Texte intégral
Question
Pendant ces derniers mois, des rumeurs au sujet de lintégration européenne ont posé la question du projet européen. Comme leader de la construction européenne, comment la France veut-elle répondre à cette question sur les plans politiques et institutionnels ?
Réponse du Premier ministre
Jai déjà assez largement répondu à cette question. Je lai dit, le projet européen, cest un projet qui sinscrit dans une démarche historique qui est absolument fondamentale et qui ne peut pas connaitre de retour en arrière. La France et lAllemagne se sont affrontées pendant des siècles, la plupart des pays européens se sont affrontés pendant des siècles. Ils ont été à lorigine, je lai dit tout à lheure, des plus grandes catastrophes que le monde, que lhumanité aient connues. Le fait davoir surmonté ces oppositions durant les soixante dernières années et de les avoir tellement surmontées que nous nous sommes liés les mains avec aujourdhui un espace économique totalement ouvert, un espace sans frontières, mais plus encore une monnaie commune sur dix-sept pays européens, monnaie commune qui a dailleurs vocation à terme à sélargir à dautres pays de lUnion européenne, ce sont des signes, des avancées, ce sont des progrès tellement considérables que personne ne peut envisager, sauf quelques farfelus ou quelques personnalités qui nont aucune vision historique ou simplement des gens qui sexpriment pour des raisons purement électorales, mais sans se préoccuper de lintérêt général, il ne peut pas être envisagé de revenir en arrière sur toutes ces avancées. Nous sommes défiés sur la monnaie européenne, un, parce que nous sommes trop endettés, mais je lai dit tout à lheure, on nest pas les seuls ; quand je vois nos amis britanniques qui sont encore plus endettés que nous et qui ont un déficit plus élevé, je constate que, pour linstant, les agences de notation ne semblent pas le remarquer, je me dis que ce nest pas seulement la question de lendettement qui est en cause, cest la question de la gouvernance de la Zone Euro.
Au fond, tous, vous vous posez la question de savoir comment la Zone Euro peut-elle prendre des décisions, notamment pour défendre sa monnaie face à la spéculation, sil ny a pas un pouvoir fort et des mécanismes de prise de décision efficaces. On a pris, avec le président SARKOZY et la Chancelière allemande Angela MERKEL, on a pris la mesure de ce défi et on a décidé, France et Allemagne, de proposer des réformes fondamentales de la gouvernance de la Zone Euro. On a été un peu critiqués pour lavoir fait, parce que, après tout, les autres pays se sont interrogés sur la question de savoir pourquoi est-ce que la France et lAllemagne prenaient le leadership de la réforme de la Zone Euro. Ces arguments ont été assez vite balayés pour deux raisons. Dabord, parce que la France et lAllemagne, cest plus de la moitié du produit intérieur brut de la Zone Euro. Deuxièmement, parce que la France et lAllemagne, ce sont les deux pays qui ont été à lorigine des crises les plus graves en Europe et cest au fond eux-mêmes qui sont à lorigine de la création de lUnion européenne, ce qui leur donne au fond une vocation aujourdhui à proposer son évolution. Enfin, dernier argument, il ny a pas eu tellement de propositions venant dailleurs qui nous auraient permis, à nous, Français, et aux Allemands, de ne pas passer des nuits entières à travailler à chercher des solutions à la crise de la Zone Euro. Donc, la France et lAllemagne constituent un moteur qui met sur la table des propositions.
Ce qui sest passé au dernier Conseil européen est absolument fondamental, puisque, pour la première fois quon sest mis daccord sans lunanimité. Lunanimité, cest très bien, mais cest un frein à la prise de décision. Nos amis Anglais, comme dhabitude, étaient prêts à nous soutenir, à condition quon leur ouvre de nouveaux avantages, de nouvelles exceptions. En deux mots, ils auraient aimé quon puisse, en échange de leur neutralité dans la mise en uvre du nouveau traité que nous proposons quon puisse sortir le secteur financier britannique de la régulation européenne. Franchement, ce nétait juste pas possible. On ne peut pas imaginer de mettre en place une sorte de place offshore financière à Londres, alors même que les autres Etats européens auraient des règles contraignantes pour réguler le système financier. Dans le passé, cette position britannique aurait dû aboutir à un échec de la négociation ou à une négociation au rabais sur des décisions extrêmement modestes. Non. Nous avons dit non. Nous avons dit que nous préférions un accord intergouvernemental avec les pays qui souhaitaient suivre la proposition franco-allemande, et puis, ceux qui ne veulent pas la suivre resteront en dehors de cette proposition. Donc, cest un acte politique extrêmement fort qui a été accompli le 9 décembre, cest la fin de la règle de lunanimité, cest le renforcement de lintergouvernemental et cest quand même lamorce de la création, autour de la France et de lAllemagne, dune Zone Euro très intégrée, où nous devrons partager, par exemple, la discipline budgétaire, où nous devrons partager des règles fiscales communes, où nous devrons, à terme, partager certaines règles sociales communes, pour faire de la Zone Euro un territoire équilibré, avec ses institutions financières et avec sa discipline budgétaire. Donc, je crois vraiment quon a, là, franchi une étape absolument décisive. Est-ce quelle convaincra à court terme les marchés et les observateurs ? Je nen sais rien, ils ont quand même tendance à prendre des décisions immédiates, juste avant les crises, ils ne les voient pas arriver. Parfois quand la crise est sortie, ils nont pas vu encore quon en était sorti. Mais en même temps, je dis ça, ce nest pas une critique parce quils font leur métier. Leur métier, cest de constater une situation donnée sur les marchés. Notre métier, à nous, responsables politiques, cest de voir un tout petit peu plus loin et dessayer dimaginer les institutions qui vont permettre à la Zone Euro de se développer.
Mais je voudrais, pour terminer, pour vous donner un dernier argument pour vous convaincre. Moi, jétais contre leuro, jai voté contre le Traité de Maastricht qui a instauré leuro. Jappartiens à une famille politique qui était très profondément souverainiste et je considérais que le fait de créer une monnaie unique, sans mettre en place les institutions politiques pour piloter cette monnaie, cétait une erreur. Je pourrais aujourdhui bomber du torse en disant javais raison. Je ne le fais pas. Parce que je considère que douze ans après la mise en place de leuro, dans le contexte économique mondial daujourdhui, on a plus que jamais besoin de cette monnaie. Donc, maintenant, moi, jen tire la conclusion, avec litinéraire politique qui est le mien, il faut aller vers plus dintégration, il faut accepter de partager notre souveraineté budgétaire avec les autres pays de la Zone Euro pour sauver la monnaie européenne. Parce que je ne crois pas que dans le contexte de lémergence de limmense puissance économique chinoise, dans le contexte du basculement historique vers lAsie du centre de gravité de léconomie mondiale, dans le contexte de la montée en puissance remarquable du Brésil et de plusieurs pays dAmérique latine, que ce soit aller dans le sens de lHistoire que de revenir à nos frontières nationales du 19ème ou du 20ème siècle et de mettre un terme à une aventure européenne qui a suscité dimmenses espoirs, dabord dans la jeunesse européenne et dans le monde entier.
Question
Récemment, lUE et le Mercosur ont repris les négociations sur le traité de libre échange. Comment estimez-vous la faisabilité de la signature de cet accord dans la conjoncture actuelle ?
Réponse du Premier ministre
Dabord, je voudrais dire quil ny a aucune opposition de principe à la signature de cet accord entre le Mercosur et lUnion européenne. Simplement, les négociations entre lUnion européenne et le Mercosur doivent impérativement tenir compte des intérêts spécifiques des deux parties et être mutuellement bénéfiques. Je crois quil faut sortir du langage diplomatique et dire les choses avec la plus grande sincérité. Il y a un problème pour lagriculture européenne. Je vous le dis avec une extrême franchise, jamais les Européens, notamment les Français, nous nabandonnerons notre agriculture. Cest-à-dire que jamais nous naccepterons lidée que lagriculture européenne disparaisse et quil y ait une sorte de répartition différente des rôles entre les pays, certains produisant les produits alimentaires, dautres, les produits industriels, les troisièmes, les services financiers. Nous ne croyons pas à lexistence dun modèle de développement viable comme celui-là. Nous pensons que chaque pays a le devoir de conserver une capacité de production agricole ; a le devoir de conserver une capacité industrielle et des services et que cest laddition des trois qui donne une société équilibrée. Jajoute que pour nous, lagriculture cest aussi une question stratégique, une question de sécurité, de sécurité dapprovisionnement. De sécurité sur le plan sanitaire. Et enfin, je crois quil faut que dans la relation entre lEurope et les pays du Mercosur nous réfléchissions aussi aux questions environnementales. Il y a des produits qui peuvent être exportés sans aucune difficulté et dans lintérêt général. Y compris celui de la planète. Il y a des transports de produits agricoles qui sont juste stupides au regard de lavenir de la planète. Au regard de la consommation dénergie ; au regard de la protection de lenvironnement. Et donc il faut trouver cet équilibre. Aujourdhui, lUnion européenne est le premier acheteur du Mercosur avec vingt milliards de dollars en 2010. Cest trois fois plus que lALENA qui regroupe pourtant à peu près la même population. Donc on ne peut pas du tout dire quil y a un blocage européen à la négociation sur le Mercosur. Mais il faut si vous voulez aboutir à une négociation réussie sur ce sujet-là, que vous preniez en compte comme nous, nous devons prendre en compte vos lignes rouges que vous preniez en compte la ligne rouge européenne et la ligne rouge française qui existent sur la question agricole. Nous sommes donc nous, prêts à un dialogue franc et transparent, qui dailleurs est loin de se limiter au sujet agricole ; il faut aborder les sujets industriels ; le commerce ; les services ; laccès aux marchés publics. Mais je suis persuadé quon trouvera une solution acceptable et on a tout intérêt à la trouver parce que nous savons bien que ce qui a aggravé la crise des années 30, ce qui a transformé la crise des années 30, après tout qui est assez comparable à celle que nous connaissons aujourdhui, ce qui la rendue désastreuse pour lensemble du monde et ce qui a conduit ensuite à tous les désordres que chacun a en tête, cest le repli sur soi. Cest le recours au protectionnisme. Cest le recours au protectionnisme qui a transformé la crise des années 30 en une immense crise mondiale, qui a fait reculer le monde de plusieurs années. Et donc il faut quon se souvienne de cette histoire et quon ne reproduise pas les mêmes réponses, parce quelles produiraient sans doute malheureusement les mêmes effets.
Question
Quels sont les principaux enjeux juridiques actuels de lintégration européenne ?
Réponse du Premier ministre
Cest une question difficile parce que on a commencé lexercice de rédaction des textes qui vont devoir donner lieu à un accord dans le courant du mois de mars et puis à une ratification par les pays européens avant la fin de lannée 2012. Ce quil faut que nous trouvions cest une articulation, ce que nous allons trouver cest une articulation entre les pays de la zone Euro qui auront un gouvernement économique, qui devront se plier à des règles très strictes en matière financière ; en matière budgétaire ; qui devront engager la convergence de leurs économies. Et puis les autres pays de lUnion européenne qui naturellement resteront liés par les règles actuelles, par les traités actuels, par le marché unique ; par les compétences qui ont déjà été transférées à lUnion européenne.
Cest cette articulation quon va devoir trouver. Vous voyez bien que cest difficile. Quel va être le rôle de la Commission ? Nous, nous pensons que sagissant des questions budgétaires et des questions de surveillance de la zone Euro, la Commission est gardienne des traités. Elle a le pouvoir de sanction. Donc elle ne peut pas être celle qui pilote la politique économique ; elle ne peut pas être à la fois juge et partie. Si on sanctionne, si on est le juge, on ne peut pas être en même temps le pilote de la politique économique. Et donc il faut que nous trouvions cette articulation. En tout état de cause, nous allons vers une zone Euro plus intégrée. Et nous allons vers une souveraineté partagée entre les pays de la zone Euro, sur les questions budgétaires, et dune certaine façon, progressivement sur les questions économiques et sur les questions fiscales. Jai dit à plusieurs reprises ça choque beaucoup en France quand je dis cela quon ne peut pas imaginer davoir durablement une même monnaie, sur un territoire où il y a des gens qui travaillent 42 heures et dautres qui travaillent 35. Il va bien falloir trouver un moyen de rapprocher les règles du jeu social entre lensemble des pays de la zone Euro. Et il faut le faire par compromis successifs. Voilà, cest ce travail que nous avons entrepris. Il va sûrement donner lieu à la naissance dune nouvelle Europe dans laquelle il y aura deux cercles : une Europe monétaire très intégrée, et une Union européenne qui va continuer à se développer. Qui va continuer à sélargir dailleurs parce que plusieurs pays, notamment dans la région des Balkans, ont vocation à rejoindre lEurope. Et nous sommes attachés malgré les difficultés que cela représente, à cet élargissement. Parce que cet élargissement est la garantie de la Paix en Europe. La garantie de la stabilité en Europe.
Si nous avons accueilli aussi vite les pays dEurope de lEst après la chute de lUnion soviétique alors que nous savions que les difficultés économiques et financières seraient très grandes, cest parce que nous pensions que nous avions une responsabilité historique à accueillir dans la famille européenne, des pays qui connaissaient par ailleurs des tensions très fortes entre eux, pour des raisons liées à leur peuplement ; pour des raisons liées à leur Histoire. Et on voit bien quune fois que ces pays sont intégrés dans lUnion européenne, les choses se passent mieux. Les vieilles querelles ethniques, les vieilles querelles historiques, je ne dis pas quelles disparaissent du jour au lendemain, mais elles sont régulées par lappartenance à lUnion européenne. Au fond, ce que nous sommes en train de faire, sur le long terme, nous sommes en train de développer une citoyenneté européenne. Une citoyenneté européenne qui viendra un jour se superposer aux citoyennetés nationales, parce quau fond cest la seule façon pour nous de défendre la civilisation européenne. Si nous ne parvenons pas à créer cette citoyenneté européenne alors cest la civilisation européenne qui sera bousculée par la mondialisation. Qui sera bousculée par lémergence dautres civilisations brillantes. Et cest la raison pour laquelle, une nouvelle fois, le souverainiste que je suis, aujourdhui considère que la meilleure façon de défendre lidentité nationale française, cest de défendre ne citoyenneté européenne pour défendre la civilisation européenne. Je vous remercie.
Source http://www.gouvernement.fr, le 16 décembre 2011
Pendant ces derniers mois, des rumeurs au sujet de lintégration européenne ont posé la question du projet européen. Comme leader de la construction européenne, comment la France veut-elle répondre à cette question sur les plans politiques et institutionnels ?
Réponse du Premier ministre
Jai déjà assez largement répondu à cette question. Je lai dit, le projet européen, cest un projet qui sinscrit dans une démarche historique qui est absolument fondamentale et qui ne peut pas connaitre de retour en arrière. La France et lAllemagne se sont affrontées pendant des siècles, la plupart des pays européens se sont affrontés pendant des siècles. Ils ont été à lorigine, je lai dit tout à lheure, des plus grandes catastrophes que le monde, que lhumanité aient connues. Le fait davoir surmonté ces oppositions durant les soixante dernières années et de les avoir tellement surmontées que nous nous sommes liés les mains avec aujourdhui un espace économique totalement ouvert, un espace sans frontières, mais plus encore une monnaie commune sur dix-sept pays européens, monnaie commune qui a dailleurs vocation à terme à sélargir à dautres pays de lUnion européenne, ce sont des signes, des avancées, ce sont des progrès tellement considérables que personne ne peut envisager, sauf quelques farfelus ou quelques personnalités qui nont aucune vision historique ou simplement des gens qui sexpriment pour des raisons purement électorales, mais sans se préoccuper de lintérêt général, il ne peut pas être envisagé de revenir en arrière sur toutes ces avancées. Nous sommes défiés sur la monnaie européenne, un, parce que nous sommes trop endettés, mais je lai dit tout à lheure, on nest pas les seuls ; quand je vois nos amis britanniques qui sont encore plus endettés que nous et qui ont un déficit plus élevé, je constate que, pour linstant, les agences de notation ne semblent pas le remarquer, je me dis que ce nest pas seulement la question de lendettement qui est en cause, cest la question de la gouvernance de la Zone Euro.
Au fond, tous, vous vous posez la question de savoir comment la Zone Euro peut-elle prendre des décisions, notamment pour défendre sa monnaie face à la spéculation, sil ny a pas un pouvoir fort et des mécanismes de prise de décision efficaces. On a pris, avec le président SARKOZY et la Chancelière allemande Angela MERKEL, on a pris la mesure de ce défi et on a décidé, France et Allemagne, de proposer des réformes fondamentales de la gouvernance de la Zone Euro. On a été un peu critiqués pour lavoir fait, parce que, après tout, les autres pays se sont interrogés sur la question de savoir pourquoi est-ce que la France et lAllemagne prenaient le leadership de la réforme de la Zone Euro. Ces arguments ont été assez vite balayés pour deux raisons. Dabord, parce que la France et lAllemagne, cest plus de la moitié du produit intérieur brut de la Zone Euro. Deuxièmement, parce que la France et lAllemagne, ce sont les deux pays qui ont été à lorigine des crises les plus graves en Europe et cest au fond eux-mêmes qui sont à lorigine de la création de lUnion européenne, ce qui leur donne au fond une vocation aujourdhui à proposer son évolution. Enfin, dernier argument, il ny a pas eu tellement de propositions venant dailleurs qui nous auraient permis, à nous, Français, et aux Allemands, de ne pas passer des nuits entières à travailler à chercher des solutions à la crise de la Zone Euro. Donc, la France et lAllemagne constituent un moteur qui met sur la table des propositions.
Ce qui sest passé au dernier Conseil européen est absolument fondamental, puisque, pour la première fois quon sest mis daccord sans lunanimité. Lunanimité, cest très bien, mais cest un frein à la prise de décision. Nos amis Anglais, comme dhabitude, étaient prêts à nous soutenir, à condition quon leur ouvre de nouveaux avantages, de nouvelles exceptions. En deux mots, ils auraient aimé quon puisse, en échange de leur neutralité dans la mise en uvre du nouveau traité que nous proposons quon puisse sortir le secteur financier britannique de la régulation européenne. Franchement, ce nétait juste pas possible. On ne peut pas imaginer de mettre en place une sorte de place offshore financière à Londres, alors même que les autres Etats européens auraient des règles contraignantes pour réguler le système financier. Dans le passé, cette position britannique aurait dû aboutir à un échec de la négociation ou à une négociation au rabais sur des décisions extrêmement modestes. Non. Nous avons dit non. Nous avons dit que nous préférions un accord intergouvernemental avec les pays qui souhaitaient suivre la proposition franco-allemande, et puis, ceux qui ne veulent pas la suivre resteront en dehors de cette proposition. Donc, cest un acte politique extrêmement fort qui a été accompli le 9 décembre, cest la fin de la règle de lunanimité, cest le renforcement de lintergouvernemental et cest quand même lamorce de la création, autour de la France et de lAllemagne, dune Zone Euro très intégrée, où nous devrons partager, par exemple, la discipline budgétaire, où nous devrons partager des règles fiscales communes, où nous devrons, à terme, partager certaines règles sociales communes, pour faire de la Zone Euro un territoire équilibré, avec ses institutions financières et avec sa discipline budgétaire. Donc, je crois vraiment quon a, là, franchi une étape absolument décisive. Est-ce quelle convaincra à court terme les marchés et les observateurs ? Je nen sais rien, ils ont quand même tendance à prendre des décisions immédiates, juste avant les crises, ils ne les voient pas arriver. Parfois quand la crise est sortie, ils nont pas vu encore quon en était sorti. Mais en même temps, je dis ça, ce nest pas une critique parce quils font leur métier. Leur métier, cest de constater une situation donnée sur les marchés. Notre métier, à nous, responsables politiques, cest de voir un tout petit peu plus loin et dessayer dimaginer les institutions qui vont permettre à la Zone Euro de se développer.
Mais je voudrais, pour terminer, pour vous donner un dernier argument pour vous convaincre. Moi, jétais contre leuro, jai voté contre le Traité de Maastricht qui a instauré leuro. Jappartiens à une famille politique qui était très profondément souverainiste et je considérais que le fait de créer une monnaie unique, sans mettre en place les institutions politiques pour piloter cette monnaie, cétait une erreur. Je pourrais aujourdhui bomber du torse en disant javais raison. Je ne le fais pas. Parce que je considère que douze ans après la mise en place de leuro, dans le contexte économique mondial daujourdhui, on a plus que jamais besoin de cette monnaie. Donc, maintenant, moi, jen tire la conclusion, avec litinéraire politique qui est le mien, il faut aller vers plus dintégration, il faut accepter de partager notre souveraineté budgétaire avec les autres pays de la Zone Euro pour sauver la monnaie européenne. Parce que je ne crois pas que dans le contexte de lémergence de limmense puissance économique chinoise, dans le contexte du basculement historique vers lAsie du centre de gravité de léconomie mondiale, dans le contexte de la montée en puissance remarquable du Brésil et de plusieurs pays dAmérique latine, que ce soit aller dans le sens de lHistoire que de revenir à nos frontières nationales du 19ème ou du 20ème siècle et de mettre un terme à une aventure européenne qui a suscité dimmenses espoirs, dabord dans la jeunesse européenne et dans le monde entier.
Question
Récemment, lUE et le Mercosur ont repris les négociations sur le traité de libre échange. Comment estimez-vous la faisabilité de la signature de cet accord dans la conjoncture actuelle ?
Réponse du Premier ministre
Dabord, je voudrais dire quil ny a aucune opposition de principe à la signature de cet accord entre le Mercosur et lUnion européenne. Simplement, les négociations entre lUnion européenne et le Mercosur doivent impérativement tenir compte des intérêts spécifiques des deux parties et être mutuellement bénéfiques. Je crois quil faut sortir du langage diplomatique et dire les choses avec la plus grande sincérité. Il y a un problème pour lagriculture européenne. Je vous le dis avec une extrême franchise, jamais les Européens, notamment les Français, nous nabandonnerons notre agriculture. Cest-à-dire que jamais nous naccepterons lidée que lagriculture européenne disparaisse et quil y ait une sorte de répartition différente des rôles entre les pays, certains produisant les produits alimentaires, dautres, les produits industriels, les troisièmes, les services financiers. Nous ne croyons pas à lexistence dun modèle de développement viable comme celui-là. Nous pensons que chaque pays a le devoir de conserver une capacité de production agricole ; a le devoir de conserver une capacité industrielle et des services et que cest laddition des trois qui donne une société équilibrée. Jajoute que pour nous, lagriculture cest aussi une question stratégique, une question de sécurité, de sécurité dapprovisionnement. De sécurité sur le plan sanitaire. Et enfin, je crois quil faut que dans la relation entre lEurope et les pays du Mercosur nous réfléchissions aussi aux questions environnementales. Il y a des produits qui peuvent être exportés sans aucune difficulté et dans lintérêt général. Y compris celui de la planète. Il y a des transports de produits agricoles qui sont juste stupides au regard de lavenir de la planète. Au regard de la consommation dénergie ; au regard de la protection de lenvironnement. Et donc il faut trouver cet équilibre. Aujourdhui, lUnion européenne est le premier acheteur du Mercosur avec vingt milliards de dollars en 2010. Cest trois fois plus que lALENA qui regroupe pourtant à peu près la même population. Donc on ne peut pas du tout dire quil y a un blocage européen à la négociation sur le Mercosur. Mais il faut si vous voulez aboutir à une négociation réussie sur ce sujet-là, que vous preniez en compte comme nous, nous devons prendre en compte vos lignes rouges que vous preniez en compte la ligne rouge européenne et la ligne rouge française qui existent sur la question agricole. Nous sommes donc nous, prêts à un dialogue franc et transparent, qui dailleurs est loin de se limiter au sujet agricole ; il faut aborder les sujets industriels ; le commerce ; les services ; laccès aux marchés publics. Mais je suis persuadé quon trouvera une solution acceptable et on a tout intérêt à la trouver parce que nous savons bien que ce qui a aggravé la crise des années 30, ce qui a transformé la crise des années 30, après tout qui est assez comparable à celle que nous connaissons aujourdhui, ce qui la rendue désastreuse pour lensemble du monde et ce qui a conduit ensuite à tous les désordres que chacun a en tête, cest le repli sur soi. Cest le recours au protectionnisme. Cest le recours au protectionnisme qui a transformé la crise des années 30 en une immense crise mondiale, qui a fait reculer le monde de plusieurs années. Et donc il faut quon se souvienne de cette histoire et quon ne reproduise pas les mêmes réponses, parce quelles produiraient sans doute malheureusement les mêmes effets.
Question
Quels sont les principaux enjeux juridiques actuels de lintégration européenne ?
Réponse du Premier ministre
Cest une question difficile parce que on a commencé lexercice de rédaction des textes qui vont devoir donner lieu à un accord dans le courant du mois de mars et puis à une ratification par les pays européens avant la fin de lannée 2012. Ce quil faut que nous trouvions cest une articulation, ce que nous allons trouver cest une articulation entre les pays de la zone Euro qui auront un gouvernement économique, qui devront se plier à des règles très strictes en matière financière ; en matière budgétaire ; qui devront engager la convergence de leurs économies. Et puis les autres pays de lUnion européenne qui naturellement resteront liés par les règles actuelles, par les traités actuels, par le marché unique ; par les compétences qui ont déjà été transférées à lUnion européenne.
Cest cette articulation quon va devoir trouver. Vous voyez bien que cest difficile. Quel va être le rôle de la Commission ? Nous, nous pensons que sagissant des questions budgétaires et des questions de surveillance de la zone Euro, la Commission est gardienne des traités. Elle a le pouvoir de sanction. Donc elle ne peut pas être celle qui pilote la politique économique ; elle ne peut pas être à la fois juge et partie. Si on sanctionne, si on est le juge, on ne peut pas être en même temps le pilote de la politique économique. Et donc il faut que nous trouvions cette articulation. En tout état de cause, nous allons vers une zone Euro plus intégrée. Et nous allons vers une souveraineté partagée entre les pays de la zone Euro, sur les questions budgétaires, et dune certaine façon, progressivement sur les questions économiques et sur les questions fiscales. Jai dit à plusieurs reprises ça choque beaucoup en France quand je dis cela quon ne peut pas imaginer davoir durablement une même monnaie, sur un territoire où il y a des gens qui travaillent 42 heures et dautres qui travaillent 35. Il va bien falloir trouver un moyen de rapprocher les règles du jeu social entre lensemble des pays de la zone Euro. Et il faut le faire par compromis successifs. Voilà, cest ce travail que nous avons entrepris. Il va sûrement donner lieu à la naissance dune nouvelle Europe dans laquelle il y aura deux cercles : une Europe monétaire très intégrée, et une Union européenne qui va continuer à se développer. Qui va continuer à sélargir dailleurs parce que plusieurs pays, notamment dans la région des Balkans, ont vocation à rejoindre lEurope. Et nous sommes attachés malgré les difficultés que cela représente, à cet élargissement. Parce que cet élargissement est la garantie de la Paix en Europe. La garantie de la stabilité en Europe.
Si nous avons accueilli aussi vite les pays dEurope de lEst après la chute de lUnion soviétique alors que nous savions que les difficultés économiques et financières seraient très grandes, cest parce que nous pensions que nous avions une responsabilité historique à accueillir dans la famille européenne, des pays qui connaissaient par ailleurs des tensions très fortes entre eux, pour des raisons liées à leur peuplement ; pour des raisons liées à leur Histoire. Et on voit bien quune fois que ces pays sont intégrés dans lUnion européenne, les choses se passent mieux. Les vieilles querelles ethniques, les vieilles querelles historiques, je ne dis pas quelles disparaissent du jour au lendemain, mais elles sont régulées par lappartenance à lUnion européenne. Au fond, ce que nous sommes en train de faire, sur le long terme, nous sommes en train de développer une citoyenneté européenne. Une citoyenneté européenne qui viendra un jour se superposer aux citoyennetés nationales, parce quau fond cest la seule façon pour nous de défendre la civilisation européenne. Si nous ne parvenons pas à créer cette citoyenneté européenne alors cest la civilisation européenne qui sera bousculée par la mondialisation. Qui sera bousculée par lémergence dautres civilisations brillantes. Et cest la raison pour laquelle, une nouvelle fois, le souverainiste que je suis, aujourdhui considère que la meilleure façon de défendre lidentité nationale française, cest de défendre ne citoyenneté européenne pour défendre la civilisation européenne. Je vous remercie.
Source http://www.gouvernement.fr, le 16 décembre 2011