Déclaration de M. Jean Leonetti, ministre des affaires européennes, sur les propositions législatives présentées par la Commission européenne visant à instaurer un système d'évaluation et de suivi renforcé du dispositif Schengen et une nouvelle procédure de décision pour le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures de l'Union européenne, à l'Assemblée nationale le 8 novembre 2011.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Discussion d'une proposition de résolution européenne sur la conformité au principe de subsidiarité relative aux contrôles aux frontières intérieures, à l'Assemblée nationale le 8 novembre 2011

Texte intégral

Monsieur le Rapporteur, vous avez raison de relever, même si le mot est un peu galvaudé, le caractère historique de cette séance : c’est en effet la première fois qu’est débattue dans l’hémicycle une résolution relevant de l’article 88-6 de la Constitution. Cet article, issu de la révision constitutionnelle de 2008, vous permet d’émettre un avis motivé sur la conformité d’un projet d’acte législatif européen au principe de subsidiarité. L’Assemblée nationale voit ainsi son importance renforcée au cœur du débat européen. Le Gouvernement se félicite de cette nouvelle avancée de la démocratie en Europe. La France fera en effet entendre sa voix avec d’autant plus de force et de clarté qu’elle pourra invoquer la volonté du peuple français, exprimée par le vote du Parlement.
Chacun admet désormais qu’il est nécessaire d’agir afin que l’espace Schengen soit préservé. Cette nécessité s’est progressivement imposée comme une évidence, grâce à la détermination du président de la République, qui a agi à plusieurs niveaux afin que nous renforcions ce dispositif.
L’Espace Schengen, comme l’ensemble de la construction européenne, repose sur la confiance et la solidarité. Il est ainsi apparu clairement au premier semestre 2011 que l’efficacité et la légitimité de l’espace Schengen étaient menacées. Il fallait donc améliorer nos outils et renforcer la mutualisation de nos moyens à travers l’agence FRONTEX.
La gouvernance même de l’espace Schengen devait également être repensée pour rendre le système plus réactif et efficace. En effet, les règles en vigueur ne permettaient pas de réagir à deux cas de figure : l’incapacité persistante d’un État membre de Schengen à contrôler une frontière extérieure de l’Union - et c’est le cas d’un certain nombre de pays - et une immigration forte et soudaine mettant en cause le bon fonctionnement des règles Schengen.
La France a fait partager cette analyse aux autres États membres de l’Union et elle a largement inspiré, avec l’Allemagne et l’Espagne, les conclusions du Conseil européen du 24 juin 2011, lequel a invité la Commission à présenter des propositions pour permettre la mise en place de clauses de sauvegarde dans des circonstances exceptionnelles ainsi que pour améliorer le suivi et l’évaluation du dispositif Schengen.
Conformément à ce mandat - et je dois saluer ici l’action de la commissaire Cecilia Malmström -, la Commission a présenté, le 16 septembre, deux propositions législatives qui visent à instaurer un système d’évaluation et de suivi renforcé et une nouvelle procédure de décision pour le rétablissement des contrôles aux frontières intérieures.
Toutefois, plusieurs points nous semblent problématiques dans la proposition de règlement modifiant les règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans les cas de menace grave à l’ordre public ou à la sécurité intérieure. Nous devons donc continuer de travailler dans un esprit constructif sur ce projet. Ainsi que l’a rappelé M. Quentin, d’autres États partagent nos préoccupations et nos inquiétudes, à commencer par l’Espagne et l’Allemagne : leurs ministres de 1’intérieur ont cosigné un communiqué conjoint avec Claude Guéant, dont je veux saluer l’action déterminée dans ce dossier.
Premier problème : l’appréciation des cas de menace grave à l’ordre public et à la sécurité intérieure doit continuer à relever des compétences de souveraineté nationale.
Comme l’indique expressément l’article 72 du Traité de l’Union - que M. Myard connaît bien -, la décision de rétablir temporairement des contrôles aux frontières intérieures est fondée sur une évaluation approfondie de la situation en termes de sécurité nationale. Cette évaluation ne peut être conduite que par les États membres sur la base de l’expertise et des ressources de leurs services de sécurité. Dans ces conditions, un contrôle a priori de la mise en œuvre des mesures de réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures n’est pas acceptable. Plusieurs États membres l’ont fermement souligné lors du Conseil justice et affaires intérieures du 22 septembre dernier. En outre, de l’avis même de la Commission, les dispositions actuellement applicables ont été mises en œuvre sans donner lieu à aucun abus depuis 2006. Il n’est donc pas pertinent de vouloir réformer ce qui fonctionne déjà avec mesure et efficacité.
Deuxième problème : le choix de la Commission vise à regrouper au sein de la même procédure et sous l’angle exclusif des menaces à l’ordre public ou à la sécurité intérieure l’ensemble des situations justifiant la réintroduction temporaire des contrôles aux frontières intérieures. La proposition de la Commission fait ainsi un amalgame entre ces menaces et des situations d’augmentation forte et soudaine de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière.
Or, on l’a vu ce printemps à Vintimille, une augmentation inattendue et massive des mouvements secondaires de ressortissants de pays tiers en situation irrégulière sur le territoire français n’a pas obligatoirement de conséquences en termes de sécurité ou d’ordre publics. Pour autant, les États doivent pouvoir y faire face, car une telle situation entraîne un transfert indu de charges d’un pays vers un autre, en particulier la prise en charge de l’éloignement pour les clandestins. C’est ainsi que la France a dû précéder à l’éloignement d’un très grand nombre de Tunisiens, soit vers l’Italie - le pays d’où ils provenaient directement -, soit vers la Tunisie - leur pays d’origine. Il importe par conséquent de pouvoir disposer d’une procédure ad hoc. Un État membre doit pouvoir, en cas de pressions migratoires fortes et soudaines dans un État membre voisin, rétablir, de manière exceptionnelle et pour une durée limitée - quinze jours au maximum -, les contrôles à ses frontières intérieures.
Le troisième problème réside dans la procédure prévue en cas de manquements graves et persistants d’un État membre dans le contrôle aux frontières extérieures ou les procédures de retour. Cette proposition rejoint des préoccupations déjà exprimées par la France. Néanmoins, nous ne pensons pas qu’il faille nécessairement constater une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité intérieure au niveau de l’Union européenne ou à l’échelon national.
Dès lors qu’un manquement grave et persistant est constaté, conformément aux dispositions prévues par le règlement portant création d’un mécanisme d’évaluation, il n’y a pas lieu de se référer en outre à d’éventuelles conséquences en matière d’ordre public. La défaillance d’un État membre dans ses devoirs relatifs à l’application de l’acquis de Schengen a en effet des conséquences importantes, indues et illégitimes pour les autres États. Les charges exorbitantes qu’elle implique - instruction des demandes d’asile, charge du retour des ressortissants des pays tiers en situation irrégulière - justifient, là aussi, l’application d’un mécanisme de sauvegarde.
Par ailleurs, ce mécanisme doit pouvoir s’appliquer tant que le manquement constaté persiste. Il n’est ni logique, ni souhaitable de limiter, comme le propose la Commission, la durée possible de rétablissement des contrôles à un maximum de trois prolongations.
Enfin, il serait certainement préférable, pour des raisons d’ordre juridique interne aux États membres, de prévoir que la Commission «autorise» la réintroduction du contrôle aux frontières intérieures plutôt qu’elle ne la « d??cide » –, y compris pour sa prolongation.
Chacun connaît la fable de La Fontaine : contrairement au chêne, le roseau plie mais ne rompt pas, ce qui montre bien la fragilité des systèmes trop rigides. Si nous voulons conserver ce qui est l’un des éléments majeurs de l’acquis européen, à savoir la libre circulation des personnes et des biens à l’intérieur de l’espace Schengen, nous devons protéger le système existant en lui donnant plus de souplesse et de réactivité.
Nous ne sommes ni pour l’Europe-forteresse que nous proposent les populistes et l’extrême droite, ni pour le «sans-frontiérisme» utopique parfois défendu par la gauche démocratique. Nicolas Sarkozy et Claude Guéant ont su faire partager à leurs partenaires européens une approche réaliste, celle d’un Schengen solidement acquis, mais plus flexible, plus réactif et donc plus efficace. Je suis heureux que, sur ce point comme sur tant d’autres, le gouvernement et le Parlement partagent la même vision lucide et le même idéal, et que cette résolution ait été votée à l’unanimité en Commission des Affaires européennes.
Q - (à propos de l’avis du gouvernement sur les trois amendements déposés par des parlementaires)
R - L’avis du gouvernement est défavorable, mais on peut lever vos inquiétudes, Monsieur Caresche : on pourrait penser, à vous entendre, que l’application de la clause de sauvegarde annihilerait les règles en vigueur au sein de l’espace Schengen. Or le règlement antérieur continue de s’appliquer et la clause de sauvegarde ne fait que s’y ajouter.
Ensuite, comme vient de le rappeler M. le Rapporteur, le principe de subsidiarité est mentionné pour la première fois en 1992 dans le Traité de Maastricht et dispose que l’on doit faire référence au niveau d’intervention le plus pertinent lorsqu’une compétence est partagée. Or la compétence en question ici est partagée entre l’Union européenne et les États membres.
L’intervention européenne ne se justifie que si l’Union européenne est réellement en mesure d’agir plus efficacement que les États membres. Suivant le critère de l’efficacité, le principe de subsidiarité n’implique pas le choix automatique de l’échelon le plus proche mais du niveau d’action le plus proche et le plus approprié. À l’évidence, l’État membre est ici le niveau de pertinence et d’efficacité le plus élevé.
Aussi la résolution proposée par M. Quentin et approuvée par la commission ne mérite-t-elle pas d’être affaiblie par vos amendements qui sont du reste déjà satisfaits. Vos inquiétudes, Monsieur le Député, ne sont pas fondées.
(Les trois amendements ne sont pas adoptés)
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 14 novembre 2011