Conférence de presse de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, sur les relations franco-allemandes, l'Union européenne et la mise en place de l'euro, la tentative de relance du processus de paix au Proche-Orient et sur la situation en Algérie, en Afrique et en Bosnie, Paris le 18 septembre 1997.

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Circonstance : Entretien de M. Védrine avec l'association de la presse diplomatique à Paris le 18 septembre 1997

Texte intégral

Q Concernant le Sommet franco-allemand, il a fallu attendre la fin du mois d'août pour assister à la première rencontre entre le Chancelier Kohl et le Premier ministre français. Il y a eu une certaine défiance du côté allemand pendant un certain temps, on a l'impression que les choses se sont un peu améliorées. Se trouve-et-on aujourd'hui avec l'Allemagne exactement dans le même cas de figure que nous l'étions du temps de la présidence Mitterrand ou bien y a-t-il malgré tout une modification ?
R Je remercie mon ami Dominique Bromberger de ces mots de bienvenue. Je n'ai pas le sentiment d'avoir été muet avant l'été. J'interprète votre présence ici, assez nombreux, comme l'intérêt que vous portez aux questions de fond de la diplomatie française et je suis convaincu que vous avez été aussi nombreux dans d'autres circonstances.
Les relations franco-allemandes sont à la fois toujours les mêmes, car il y a toujours un axe central, celui d'une volonté de faire converger les positions franco-allemandes qui sont toujours au point de départ assez différentes ce sont en effet des pays différents de les faire converger parce qu'il y a une volonté politique de part et d'autre d'aboutir à des positions sur différents sujets qui soient ensuite le moteur de l'Europe. Ceci à travers l'idée d'une Europe qui se construit. C'est l'idée générale qui est présente à toutes les époques. J'insiste souvent pour rappeler qu'il ne faut pas partir de l'idée qu'il y a une harmonie préétablie, cela n'existe jamais entre deux pays, même entre deux pays d'Europe, même entre la France et l'Allemagne. Les situations politiques, sociales, les opinions publiques ne sont pas les mêmes. Il s'agit de savoir si la volonté politique de faire converger ses positions dans une même direction est toujours là. C'est bien le cas. Vous en avez une très remarquable démonstration à travers tout ce qui touche à l'euro. Si ce grand projet a toujours corps depuis plusieurs années, il a rencontré d'abord un scepticisme condescendant, puis beaucoup de critiques et finalement le temps passe, la volonté est là, à Bonn, à Paris, à travers des changements, des avatars successifs, mais la volonté est toujours là et l'on voit que ce très grand projet pour l'Europe, qui va changer le rapport de forces dans le monde, et pas uniquement dans le domaine monétaire, prend une forme irréversible et que la décision prévue sera prise à la date prévue et dans les conditions prévues par le Traité et concernant un grand nombre de pays. Donc, la première des réponses à la question de Dominique Bromberger, est celle-là. Mais je vous invite à vous reporter aux interrogations, au scepticisme exprimés depuis des années ou des mois. C'est un contraste que ce rendez-vous, maintenant proche, s'annonce comme devant être tenu. C'est un élément considérable et qui relativise d'un coup toutes les interrogations dont ce cheminement était ponctué. Je ne crois pas aujourd'hui que ceux qui demeurent hostiles à ce grand projet, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur de l'Europe, sont en mesure de se mettre en travers. Cela est un point très important.
Pour le reste, la France et l'Allemagne traitent les problèmes au fur et à mesure qu'ils se présentent et je crois qu'il faudrait éviter une sorte de phénomène d'optique qui est dû au fait qu'objectivement, l'Europe a devant elle, sur sa table de travail, des sujets aujourd'hui très compliqués, non pas à cause de la France ni de l'Allemagne, ni d'un manque de volonté, mais parce qu'ils sont réellement très compliqués. Cela va bien supposer un an ou deux de travail. Ces sujets sont la conjonction de la décision d'élargissement, qu'il faut parfaitement bien maîtriser pour que les conséquences soient heureuses pour tout le monde, et la question du financement des années 2000-2005.
Chacune de ces questions, chacun de ces impératifs on n'a pas le choix, on ne peut pas les traiter ou ne pas les traiter, elles s'imposent dans les deux cas posent toute une série de questions sur lesquelles j'ai été amené à répondre clairement dès avant l'été et, depuis, à plusieurs reprises ainsi que Pierre Moscovici, Dominique Strauss-Kahn ou d'autres responsables concernés, sans oublier naturellement au premier chef, le Président de la République et le Premier ministre.
En ce qui concerne l'élargissement, nous y sommes favorables, et nous déciderons à la fin de l'année au Conseil européen quels sont les pays pour lesquels l'Union doit engager les négociations. Vous savez tous que la Commission a fait des propositions jusqu'ici. Ce sont des avis. C'est le Conseil européen qui décidera d'établir une liste qui soit plus courte ou plus longue s'il l'entend, et ensuite, il faudra commencer les négociations. Un des soucis de la diplomatie française est de faire en sorte que ce processus, d'abord n'affaiblisse pas l'Union européenne, puisque ce que nous voulons est simple : nous voulons que l'Europe demeure forte, capable d'avoir de grandes politiques communes, de garder celles qu'elle a déjà, même s'il faut les adapter, d'en développer d'autres, comme les traités le permettent, même s'il y a des dispositions qui n'ont pas encore été utilisées. Il faut pouvoir élargir, sans affaiblir, ce qui suppose de maintenir ou de retrouver une capacité de décision efficace et nous avons dit que les résultats d'Amsterdam ne sont pas inexistants puisqu'il y a deux ou trois dispositions utiles, comme par exemple les coopérations renforcées. Mais ils sont tout à fait insuffisants par rapport à cet objectif. Pour le moment, les pays qui sont animés par cette conviction sont peu nombreux en Europe. L'Italie, la Belgique et la France qui partagent les mêmes préoccupations ont décidé de devoir déposer le texte d'une déclaration, ne serait-ce que pour éclairer les débats qui vont venir sur la ratification d'Amsterdam. Naturellement cette approche suppose qu'elle soit comprise des pays qui sont candidats à l'adhésion, mais là il faut voir les choses logiquement.
Les pays qui sont candidats à l'adhésion sont attirés par l'Union européenne car depuis des années, l'Union montre sa force. Même quand il y a dans la construction des pauses, des moments plus compliqués que d'autres, il y a des moments d'avancée. Globalement, cette construction européenne, est quand même un phénomène frappant, sur l'échelle du monde depuis une dizaine d'années. Donc, ces pays d'Europe centrale ou orientale ou du Sud-Est de l'Europe sont attirés par cette construction. Ce qui les attire, c'est que cela avance, c'est que, la construction se développe, c'est qu'il y a de grandes politiques communes, avec des
moyens budgétaires significatifs. Ces pays ne cherchent pas à entrer dans une Europe qui serait abolie, affaiblie, incapable de se financer, qui n'arriverait plus à préserver ses politiques communes anciennes ni à en développer de nouvelles, qui n'arriverait plus à décider quoi que ce soit.
Lorsque nous mettons en avant cette nécessité d'une réforme institutionnelle avant les prochains élargissements, nous avons le sentiment quand je dis "nous", c'est parce qu'il s'agit d'un texte belge que nous avons accepté avec l'Italie d'aller dans le sens de l'intérêt général des pays membres et des pays candidats. Ne pas créer de nouveaux clivages, c'est aussi apporter une réponse à la demande des autres pays candidats qui ne seront pas dans le processus de négociation dès le début. Ceux d'entre eux qui seront retenus par le Conseil européen à la fin de l'année, j'en ai déjà parlé. C'est là où ce gouvernement a décidé de reprendre l'idée lancée par le gouvernement précédent d'une conférence. Cela nous paraît une très bonne idée car ce serait l'occasion de rassembler, dans l'idéal avant le début des négociations en 1998, sous la présidence britannique, l'ensemble des pays membres et des pays candidats. Nous en discutons entre membres de l'Union européenne et je peux vous dire que l'accord général n'est pas complètement acquis, mais cette idée a vraiment progressé en quelques semaines. La Commission l'a reprise dans ses avis et il reste une discussion sur la forme de participation ou de programme. Il faut à la fois donner à cette conférence un contenu substantiel pour qu'elle ait de l'intérêt pour les participants, et elle ne peut pas être en même temps, subrepticement, un lieu dans lequel s'entame la négociation que nous n'aurions pas déclaré ouverte. II faut définir entre les deux un domaine de travail.
Sur l'ensemble de ces questions, on s'aperçoit qu'il y a des sujets sur lesquels la France et l'Allemagne, comme elles ont su l'être dans tous les grands moments, sont vraiment le moteur d'éléments considérables et l'on voit que les émois du mois de juin ne sont plus de mode, plus personne n'en parle. Ce qui a été écrit au mois de juin n'est plus en rapport avec la réalité d'aujourd'hui et les questions que l'on se pose aujourd'hui. En très peu de temps, l'horizon s'est complètement éclairci sur ce point; on a même le sentiment que les choses vont plus vite et qu'il y a, au cur de ce rythme, une entente franco-allemande.
Toutefois, il y a d'autres sujets sur lesquels il n'y a pas convergence immédiate car les intérêts sont différents et parce que c'est compliqué. Nous allons en discuter, ce n'est pas la première fois que cela arrive. Lorsque l'on fait le tour de table sur l'ensemble des questions de l'Agenda 2000, on s'aperçoit que pour le moment, aucun des membres n'est d'accord avec aucun des autres. Sur les questions compliquées du financement que j'ai évoquées rapidement, chacun, pour démarrer la discussion, affiche ses positions. C'est le cas de la France et de l'Allemagne. Je ne pense pas qu'il faille monter cela en exergue. Cela va durer longtemps, il y en a pour plusieurs mois, un an, un an et demi, et c'est normal. Prenons cela avec calme.
Quant aux relations Chancelier/Premier ministre, je ne sais pas du tout pourquoi on a parlé de méfiance. Au contraire, les rencontres ont été très immédiates : à peine ce gouvernement était-il constitué qu'il y a eu la rencontre de Poitiers et le Sommet d'Amsterdam qui a abouti tout de suite à un accord qui, huit jours avant, était présenté comme impossible :les engagements pris par rapport à la stabilité monétaire ont été immédiatement complétés, équilibrés, enrichis par des dispositions sur la coordination des politiques économiques à construire, à partir de l'article 103. Mais notre gouvernement a obtenu à Amsterdam que ces dispositions soient remises au premier plan.
Ensuite, il faut bâtir. Mais dans l'histoire européenne, tous les spécialistes présents le savent, on a souvent bâti de grandes politiques à partir d'un article ou deux, de peu de choses au départ. C'est une question de volonté par la suite. C'est la discussion qui a lieu en ce moment dans les Conseils Ecofin pour savoir quelle forme prendra à l'avenir cette concertation des ministres de l'Économie et des Finances sur la questions de l'euro. J'ai la conviction que cela ira au-delà et que, de toute façon, cela imposera, quels qu'aient été les textes à l'avance, une concertation sur les grandes décisions, et nous serons "dans" la politique économique et dans la politique tout court au bon sens du terme. Ce sera une évolution logique.
Voilà le panorama tel que je le vois aujourd'hui. Il me semble que le Chancelier et le Premier ministre avaient noué tout de suite, en plus des bonnes relations qui existent entre le chancelier et le Président de la République, des relations directes, utiles. Les entourages ont été en contact immédiatement. Cela leur a permis d'ailleurs, lorsqu'ils se sont vus à Bonn, il y a quelques jours pour un déjeuner de travail, d'être tout de suite dans le cur des sujets plutôt bilatéraux cette fois-ci. Il y a cette nouvelle date qui se présente, c'est Weimar qui, comme tous les sommets que vous connaissez, est une date dans un continuum, en fait.
Q Considérez-vous que les perspectives pour que l'Angleterre se joigne à l'euro se sont améliorées depuis le 1er mai 1997 et que l'attitude pragmatique du nouveau Premier ministre britannique risque de le faire aller dans le sens d'une adhésion plus rapide que le gouvernement précédent ?
R Il me semble en effet qu'il y a une évolution dans ce sens à Londres, consistant à dire que le fait que la Grande-Bretagne rejoigne l'euro le moment venu n'est pas impossible. Il me semble même qu'il y a quelques déclarations du Premier ministre britannique, ou de certains membres de son gouvernement, encourageant le débat en Grande-Bretagne sur cette question pour que les milieux économiques ou autres, qui sont favorables à cela, puissent s'exprimer plus franchement. En effet, cela va dans ce sens. Mais cela ne conduit pas jusqu'à penser que la Grande-Bretagne puisse se joindre au premier groupe de pays qui décideront l'euro. Mais la tendance est bien celle que vous indiquez et nous nous en réjouissons beaucoup.
Q Votre éloge répété de l'euro comme moteur fédérateur de l'Europe signifie-t-il que votre évaluation des chances de progresser aujourd'hui sur la PESC ou sur la défense est négligeable et que ces éléments qui étaient présentés comme importants, il y a quelques années, sont des voies qui ne sont pas allées très loin jusqu'à présent ?
R Je n'exagère pas l'analyse positive que je fais de ce que sera l'euro demain et d'autre part les perspectives aujourd'hui d'y arriver, car il me semble que les autres voies sont bouchées. Je constate, indépendamment de toute autre considération sur les autres volets de la construction européenne et sur la PESC par exemple, que l'euro est un très grand projet, qui aura des répercussions dans d'autres domaines et c'est vrai, j'ai employé dans une vie antérieure l'expression de "choc fédérateur", non pas que je sois fédéraliste, mais je voulais dire un choc tellement fort dans toute sorte de domaines qu'il va fédérer les énergies, relancer la construction européenne, y compris sur des terrains non monétaires. C'est plutôt une expression littéraire que constitutionnelle, en réalité. Mais cela va dans le sens de l'élan. Ce que je pense de l'euro, je le dis parce que c'est ce que je pense, ce n'est pas lié au reste.
Quant à la PESC, c'est vrai que moi qui ai eu la chance d'être dans les petits groupes qui ont, à un moment donné, pensé qu'il fallait mettre ce concept en avant, je pense que cette idée a beaucoup souffert par la suite d'un excès de bonnes intentions et d'une sorte de naïveté dans la présentation. C'est vrai qu'à l'origine - je ne parle pas que des commentateurs, cela a été dit aussi par des responsables politiques ou diplomatiques -, il y a eu une sorte d'élan d'optimisme, sympathique d'ailleurs, après le Traité de Maastricht, après l'introduction de ces dispositions sur une politique étrangère et de sécurité commune, qui ont créé une attente très forte dans beaucoup de pays d'Europe, surtout en France il faut bien le dire mais dans d'autres pays d'Europe aussi. Dans cette ambiance, on a peut-être un peu oublié la profonde différence qui existe entre les pays de l'Union européenne, différence d'Histoire, d'intérêt, de sensibilité, de réaction, d'amitié, d'inimitié par rapport à ceci ou cela. Cela a été d'autant plus préjudiciable à cette belle et grande idée que cela a coïncidé avec des grands conflits tragiques face auxquels tout un chacun, que ce soient les ministres ou les simples citoyens, auraient voulu pouvoir agir tout de suite. D'où une période de désenchantement. "Qu'est-ce que cette PESC que l'on a décidé et qui ne marche pas, qui ne se concrétise pas, avec tel ou tel drame qui se poursuit ?" Ensuite, nous sommes entrés dans une période de désamour et de scepticisme par rapport à cela. Je ne néglige pas les travaux des institutions spécialisées, les réunions qui ont lieu à Bruxelles, les travaux d'experts, les Conseils des ministres etc... mais tout cela n'a pas pris la force qu'une partie de l'opinion attendait. 11 ne faut pas se décourager. C'est une idée qui garde toute sa force. C'est une immense ambition, et je pense qu'il sera encore plus difficile de bâtir, de construire la politique étrangère commune sans parler de la question de sécurité, qui sera encore plus compliquée que de fabriquer le calendrier pour la monnaie et de s'y préparer. Je ne le dis pas aujourd'hui sous le coup d'une désillusion ou parce que, devenant ministre, j'ai pris conscience de la difficulté des choses. J'ai toujours pensé cela, j'avais même employé longtemps l'expression : "les mentalités nationales, c'est comme des aciers très résistants, il faudra pour fabriquer des alliages, une forge à très haute température pour fabriquer de la politique étrangère commune." Cela reste devant nous, c'est une nécessité absolue pour l`Union européenne, surtout avec la force nouvelle, le poids nouveau qu'elle va acquérir dans le monde à travers l'euro c'est une nécessité de garder ce cap mais de reprendre cette volonté d'élaborer une politique étrangère commune avec une combinaison peut-être un peu différente de volonté très forte et d'empirisme très grand. Ensuite, en prenant les sujets qui ne manquent pas : l'Europe souhaite pouvoir vivre en paix avec des voisins qui eux-mêmes réussissent à surmonter leurs problèmes. C'est surtout cela que je voudrais dire par rapport à la question de Pierre Haski : essayons de ressortir cette idée de PESC du désamour relatif où l'a plongée le fait que l'on n'ait pas pu la mettre en oeuvre d'un coup, comme s'il s'agissait d'abaisser un commutateur électrique et le courant passe. Non, ce sera beaucoup plus compliqué, c'est une construction à long terme où il faut que quelques pays européens entraînent les autres en définissant sur des grands sujets ce que peut être une approche commune, dès lors que, pour chacun d'entre eux, c'est un multiplicateur d'influence et non pas un réducteur d'influence. Voilà les données du problème aujourd'hui.
Q On a longtemps parlé, il y a quelques mois, d'une arrogance allemande concernant les questions franco-allemandes et les questions européennes. Ne nous trouvons-nous pas maintenant en face d'une inversion qui serait une arrogance française puisqu'il semble que tout va mieux en France et tout va mal en Allemagne ?
R De la part de quels Français ?
Q Pour l'arrogance allemande ou l'arrogance française ?
R Pour l'arrogance française.
Q Je dis simplement que les Français semblent beaucoup plus à l'aise maintenant pour parler aux Allemands qu'ils ne le furent il y a quelques mois ?
R II faut corriger tout cela des variations saisonnières. Tous ces grands pays d'Europe, et les autres d'ailleurs, à commencer par l'Allemagne et par la France, traversent des phases plus ou moins faciles sur le plan de la conjoncture économique, sur le plan de l'actualité politique, et ils connaissent plus ou moins d'autres difficultés. Mais, l'idée centrale doit être protégée de cela 1l y a des pays qui ont de bons résultats, ils en sont très contents, ils le proclament. Les dirigeants ont besoin de le mettre en évidence par rapport à l'opinion publique à un moment donné, même si cela ne se veut pas désagréable par rapport aux voisins. A d'autres moments, c'est plus difficile, les dirigeants de tel ou tel pays disent "on serre les dents, on y arrivera quand même". Ce n'est pas très important. Il me semble que depuis longtemps, il y a eu sur les questions dont nous parlions avant, ni arrogance française ni arrogance allemande. Cela va plus ou moins bien, les commentaires sont exponentiels par rapport à la situation : quand il y a quelques difficultés dans un pays, les commentaires sont extrêmement inquiets, s, très pessimistes. Quand cela va mieux, ils deviennent facilement triomphalistes. Le trait est noirci pour des raisons techniques de communication avec la grande opinion publique. Non, je ne vois pas d'arrogance, je vois deux pays qui gardent la même volonté à travers des problèmes qui se suivent.
Q Pouvez-vous nous préciser quelle influence peuvent avoir à votre avis les élections allemandes, le processus de politique intérieure allemande ? Dans quelle mesure l'approche des élections est-elle susceptible de geler un certain nombre de dossiers et dans quelle mesure, à votre avis, un éventuel changement de majorité en Allemagne est supposé changer l'approche d'un certain nombre de dossiers ?
R Je ne peux faire aucun commentaire de politique intérieure allemande et donc je ne peux pas spéculer sur l'influence de ceci ou cela, encore moins sur le résultat des élections. Ce que j'observe, c'est que lorsque nous parlons de la relation franco-allemande, de l'euro, de la construction européenne et ses différents volets, sur lesquels nous avons maintenant beaucoup de recul. Nous avons pu voir au fil des années, voire des décennies, que dans ces deux pays, ces orientations étaient tellement fortes, tellement justifiées, tellement importantes pour l'avenir que les différents gouvernements, les différents présidents ou chanceliers les reprennent.
C'est un élément d'optimisme raisonné, réfléchi qui peut nous amener, sur les questions dont nous parlions, puisque nous ne sommes pas censés ici faire des analyses de politique intérieure, à relativiser les inquiétudes que vous exprimez. Je crois que ce à quoi nous sommes attachés, se poursuivra
Q L'attitude du parti communiste vis-à-vis des problèmes européens, restrictifs bien sûr, vous cause-t-elle quelques soucis ?
R Non, je vois que les communistes font partie de cette majorité et de ce gouvernement. Ils sont entrés sur des bases très claires puisque les orientations ont été fixées, dès le début, sur la question de l'euro qui est un peu centrale. Lionel Jospin a été parfaitement clair dès le début, il y avait simplement la question de l'équilibre à trouver, du complément à trouver en matière de politique économique par rapport aux engagements pris sur la stabilité monétaire. Pour le reste, dès le début, il n'y a eu aucune ambiguïtés Ce gouvernement veut que l'euro se fasse, à la date prévue et dans les conditions prévues par le Traité, et fait ce qu'il faut pour cela. Où est le souci ?
Q Le souci est que les communistes demandent un référendum sur l'euro et il faudra bien que quelqu'un cède
R J'ai déjà eu l'occasion de dire et je ne suis pas chargé de traiter spécialement ce sujet j'ai eu l'occasion de rappeler que le référendum a eu lieu. Il y a eu un référendum en France sur le Traité de Maastricht il y a quelques années. Le Traité comportait toute une série de dispositions dont celle-là. Les arguments pour et contre ont été échangés.
Q Allez-vous parler d'Airbus à Weimar ? Surtout, ces dernières années, on a eu l'impression que, à tort ou à raison (impression partagée par nos partenaires ou par les investisseurs étrangers, notamment américains) que la France traînait un peu les pieds et c'était la raison pour laquelle Airbus ne devenait pas une société à statut international normal, une société de droit privé si j'ai bien compris. On a l'impression que les choses sont en train de bouger AlIez-vous essayer d'accélérer un peu le dossier à Weimar puisqu'en matière de conférence aéronautique, si on n'avance pas, on risque de reculer très vite ?
R Le Premier ministre et le gouvernement sont décidés à prendre ces dossiers à bras le corps. Les discussions ont commencé à partir d'une conscience très nette de la nécessité dans ce domaine-là et dans quelques autres aussi, très importants, de doter l'Europe de grandes industries à la taille de la compétition mondiale. Je ne peux pas vous en dire plus pour le moment, mais sachez qu'il y a une volonté claire et que le gouvernement s'est saisi du dossier. Le travail dont vous me parlez dans le domaine aéronautique a déjà commencé. Vous en verrez bientôt les résultats.
Q Quelle est votre définition de l'Europe-puissance dont vous dites que c'est une idée et volonté française mais qu'elle n'est pas partagée par nos principaux partenaires, dont l'Allemagne, me semble-t-il ?
R Quand j'ai fait cette remarque, c'était dans le cadre d'un raisonnement plus général. II ne faut pas penser que l'idée que nous nous faisons en France de l'Europe, de ce qu'elle doit devenir et de ce qu'elle pourrait faire, est instinctivement partagée par les autres. On le voit sur tous les sujets dont nous avons parlés. Donc, c'est de ma part, une façon d'inciter sans arrêt les Français, les journalistes, les parlementaires, les intellectuels, les hommes d'affaires, non pas à décréter depuis Paris telle ou telle chose, mais essayer d'expliquer, de convaincre, et d'aller chez nos partenaires sans arrêt, en animant un débat qui est un dialogue, dont je pense qu'il est constamment insuffisant Je ne pense pas qu'au dialogue franco-allemand. Je pense à tous les dialogues - il y a 14 partenaires dans l'Union européenne et dans la mesure où nous avons des pensées assez originales sur beaucoup de sujets, des projets très typiquement fiançais, que nous y sommes très attachés, que nous pensons, à juste titre je crois, qu'ils pourraient apporter de meilleurs solutions sur beaucoup de plans, il faut donc convaincre, il faut expliquer. Au cur de cette différence, il y a cette idée d'une Europe-puissance. Pour l'opinion publique française, pour les élites françaises, c'est une idée qui est instinctivement sympathique. Pour beaucoup d'autres pays en Europe, c'est une idée qui inspire la circonspection. "Qu'est-ce que c'est que cette Europe-puissance ? Comment fonctionnerait-elle ? Est-ce une idée purement française ? Ou les Français veulent-ils simplement enrôler les autres dans une aventure qui est la leur, qui correspond à leur propre nostalgie ? Dans ce cas, cela ne nous intéresse pas..:" Mais il y a aussi des domaines dans lesquels les Européens sont prêts à considérer qu'ils ont des intérêts communs très forts. J'ai l'air de me répéter mais c'est la réalité qui est fabriquée ainsi ; l'aventure de l'euro, c'est cela que fait-on d'autre lorsque l'on fabrique une grande monnaie ? Une monnaie qui va être immédiatement une des très grandes monnaies du monde. Là, on le fart sur un terrain où les intérêts convergent, personne ne brisque personne. Ce sont des engagements pris ensemble, et il y a une logique qui se développe ensuite. Lorsque l'on veut aller au-delà, c'est plus compliqué. Si on entend sous le label "Europe-puissance", que nous voudrions engager, nous Français, l'Europe dans tel ou tel conflit très difficile à traiter; toute une partie des pays d'Europe a un réflexe différent en disant que l'on ne peut pas le traiter, car c'est trop compliqué. Pourquoi aller là, pourquoi mettre en évidence notre faiblesse ? Pour une partie des opinions publiques, s'occuper des drames dans le monde, cela consiste à parler, exprimer des sentiments sympathiques mais inopérants à leur sujet. Il y a un autre décalage. La bonne démarche pour un pays comme nous qui, toutes tendances politiques confondues, est animé par l'idée de ce qu'une Europe forte pourrait améliorer les choses, pour simplifier. Je crois que là aussi, il faut expliquer sans arrogance, faire partager ce sentiment et essayer de partir des domaines dans lesquels il y a de vrais intérêts communs, parce que là, cela heurte moins. On a cité L'aéronautique, c'est un très bon exemple. Dans certains débats au sein de l'Organisation mondiale du Commerce, ou plutôt au sein de l'Union européenne quand s'élaborent les positions qui sont ensuite défendues par la Commission devant l'Organisation mondiale du Commerce parce que c'est elle qui défend nos intérêts, on voit qu'un noyau européen se constitue et, dès lors que c'est présenté d'une façon qui n'est pas théorique mais pratique, il y a une démarche dans laquelle les Européens acceptent d'entrer. Beaucoup de pays européens sont heurtés par certaines lois qui ont, pour origine, le Congrès des Etats-Unis, qui sont des lois unilatérales qui ne choquent personne, si ce sont des lois faites par le Congrès américain pour les Etats-Unis naturellement, mais qui peuvent choquer ou ne pas être comprises si ce sont des lois que le Congrès prétend imposer au reste du monde parce que là. nous sommes dans un cadre d'unilatéralisme alors que l'Europe est très attachée au contraire à une approche multilatérale des problèmes: c'est l'essence même de sa construction et c'est l'idée qu'elle se fait des bons rapports entre chaque pays du morde et les autres. Pour aller dans la direction d'une Europe qui a de plus en plus de poids et qui l'utilise de façon utile pour tout le monde. je crois qu'il faut aller sur des terrains qui soient concrets, correspondant à des problèmes réels, perçus comme tels chez nos partenaires. en évitant des déclarations d'intention qui ne soient pas suivies des faits. Par cette démarche progressive, et compte tenu du coup de fouet que va donner l'euro sur beaucoup de plans, nous avancerons dans cette direction.
Q A propos de l'euro, vous avez dit que l'on a l'impression que les choses vont plus vite, pourraient-elles aller encore plus vite, après la désignation des pays qui participeront à l'euro, après la fixation des parités entre leur monnaie qui aura lieu pratiquement en même temps si j'ai bien compris ? Est-ce que l'entrée dans la troisième phase pourrait se faire avant le ler janvier 1999 ?
R Je ne sais pas mais j'aurais tendance à vous répondre que de toute façon, les délais sont très courts déjà. Nous sommes vraiment dans la phase de prélancement.
Q Quel est votre avis sur les relations entre la France et Israël surtout après vos dernières déclarations et la réponse de votre homologue israélien. Peut-on parler d'un climat au beau fixe ?
R Je pense que dans les relations d'amitié, entre des pays qui sont fondamentalement amis pour toute sorte de raisons, vous avez toujours spontanément des sujets d'entente et des sujets de mésentente. Cela n'a rien de tragique. Dans le cas plus particulier des relations entre !a France et Israël, à s'agit d'une relation forte, profonde et indéfectible d'amitié, mais qui autorise à la franchise dans certains cas et même, impose la franchise. Le fait qu'à certains moment, il faille se dire des choses qui sont des observations critiques ou surtout inquiètes, ne met évidemment pas en cause les relations en tant que telles.
Q Avez-vous le sentiment que la visite de Mme Albright en Israël peut débloquer les choses sur le processus de paix ?
R Je vous dirais que nous sommes très contents que Mme Albright ait effectué cette tournée au Proche-Orient. Nous souhaitons que les Etats-Unis, la France l'a dit à plusieurs reprises, que ce soit par la bouche du Président de la République ou du gouvernement ou de moi-même, nous souhaitons que les Etats-Unis restent impliqués dans la recherche d'une solution de paix au Proche-Orient. Nous pensons qu'ils sont engagés par le rôle qu'ils ont joué ces dernières années, dans la mise en place d'un processus de paix et d'un mécanisme de négociation et de travail pour aller vers la paix. C'est quelque chose qui a été élaboré difficilement, laborieusement, après des années et des années d'efforts politiques et de décisions politiques extrêmement courageuses de la part de grands dirigeants israéliens ou palestiniens et donc il y a un mécanisme, un processus qui a beaucoup de prix, qui est très important et dont les Etats-Unis sont garants compte tenu du rôle qu'ils ont joué. Donc, pour ces raisons, très simplement, comme nous sommes profondément attachés à ce qu'il y ait enfin un jour une solution équitable et stable au Proche-Orient, une solution de paix et de sécurité, pour les Israéliens, pour les Palestiniens, pour les autres populations arabes, comme nous souhaitons cela ardemment, nous souhaitons que les Etats-Unis demeurent engagés. Quand nous avons observé à un moment donné un certain retrait, une certaine passivité américaine, nous avons pensé que cela n'allait pas dans le bon sens. Cela a été dit par le Président de la République, par moi-même à plusieurs reprises. Mme Albright va au Proche-Orient, c'est très bien. Elle est allée voir tous les protagonistes de l'ensemble des conflits de la région, et nous observons qu'elle a obtenu pour le moment quelques décisions, quelques promesses de décision. C'est déjà cela. II faut voir dans quelle mesure elles se concrétisent. Mais le fait que par exemple, le gouvernement israélien ait accepté de lever le blocus de quatre villes, le fait qu'il ait accepté de rétrocéder une partie des sommes qui étaient dues à l'Autorité palestinienne au titre de la fiscalité, ce sont deux indications qui, naturellement ne constituent pas à elles seules la reprise d'un processus, personne ne le pense, mais cela va dans le bon sens. D'autre part, le langage qu'elle a tenu ne coïncide pas exactement avec le nôtre, mais celui qu'elle a tenu aux uns et aux autres sur l'incitation à lutter plus et sans relâche toujours contre le terrorisme. Du côté des responsables palestiniens tout en sachant qu'ils sont quand même placés dans une situation qui fait qu'ils peuvent faire tout ce qu'ils peuvent mais il n'y a pas de garantie absolue, mais qu'ils doivent cependant faire beaucoup le discours tenu par ailleurs sur la nécessité d'arrêter la colonisation et d'autre part, de retrouver un processus de solution politique, ce sont des indications qui nous paraissent aller dans le bon sens. Donc, nous pensons qu'elle a eu raison de dire cela, qu'elle a bien fait de le dire, et que les quelques indications encore fragiles qui vont dans le sens de la recherche d'une solution sont les bienvenues et qu'il faut les encourager. Pour la suite, nous souhaitons qu'elle poursuive ses efforts, nous souhaitons que les Etats-Unis restent impliqués au niveau du Secrétaire d'Etat et au niveau du Président des Etats-Unis. Nous souhaitons beaucoup que le Congrès des Etats-Unis aussi apporte son concours à la recherche d'une politique qui serait naturellement une politique de lutte contre le terrorisme cela va de soi, mais on le dit presque constamment, presque chaque jour, et d'autre part, une politique qui redonne corps au processus de paix. Donc, voilà ce que nous pensons sur ce qu'a fait Mme Albright. Mais naturellement, si l'implication américaine est indispensable, comme nous le pensons, comme le pense l'ensemble des protagonistes des conflits de la région, elle n'est pas suffisante. Il y a un rôle utile à jouer par beaucoup d'autres acteurs, à commencer par l'Europe, la France et d'autres pays bien sûr.
Q Et puis peut-être par Israël. Comment voyez-vous la lisibilité de la politique de M. Netanyahou concernant la paix au Proche-Orient ?
R Je ne veux pas revenir sur ce que j'ai dit dans d'autres circonstances et répondre d'ailleurs à des questions assez différentes des vôtres. Je dirais que cela dépend de lui.
Q Allez-vous entamer une tournée au Proche-Orient maintenant, c'était prévu en juillet, elle a été reportée, avez-vous des idées au niveau européen qui seraient différentes de celles de Mme Albright ?
R Deux choses : je n'ai pas prévu de tournée, elle n'a jamais été reportée parce qu'aucune date n'a été fixée. J'ai naturellement l'intention d'y aller, la date n'est pas encore fixée, j'attendais de voir les résultats de la tournée de Mme Albright. Je vais la semaine prochaine à New York où j'aurai des contacts avec tous les ministres de cette région, et avec Mme Albright à plusieurs reprises, et puis nous ferons le point ensuite. Nous ne cherchons pas à faire des tournées pour faire des tournées. Je ne sais d'ailleurs pas quand j'irai et si j'irai en une fois partout, car dans le projet que nous avions tenté d'élaborer pour l'été (ce qui fait que cela avait été pris pour l'annonce d'une tournée puisqu'après certains ont dit qu'elle était reportée, ce qui était faux puisque l'on avait jamais pu arrêter les dates précisément), les dates ne coïncidaient pas avec l'ensemble des étapes et l'agenda de l'ensemble des responsables que je voulais voir. Mais, le point essentiel que je voudrais souligner pour vous est le suivant est-ce que nous estimons que nous avons un rôle utile à jouer, de même que l'Europe a un rôle utile à jouer ? Ce serait un rôle qui, dans notre esprit doit se combiner et être complémentaire du rôle des Etats-Unis, c'est pour cela que nous souhaitons, à chaque fois, que les Etats-Unis jouent un rôle effectivement. Ensuite c'est quelque chose qui est à discuter avec les Israéliens, les Palestiniens, et les autres pays qui jouent un rôle actif par rapport à cela, comme l'Egypte par exemple. J'ai longuement parlé hier soir au téléphone avec mon homologue égyptien sur ces questions, et donc c'est plus l'idée de rôle utile que le fait d'aller sur place qui est un des éléments d'une politique, mais ce n'est pas la seule façon de travailler sur le Proche-Orient et de chercher des solutions, il y a un travail considérable qui se fait tous les jours depuis Paris, et qui peut se faire à New York. Cela dit, j'irai naturellement dans cette région. Ne serait-ce que parce qu'elle me passionne et que j'y suis très attaché.
Q Vous présentiez tout à l'heure comme des signes positifs des avancées, les récents gestes de Benjamin Netanyahou. C'est un peu le grand art d'Israël de toujours faire passer pour des avancées ce qui ne sont jamais que des petits reculs de pas en avant de provocation. Il ne semble pas que cela puisse calmer les Palestiniens. Comment interprétez-vous cette stratégie de Benjamin Netanyahou ou cette absence de stratégie qui, pour nous, vu de l'extérieur, est interprétée comme un aveuglement total ?
R Je ne l'interprète pas, je souhaite vivement que tout soit fait, et d'abord par les responsables israéliens, pour redonner corps au processus de paix. Je le souhaite, je pense, nous pensons que c'est vraiment dans l'intérêt des peuples et des pays de la région, pour le reste, je n'ai pas à interpréter. Ce sont les faits qui m'intéressent. Donc, j'ai noté tout à (heure qu'après la visite de Mme Albright, les actions méritoires qu'elle a entreprises sur place, il y a eu des signaux, ce sont des signaux encourageants. Si je veux avoir ma liberté de parole pour faire, quand l'amitié l'exige, des critiques que je fais à regret, je voudrais avoir ma liberté de parole aussi pour signaler ce qui est encourageant quand cela va dans la bonne direction, même si c'est encore peu de chose. Mais cela porte sur l'un des volets du problème qui est la situation de la vie concrète dans les territoires occupés aujourd'hui. Sur l'autre volet qui est celui de la discussion politique pour la recherche d'une solution politique, ce que l'on appelle le processus de paix, ce sur quoi des engagements précis avaient été pris dans le passé avec un calendrier précis, là, pour le moment, il n'y a rien d'autre que la promesse d'un rendez-vous nouveau à la fin du mois à Washington. Et d'autre part, l'ensemble des discussions qui vont avoir lieu à New York autour de l'Assemblée générale des Nations unies. Il n'y a pas grand chose, mais il y a cela. Donc, c'est dans huit ou dix jours que l'on pourra se demander si, sur l'autre aspect, encore une fois il y a le volet vie concrète des Palestiniens dans les territoires occupés et aspect processus politique. C'est dans huit ou dix jours que l'on pourra voir s'il y a oui ou non le réveil d'un processus de discussion. Jusque-là, il faut réserver notre analyse.
Q Monsieur le Ministre, vous parlez de la nécessité de l'implication américaine, sans doute avez-vous raison, mais dans la mesure où cette administration américaine, comme beaucoup d'autres est très liée au puissant lobby pro-israélien qui est tout puissant au Congrès, pensez-vous quelle a les moyens d'exercer de réelles pressions sur ce "va-t-en guerre" qu'est Netanyahou ?
R Je ne sais pas quels moyens exacts elle a, mais nous souhaitons qu'elle utilise les moyens qu'elle a, et dans le bon sens. Et d'ailleurs je l'ai dit tout à l'heure, beaucoup de choses qui ont été dites sur place par Mme Albright donnent le sentiment de quelqu'un qui est en train de se saisir de la complexité du dossier.
Q Monsieur le Ministre, vous vous rendez bientôt à New York où je pense que sera évoqué le problème du remaniement du Conseil de sécurité, quelle est la position française sur le problème des membres permanents ?
R Vous avez raison, c'est une des grandes questions de l'Assemblée générale des Nations unies ; il y a deux niveaux, deux éléments complémentaires dans la position française. D'abord, vous savez que nous avons une attitude favorable pour des raisons par rapport aux aspirations de l'Allemagne et du Japon, compte tenu du poids de ces pays et de leur représentativité, compte tenu de l'évidence, mais nous avons aussi un raisonnement général qui ne contredit pas le premier point mais qui le complète, qui l'englobe dans une approche qui vaste, consistant à dire que le Conseil de sécurité doit en effet s'élargir pour être représentatif du monde global, nous sommes dans un monde différent d'avant 1991 et ce Conseil de sécurité doit être représentatif. Mais nous pensons qu'il doit s'élargir tout en demeurant efficace. Toute chose égale par ailleurs, c'est un peu le raisonnement que nous tenons sur l'Europe. Tous les élargissements posent un problème et peuvent poser des problèmes s'ils sont mal gérés. Ce sont de très bonnes choses s'ils sont bien gérés. Donc, dans le cas d'espèce oui, un Conseil de sécurité élargi est nécessaire par rapport au monde d'aujourd'hui. Nous ne pensons pas qu'il puisse être élargi uniquement à des grands pays de l'hémisphère nord, sinon nous aurions une situation déséquilibrée et qui ne serait pas admise, et qui du même coup ne fonctionnerait pas. Il faut quelque chose qui soit plus largement représentatif mais il faut en même temps garder l'efficacité puisque au fond, même si on a pu regretter si souvent que l'ONU n'ait pas eu les moyens de faire ceci ou cela, nous savons tous que l'ONU a été une organisation plus efficace que la SDN, à cause du Conseil de sécurité et du Chapitre VII essentiellement. Donc, il faut réussir cette opération en combinant les différents éléments. Il y a des propositions qui existent, qui sont discutées par certains avec véhémence comme vous le savez, et nous souhaitons que l'on réussisse à concilier tous ces éléments.
Q Vous parliez du rôle utile de la France au Proche-Orient, peut-il y avoir un rôle utile de la France face au drame algérien et quel pourrait-il être ?
R C'est un vrai drame comme vous dites. C'est un vrai drame en soi, compte tenu du martyre des populations qui souffrent de ces violences, qui souffrent de ces massacres. C'est un vrai drame parce qu'il est extrêmement difficile de répondre à votre question. Aujourd'hui, il faut distinguer l'analyse et puis ce qui peut être fait. Pour l'analyse, on peut mettre en avant des éléments d'interprétation, des éléments de compréhension de ce qui se passe, c'est déjà assez compliqué, mais il y a quelques indications. Sur ce que l'on peut faire -et vraiment je le dis avec tristesse, après en avoir parlé beaucoup toutes ces dernières semaines avec des Italiens, des Espagnols, des Portugais, des Marocains, des Tunisiens, des Américains, d'autres encore, des organisations internationales - aujourd'hui, personne n'est en mesure d'apporter une réponse satisfaisante à cette question.
Q Pourquoi, Monsieur le Ministre, étant donné que plusieurs pays que vous venez d'ailleurs de citer s'intéressent à l'Algérie personnellement, pourquoi ne pourrait-on pas former un groupe, que ce soit aux Nations unies ou au sein de l'Union européenne, comme par exemple en ce qui concerne la Bosnie, pour l'affaire algérienne ?
R Et le groupe aurait quelle fonction ?
Q Mais qui aurait la fonction d'essayer d'étudier le problème et de rapprocher les différentes tendances qui sont en lutte actuellement...
R Vous savez, c'est une situation très dure. Nous cherchons.
Q Monsieur le Ministre, lorsque Kofi Annan a fait sa déclaration précisément proposant de s'intéresser à l'Algérie, pensez-vous qu'il l'a fait à titre personnel en tant que Secrétaire général de l'ONU ou en fait que, sans le dire, était-ce une proposition qui agitait plusieurs responsables de plusieurs pays, puisque vous dites vous-même que vous l'avez évoquée avec l'Italie, les Américains etc...
R Non, je crois que ce n'était pas coordonné, ce n'était pas délibéré. Je crois que Kofi Annan, comme tout le monde, comme toute personne privée, comme tout responsable est bouleversé par ce qu'il voit et il se dit que l'on ne peut pas ne rien faire. Mais que peut-on faire ? Il a exprimé le même sentiment que n'importe lequel d'entre vous, ou que moi, avec des points d'interrogation, et il a constaté quelques jours après qu'il ne voyait pas comment mettre en uvre ce à quoi il avait pensé, ce qu'il aurait voulu pouvoir faire et que je ne connais pas en détail d'ailleurs, puisqu'il exprimait une disponibilité, ce n'était pas un plan. Il n'a pas avancé d'idée précise.
Q Quand M. Richardson est venu à Paris, il avait annoncé une réunion à l'ONU, à New York, une réunion spéciale du Conseil de sécurité et de ses membres permanents sur l'Afrique. Aura-t-elle lieu et qu'en pensez-vous ?
R Je pense que, plus les gens s'intéressent à l'Afrique, mieux c'est, si c'est pour aider au développement de l'Afrique, à la stabilisation des situations ou à la solution des conflits. Donc, en effet, il y a une sorte de tour de table qui est prévu au Conseil de sécurité une des matinées de la semaine prochaine. Je pense que c'est une très bonne chose, mais ce n'est pas cela qui va régler l'ensemble des questions de l'Afrique. Il ne faut pas globaliser, systématiser l'analyse sur l'Afrique, il y a des zones entières d'Afrique dans lesquelles la situation est parfaitement stable. Il y a une grande partie des économies africaines qui connaît un développement intense. Je voudrais vous mettre en garde contre une interprétation trop négative qui se répand car, d'une part, une partie de l'opinion française a du mal à s'adapter à la situation dans laquelle l'Afrique n'est plus organisée en zones d'influences bien lisibles sur les cartes ruais simplement, comme le reste du monde, ouverte à toutes les influences, y compris la nôtre, partout. Donc, il y a un peu de "spleen" dans l'analyse de cette situation mais qui présente pour nous des opportunités multiples. D'autre part, nous pensons évidemment, pour des raisons d'actualité et compte tenu de ce qui est frappant et de ce qui ne l'est pas, nous pensons plutôt au grand drame à tel ou tel endroit qu'au développement de très nombreux pays en Afrique. Je crois qu'il faut rééquilibrer notre vision et d'ailleurs, cela fait partie de l'adaptation, de la redéfinition de la politique africaine que ce gouvernement a entrepris. Il faut avoir une vision globale de l'ensemble de l'Afrique.
Q Monsieur le Ministre, à propos de drame en Afrique, quelle appréciation portez-vous sur l'attitude pour le moins désinvolte de M. Kabila à propos de la mission d'enquête des Nations unies dans l'est du Congo ?
R Nous avons l'occasion de le dire chaque jour, le porte-parole du Quai d'Orsay l'a dit à plusieurs reprises : nous regrettons les entraves qui sont multipliées et qui, jusqu'ici, ont empêché la commission d'enquête de faire son travail. Nous souhaitons que la commission d'enquête de l'ONU puisse faire son travail.
Q Pas plus ?
R Nous voulons que cette commission puisse faire son travail. Donc, nous désapprouvons les entraves qui sont multipliées pour qu'elle ne le puisse pas.
Q Et plus largement, quelle appréciation portez-vous sur le régime qui s'est installé au Congo ?
R Ce régime s'est installé parce que le précédent s'est effondré. Ce qu'il faut voir maintenant, comme pour tout autre régime, c'est: est-il en mesure de s'occuper des problèmes réels de son pays, sur le plan économique et politique ? Nous l'observons.
Q Est-ce que sur la redéfinition de la politique africaine, l'entente est aussi facile à trouver avec le Président de la République comme vous le souligniez récemment sur d'autres sujets ?
R Si vous me permettez de revenir un instant sur ce que j'ai dit récemment, on m'avait posé une question globale, pas sur l'Afrique, une question concernant tous les sujets, et j'ai dit mot à mol, si vous me permettez de me citer, ceci : "il n'y a pas de sujet sur lesquels il ait été difficile de faire converger les positions du Président de la République et du gouvernement". Ce qui veut dire qu'il y a un dialogue constitutionnel normal, et qu'il peut y avoir évolution de part et d'autre pour trouver des synthèses, et je faisais remarquer que les synthèses avaient été faciles à trouver alors qu'il y avait déjà eu en juin et juillet, un ordre du jour chargé touchant à beaucoup de problèmes.
Sur la politique africaine plus particulièrement, je réponds oui également. Le Président de la République par exemple, avant même le changement de gouvernement avait décidé d'entamer le resserrement du dispositif militaire français en Afrique ; c'est un premier point. Il l'a fait en cohérence avec ce qui était entrepris en France, c'est-à-dire que le fait de passer à une armée professionnelle, donc moins nombreuse, a comme conséquence en France comme en Afrique, d'avoir besoin de moins d'implantations tout en remplissant les mêmes fonctions. En Afrique, il s'agit d'être en mesure d'appliquer nos accords de sécurité, une sorte de fonction stabilisatrice et par ailleurs de formation. On peut remplir cette même fonction avec moins d'hommes et moins de bases. Donc, ce gouvernement a repris et poursuivi cette politique, il y a un accord complet sur ce sujet et c'est d'ailleurs le nouveau ministre de la Défense, M. Richard, qui est allé expliquer cela aux chefs d'Etats concernés. Il y a une continuité qui est même renforcée sur ce point. C'est une adaptation qui nous paraît être une bonne chose avec un volet qui est à développer et que nous développerons, qui est le volet formation. Puisqu'en réalité, on disait que l'on faisait de la formation dans beaucoup de pays africains, mais ce n'était pas une formation véritablement efficace et en tout cas, permettant à ces armées africaines de constituer, comme c'est utile aujourd'hui, des forces d'interposition.
Comme, par ailleurs, il y a accord réel entre le Président de la République et le gouvernement sur le fait que la France n'a plus à s'ingérer dans des conflits et qu'en revanche, sur le plan politique et diplomatique elle doit soutenir des efforts constants pour aider les pays africains à constituer des forces d'interposition, donc il faut pouvoir aider sur d'autres plans, logistique ou autres. Avant, il faut une formation un peu particulière car assez différente du type de formation militaire qui avait été pratiquée durant des années et des années. Il y a là une orientation qui est très convergente. C'est le cas aussi dans le désir d'adapter la politique de visas qui était menée d'une façon, je ne dirais pas exagérément restrictive, mais en tout cas, indifférenciée. Or, nous avons à la fois un devoir, et en même temps de grands intérêts sur tous les plans, intellectuel, culturel, économique ou autres, nous avons grand intérêt à ce que les élites de ces pays, comme ailleurs, en Méditerranée ou en Amérique latine, restent attirées par la Francs et que des enseignants, des chercheurs, des journalistes, des artistes puissent continuer à venir facilement, aient envie de venir, et nous avons besoin qu'ils viennent. Donc il y a là un volet qui était à reprendre sur lequel ce gouvernement a entamé une réflexion. C'est un volet africain, mais il n'est pas qu'africain. En tout cas, c'est une question dont je parle et sur laquelle je travaille avec M. Josselin et dont nous parlons avec M. Chevènement. Et pour la politique africaine, il y a d'autres volets : il y a le fait que nous devons, au lieu d'émettre des propos plaintifs sur ce qui se passe dans tel ou tel pays lié à la France, en ayant d'ailleurs tendance à ne voir que ceux où il y a des problèmes et pas les autres, il faut avoir une vision globale, en s'intéressant à tout ce qui se passe dans le sud de l'Afrique, dans l'est de l'Afrique. D'autre part, c'est une politique qui a intérêt à s'enrichir de dialogues avec de nombreux autres pays qui s'intéressent aussi à l'Afrique, sans frilosité. Il est très intéressant de parler de ce qu'il va se passer en Afrique, de ce que l'on peut y faire d'utile, là encore, de parler avec les Allemands, les Espagnols, les Portugais, les Italiens, les Anglais, les Américains, sans parler des discussions avec des pays d'Afrique qui ont eux-mêmes une grande influence régionale sur leur continent comme l'Egypte ou l'Afrique du Sud. Voilà quelques axes.
Q Y aura-t-il révision des accords de défense qui ont quand même une dimension d'ingérence dans les affaires intérieures ?
R Non, ils n'ont pas une dimension d'ingérence, je crois que c'est un terme impropre. Ce sont des accords très anciens, des époques des présidences de Gaulle et Pompidou, et ce sont des accords qui prévoient l'éventuelle intervention de la France, à la demande des autorités légales, si elles sont soumises à des agressions extérieures. Alors, vous avez raison, le risque c'est que c'est souvent hybride comme situation, par rapport à cela.
Nous verrons.
Q En Afrique, au Congo, les conversations n'ont pas l'air d'avancer très vite. On tire parfois à l'hélicoptère lourd sur des populations civiles. Sans vouloir faire de lien direct avec ce qui va suivre, je voulais vous demander où en étaient les discussions entre la France et les Etats-Unis sur cette proposition de constitution d'une sorte de force africaine financée pour la formation etc... Comme vous venez justement de parler de cette ouverture sans frilosité, je voulais savoir si, avec les Etats-Unis, il y a actuellement des concertations générales sur la manière de voir les problèmes globalement en Afrique ?
R D'abord, sur le Congo, c'est très simple, nous avons refusé toute ingérence et il y a eu un accord immédiat et facile entre le Président de la République et le gouvernement sur ce point et pour toute la gestion de cette crise qui dure depuis quelques semaines. Nous continuons à soutenir les efforts de médiation du Président Bongo et les efforts pour trouver une solution politique encore une fois sans implication directe. Nous avons essayé d'obtenir la constitution d'une force qui demeure parfaitement utile parce que, même quand des accords auront été définitivement mis su point, il est clair que, s'il pouvait y avoir une force d'interposition ou de garanties de l'application des accords, une force inter-africaine, même si elle a d'autres soutiens, ce serait une bonne chose. Donc, nous avons mis en avant ce projet ; nous avons eu des discussions au sein de l'Union européenne pour savoir si elle pouvait la cofinancer, nous avons finalement obtenu un accord de principe mais subordonné à la décision du Conseil de sécurité qui lui-même subordonne la constitution de cette force à l'accord. C'est un peu compliqué puisque l'existence de cette force aurait pu peser dans le sens de l'accord si elle avait été constituée plus tôt ; mais, puisqu'elle n'est pas là encore, nous continuons à maintenir notre pression au Conseil de sécurité pour qu'au moins, elle puisse être constituée rapidement quand un accord politique en bonne et due forme aura été conclu ; ce sera à ce moment-là, une force de garantie de la bonne application des accords. Voilà pour le Congo. En ce qui concerne l'approche de la coopération avec les Etats-Unis, lorsque je parlais d'absence de frilosité, c'était donc global. Toutes sortes d'influence s'exercent en Afrique, encore une fois (y compris la nôtre et en dehors de notre "ancienne zone d'influence" où nos relations sont très profondes, très étroites), n'ayons pas d'inquiétudes là-dessus. Elles sont anciennes, elles sont enracinées, elles sont d'intérêt mutuel et elles sont souhaitées. Mais l'influence d'un pays comme la France peut être également forte dans toutes les autres parties de l'Afrique. Dans les sujets que nous avons eus à traiter, que l'ancien gouvernement en réalité, mais cela ne change rien à mon propos, a eus à traiter, il y a cette coordination entre la France, les Etats-Unis et la Grande Bretagne sur des actions de formations militaires de nouveaux types. Et en effet, il y a eu un accord de principe entre ces trois pays pour coordonner une partie de leurs actions de formation. Cela ne veut pas dire que l'on coordonne toutes nos actions de formation partout, ni que les autres pays coordonnent toutes leurs actions. Cela veut dire que nous mènerons un certain nombre d'opérations en commun.
Q Je voudrais revenir sur une question qui vous a été posée sur le régime de M. Kabila parce que on sait tout de même que la conquête du pouvoir a été particulièrement sanglante, il apparaît, d'après des dépêches récentes, que des massacres continuent à se poursuivre. Alors est-il possible d'utiliser des termes strictement diplomatiques en disant: "ce régime nous l'observons" ?
R La question qui m'a été posée initialement c'est celle de la mission d'enquête. J'ai dit avec précision que nous déplorions les entraves placées devant le travail de cette commission d'enquête et que nous voulions qu'elle puisse faire son travail. Ce qui répond en grande partie à la question. D'autre part, ce n'est pas une question spécialement française, il y a une concertation entre Européens sur ce point. Donc, ce que j'ai exprimé, c'est l'attitude qui a été arrêtée par les ministres de l'Union européenne à ce sujet. Ce n'est pas une question franco-"zaïroise" spécialement. D'ailleurs, l'influence française n'a jamais été dominante et évidemment pas exclusive dans ce pays. Donc, il ne faut pas vivre cela comme un problème spécialement Français. Aujourd'hui, les pays membres de l'Union européenne disent que c'est un régime qui est arrivé dans telle ou telle condition. Il faut l'observer pour voir comment il va traiter les problèmes économiques et surtout politiques. L'urgence, c'est la commission d'enquête, c'est en effet le premier problème qui se présente. II faut qu'elle ait lieu et pour le reste, il y a une sorte d'attente pragmatique pour adapter les relations des pays de l'Union européenne avec ce pays en fonction de la façon dont ses dirigeants évoluent. C'est une position de synthèse.
Q Une question sur la Bosnie, Monsieur le Ministre. Premièrement, est-ce qu'il faut impérativement arrêter Karadzic et deuxièmement, d'une manière plus générale, quelle est votre vision de l'avenir de la Bosnie après les dernières élections ?
R Sur le premier point, mais je crois que cela fait onze ou douze fois que je le dis, il faut faire tout ce qu'il faut pour que les criminels de guerre aient à répondre de leurs actes devant le Tribunal de La Haye. Sur le second point, nous agissons et nous travaillons dans le cadre des Accords de Dayton et de Paris que vous connaissez. A cet égard, les élections récentes sont une bonne étape. Je ne vous parle pas des résultats que je ne connais pas, que personne ne connaît encore en détail, mais je vous parle du fait que ces élections aient eu lieu. Ce sont en effet des élections qui avaient été reportées à trois ou quatre reprises et finalement elles se sont tenues, et rien que cela est une bonne chose. Elles se sont déroulées avec une forte participation, ce qui dénote une volonté. Et même si c'étaient des partis nationalistes qui devaient l'avoir remporté partout, le simple fait qu'ait eu lieu cette démarche est une bonne chose. Donc notre politique est de poursuivre ce qui est prévu dans le cadre des accords que j'ai cités et qui concernent la constitution d'un ensemble institutionnel viable et légitime en Bosnie, ce qui va jusqu'à - si je ne me trompe pas sur le calendrier - la fin de l'an prochain. Cela doit se conclure par des élections générales à la fin de l'année prochaine. Voilà le cadre de notre action. Donc, nous faisons tout sans faire de déclarations constamment pour que les différentes communautés travaillent ensemble dans le cadre des institutions, pour que celles-ci se renforcent et que l'action des grands pays européens et de l'Union européenne en tant que telle soit un facteur quotidien de consolidation de ce système et d'autre part de dissuasion par rapport à ceux qui ne jouent pas le jeu. J'ajoute qu'il y a une parfaite entente entre les différents pays signataires, les différents pays du Groupe de contact sur ce sujet.
Q Sur ce point, n'y a-t-il pas un étrange paradoxe à dire : nous partirons si les Etats-Unis s'en vont, et à réclamer plus d'autonomie en matière de politique étrangère et de défense européenne ?
R Je ne sais pas si c'est paradoxal mais en tout cas c'est une position très sage. Il est clair que le passé a tristement montré que pour obtenir des débuts de résultats au sujet de cette tragédie, il fallait que l'ensemble des puissances extérieures exercent en même temps des pressions sur l'ensemble des communautés concernées et au service d'une même solution, et que lorsque toutes ces conditions n'étaient pas réunies, rien ne se passait parce que telle ou telle communauté pouvait toujours jouer de la différence des autres pour continuer à mener ses visées propres. Finalement, lorsqu'il y a eu une conjonction de l'action des pressions des Européens, des Russes et des Etats-Unis, nous avons commencé à avoir des résultats. Donc nous avons un cadre qui s'est concrétisé par une présence militaire sur place quia donné déjà de très bons résultats, en matière de sécurité notamment. La sécurité est revenue, même si la construction des institutions est évidemment compliquée et passe par des étapes. Mais nous venons de voir que nous en avons franchi une avec succès. Il ne faut pas interrompre cet effort et nous souhaitons vivement que les Etats-Unis et cela passe par un dialogue entre le Président américain et le Congrès décident finalement de rester au-delà de la date annoncée, même si c'est sous une forme modifiée : cela peut être un système différent qui changera peut-être de nom, il y aura peut-être moins d'hommes. En tous cas, nous le souhaitons et il faut maintenir à tout prix cette conjonction des politiques, des pressions, cette coordination des uns et des autres, pour éviter de revenir à la discordance antérieure.
Q Monsieur le Ministre, vous serez la semaine prochaine aux Nations unies. Vous allez faire un discours, vous allez intervenir devant l'Assemblée générale ?
R Je vais prononcer le discours classique, au nom de la France devant l'Assemblée générale.
Q Quelle est la grande idée que vous allez faire passer dans ce discours ?
R C'est la partie la plus facile de ma semaine ...Vous connaissez l'Assemblée générale des Nations unies... Les ministres ou parfois les chefs d'Etat viennent exposer la synthèse de la politique étrangère de leur pays, à un moment donné. Donc, je vous renvoie au texte que je prononcerai.
Q _ Comment s'est redéployée la politique française par rapport à la Russie depuis la dispersion de l'ex-URSS ?
R D'abord, ce n'est pas un problème tout à fait récent; cela ne concerne pas que ce gouvernement. La politique française s'est adaptée à cette nouvelle situation depuis maintenant plusieurs années. Nous pouvons considérer qu'il y a le volet russe et celui qui concerne les autres pays. Que fait-on par rapport à la Russie ? Que fait-on par rapport à l'ensemble des pays issus de l'ex-URSS et par rapport aux problèmes que, parfois, ils connaissent ?
Par rapport à la Russie, la France conserve, veut conserver un dialogue très étroit, très régulier. Cela nous parait d'autant plus important que la Russie est manifestement sortie du moment le plus difficile qui a succédé immédiatement à l'effondrement de l'Union soviétique et que la Russie va certainement jouer dans les affaires du monde, dans les années à venir, un rôle plus grand que dans celles qui viennent de s'écouler. D'autre part, la Russie a conclu l'accord que vous savez avec l'OTAN, à l'initiative d'ailleurs largement de la France. Et enfin, la Russie est très attentive à ce qui se passe en matière d'Union européenne. Il y a deux grands sujets de discussion et la Russie est très désireuse de pouvoir parler avec la France d'une part, elle a un dialogue institutionnel évidemment avec l'OTAN, et il y aura une séance à New York, la semaine prochaine à ce sujet, et d'autre part avec l'Union européenne. Mais elle est simultanément très désireuse d'avoir un dialogue avec nous sur ces questions. Nous sommes également demandeurs. D'autre part, il y a toujours un très grand intérêt à parler avec la Russie de la situation au Proche et Moyen-Orient, au Caucase, en Asie centrale, de toutes les grandes questions. Cela ne change pas. Il est intéressant d'avoir avec la Russie d'aujourd'hui un dialogue aussi large, aussi complet que similaire aux discussions qui pouvaient avoir lieu avec l'URSS autrefois. Je dirais même que c'est plus intéressant aujourd'hui et c'est plus un vrai dialogue. Cela l'était déjà pendant la période Gorbatchev, mais enfin c'était une période un peu spéciale. Pour le reste, cela se divise en une série d'analyses et de politiques qui peuvent concerner le Caucase, l'Ukraine, les Pays baltes, l'Asie centrale et ce ne sont pas les mêmes problèmes à chaque fois. Donc, c'est sorti du champ de la politique franco-soviétique.
Q En complément de cette question, considérez-vous qu'il y a un espoir de voir jamais la Russie cesser de considérer quasiment comme un casus belli l'éventualité d'une adhésion des Pays baltes plus tard à l'OTAN ?
R Ceux qui ont pris l'initiative de l'élargissement de l'OTAN, et qui ont considéré que c'était important d'élargir l'OTAN à certains pays plutôt qu'à d'autres, sont arrivés eux-mêmes à la conclusion que cela devait se compléter par une relation particulière et forte avec la Russie. Donc, ce n'est pas à moi à répondre à la question. Je peux vous dire que pour le moment, il y a une sorte de situation d'équilibre qui a été atteinte et qu'il n'y a pas de raison majeure de la mettre en péril. La situation actuelle est sans doute satisfaisante : sortir de cette situation présenterait, à mon avis, plus d'inconvénients que d'avantages, à ce stade. II y a d'autres façons de traiter les problèmes de la stabilité et de la sécurité en Europe. Cela ne fait que renforcer par ailleurs l'intérêt du dialogue que j'évoquais il y a un instant avec la Russie:
Q Monsieur le Ministre, allez-vous vous intéresser au projet de chaîne de télévision extérieure de la France, puisqu'il y a un projet qui a été étudié pour une chaîne d'information continue ? Etant donné que, maintenant, la plupart des pays, et pas seulement les très grands pays, considèrent que pour faire mieux connaître le visage de la France, il est nécessaire d'avoir autre chose, en dehors de ce qui existe déjà à savoir TV5, CFI, RFI.
R Nous avons annoncé pour la fin de l'année des décisions sur ces questions et nous sommes en train d'y travailler. Je m'intéresse à tous les moyens de notre influence puisque je sais très bien que le travail que nous faisons pour défendre nos intérêts, nos idées, défendre nos projets, ne se place pas que sur le terrain diplomatique, loin de là. Il faut naturellement une diplomatie offensive, moderne, efficace, mobile. Il faut une synergie avec l'ensemble des autres moyens à l'instar de ce que font les autres grands pays. Donc, cette dimension audiovisuelle extérieure est à mes yeux extrêmement importante. Mais je ne peux pas aller au-delà sur votre question très précise, dont je vois bien le sens, parce que nous sommes en plein travail. Flous avons annoncé un calendrier et nous dirons à la fin de l'année quels sont nos axes.
(source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 octobre 2001)