fonds européen de développement, le FED, a diminué de 26 millions d’euros. Nous avons obtenu l’autorisation de conserver ces 26 millions d’euros pour faire face aux dépenses liées à l’aide publique au développement, qui, ainsi, a été en quelque sorte sanctuarisée.
Je viens de parler du FED, qui représente 800 millions d’euros. J’évoquerai maintenant plus particulièrement le Fonds mondial de lutte contre le sida et la santé pour tenter de répondre à la question posée une fois encore sur ce sujet par Mme Bousquet.
Madame la Députée, à la suite des engagements de Muskoka qui visaient à consacrer 500 millions d’euros supplémentaires pendant la période 2011-2015 à la santé des mères et des enfants, la France a demandé au Fonds mondial d’identifier les programmes et les projets qui concernent plus spécifiquement la population vulnérable que constituent les jeunes filles et les jeunes mères.
Ainsi, 46 % des programmes du Fonds mondial leur sont consacrés. Dans le cadre des engagements pris par le président de la République, un fonds de solidarité prioritaire a été mis en œuvre avec les quatre principales agences des Nations unies impliquées dans les questions de santé des femmes et des enfants - l’OMS, l’UNICEF, l’ONU Femmes et le Fonds des Nations unies pour la population. Ce sont 19 millions d’euros qui, pendant cinq ans, seront consacrés à la mise en œuvre des programmes destinés en priorité à ce que l’on appelle la santé reproductive, qui comprend la planification familiale et la protection contre les infections sexuellement transmissibles, notamment le sida. Les jeunes filles constituent à l’évidence le groupe le plus exposé et le plus vulnérable.
Au mois de février dernier, je suis allé à Ouagadougou annoncer que cette enveloppe de 100 millions d’euros serait consacrée en priorité à cette action et bénéficierait principalement aux pays de l’Afrique de l’Ouest francophones.
En outre, au travers d’UNITAID, la France promeut l’accessibilité des moyens contraceptifs pour ces populations vulnérables.
Cela a été dit et les chiffres le prouvent, 60 % de notre aide publique au développement sont réservés à l’Afrique subsaharienne et 50 % de nos subventions sont fléchées vers les quatorze pays les plus fragiles. J’ai entendu des commentaires qui mettaient en doute l’exactitude ou l’efficacité de ce fait. C’est pourtant la réalité.
La concentration géographique est très importante : 60 % de l’APD va à l’Afrique subsaharienne, 20 % aux pays de la Méditerranée, 10 % aux pays émergents et 10 % aux pays en sortie de crise. Certains font hélas partie de la catégorie «pays en sortie de crise» depuis longtemps. Je pense par exemple à la Palestine et à l’Afghanistan, où notre contribution est de l’ordre de 35 millions d’euros par an. Au moment où notre présence militaire s’amenuise pour tendre vers zéro d’ici à 2014, on nous demande d’augmenter d’autant notre appui en matière civile. Nous travaillons sur cette question.
Je ne reviendrai pas sur le débat déjà ancien et bien légitime sur les prêts consentis à des pays émergents. Pierre Lellouche l’a fort bien évoqué. Nous considérons que ce qui est fait est positif pour la France, pour sa politique de rayonnement et d’influence, mais on peut avoir une opinion contraire et nous pouvons en discuter. Le gouvernement français considère que, au-delà des prêts, les discussions avec la Chine et le Brésil offrent des occasions d’échanges sur des grandes problématiques planétaires. Cela nous permet de cheminer avec eux et de les convaincre que l’aide publique au développement ne concerne pas seulement les pays dits riches, mais aussi les pays émergents. Nous sommes tous sur le même bateau et nous avons tous la volonté de favoriser le développement des pays qui en ont le plus besoin pour des raisons évidentes liées à la démographie. Ainsi, l’Afrique connaît aujourd’hui des taux de croissance de l’ordre de 5 à 6 %. Nous avons tous intérêt à ce qu’un développement endogène s’accentue en Afrique, car la population doit y augmenter dans des proportions considérables. Si nous ne sommes pas capables de faire en sorte que des progrès substantiels soient accomplis en matière de croissance, d’emploi et de développement, nous irons au-devant de déconvenues et le réveil sera particulièrement douloureux.
En la matière, il est très important que nous partagions les mêmes objectifs avec les pays émergents. Le G20 peut permettre de discuter de ces questions, comme cela a été le cas cette année.
La France a voulu participer au mouvement du monde que représentent les printemps arabes. La France veut aussi être plus présente encore lorsque des transitions démocratiques positives s’opèrent en Afrique.
Au sujet des printemps arabes, nous avons évoqué le Partenariat de Deauville, qui représente 80 milliards de dollars pour la Tunisie, l’Égypte, le Maroc et la Jordanie. La France doit y contribuer à hauteur de 2,7 milliards d’euros d’ici à 2013, sous forme de prêts consentis par l’Agence française de développement.
En ce qui concerne les transitions démocratiques africaines, nous avons engagé des efforts substantiels avec la Guinée Conakry, tout dernièrement avec le Niger et dans des proportions très importantes avec la Côte d’Ivoire. Ainsi, 3,5 milliards d’euros sont mobilisés pour la Côte d’Ivoire : 2 milliards d’euros au titre d’un contrat de désendettement et de développement, 1 milliard d’euros au titre d’annulation de dettes et 400 millions d’euros au titre d’un engagement exceptionnel. De la sorte, la Côte d’Ivoire reprendra sa marche en avant.
J’évoquerai maintenant le G20. Le G20 Développement est un élément très important du G20 global, non seulement parce qu’il s’est réuni pour la première fois, mais aussi parce qu’il a obtenu des résultats conformes à ses attentes.
À la suite du Sommet de Séoul, la France avait considéré souhaitable de retenir pour sa présidence quelques-uns des sujets abordés en matière de développement : la sécurité alimentaire, les infrastructures, le socle de protection sociale et les financements innovants.
Je ne reviens pas sur la sécurité alimentaire, bien des choses ayant déjà été dites. Pour les infrastructures, nous voulions - et c’est exactement ce qui a été acté par les chefs d’État et de gouvernement - que soit publiée une liste de onze projets régionaux sensibles, dont cinq en Afrique, témoignant des progrès accomplis en matière d’infrastructures.
En matière de normes sociales, les pays adhérents de l’Organisation internationale du travail, l’OIT, doivent respecter ses règles de base. C’est le moins que l’on puisse faire.
Il a beaucoup été question aussi des financements innovants. Des doutes se sont exprimés à cet égard, et je voudrais vous faire part de mon sentiment. Il est vrai que nous partons de loin. Nous en parlons depuis longtemps et la taxe Tobin a été imaginée il y a déjà des années. Les pères sont nombreux à se pencher sur les fonds baptismaux. Mais là n’est pas le problème et nous ne cherchons à en tirer aucune gloriole.
La seule chose qui nous préoccupe est que l’aide publique au développement à l’échelon mondial représente 129 milliards d’euros par an et qu’il nous faut en trouver 100 de plus, hors nécessités liées au changement climatique. Or, pour des raisons budgétaires évidentes, nous ne pourrons les trouver qu’avec des financements innovants. Ceux-ci existent et sont efficaces. Nous avons cité notamment les taxes sur les avions. Il existe également la taxe sur les transactions financières qui est également efficace. D’ailleurs des pays l’ont déjà instaurée. Le président de la République avait confié à M. Bill Gates le soin de présenter un rapport au G20.
On peut considérer le verre à moitié vide ou à moitié plein. Moi, je le considère plus qu’à moitié plein : c’est la première fois que l’on voit figurer dans le communiqué officiel d’un sommet de chefs d’États, en toutes lettres, la taxe sur les transactions financières. C’est quelque chose de très important. Il reste à voir les modalités, par qui elle sera gérée et comment elle sera affectée, et nous aurons pour cela de grands débats.
Il ne faut pas trop sourire de ces questions, car l’enjeu est essentiel pour toute politique de développement pour les décennies qui viennent.
Nous serions donc bien inspirés de conjuguer nos efforts pour que la plus grande part du produit de cette taxe soit effectivement affectée à la politique du développement.
Nous sommes déterminés à la lancer l’année prochaine au sein d’un groupe pionnier. Nous savons pertinemment que tout le monde ne sera pas au rendez-vous, mais nous savons aussi que le mouvement se prouve en marchant. Sans doute sera-t-il en outre difficile aux gouvernements qui ne l’accepteraient pas d’expliquer à leurs opinions publiques qu’ils ne peuvent pas financer davantage l’aide publique au développement, voire qu’ils doivent la réduire, et que, dans le même temps, un des secteurs qui a le plus profité de la mondialisation est exonéré de contribuer financièrement à cette politique. Le vent souffle donc dans le bon sens et notre détermination est extrêmement forte.
C’est notamment pourquoi je ne partage guère la vision pessimiste qu’a François Loncle de la façon dont la politique de la France est perçue en Afrique. Certes, mon expérience est moindre que la sienne, mais au fil de mes déplacements, je m’aperçois qu’il y a une grande demande de France, non seulement dans l’Afrique francophone, mais bien au-delà. C’est extrêmement rassurant et encourageant.
Je crois que cela signifie que, contrairement à ce que j’ai entendu tout à l’heure, la politique africaine que la France conduit aujourd’hui et dont les grandes lignes ont au fond été déterminées par le discours du président de la République au Cap en février 2008 ne correspond plus à l’image que l’on continue encore à véhiculer ici ou là.
Grand discours, tant mieux, parce que l’Afrique le mérite !
Pas d’ingérence, les discussions doivent être menées avec un grand respect, dans un rapport d’égal à égal. C’est exactement ce qui se fait, y compris dans les discussions sur les accords de défense actuellement en cours entre le gouvernement français et un certain nombre de pays.
Nous considérons que la voix de l’Afrique est de plus en plus forte et qu’elle le sera à l’avenir. En raison même des chiffres que j’ai donnés en matière démographique mais aussi de croissance, elle est déjà respectée. Jean Ping, président de la Commission de l’Union africaine nous le dit souvent, elle veut régler elle-même ses problèmes.
Nous sommes pleinement d’accord pour que les organisations régionales soient les plus fortes possible. Si les Africains ont besoin de nous, nous sommes là, au nom de l’histoire, de la culture et de l’amitié.
- M. Pierre Lellouche -
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs les Députés,
J’ai l’honneur de vous présenter ce soir, avec mon collègue Henri de Raincourt, le budget de la mission «Aide publique au développement», et plus particulièrement, s’agissant du ministère dont j’ai la responsabilité, celui du programme 110 «Aide économique et financière au développement».
Je sais, surtout aujourd’hui, quelle est la valeur de l’effort budgétaire que nous sollicitons auprès de vous. Je sais le prix de chaque euro public, à l’heure où la France doit passer au crible l’ensemble de ses dépenses pour économiser et pour équilibrer ses finances publiques à l’horizon 2016, comme l’a expliqué le Premier ministre aujourd’hui même.
Je sais aussi combien vous êtes conscients de l’importance de la politique d’aide publique au développement et combien vous êtes attentifs à ses évolutions et à ses résultats. À l’heure des grands choix budgétaires, l’efficacité de nos politiques n’est plus un luxe mais une exigence. Vos débats en commission le prouvent, comme la qualité de vos rapports, que j’ai lus avec attention.
Je voudrais vous répondre en vous faisant part de mon analyse sur l’action de la France en faveur de l’aide au développement.
D’abord, je vous indiquerai combien notre action en faveur du développement est significative, malgré la crise et malgré l’indispensable consolidation de nos finances publiques.
Ensuite, à l’heure où les écarts de richesse et de puissance ne cessent de se creuser parmi les pays en développement, j’insisterai sur la façon dont nous abordons la question de la différenciation de notre aide en fonction des différents pays bénéficiaires. Je sais qu’elle vous préoccupe tout particulièrement depuis quelques années.
Dans un troisième temps, je soulignerai les efforts de cohérence et de transparence que nous avons engagés cette année - même s’ils sont incomplets - pour justifier l’importance des crédits mobilisés et en accroître l’efficacité.
Enfin, je vous informerai des actions concrètes que ces crédits nous ont permis de lancer en 2011, notamment dans le cadre du G8 de Deauville puis du G20, la semaine dernière à Cannes.
En premier lieu, Mesdames et Messieurs les Députés, nous devons être collectivement fiers de l’effort financier de la France en faveur de l’aide au développement. Malgré la crise, les crédits ont non seulement été maintenus, mais ils ont continué leur progression régulière depuis 2005, conformément à nos engagements. Notre pays est ainsi, en 2010, le troisième bailleur mondial, derrière les États-Unis et le Royaume-Uni.
Pour la première fois de notre histoire, notre aide publique au développement a dépassé le seuil des 10 milliards d’euros, pour atteindre 10,85 milliards d’euros. Nous avons atteint le pourcentage de 0,5 % du revenu national brut, en ligne avec nos prévisions et nos engagements européens.
Cette croissance de notre APD porte exclusivement sur l’aide bilatérale, qui a augmenté de près de 840 millions d’euros en 2010 par rapport à 2009, principalement grâce aux prêts concessionnels de l’Agence française de développement et à nos dons bilatéraux. Un rééquilibrage s’imposait, il était souhaité par cette assemblée et il a été réalisé. Jean-Louis Christ l’a évoqué tout à l’heure, faisant référence à l’excellent rapport de Jean-Paul Bacquet et Nicole Ameline.
Pour 2011, notre APD devrait être très proche du niveau prévu par le document de politique transversale de l’année dernière, avec une part d’APD représentant 0,46 % du revenu national brut, en légère baisse en raison du report à 2012, compte tenu de la situation politique dans ce pays, de prêts d’ajustement structurel au profit du Liban.
Mais, dès 2012, nous devrions atteindre de nouveau un ratio d’APD de 0,5 % du revenu national brut. Nous sommes les seuls, avec le Royaume-Uni, au sein du G7 à atteindre un tel niveau.
L’annulation de la dette de la Côte d’Ivoire, tant attendue par nos partenaires, devrait avoir lieu en 2012, redonnant des marges de manœuvre significatives à notre coopération dans ce pays prioritaire. Au passage et malgré toute l’amitié que je lui porte, je dirai à François Loncle que ceux qui ont reconnu des élections truquées, ce n’est pas nous, mais l’Internationale socialiste et son président qui vient de démissionner.
En quoi une annulation de dette contribue-t-elle au développement ? Demandiez-vous, Monsieur Asensi. Demandez-le donc au gouvernement ivoirien, il va vous expliquer : c’est une charge financière extrêmement lourde qui lui est ainsi retirée. C’est du vrai argent, permettez-moi de vous le dire, de l’argent apporté par le contribuable français et auquel nous renonçons.
Notre effort d’APD en 2012 est fondé sur des bases solides, puisque les crédits budgétaires de la mission APD sont stabilisés à un niveau de 3,34 milliards d’euros par an, soit 10 milliards d’euros au total sur le triennum budgétaire. S’agissant du programme 110 «Aide économique et financière au développement», les crédits de paiement resteront ainsi à leur niveau de l’an passé ; seules les autorisations d’engagement varieront en fonction des reconstitutions triennales des fonds multilatéraux.
Je remercie tous les orateurs qui ont bien voulu le reconnaître, à commencer par M. Emmanuelli, mais aussi M. Hunault, Mme Bourragué, M. Christ et d’autres.
Venons-en à l’efficacité de ces fonds. Il en va en matière d’APD comme en matière commerciale : il faut cesser la naïveté. À cet égard, Monsieur Janquin et Monsieur Asensi, je vais vous dire ma façon de voir les choses. Il ne s’agit pas d’être moins généreux, vous l’aurez compris, ce n’est pas notre philosophie ; il s’agit d’adapter notre générosité à la réalité du monde qui nous entoure. En ce début du XXIème siècle où la puissance est en train de basculer, personne ne comprendrait que nous, Français, continuions à accorder les mêmes libéralités, qu’il s’agisse de préférences tarifaires ou de financements d’aide publique au développement, à des économies émergentes en forte croissance comme le Brésil ou la Chine, et à des pays pauvres comme Haïti, le Burkina Faso et le Bangladesh.
C’est sous l’impulsion de la France que le chantier de la révision des critères d’accès au système des préférences généralisées a enfin été lancé au niveau européen. Notre politique européenne de préférences commerciales doit être un vecteur de réduction des inégalités et d’insertion de ces pays dans le commerce, pas un outil pour subventionner des importations turques, chinoises ou brésiliennes.
Nous n’avons pas attendu pour remettre de l’ordre et de l’équité dans notre aide publique bilatérale au développement. Plusieurs orateurs ont évoqué la question que j’ai moi-même soulevée dès l’année dernière au sein de mon ministère : l’aide publique au développement à la Chine - le banquier de la planète qui détient notamment des créances à l’égard de l’Europe - pose problème. Nous sommes en train de le régler.
Désormais, les nouveaux prêts d’APD que nous faisons à la Chine à travers l’Agence française de développement ne coûteront plus un centime au contribuable français. Ce que l’on appelle le «coût État», c’est-à-dire l’effort budgétaire consenti par l’État, sera concentré dans les pays prioritaires d’Afrique subsaharienne. Au dernier orateur, j’indique que la part de l’effort financier de l’État consacrée aux grands pays émergents a été limitée à 7 % en 2010, alors que le nouveau contrat d’objectifs et de moyens liant l’État à l’AFD pour 2011-2013 prévoit un plafond de 10 %.
Ce recentrage de notre aide est dicté par le bon sens et je suis convaincu, à titre personnel, qu’il mérite d’être poursuivi ; je suis heureux de voir qu’il recueille l’assentiment des députés sur tous les bancs. Générosité ne peut pas dire naïveté. De même, à l’heure de la rigueur budgétaire et des déficits commerciaux record, on ne peut plus se permettre de faire de l’aide publique au développement sans penser commerce extérieur ; je m’inscris en faux, sur ce point, contre certains orateurs, dont M. Asensi.
La France est pratiquement la championne du monde du déliement de son aide, c’est-à-dire des aides accordées sans contrepartie directe pour ses entreprises. Notre aide bilatérale est déliée à 87 % depuis 2006, contre 75 % pour l’Allemagne, 71 % pour l’Espagne, 69 % pour les États-Unis et seulement 63 % pour l’Italie. Voilà, Monsieur Janquin, quels sont les chiffres : ils sont exactement à l’opposé de la réalité que vous prétendiez dénoncer tout à l’heure.
Je ne me résous pas à ce que la France soit plus vertueuse que les autres et ne retire pour seule récompense de sa bonne conduite que la satisfaction morale d’aider les pays pauvres, alors que d’autres le font sans sacrifier leurs atouts commerciaux.
J’ai donc demandé à l’Inspection générale des Finances de me rendre, pour le courant du mois de février prochain, un rapport, dont je ne manquerai pas de partager avec vous les conclusions, sur ce sujet : que peut-on dire aujourd’hui des retombées de l’aide française pour l’emploi en France ? Quelles pistes pour augmenter ces retombées dans le respect de nos engagements internationaux ? Ce sont des questions parfaitement licites, normales, que nous devons nous poser à l’heure où nous économisons chacun de nos euros.
Nous nous posons les mêmes à propos de nos financements d’aide liée. La France fait beaucoup d’études en amont, dans le cadre du Fonds d’études et d’aide au secteur privé, le FASEP, mais ces financements n’ont de sens que s’ils servent de tremplin à nos entreprises pour remporter des grands contrats d’équipement ; il n’y a aucune honte à cela, et ce n’est pas là servir les multinationales, c’est servir l’emploi en France. La France mérite mieux que de devenir un simple guichet d’aide ou un grand bureau d’études gratuit pour des firmes étrangères. Sur cette question aussi, nous sommes mobilisés. Ce n’est peut-être pas le cœur de notre sujet, mais cela vous montre la cohérence de ce que doit être une politique d’aide au développement, avec les crédits FASEP, et une politique de commerce extérieure, à l’heure où nous avons besoin de rétablir l’équilibre de nos comptes.
On ne peut plus, aujourd’hui, prétendre avoir tout et le contraire de tout. Quand on s’appelle la Chine, qu’on a une croissance de 10 % par an, une part dominante dans le commerce international, des réserves de change de 3 200 milliards de dollars, un nouveau statut de bailleur de fonds en Afrique et de créancier en Europe, on ne peut plus demander à bénéficier de prêts, voire de dons, des pays occidentaux endettés. Ces crédits doivent être réservés aux pays qui en ont réellement besoin.
Les jours de ce système sont comptés, la Chine n’est pas le Togo.
Nous sommes effectivement d’accord, Monsieur Janquin, et je vous remercie de votre soutien. M. Emmanuelli avait d’ailleurs dit la même chose, et je souscris pleinement à ses propos.
Je veux maintenant souligner les efforts de transparence et de lisibilité engagés dans la gestion et l’évaluation de notre aide. Vous le savez, le document-cadre de coopération au développement que nous avons conçu ensemble en 2010, fixe désormais des orientations géographiques et sectorielles claires pour notre aide publique au développement.
Quatre partenariats y sont mis en avant : celui avec l’Afrique subsaharienne pour la réalisation des objectifs du millénaire pour le développement ; celui avec la Méditerranée, dans une perspective de convergence avec l’Europe ; celui avec les pays émergents ; celui, enfin, avec les pays en crise pour en renforcer la stabilité. Ces partenariats différenciés impliquent des choix financiers explicites qui nous lient, en particulier une affectation d’au moins 60 % de l’effort financier de l’État à l’Afrique subsaharienne. Les cinq secteurs d’emploi ont été mentionnés : santé ; éducation ; formation professionnelle ; agriculture et sécurité alimentaire ; développement durable et soutien à la croissance.
Tirant les conséquences de cette stratégie, nous sommes allés le plus loin possible en matière de transparence, en ajoutant dans le document de politique transversale, le DPT que vous avez récemment reçu, des données rétrospectives nouvelles et, surtout, des données prévisionnelles. J’ai entendu les critiques formulées sur tous les bancs à propos du retard avec lequel ce document vous a été remis.
Je le regrette, et je vous prie d’accepter les excuses du gouvernement sur ce point. Sachez que le recueil de l’ensemble des informations sur autant de domaines techniques était une première. Il a exigé un travail considérable, et il a ensuite fallu vérifier chacun des chiffres. Cela explique que les services ont effectivement pris du retard. J’espère que nous serons plus efficaces l’an prochain.
Ce travail montre que les priorités fixées par le gouvernement ont été strictement respectées. La France consacre près de 1,5 milliard d’euros en dons bilatéraux aux pays d’Afrique subsaharienne, qui demeurent la principale région d’intervention de l’Agence française de développement. Par ailleurs, la région Méditerranée et Moyen-Orient conserve un poids important puisqu’elle représente 18 % de l’effort financier de l’État en 2010, résultat proche de la cible des 20 % fixée par le document-cadre de coopération au développement. Autre résultat mesuré, et non des moindres, l’aide distribuée par les institutions financières internationales est également conforme à nos priorités : près de 50 % des engagements de l’AID, l’Association internationale de développement, fonds concessionnel de la Banque Mondiale, sont orientés vers l’Afrique subsaharienne, et cette part représente près de 75 % des engagements concessionnels du FMI.
Je veux, pour conclure, vous convaincre que le gouvernement fait le meilleur usage des crédits qui vous sont demandés pour accroître l’influence de notre pays.
Avec la Présidence française du G8 et du G20, l’année 2011 l’atteste, je crois, avec éclat. La France a beaucoup œuvré pour renforcer l’implication de la communauté internationale dans l’aide aux pays les plus pauvres, conformément à nos priorités.
Au Sommet de Deauville, les 26 et 27 mai derniers, un travail considérable a été accompli, et le G8 a exprimé son soutien aux transitions démocratiques en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Le président de la République a lancé le Partenariat de Deauville avec les pays arabes en transition démocratique, en mobilisant fortement toutes les institutions financières internationales.
Ce partenariat de long terme repose à la fois sur un pilier politique, visant à promouvoir les réformes de gouvernance, et sur un pilier économique, en vue d’une croissance soutenable et inclusive. Le pilier économique du partenariat a été lancé officiellement par les ministres des Finances à Marseille, le 10 septembre dernier. Quatre pays en transition étaient présents : la Tunisie, l’Égypte, le Maroc et la Jordanie. L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Qatar, le Koweït et la Turquie étaient également représentés, ainsi que les principales institutions multilatérales, dont les trois principaux fonds arabes. La France a alors obtenu des institutions financières internationales qu’elles apportent une réponse coordonnée aux pays en transition, à hauteur de 38 milliards de dollars sur la période 2011-2013, ce qui est une somme considérable.
Le Partenariat de Deauville a également soutenu une approche ambitieuse en matière d’intégration commerciale et appelé à une extension rapide du mandat géographique de la BERD à la région.
J’ajoute que, en complément au Partenariat de Deauville, l’Union européenne a décidé, sur la proposition de la France, d’ouvrir ses accords commerciaux aux pays en transition. Tout cela est cohérent, et nous avançons.
Par ailleurs, la France a redoublé d’efforts pour que les questions de développement prennent toute leur place, pour la première fois, à l’agenda du G20, lors du Sommet de Cannes. Je laisserai Henri de Raincourt y revenir plus longuement pour vous exposer en détail les très bons résultats obtenus, notamment sur deux sujets : les problèmes de sécurité alimentaire et le financement des infrastructures, en particulier en Afrique.
J’insiste, en revanche, sur la question du financement du développement. Pour la première fois, en effet, le G20 a débattu de cette question et le président de la République, qui avait invité Bill Gates à présenter un très intéressant rapport sur ce sujet, a obtenu des avancées très significatives. Le G20 a d’abord insisté sur la mobilisation des ressources nationales des pays en développement. Pour y parvenir, il a notamment demandé aux entreprises multinationales d’améliorer la transparence, en particulier dans le domaine des industries extractives, et s’est engagé à contribuer à réduire le coût moyen des transferts des migrants, pour dégager davantage de fonds. Par ailleurs, la partie «B20» du Sommet de Cannes, avec les entreprises qui y étaient représentées, a fait un énorme travail en matière de lutte contre la corruption ; je le dis pour répondre à l’un des orateurs de tout à l’heure. Nous avançons rapidement sur ce sujet.
Rarement une idée aura autant progressé au cours d’une année que cette idée de taxe sur les transactions financières.
On doit beaucoup, soyons honnêtes, au président de la République, qui a beaucoup fait pour la promouvoir et la faire adopter par un certain nombre de ses homologues. Même le président des États-Unis a donné quelques signes encourageants à cet égard.
Les chefs d’État et de gouvernement ont discuté d’un menu de financements innovants, tels que les garanties d’achats futurs, l’émission d’obligations pour les diasporas, la taxation des soutes des navires et des avions, ou la taxation des tabacs, mais je crois qu’Henri de Raincourt y reviendra.
J’appelle enfin votre attention sur le fait que, pour la première fois, le principe d’une taxe a été officiellement acté dans le communiqué du G20. Les choses ont donc bel et bien progressé !
À Cannes, outre la France, la Commission européenne, l’Allemagne, l’Espagne, l’Argentine, l’Union africaine, l’Éthiopie, l’Afrique du Sud, le Secrétaire général des Nations unies et le Brésil ont exprimé leur intérêt pour une telle taxe.
Nous attendons maintenant - c’est la prochaine étape - que la Commission européenne propose une directive instaurant un «système commun de taxe sur les transactions financières». C’est le document juridique sur lequel nous pourrons nous appuyer pour avancer encore.
Mesdames et Messieurs les Députés, j’espère vous avoir convaincus de l’engagement sans faille du gouvernement en faveur du développement, en cohérence avec nos objectifs de politique étrangère et de croissance économique, en cohérence avec nos priorités géographiques également.
Je tiens à remercier tous les orateurs qui ont bien voulu contribuer à la qualité de ce débat.
Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 novembre 2011