Déclaration de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre des solidarités et de la cohésion sociale, sur les violences faites aux femmes, Paris le 24 novembre 2011.

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Circonstance : Mise en place de la plateforme 3919

Texte intégral

À vous, journalistes, dont le métier consiste précisément à les organiser de la manière la plus juste, je n'apprendrai pas, ce matin, que les mots ont un sens et que les mots font sens.
Goethe ne nous dit d'ailleurs pas autre chose lorsqu'il affirme : « Le langage fabrique les gens bien plus que les gens ne fabriquent le langage ».
Alors, aujourd'hui, je veux le dire sans détour : cessons de tricher avec les mots pour masquer la terrible réalité qu'ils recouvrent.
Non, les violences faites aux femmes ne relèvent pas de faits divers.
Les violences faites aux femmes sont des faits majeurs, parce qu'elles constituent des crimes.
Non, les violences faites aux femmes ne relèvent pas de la sphère privée.
Les violences faites aux femmes constituent un enjeu politique essentiel. Elles interpellent notre responsabilité collective et requièrent la solidarité nationale.
Par conséquent, ne nous y trompons pas : lutter contre ces violences avec la plus grande détermination est une nécessité absolue, sans laquelle nous ne pouvons prétendre à une quelconque modernité, sans laquelle notre idéal démocratique est bafoué.
Le climat de peur créé par ces violences entrave la liberté de nos concitoyennes, de nos sœurs, de nos filles. A l'heure où le « printemps arabe » a montré le formidable rôle joué par les femmes dans l'accès de ces pays à la liberté, la France se doit d'être exemplaire et digne de son idéal de civilisation dans laquelle la violence et les rapports de force n'ont pas leur place.
Ne serait-ce que parce que sa voix est écoutée partout dans le monde.
J'ai d'ailleurs eu l'honneur de réaffirmer l'engagement de la France en faveur des droits des femmes lors de la 55e session de la commission de la condition de la Femme à l'ONU, en février 2011.
Pour autant, nous avons du chemin à parcourir.
Rappelons-le : si, il y a dix ans, les pouvoirs publics avaient été très surpris par l'ampleur des violences faites aux femmes en Espagne, c'est parce que le pays était le premier à réaliser des études et des statistiques sur le sujet.
Les statistiques ne sont pas meilleures pour la France.
Au contraire, pour l'heure, le constat est accablant, les chiffres terrifiants.
En France, au XXIe siècle, une femme meurt tous les deux jours et demi sous les coups de son compagnon.
650 000 femmes de 18 à 75 ans ont déclaré en 2009 avoir été victimes de violences sexuelles hors et dans le ménage.
En 2010, on a estimé à plus de 75 000 le nombre de viols. Mais, nous le savons bien, toutes les femmes n'osent pas porter plainte.
Les chiffres réels sont donc plus insoutenables encore.
Au total, on estime que 3 millions de femmes sont victimes de violences chaque année.
Autrement dit, 1 femme sur 10 sera victime de violences au cours de sa vie.
Je pense à toutes ces femmes –je voudrais pouvoir citer leurs prénoms à toutes – victimes de violences conjugales, de viol ou d'agression sexuelle, à tous les âges, dans tous les milieux.
Je pense à ces jeunes mineures – Océane et Agnès, récemment assassinées et victimes d'agressions sexuelles.
Je pense à ces joggeuses, Natacha, Patricia, Marie-Christine, enlevées, violées, assassinées.
S'il existe aujourd'hui un cancer qui ronge notre société, c'est bien celui-là : les violences faites aux femmes, quelle que soit la forme qu'elles prennent.
Nous ne pouvons pas continuer à tolérer cela.
Aujourd'hui, des femmes risquent leur vie à leur domicile, exposées à la violence de leur compagnon.
Dans l'espace public également, les femmes continuent d'avoir peur.
A toutes, partout, nous devons garantir la sécurité.
C'est précisément le rôle du 39 19, ce numéro de téléphone national d'information, d'accompagnement et d'orientation des victimes de violences.
Je tiens à souligner qu'il s'agit d'un numéro d'appel facile à mémoriser, gratuit, qui donne accès à une écoute personnalisée.
Depuis son lancement en 2007, le 39 19 a fortement gagné en notoriété : les appels ont été multipliés par deux, pour atteindre le chiffre de 50 000 par an. Cette augmentation révèle un début de libération de la parole des femmes, que nous devons encourager.
Je veux profiter de l'occasion qui m'est donnée ici pour remercier les associations et l'ensemble des professionnels – médecins, policiers, magistrats – qui constituent le réseau de personnes ressources mobilisées derrière le 39 19 : la Fédération nationale solidarité femmes, le Collectif féministe contre le viol, les centres d'information sur les droits des femmes.
Plus largement, je le sais, c'est l'ensemble du réseau associatif – c'est-à-dire plus de 25 associations – qui est mobilisé, et cela de longue date.
Vous aviez déjà œuvré collectivement en 2010, année durant laquelle la lutte contre les violences faites aux femmes avait été choisie par le Premier ministre comme Grande cause nationale.
Au-delà de ce numéro qu'est le 39 19, le Gouvernement agit depuis 2005.
A cet égard, le plan 2005-2007 prévoyait « 10 mesures pour l'autonomie des femmes ». Il permettait ainsi de les accompagner dans leurs démarches d'accès au logement, dans leurs démarches d'insertion professionnelle et d'autonomie financière.
Le plan 2008-2010 a conforté les mesures existantes et programmé de nouvelles actions en direction des auteurs de violences et des enfants exposés aux violences conjugales.
Je le disais il y a quelques instants, l'année 2010 de la « Grande cause nationale » a permis de renforcer la sensibilisation du grand public.
Elle a également été marquée par le renforcement du cadre juridique avec le vote à l'unanimité, par les députés et les sénateurs, de la loi du 9 juillet 2010, qui représente une avancée significative pour les femmes.
Vous le savez, elle permet en effet l'éviction du domicile du conjoint violent grâce à l'ordonnance de protection des victimes.
Cette loi crée également le délit de violences psychologiques et prévoit l'expérimentation du bracelet électronique pour mieux protéger les victimes une fois les auteurs sortis de prison.
Pour aller plus loin encore, j'ai mis en œuvre le troisième plan interministériel 2011-2013, qui réaffirme l'engagement du Gouvernement à lutter contre les violences faites aux femmes.
J'en veux d'ailleurs pour preuve les 31 ,6 millions d'euros qu'il engage au total, ce qui représente une augmentation de 30% par rapport au plan précédent.
S'il s'inscrit dans le sillage des actions menées en 2010, ce plan va aussi plus loin en abordant des questions nouvelles : les violences intrafamiliales, les mariages forcés, la polygamie et les mutilations sexuelles.
Pour la première fois, il dénonce les violences sexistes et sexuelles au travail, les viols et les agressions sexuelles, ainsi que le recours à la prostitution.
Plus largement, il répond à trois priorités :
* la protection des victimes ;
* la prévention des violences ;
* et la solidarité, car – réaffirmons-le – la lutte contre les violences faites aux femmes est l'affaire de toutes et de tous.
Et cet engagement fort de l'Etat porte ses fruits.
D'ores et déjà, grâce à l'ensemble des actions menées depuis 2005, il est moins difficile de révéler les violences.
Pour autant, les campagnes d'information que mène l'Etat demeurent essentielles pour dénoncer sans relâche ces violences, pour mieux agir, pour mettre fin à l'insupportable.
C'est tout l'enjeu de celle que nous vous présentons aujourd'hui et dont Nathalie Tournyol du Clos, cheffe du service des droits des femmes et de l'égalité entre les femmes et les hommes à la DGCS, vient de vous donner les détails.
Comme je m'y étais engagée, cette campagne porte plus spécifiquement sur les violences conjugales, les viols et les agressions sexuelles. Car, nous le savons bien : au-delà des actions concrètes que nous menons, il faut aussi œuvrer à une profonde évolution des mentalités et lever les tabous.
Cette campagne vise aussi à promouvoir encore davantage le 39 19, pour en faire véritablement un numéro de référence partout en France, aussi connu que celui de la police ou du Samu.
Briser le silence, libérer la parole des femmes, passer à l'action : c'est tout l'esprit de cette campagne, dont le slogan est « Osez en parler ».
Je vous disais en préambule mon attachement au langage.
Ce dernier, j'en suis convaincue, est fondamental pour faire reculer la barbarie, quel que soit son visage.
Parler des violences faites aux femmes, ce n'est pas un motif de honte.
Parler des violences faites aux femmes, c'est au contraire une nécessité.
Aussi, nous devons former les travailleurs sociaux pour qu'ils lèvent un certain nombre de tabous, ainsi que les acteurs de la fonction publique qui sont en première ligne sur ces sujets.
Il faut aussi protéger les femmes qui ont parlé, ainsi que leurs enfants, notamment en développant des centres d'accueil dans chaque département.
Plus largement, il faut sensibiliser l'ensemble du grand public à la prévention de toutes les formes de violence, partout où elles s'exercent – au sein de la famille, à l'école, dans la rue ou encore au travail.
Par ailleurs, j'ai réintroduit dans ce cadre le ruban blanc, symbole international, depuis 1991, des violences faites aux femmes.
Vous vous en souvenez certainement, ce ruban blanc a été utilisé dans le cadre de la Grande Cause nationale de 2010.
Je vous invite – vous, les représentants des associations, vous, les représentants de la presse ici présents – à continuer à vous faire les ambassadrices et les ambassadeurs de cette cause en portant le ruban blanc demain, le 25 novembre.
J'ai également invité les parlementaires à le porter, et ils étaient très nombreux hier dans l'hémicycle à l'arborer.
Mes collègues du Gouvernement ont aussi porté ce ruban blanc en Conseil des ministres.
Vous l'aurez compris, notre démarche répond aujourd'hui à trois ambitions, que je voudrais rappeler pour conclure :
1. Cette campagne n'a rien d'anecdotique ; elle est au contraire une réponse concrète à une question d'intérêt général majeur.
2. Plus que jamais, je suis convaincue que, pour être pleinement efficace, la lutte contre les violences faites aux femmes doit s'inscrire dans la durée et dans une démarche globale. C'est tout l'enjeu de ce troisième plan.
De la même manière, le 39 19 doit s'inscrire dans la pérennité, en devenant un numéro aussi connu que celui de la police ou des pompiers.
3. Ce troisième plan est un plan interministériel qui engage l'ensemble du Gouvernement et prévoit la formation et l'implication de tous les acteurs de la fonction publique en première ligne sur ces sujets.
Mesdames, messieurs, les faits tragiques qui se sont produits ces derniers jours nous obligent.
Mobilisons-nous pour défendre les droits des femmes et faire reculer tout ce qui y porte atteinte.Source http://www.solidarite.gouv.fr, le 25 novembre 2011