Texte intégral
Q - Angela Merkel et Nicolas Sarkozy en sont convenus hier, un nouveau traité organisera le fonctionnement de lEurope et des sanctions automatiques seront instituées contre les États qui ne respecteront pas les limites fixées au déficit public. Lidée dune mutualisation de la dette des eurobonds, naguère défendue par la France, a été abandonnée. Visiblement hier lesprit allemand a triomphé de lesprit français, mais de cela peut-être vous nen conviendrez pas, Alain Juppé.
R - Non. Je ne veux surtout pas jouer à ce petit jeu : qui a perdu ? Qui a gagné ? On sait où cela mène. Je ne veux pas mengager dans ce genre de dérapage.
Q - Mais la logique allemande a quand même dominé hier.
R - Non. Je vais prendre deux ou trois exemples. La logique allemande, cétait de placer les budgets nationaux sous tutelle de la Cour de justice de lUnion européenne. La France ne la pas accepté et cela na pas été fait. Ce qui a été accepté, cest que la Cour de justice vérifie la Règle dor, qui est une idée française.
Q - Sera-t-elle appliquée ou pas ?
R - Bien sûr, la Règle dor sera appliquée parce quelle sera sous le contrôle de la Cour de justice.
Deuxième exemple qui montre que cest beaucoup plus compliqué : il y a deux ans, lAllemagne était allergique à lidée dun gouvernement économique. Que sest-il passé hier ? Cest la chancelière elle-même qui la dit : le Conseil des chefs dÉtat et de gouvernement de la zone euro devrait se réunir tous les mois pendant la période de crise ; voilà, le gouvernement économique est en place.
Je pourrais citer dautres exemples qui montrent que chacun y a mis du sien et que lon est arrivé à un compromis qui me paraît vraiment décisif aujourdhui pour faire avancer la gouvernance européenne.
Q - Pensez-vous que ce compromis peut modifier létat desprit des marchés, faire cesser ou diminuer la spéculation ?
R - Je le crois. On entend beaucoup parler, à juste titre, de lannonce de Standard & Poors. Dabord, je voudrais rappeler quil ne sagit pas dune dégradation mais dune menace de rétrogradation. Cela concerne lensemble de la zone euro avec, peut-être, une mention particulière pour la France, mais nous savons que nous avons plus defforts à faire que dautres.
Ensuite, ce qui me frappe, cest le décalage de cette annonce. Nous savions ce quallait décider Standard & Poors ne savait pas ce qui allait se passer dans la journée dhier, cest-à-dire laccord franco-allemand. Cet accord franco-allemand, qui, jen suis convaincu, nous permettra davancer au prochain Conseil européen, est précisément la réponse à lune des interrogations majeures de cette agence de notation qui parlait de linsuffisance de la gouvernance économique européenne. Nous allons considérablement laméliorer avec la discipline budgétaire, comme vous lavez dit vous-même.
Q - Excusez-moi, je nai pas bien compris : nous savions ce qui allait se passer hier matin, cest-à-dire ?
R - Jétais à Bonn, hier, et jai appris hier dans la journée que Standard & Poors allait publier un communiqué, alors que le Conseil franco-allemand navait pas donné ses résultats. Je le répète, ce qui a été dit hier - ce qui a été salué, je crois, par tous les observateurs comme un pas en avant véritablement important - est en grande partie la réponse aux interrogations de lagence.
Q - Peut-on considérer ce matin, Alain Juppé, que le triple A est déjà perdu pour la France ?
R - Évidemment non, puisque je vous ai dit quil sagissait dune menace et non pas dune décision.
Q - Une menace grave tout de même, semble t-il.
R - Bien sûr, il faut la prendre au sérieux.
Q - Il faut éviter la perte du triple A, il faut prendre des mesures pour léviter.
R - Nous les avons prises. Nous avons prévu, en particulier, une trajectoire de réduction de nos déficits publics que nous tenons.
Q - Faut-il laccélérer ? Un troisième plan de rigueur est-il nécessaire ?
R - Le ministre des Finances a indiqué que non et que nous avions pris des mesures nécessaires pour geler des crédits dans lhypothèse où nous aurions besoin daccentuer les mesures de redressement.
Q - Cela na donc rien changé de fondamental, nous pouvons préserver, daprès vous, notre triple A.
R - Nous continuons sur la trajectoire que nous avons adoptée. Je le répète, ce qui va se passer au niveau européen est de nature à rassurer les marchés. Vous avez vu, dailleurs, que, dans les jours qui viennent de sécouler - je ne vais pas rentrer dans les considérations techniques -, les conditions auxquelles nous empruntons se sont améliorées parce que la confiance est en train de revenir.
Q - Ce serait grave de perdre le triple A ou, après tout, ce ne serait pas si grave que cela ?
R - Ce serait embêtant parce que cela voudrait dire que lon sendetterait avec un taux dintérêt plus élevé. Mais, je le répète, nous sommes tous solidaires. Souvenez-vous, les États-Unis sont aussi la cible des agences de notation. Tout cela nous invite à poursuivre sur la ligne que nous avons adoptée. Je voudrais aussi insister sur un point important - une autre idée française -.
Q - Vous ne vouliez pas faire le match France-Allemagne, mais vous le faites un petit peu.
R - Vous avez affirmé que cétait un succès allemand. Je ne vais pas laisser se développer cette idée, même si cela ne me paraît pas être le débat essentiel. Je voudrais simplement rappeler que les chefs dÉtat et de gouvernement ont dit très clairement que labandon de la moitié des créances des prêteurs en Grèce ne se reproduirait pas ailleurs. Je pense que cest un point très important pour rassurer les marchés.
Q - Lintervention du secteur privé était en effet une volonté il y a un an de la chancelière Merkel.
R - Vous voyez que cest équilibré.
Q - Revenons sur un point précis : sanction automatique en cas de dépassement de 3 % du déficit. Peut-on parler dune perte de souveraineté pour un État ?
R - Je ne comprends pas bien ce débat. Il ny a pas dUnion européenne sans transfert de souveraineté. Si on ne veut pas de transfert de souveraineté, il faut sortir de lUnion européenne. Dès le début de la construction européenne, nous avons accepté des transferts de souveraineté, comme la Politique agricole commune, sous la présidence du général de Gaulle. Et puis, ensuite, avec le président Mitterrand, il y a eu ce transfert de souveraineté majeur quest la monnaie unique. Eh bien, il faut consentir ces transferts - les encadrer bien entendu - et faire en sorte que la gouvernance fonctionne.
Q - Donc, la sanction automatique est bien une perte de souveraineté ?
R - Non, ce nest pas une perte de souveraineté, cest un transfert consenti pour essayer datteindre lobjectif qui est le nôtre, cest-à-dire la stabilité de la zone euro.
Q - Cest parfois dur de nommer les choses tout simplement.
R - Non, je crois que ce nest pas vrai. Il sagit, précisément, de sanction automatique sauf décision contraire à la majorité qualifiée.
Q - Ce nest donc pas si automatique que cela alors.
R - Ce nest en effet pas si automatique que cela, il y a bien un verrou de sécurité.
Q - Cest comme les accords politiques, chacun à ses lectures.
R - Bien sûr. Nous recherchons léquilibre ; nous sommes aussi intelligents que possible et pas trop schématiques. On parle de sanction automatique, mais il y a effectivement des possibilités de réviser la décision si une majorité qualifiée de pays considère quelle nest pas bonne.
Q Vous lavez dit au début de cet entretien, Alain Juppé, vous ne voulez pas rentrer dans le match France-Allemagne parce que des propos qualifiés de germanophobes ont été tenus.
R - Quand on vous parle de Munich - qui était à Munich du côté allemand -, quand on vous parle de la droite prussienne Jétais hier à Bonn et je préfère vous dire que cela a semé un certain émoi dans la presse allemande. Il faut donc se garder à tout prix de ce genre de dérapage uniquement motivé par des considérations politiciennes.
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Q - La mémoire sonore nous a restitué ceci. Nicolas Sarkozy en mars 2007 - il nétait pas encore président de la République - : «La France est un des rares pays au monde à navoir jamais cédé à la tentation totalitaire. La France na pas inventé la solution finale. La France na pas commis de crime contre lhumanité». La germanophobie est assez vite de retour dans le débat public français.
R - Je crois quon était dans un contexte tout à fait différent et je pense quil faut éviter de rajouter des choses dans cette direction. Nenvenimons pas à nouveau le débat. Sil ny a pas une solide amitié entre la France et lAllemagne, nous ne sortirons pas des difficultés qui sont les nôtres aujourdhui. Cette volonté est là et ce qui me paraît beaucoup plus important, cest ce qui sest passé hier. Jai dailleurs lu ce matin dans la presse le titre «Merkozy» ; vous voyez que lalliance entre la France et lAllemagne, entre la chancelière Merkel et le président de la République est solide.
Q - Vous êtes donc confiant ce matin. Vous êtes un ministre des Affaires étrangères confiant pour la suite ?
R - Confiant mais absolument vigilant ; nous avons des efforts à faire. Il faut faire des efforts et personne ny échappera. ( ) Je vous rappelle quau mois daoût dernier je déclarais que la création deuro-obligations serait la fin du parcours et pas le début ; nous navons pas changé davis là-dessus. ( ).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 7 décembre 2011