Extraits d'un entretien de M. Jean Leonetti, secrétaire d'Etat aux affaires européennes, avec RFI le 16 novembre 2011, sur la crise de la dette au sein de la Zone euro.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Q - Une étude publiée hier par un centre d’études, appelé le «Lisbonne Institut», a estimé que la situation économique de la France était difficilement compatible avec le triple A sur sa dette, selon cette étude qui prend en compte notamment la croissance, la compétitivité et la «soutenabilité» de la dette, la santé générale de la France se placerait entre l’Espagne, qui est en douzième position, et l’Italie en quatorzième ; est-ce que la France est en sursis avant sa prochaine dégradation ?
R - Tous les matins, quelqu’un nous dit que la France va mal. Je constate néanmoins qu’elle conserve son triple A et continue d’avoir une signature crédible. Elle continuera donc à emprunter à un taux qui est l’un des bas depuis vingt ans.
Il faut tout de même rappeler que dans les années 90, on empruntait à 10 %, et personne ne venait faire ce type de commentaires. La France bénéficie donc d’une note triple A, comme l’Allemagne. Si la France emprunte à un taux supérieur à celui de l’Allemagne, c’est parce que sa situation économique est évaluée comme légèrement moins favorable que celle de cette dernière. C’est la raison pour laquelle il faut tendre à une convergence vers les pays vertueux, comme l’Allemagne.
Q - Est-ce qu’il faut mieux encadrer les agences de notation, la presse, en effet, ce matin, est un peu déçue que le projet, présenté par le commissaire Michel Barnier, n’aille pas assez loin dans ce domaine, et que les propositions les plus fortes, comme notamment l’interdiction pour les agences de noter un pays qui bénéficie d’un plan d’aide, ait été retiré ; vous-même, vous trouvez que, il aurait fallu être plus ferme ?
R - Il ne faut pas donner aux agences de notation plus d’influence et de pouvoir qu’elles n’en ont. Leurs notations sont des indicateurs, mais c’est tout. Quand on surestime leur pouvoir, on donne à penser qu’elles font et défont les démocraties. Mais quand on examine objectivement les agences de notations, elles ont deux défauts : d’une part, elles manquent parfois d’objectivité, et d’autre part elles commettent parfois aussi des erreurs manifestes. Lorsqu’elles dégradent par exemple la note financière de la France suite à une erreur technique et que dans le même temps elles viennent s’en excuser.
Tout cela manque de transparence. Je crois donc qu’il faut les regarder avec un peu de distance, tout en en tenant compte comme un indicateur économique.
Q - Les premières dissensions sont apparues dès hier au sein du gouvernement grec de coalition. Les députés du parti Nouvelle Démocratie ont refusé de signer l’engagement écrit de respecter les modalités du dernier plan de sauvetage de la Grèce ; les diktats de Bruxelles, disent-ils, ne peuvent pas constituer une politique légitime ; cela risque-t-il de relancer la crise ?
R - La Grèce vit une période très difficile. Le peuple grec souffre, cela est évident. Néanmoins, rappelons que ce n’est pas une crise de l’euro, ce n’est pas une crise de l’Europe, c’est une crise des dettes. Et la dette de la Grèce est une dette qui est évidemment insoutenable pour le peuple grec. L’Europe est venue à son aide : il y a un plan qui est mis en place. Il est mis en place à l’initiative de Nicolas Sarkozy, le président de la République et d’Angela Merkel, la chancelière allemande, qui ont proposé un plan voté par les dix-sept États membres de la zone euro. Ce plan signifie : solidarité - on vous apporte des moyens financiers pour sortir de la crise - mais il veut dire aussi : discipline budgétaire. Il ne peut pas y avoir de solidarité sans discipline budgétaire.
Il ne peut pas y avoir, de la part des États membres de l’Union européenne qui, eux-mêmes, ont subi, subissent ou pourraient subir des plans de rigueur, de la solidarité sans de la rigueur.
Nous expliquons donc simplement aux Grecs qu’il ne s’agit pas d’un diktat, mais d’un plan pour les aider. Il leur appartient dès lors, de manière démocratique, de choisir s’ils veulent d’un plan qui va leur permettre de sortir de la situation dans laquelle ils se trouvent ou s’ils veulent sortir de l’Europe. L’intérêt du peuple grec, et le souhait de l’Europe, est que la Grèce reste dans l’euro et reste dans l’Europe.
L’Irlande, par exemple, était dans la même situation que la Grèce. Aujourd’hui l’Irlande reprend pied après avoir bénéficié d’un plan à la fois d’aide et de rigueur. Dès lors, la solidarité sans la rigueur est impensable. A contrario, la rigueur sans la solidarité ne peut qu’amener les peuples à plus de misère et plus de difficultés.
Q - L’arrivée de l’extrême droite dans le gouvernement grec ne semble pas gêner grand monde, tout le monde s’est félicité de la formation de ce cabinet d’union nationale, c’est tout de même un peu surprenant, non ?
R - Il s’agit là d’un gouvernement de techniciens. Il y aura plus tard des élections. Or, je constate qu’en Europe, à chaque élection, même dans des situations de grandes tensions et de grandes difficultés, les peuples choisissent des pro-européens et des gens qui affichent avec sincérité et honnêteté la nécessité de faire des efforts.
Les peuples européens ont donc compris qu’il y a une période difficile à traverser, mais que c’est le prix à payer pour que nous conservions notre modèle social, sans hypothéquer dans le même temps l’avenir de nos enfants.
Q - L’arrivée de l’extrême droite n’est donc pas un problème, alors qu’en France, on a ce discours : on ne pactise jamais par exemple avec le Front national…
R - En ma qualité de membre du gouvernement français, je me garderais bien de porter des jugements sur les dirigeants européens ou sur la façon dont les peuples européens les choisissent. On ne peut pas à la fois défendre l’idée que tous ces peuples de l’Union européenne vivent en démocratie, qu’ils sont souverains - ce qui est indubitable - et dans le même temps leur indiquer pour qui ils doivent voter.
(…).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 17 novembre 2011