Conférence de presse de M. François Fillon, Premier ministre, sur l'accord de 26 pays de l'Union européenne concernant la mise en place d'une gouvernance économique de la zone euro, les négociations entre l'UE et le Mercosur sur un traité de libre-échange et l'intégration européenne, Sao Paulo le 15 décembre 2011.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Visite officielle au Brésil du 14 au 17 décembre 2011 - Questions-réponses devant la Fédération des industries de l'Etat de Sao Paulo le 15 décembre 2011

Texte intégral

Question
Pendant ces derniers mois, des rumeurs au sujet de l’intégration européenne ont posé la question du projet européen. Comme leader de la construction européenne, comment la France veut-elle répondre à cette question sur les plans politiques et institutionnels ?
Réponse du Premier ministre
J’ai déjà assez largement répondu à cette question. Je l’ai dit, le projet européen, c’est un projet qui s’inscrit dans une démarche historique qui est absolument fondamentale et qui ne peut pas connaitre de retour en arrière. La France et l’Allemagne se sont affrontées pendant des siècles, la plupart des pays européens se sont affrontés pendant des siècles. Ils ont été à l’origine, je l’ai dit tout à l’heure, des plus grandes catastrophes que le monde, que l’humanité aient connues. Le fait d’avoir surmonté ces oppositions durant les soixante dernières années et de les avoir tellement surmontées que nous nous sommes liés les mains avec aujourd’hui un espace économique totalement ouvert, un espace sans frontières, mais plus encore une monnaie commune sur dix-sept pays européens, monnaie commune qui a d’ailleurs vocation à terme à s’élargir à d’autres pays de l’Union européenne, ce sont des signes, des avancées, ce sont des progrès tellement considérables que personne ne peut envisager, sauf quelques farfelus ou quelques personnalités qui n’ont aucune vision historique ou simplement des gens qui s’expriment pour des raisons purement électorales, mais sans se préoccuper de l’intérêt général, il ne peut pas être envisagé de revenir en arrière sur toutes ces avancées. Nous sommes défiés sur la monnaie européenne, un, parce que nous sommes trop endettés, mais je l’ai dit tout à l’heure, on n’est pas les seuls ; quand je vois nos amis britanniques qui sont encore plus endettés que nous et qui ont un déficit plus élevé, je constate que, pour l’instant, les agences de notation ne semblent pas le remarquer, je me dis que ce n’est pas seulement la question de l’endettement qui est en cause, c’est la question de la gouvernance de la Zone Euro.
Au fond, tous, vous vous posez la question de savoir comment la Zone Euro peut-elle prendre des décisions, notamment pour défendre sa monnaie face à la spéculation, s’il n’y a pas un pouvoir fort et des mécanismes de prise de décision efficaces. On a pris, avec le président SARKOZY et la Chancelière allemande Angela MERKEL, on a pris la mesure de ce défi et on a décidé, France et Allemagne, de proposer des réformes fondamentales de la gouvernance de la Zone Euro. On a été un peu critiqués pour l’avoir fait, parce que, après tout, les autres pays se sont interrogés sur la question de savoir pourquoi est-ce que la France et l’Allemagne prenaient le leadership de la réforme de la Zone Euro. Ces arguments ont été assez vite balayés pour deux raisons. D’abord, parce que la France et l’Allemagne, c’est plus de la moitié du produit intérieur brut de la Zone Euro. Deuxièmement, parce que la France et l’Allemagne, ce sont les deux pays qui ont été à l’origine des crises les plus graves en Europe et c’est au fond eux-mêmes qui sont à l’origine de la création de l’Union européenne, ce qui leur donne au fond une vocation aujourd’hui à proposer son évolution. Enfin, dernier argument, il n’y a pas eu tellement de propositions venant d’ailleurs qui nous auraient permis, à nous, Français, et aux Allemands, de ne pas passer des nuits entières à travailler à chercher des solutions à la crise de la Zone Euro. Donc, la France et l’Allemagne constituent un moteur qui met sur la table des propositions.
Ce qui s’est passé au dernier Conseil européen est absolument fondamental, puisque, pour la première fois qu’on s’est mis d’accord sans l’unanimité. L’unanimité, c’est très bien, mais c’est un frein à la prise de décision. Nos amis Anglais, comme d’habitude, étaient prêts à nous soutenir, à condition qu’on leur ouvre de nouveaux avantages, de nouvelles exceptions. En deux mots, ils auraient aimé qu’on puisse, en échange de leur neutralité dans la mise en œuvre du nouveau traité que nous proposons qu’on puisse sortir le secteur financier britannique de la régulation européenne. Franchement, ce n’était juste pas possible. On ne peut pas imaginer de mettre en place une sorte de place offshore financière à Londres, alors même que les autres Etats européens auraient des règles contraignantes pour réguler le système financier. Dans le passé, cette position britannique aurait dû aboutir à un échec de la négociation ou à une négociation au rabais sur des décisions extrêmement modestes. Non. Nous avons dit non. Nous avons dit que nous préférions un accord intergouvernemental avec les pays qui souhaitaient suivre la proposition franco-allemande, et puis, ceux qui ne veulent pas la suivre resteront en dehors de cette proposition. Donc, c’est un acte politique extrêmement fort qui a été accompli le 9 décembre, c’est la fin de la règle de l’unanimité, c’est le renforcement de l’intergouvernemental et c’est quand même l’amorce de la création, autour de la France et de l’Allemagne, d’une Zone Euro très intégrée, où nous devrons partager, par exemple, la discipline budgétaire, où nous devrons partager des règles fiscales communes, où nous devrons, à terme, partager certaines règles sociales communes, pour faire de la Zone Euro un territoire équilibré, avec ses institutions financières et avec sa discipline budgétaire. Donc, je crois vraiment qu’on a, là, franchi une étape absolument décisive. Est-ce qu’elle convaincra à court terme les marchés et les observateurs ? Je n’en sais rien, ils ont quand même tendance à prendre des décisions immédiates, juste avant les crises, ils ne les voient pas arriver. Parfois quand la crise est sortie, ils n’ont pas vu encore qu’on en était sorti. Mais en même temps, je dis ça, ce n’est pas une critique parce qu’ils font leur métier. Leur métier, c’est de constater une situation donnée sur les marchés. Notre métier, à nous, responsables politiques, c’est de voir un tout petit peu plus loin et d’essayer d’imaginer les institutions qui vont permettre à la Zone Euro de se développer.
Mais je voudrais, pour terminer, pour vous donner un dernier argument pour vous convaincre. Moi, j’étais contre l’euro, j’ai voté contre le Traité de Maastricht qui a instauré l’euro. J’appartiens à une famille politique qui était très profondément souverainiste et je considérais que le fait de créer une monnaie unique, sans mettre en place les institutions politiques pour piloter cette monnaie, c’était une erreur. Je pourrais aujourd’hui bomber du torse en disant j’avais raison. Je ne le fais pas. Parce que je considère que douze ans après la mise en place de l’euro, dans le contexte économique mondial d’aujourd’hui, on a plus que jamais besoin de cette monnaie. Donc, maintenant, moi, j’en tire la conclusion, avec l’itinéraire politique qui est le mien, il faut aller vers plus d’intégration, il faut accepter de partager notre souveraineté budgétaire avec les autres pays de la Zone Euro pour sauver la monnaie européenne. Parce que je ne crois pas que dans le contexte de l’émergence de l’immense puissance économique chinoise, dans le contexte du basculement historique vers l’Asie du centre de gravité de l’économie mondiale, dans le contexte de la montée en puissance remarquable du Brésil et de plusieurs pays d’Amérique latine, que ce soit aller dans le sens de l’Histoire que de revenir à nos frontières nationales du 19ème ou du 20ème siècle et de mettre un terme à une aventure européenne qui a suscité d’immenses espoirs, d’abord dans la jeunesse européenne et dans le monde entier.
Question
Récemment, l’UE et le Mercosur ont repris les négociations sur le traité de libre échange. Comment estimez-vous la faisabilité de la signature de cet accord dans la conjoncture actuelle ?
Réponse du Premier ministre
D’abord, je voudrais dire qu’il n’y a aucune opposition de principe à la signature de cet accord entre le Mercosur et l’Union européenne. Simplement, les négociations entre l’Union européenne et le Mercosur doivent impérativement tenir compte des intérêts spécifiques des deux parties et être mutuellement bénéfiques. Je crois qu’il faut sortir du langage diplomatique et dire les choses avec la plus grande sincérité. Il y a un problème pour l’agriculture européenne. Je vous le dis avec une extrême franchise, jamais les Européens, notamment les Français, nous n’abandonnerons notre agriculture. C’est-à-dire que jamais nous n’accepterons l’idée que l’agriculture européenne disparaisse et qu’il y ait une sorte de répartition différente des rôles entre les pays, certains produisant les produits alimentaires, d’autres, les produits industriels, les troisièmes, les services financiers. Nous ne croyons pas à l’existence d’un modèle de développement viable comme celui-là. Nous pensons que chaque pays a le devoir de conserver une capacité de production agricole ; a le devoir de conserver une capacité industrielle et des services et que c’est l’addition des trois qui donne une société équilibrée. J’ajoute que pour nous, l’agriculture c’est aussi une question stratégique, une question de sécurité, de sécurité d’approvisionnement. De sécurité sur le plan sanitaire. Et enfin, je crois qu’il faut que dans la relation entre l’Europe et les pays du Mercosur nous réfléchissions aussi aux questions environnementales. Il y a des produits qui peuvent être exportés sans aucune difficulté et dans l’intérêt général. Y compris celui de la planète. Il y a des transports de produits agricoles qui sont juste stupides au regard de l’avenir de la planète. Au regard de la consommation d’énergie ; au regard de la protection de l’environnement. Et donc il faut trouver cet équilibre. Aujourd’hui, l’Union européenne est le premier acheteur du Mercosur avec vingt milliards de dollars en 2010. C’est trois fois plus que l’ALENA qui regroupe pourtant à peu près la même population. Donc on ne peut pas du tout dire qu’il y a un blocage européen à la négociation sur le Mercosur. Mais il faut si vous voulez aboutir à une négociation réussie sur ce sujet-là, que vous preniez en compte – comme nous, nous devons prendre en compte vos lignes rouges – que vous preniez en compte la ligne rouge européenne et la ligne rouge française qui existent sur la question agricole. Nous sommes donc nous, prêts à un dialogue franc et transparent, qui d’ailleurs est loin de se limiter au sujet agricole ; il faut aborder les sujets industriels ; le commerce ; les services ; l’accès aux marchés publics. Mais je suis persuadé qu’on trouvera une solution acceptable et on a tout intérêt à la trouver parce que nous savons bien que ce qui a aggravé la crise des années 30, ce qui a transformé la crise des années 30, après tout qui est assez comparable à celle que nous connaissons aujourd’hui, ce qui l’a rendue désastreuse pour l’ensemble du monde et ce qui a conduit ensuite à tous les désordres que chacun a en tête, c’est le repli sur soi. C’est le recours au protectionnisme. C’est le recours au protectionnisme qui a transformé la crise des années 30 en une immense crise mondiale, qui a fait reculer le monde de plusieurs années. Et donc il faut qu’on se souvienne de cette histoire et qu’on ne reproduise pas les mêmes réponses, parce qu’elles produiraient sans doute malheureusement les mêmes effets.
Question
Quels sont les principaux enjeux juridiques actuels de l’intégration européenne ?
Réponse du Premier ministre
C’est une question difficile parce que… on a commencé l’exercice de rédaction des textes qui vont devoir donner lieu à un accord dans le courant du mois de mars et puis à une ratification par les pays européens avant la fin de l’année 2012. Ce qu’il faut que nous trouvions c’est une articulation, ce que nous allons trouver c’est une articulation entre les pays de la zone Euro qui auront un gouvernement économique, qui devront se plier à des règles très strictes en matière financière ; en matière budgétaire ; qui devront engager la convergence de leurs économies. Et puis les autres pays de l’Union européenne qui naturellement resteront liés par les règles actuelles, par les traités actuels, par le marché unique ; par les compétences qui ont déjà été transférées à l’Union européenne.
C’est cette articulation qu’on va devoir trouver. Vous voyez bien que c’est difficile. Quel va être le rôle de la Commission ? Nous, nous pensons que s’agissant des questions budgétaires et des questions de surveillance de la zone Euro, la Commission est gardienne des traités. Elle a le pouvoir de sanction. Donc elle ne peut pas être celle qui pilote la politique économique ; elle ne peut pas être à la fois juge et partie. Si on sanctionne, si on est le juge, on ne peut pas être en même temps le pilote de la politique économique. Et donc il faut que nous trouvions cette articulation. En tout état de cause, nous allons vers une zone Euro plus intégrée. Et nous allons vers une souveraineté partagée entre les pays de la zone Euro, sur les questions budgétaires, et d’une certaine façon, progressivement sur les questions économiques et sur les questions fiscales. J’ai dit à plusieurs reprises – ça choque beaucoup en France quand je dis cela – qu’on ne peut pas imaginer d’avoir durablement une même monnaie, sur un territoire où il y a des gens qui travaillent 42 heures et d’autres qui travaillent 35. Il va bien falloir trouver un moyen de rapprocher les règles du jeu social entre l’ensemble des pays de la zone Euro. Et il faut le faire par compromis successifs. Voilà, c’est ce travail que nous avons entrepris. Il va sûrement donner lieu à la naissance d’une nouvelle Europe dans laquelle il y aura deux cercles : une Europe monétaire très intégrée, et une Union européenne qui va continuer à se développer. Qui va continuer à s’élargir d’ailleurs parce que plusieurs pays, notamment dans la région des Balkans, ont vocation à rejoindre l’Europe. Et nous sommes attachés malgré les difficultés que cela représente, à cet élargissement. Parce que cet élargissement est la garantie de la Paix en Europe. La garantie de la stabilité en Europe.
Si nous avons accueilli aussi vite les pays d’Europe de l’Est après la chute de l’Union soviétique alors que nous savions que les difficultés économiques et financières seraient très grandes, c’est parce que nous pensions que nous avions une responsabilité historique à accueillir dans la famille européenne, des pays qui connaissaient par ailleurs des tensions très fortes entre eux, pour des raisons liées à leur peuplement ; pour des raisons liées à leur Histoire. Et on voit bien qu’une fois que ces pays sont intégrés dans l’Union européenne, les choses se passent mieux. Les vieilles querelles ethniques, les vieilles querelles historiques, je ne dis pas qu’elles disparaissent du jour au lendemain, mais elles sont régulées par l’appartenance à l’Union européenne. Au fond, ce que nous sommes en train de faire, sur le long terme, nous sommes en train de développer une citoyenneté européenne. Une citoyenneté européenne qui viendra un jour se superposer aux citoyennetés nationales, parce qu’au fond c’est la seule façon pour nous de défendre la civilisation européenne. Si nous ne parvenons pas à créer cette citoyenneté européenne alors c’est la civilisation européenne qui sera bousculée par la mondialisation. Qui sera bousculée par l’émergence d’autres civilisations brillantes. Et c’est la raison pour laquelle, une nouvelle fois, le souverainiste que je suis, aujourd’hui considère que la meilleure façon de défendre l’identité nationale française, c’est de défendre ne citoyenneté européenne pour défendre la civilisation européenne. Je vous remercie.
Source http://www.gouvernement.fr, le 16 décembre 2011