Texte intégral
Monsieur le Rapporteur, vous avez raison de relever, même si le mot est un peu galvaudé, le caractère historique de cette séance : cest en effet la première fois quest débattue dans lhémicycle une résolution relevant de larticle 88-6 de la Constitution. Cet article, issu de la révision constitutionnelle de 2008, vous permet démettre un avis motivé sur la conformité dun projet dacte législatif européen au principe de subsidiarité. LAssemblée nationale voit ainsi son importance renforcée au cur du débat européen. Le Gouvernement se félicite de cette nouvelle avancée de la démocratie en Europe. La France fera en effet entendre sa voix avec dautant plus de force et de clarté quelle pourra invoquer la volonté du peuple français, exprimée par le vote du Parlement.
Chacun admet désormais quil est nécessaire dagir afin que lespace Schengen soit préservé. Cette nécessité sest progressivement imposée comme une évidence, grâce à la détermination du président de la République, qui a agi à plusieurs niveaux afin que nous renforcions ce dispositif.
LEspace Schengen, comme lensemble de la construction européenne, repose sur la confiance et la solidarité. Il est ainsi apparu clairement au premier semestre 2011 que lefficacité et la légitimité de lespace Schengen étaient menacées. Il fallait donc améliorer nos outils et renforcer la mutualisation de nos moyens à travers lagence FRONTEX.
La gouvernance même de lespace Schengen devait également être repensée pour rendre le système plus réactif et efficace. En effet, les règles en vigueur ne permettaient pas de réagir à deux cas de figure : lincapacité persistante dun État membre de Schengen à contrôler une frontière extérieure de lUnion - et cest le cas dun certain nombre de pays - et une immigration forte et soudaine mettant en cause le bon fonctionnement des règles Schengen.
La France a fait partager cette analyse aux autres États membres de lUnion et elle a largement inspiré, avec lAllemagne et lEspagne, les conclusions du Conseil européen du 24 juin 2011, lequel a invité la Commission à présenter des propositions pour permettre la mise en place de clauses de sauvegarde dans des circonstances exceptionnelles ainsi que pour améliorer le suivi et lévaluation du dispositif Schengen.
Conformément à ce mandat - et je dois saluer ici laction de la commissaire Cecilia Malmström -, la Commission a présenté, le 16 septembre, deux propositions législatives qui visent à instaurer un système dévaluation et de suivi renforcé et une nouvelle procédure de décision pour le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures.
Toutefois, plusieurs points nous semblent problématiques dans la proposition de règlement modifiant les règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans les cas de menace grave à lordre public ou à la sécurité intérieure. Nous devons donc continuer de travailler dans un esprit constructif sur ce projet. Ainsi que la rappelé M. Quentin, dautres États partagent nos préoccupations et nos inquiétudes, à commencer par lEspagne et lAllemagne : leurs ministres de 1intérieur ont cosigné un communiqué conjoint avec Claude Guéant, dont je veux saluer laction déterminée dans ce dossier.
Premier problème : lappréciation des cas de menace grave à lordre public et à la sécurité intérieure doit continuer à relever des compétences de souveraineté nationale.
Comme lindique expressément larticle 72 du Traité de lUnion - que M. Myard connaît bien -, la décision de rétablir temporairement des contrôles aux frontières intérieures est fondée sur une évaluation approfondie de la situation en termes de sécurité nationale. Cette évaluation ne peut être conduite que par les États membres sur la base de lexpertise et des ressources de leurs services de sécurité. Dans ces conditions, un contrôle a priori de la mise en uvre des mesures de réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures nest pas acceptable. Plusieurs États membres lont fermement souligné lors du Conseil justice et affaires intérieures du 22 septembre dernier. En outre, de lavis même de la Commission, les dispositions actuellement applicables ont été mises en uvre sans donner lieu à aucun abus depuis 2006. Il nest donc pas pertinent de vouloir réformer ce qui fonctionne déjà avec mesure et efficacité.
Deuxième problème : le choix de la Commission vise à regrouper au sein de la même procédure et sous langle exclusif des menaces à lordre public ou à la sécurité intérieure lensemble des situations justifiant la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures. La proposition de la Commission fait ainsi un amalgame entre ces menaces et des situations daugmentation forte et soudaine de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière.
Or, on la vu ce printemps à Vintimille, une augmentation inattendue et massive des mouvements secondaires de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière sur le territoire français na pas obligatoirement de conséquences en termes de sécurité ou dordre publics. Pour autant, les États doivent pouvoir y faire face, car une telle situation entraîne un transfert indu de charges dun pays vers un autre, en particulier la prise en charge de léloignement pour les clandestins. Cest ainsi que la France a dû précéder à léloignement dun très grand nombre de Tunisiens, soit vers lItalie - le pays doù ils provenaient directement -, soit vers la Tunisie - leur pays dorigine. Il importe par conséquent de pouvoir disposer dune procédure ad hoc. Un État membre doit pouvoir, en cas de pressions migratoires fortes et soudaines dans un État membre voisin, rétablir, de manière exceptionnelle et pour une durée limitée - quinze jours au maximum -, les contrôles à ses frontières intérieures.
Le troisième problème réside dans la procédure prévue en cas de manquements graves et persistants dun État membre dans le contrôle aux frontières extérieures ou les procédures de retour. Cette proposition rejoint des préoccupations déjà exprimées par la France. Néanmoins, nous ne pensons pas quil faille nécessairement constater une menace grave pour lordre public ou la sécurité intérieure au niveau de lUnion européenne ou à léchelon national.
Dès lors quun manquement grave et persistant est constaté, conformément aux dispositions prévues par le règlement portant création dun mécanisme dévaluation, il ny a pas lieu de se référer en outre à déventuelles conséquences en matière dordre public. La défaillance dun État membre dans ses devoirs relatifs à lapplication de lacquis de Schengen a en effet des conséquences importantes, indues et illégitimes pour les autres États. Les charges exorbitantes quelle implique - instruction des demandes dasile, charge du retour des ressortissants des pays tiers en situation irrégulière - justifient, là aussi, lapplication dun mécanisme de sauvegarde.
Par ailleurs, ce mécanisme doit pouvoir sappliquer tant que le manquement constaté persiste. Il nest ni logique, ni souhaitable de limiter, comme le propose la Commission, la durée possible de rétablissement des contrôles à un maximum de trois prolongations.
Enfin, il serait certainement préférable, pour des raisons dordre juridique interne aux États membres, de prévoir que la Commission «autorise» la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures plutôt quelle ne la « d??cide » , y compris pour sa prolongation.
Chacun connaît la fable de La Fontaine : contrairement au chêne, le roseau plie mais ne rompt pas, ce qui montre bien la fragilité des systèmes trop rigides. Si nous voulons conserver ce qui est lun des éléments majeurs de lacquis européen, à savoir la libre circulation des personnes et des biens à lintérieur de lespace Schengen, nous devons protéger le système existant en lui donnant plus de souplesse et de réactivité.
Nous ne sommes ni pour lEurope-forteresse que nous proposent les populistes et lextrême droite, ni pour le «sans-frontiérisme» utopique parfois défendu par la gauche démocratique. Nicolas Sarkozy et Claude Guéant ont su faire partager à leurs partenaires européens une approche réaliste, celle dun Schengen solidement acquis, mais plus flexible, plus réactif et donc plus efficace. Je suis heureux que, sur ce point comme sur tant dautres, le gouvernement et le Parlement partagent la même vision lucide et le même idéal, et que cette résolution ait été votée à lunanimité en Commission des Affaires européennes.
Q - (à propos de lavis du gouvernement sur les trois amendements déposés par des parlementaires)
R - Lavis du gouvernement est défavorable, mais on peut lever vos inquiétudes, Monsieur Caresche : on pourrait penser, à vous entendre, que lapplication de la clause de sauvegarde annihilerait les règles en vigueur au sein de lespace Schengen. Or le règlement antérieur continue de sappliquer et la clause de sauvegarde ne fait que sy ajouter.
Ensuite, comme vient de le rappeler M. le Rapporteur, le principe de subsidiarité est mentionné pour la première fois en 1992 dans le Traité de Maastricht et dispose que lon doit faire référence au niveau dintervention le plus pertinent lorsquune compétence est partagée. Or la compétence en question ici est partagée entre lUnion européenne et les États membres.
Lintervention européenne ne se justifie que si lUnion européenne est réellement en mesure dagir plus efficacement que les États membres. Suivant le critère de lefficacité, le principe de subsidiarité nimplique pas le choix automatique de léchelon le plus proche mais du niveau daction le plus proche et le plus approprié. À lévidence, lÉtat membre est ici le niveau de pertinence et defficacité le plus élevé.
Aussi la résolution proposée par M. Quentin et approuvée par la commission ne mérite-t-elle pas dêtre affaiblie par vos amendements qui sont du reste déjà satisfaits. Vos inquiétudes, Monsieur le Député, ne sont pas fondées.
(Les trois amendements ne sont pas adoptés)
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 novembre 2011
Chacun admet désormais quil est nécessaire dagir afin que lespace Schengen soit préservé. Cette nécessité sest progressivement imposée comme une évidence, grâce à la détermination du président de la République, qui a agi à plusieurs niveaux afin que nous renforcions ce dispositif.
LEspace Schengen, comme lensemble de la construction européenne, repose sur la confiance et la solidarité. Il est ainsi apparu clairement au premier semestre 2011 que lefficacité et la légitimité de lespace Schengen étaient menacées. Il fallait donc améliorer nos outils et renforcer la mutualisation de nos moyens à travers lagence FRONTEX.
La gouvernance même de lespace Schengen devait également être repensée pour rendre le système plus réactif et efficace. En effet, les règles en vigueur ne permettaient pas de réagir à deux cas de figure : lincapacité persistante dun État membre de Schengen à contrôler une frontière extérieure de lUnion - et cest le cas dun certain nombre de pays - et une immigration forte et soudaine mettant en cause le bon fonctionnement des règles Schengen.
La France a fait partager cette analyse aux autres États membres de lUnion et elle a largement inspiré, avec lAllemagne et lEspagne, les conclusions du Conseil européen du 24 juin 2011, lequel a invité la Commission à présenter des propositions pour permettre la mise en place de clauses de sauvegarde dans des circonstances exceptionnelles ainsi que pour améliorer le suivi et lévaluation du dispositif Schengen.
Conformément à ce mandat - et je dois saluer ici laction de la commissaire Cecilia Malmström -, la Commission a présenté, le 16 septembre, deux propositions législatives qui visent à instaurer un système dévaluation et de suivi renforcé et une nouvelle procédure de décision pour le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures.
Toutefois, plusieurs points nous semblent problématiques dans la proposition de règlement modifiant les règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans les cas de menace grave à lordre public ou à la sécurité intérieure. Nous devons donc continuer de travailler dans un esprit constructif sur ce projet. Ainsi que la rappelé M. Quentin, dautres États partagent nos préoccupations et nos inquiétudes, à commencer par lEspagne et lAllemagne : leurs ministres de 1intérieur ont cosigné un communiqué conjoint avec Claude Guéant, dont je veux saluer laction déterminée dans ce dossier.
Premier problème : lappréciation des cas de menace grave à lordre public et à la sécurité intérieure doit continuer à relever des compétences de souveraineté nationale.
Comme lindique expressément larticle 72 du Traité de lUnion - que M. Myard connaît bien -, la décision de rétablir temporairement des contrôles aux frontières intérieures est fondée sur une évaluation approfondie de la situation en termes de sécurité nationale. Cette évaluation ne peut être conduite que par les États membres sur la base de lexpertise et des ressources de leurs services de sécurité. Dans ces conditions, un contrôle a priori de la mise en uvre des mesures de réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures nest pas acceptable. Plusieurs États membres lont fermement souligné lors du Conseil justice et affaires intérieures du 22 septembre dernier. En outre, de lavis même de la Commission, les dispositions actuellement applicables ont été mises en uvre sans donner lieu à aucun abus depuis 2006. Il nest donc pas pertinent de vouloir réformer ce qui fonctionne déjà avec mesure et efficacité.
Deuxième problème : le choix de la Commission vise à regrouper au sein de la même procédure et sous langle exclusif des menaces à lordre public ou à la sécurité intérieure lensemble des situations justifiant la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures. La proposition de la Commission fait ainsi un amalgame entre ces menaces et des situations daugmentation forte et soudaine de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière.
Or, on la vu ce printemps à Vintimille, une augmentation inattendue et massive des mouvements secondaires de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière sur le territoire français na pas obligatoirement de conséquences en termes de sécurité ou dordre publics. Pour autant, les États doivent pouvoir y faire face, car une telle situation entraîne un transfert indu de charges dun pays vers un autre, en particulier la prise en charge de léloignement pour les clandestins. Cest ainsi que la France a dû précéder à léloignement dun très grand nombre de Tunisiens, soit vers lItalie - le pays doù ils provenaient directement -, soit vers la Tunisie - leur pays dorigine. Il importe par conséquent de pouvoir disposer dune procédure ad hoc. Un État membre doit pouvoir, en cas de pressions migratoires fortes et soudaines dans un État membre voisin, rétablir, de manière exceptionnelle et pour une durée limitée - quinze jours au maximum -, les contrôles à ses frontières intérieures.
Le troisième problème réside dans la procédure prévue en cas de manquements graves et persistants dun État membre dans le contrôle aux frontières extérieures ou les procédures de retour. Cette proposition rejoint des préoccupations déjà exprimées par la France. Néanmoins, nous ne pensons pas quil faille nécessairement constater une menace grave pour lordre public ou la sécurité intérieure au niveau de lUnion européenne ou à léchelon national.
Dès lors quun manquement grave et persistant est constaté, conformément aux dispositions prévues par le règlement portant création dun mécanisme dévaluation, il ny a pas lieu de se référer en outre à déventuelles conséquences en matière dordre public. La défaillance dun État membre dans ses devoirs relatifs à lapplication de lacquis de Schengen a en effet des conséquences importantes, indues et illégitimes pour les autres États. Les charges exorbitantes quelle implique - instruction des demandes dasile, charge du retour des ressortissants des pays tiers en situation irrégulière - justifient, là aussi, lapplication dun mécanisme de sauvegarde.
Par ailleurs, ce mécanisme doit pouvoir sappliquer tant que le manquement constaté persiste. Il nest ni logique, ni souhaitable de limiter, comme le propose la Commission, la durée possible de rétablissement des contrôles à un maximum de trois prolongations.
Enfin, il serait certainement préférable, pour des raisons dordre juridique interne aux États membres, de prévoir que la Commission «autorise» la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures plutôt quelle ne la « d??cide » , y compris pour sa prolongation.
Chacun connaît la fable de La Fontaine : contrairement au chêne, le roseau plie mais ne rompt pas, ce qui montre bien la fragilité des systèmes trop rigides. Si nous voulons conserver ce qui est lun des éléments majeurs de lacquis européen, à savoir la libre circulation des personnes et des biens à lintérieur de lespace Schengen, nous devons protéger le système existant en lui donnant plus de souplesse et de réactivité.
Nous ne sommes ni pour lEurope-forteresse que nous proposent les populistes et lextrême droite, ni pour le «sans-frontiérisme» utopique parfois défendu par la gauche démocratique. Nicolas Sarkozy et Claude Guéant ont su faire partager à leurs partenaires européens une approche réaliste, celle dun Schengen solidement acquis, mais plus flexible, plus réactif et donc plus efficace. Je suis heureux que, sur ce point comme sur tant dautres, le gouvernement et le Parlement partagent la même vision lucide et le même idéal, et que cette résolution ait été votée à lunanimité en Commission des Affaires européennes.
Q - (à propos de lavis du gouvernement sur les trois amendements déposés par des parlementaires)
R - Lavis du gouvernement est défavorable, mais on peut lever vos inquiétudes, Monsieur Caresche : on pourrait penser, à vous entendre, que lapplication de la clause de sauvegarde annihilerait les règles en vigueur au sein de lespace Schengen. Or le règlement antérieur continue de sappliquer et la clause de sauvegarde ne fait que sy ajouter.
Ensuite, comme vient de le rappeler M. le Rapporteur, le principe de subsidiarité est mentionné pour la première fois en 1992 dans le Traité de Maastricht et dispose que lon doit faire référence au niveau dintervention le plus pertinent lorsquune compétence est partagée. Or la compétence en question ici est partagée entre lUnion européenne et les États membres.
Lintervention européenne ne se justifie que si lUnion européenne est réellement en mesure dagir plus efficacement que les États membres. Suivant le critère de lefficacité, le principe de subsidiarité nimplique pas le choix automatique de léchelon le plus proche mais du niveau daction le plus proche et le plus approprié. À lévidence, lÉtat membre est ici le niveau de pertinence et defficacité le plus élevé.
Aussi la résolution proposée par M. Quentin et approuvée par la commission ne mérite-t-elle pas dêtre affaiblie par vos amendements qui sont du reste déjà satisfaits. Vos inquiétudes, Monsieur le Député, ne sont pas fondées.
(Les trois amendements ne sont pas adoptés)
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 novembre 2011