Extraits d'une interview de M. Jean Leonetti, ministre des affaires européennes, avec Radio classique le 21 décembre 2011, sur la réaction de la Turquie face à la proposition de loi condamnant la négation des génocides dont le génocide arménien et sur la crise de la Zone euro.

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Média : Radio Classique

Texte intégral

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Q - Est-ce que vous trouvez que l’affaire turque, ou plutôt l’affaire qui concerne les Arméniens et les Turcs doive vraiment faire l’objet d’une loi ou d’un projet de loi à l’Assemblée nationale ? Est-ce qu’on n’a pas autre chose à faire que de s’occuper aujourd’hui du génocide arménien ?
R - Écoutez, j’étais aux côtés de Bernard Accoyer quand on a évoqué la première loi, celle qui reconnait le génocide arménien, et on s’est posé cette question.
Q - Avec des répercussions qui peuvent vous concerner, même si la Turquie est à l’extérieur, parce qu’ils menacent de représailles à tous niveaux (économique, culture).
R - Guillaume Durand, sur le fond, est-ce que c’est au législateur ou à l’historien de dire l’histoire ? Et d’un autre côté, est-ce que les grands peuples ne s’honorent pas lorsqu’ils regardent leur passé avec lucidité ?
Vous croyez que c’était facile pour Schmidt d’arriver au ghetto de Varsovie et de reconnaître la responsabilité de l’Allemagne ? Vous croyez que c’était facile pour Jacques Chirac d’aller au Vel d’Hiv et de reconnaître la responsabilité de l’État français ?
Q - Et donc, cela concerne Erdogan, mais en quoi cela nous concerne, nous, la pénalisation de cette affaire-là ?
R - Moi, je crois que la France, il faut le rappeler, c’est aussi le pays des droits de l’Homme et c’est aussi le pays qui essaie de porter…
Q - … donc, on va s’étriper entre nous sur un sujet qui nous concerne simplement via la communauté arménienne ? Alors, c’est pourquoi ? C’est pour les faire voter ?
R - Si c’était électoraliste, je pense que l’opposition ne la voterait pas. Or, vous avez constaté que les socialistes vont voter cette proposition de loi. Je rappelle aussi que c’est une proposition de loi, cela émane d’un député, cela n’émane pas du gouvernement. Je rappelle que cela ne vise pas directement la Turquie puisque c’est l’ensemble des génocides qui est concerné. En même temps cela pose un problème qu’il me paraît essentiel d’évoquer aujourd’hui, à savoir que l’ensemble des peuples doivent être lucides et courageux et regarder leur histoire. Le génocide arménien, je vous le rappelle, a eu lieu il y a presque cent ans. Donc, les responsables sont morts. Il s’agit là simplement d’une reconnaissance d’un fait historique.
(…)
R - Tous les peuples européens votent la règle d’or. On décide d’arrêter les déficits parce que cela génère de la dette et que celle-ci étrangle l’économie ; en même temps celle-ci se reporte sur les générations futures. Les Français l’ont bien compris et on va faire la règle d’or en France. Elle a été faite en Espagne avec les socialistes, elle a été faite en Allemagne avec les socialistes (…)
Q - Il y avait quand même une petite règle d’or qui était Maastricht, que personne n’a vraiment tenue, il n’y a pas que la France.
R - Ce n’est pas une règle d’or Maastricht.
Q - C’était quand même une règle.
R - Ce sont des règles qui n’ont pas été respectées. Maintenant, il faut passer à des règles contraignantes. Lorsque vous avez mis en place des règles dissuasives qui ne marchent pas, il faut arriver à un système dans lequel la règle est que, si vous n’acceptez pas la règle d’or, il y a des sanctions. C’est cela qu’on est en train de mettre en place.
Q - Ca, ce serait prêt au mois de mars, vous le confirmez ce matin ?
R - Oui, ce sera prêt au mois de mars.
Q - Vous travaillez sur ces questions en ce moment ?
R - Oui, je pense même qu’il devrait y avoir une ébauche du traité à la fin du mois de janvier, qui pourrait ensuite tourner…
Q - …qui sera rendu public dès fin janvier ?
R - Je pense que les grandes lignes seront rendues publiques fin janvier.
Q - Est-ce que vous considérez, comme Jacques Attali, qu’il existe un risque que l’euro disparaisse, alors lui il avait dit d’ici la fin de l’année, mais disons dans les semaines qui viennent, parce que, semble-t-il, il y a de plus en plus, on a lu ça dans les journaux avec Gilles, d’entreprises qui commencent même maintenant, à l’intérieur d’entreprises privées, à imaginer des scénarios de la sortie de l’euro et donc à adapter leur politique commerciale.
Q - Et anticiper, en fait, la dégradation.
R - On peut toujours imaginer le pire, cela fait partie des hypothèses. Sauf que la responsabilité des politiques, c’est que le pire n’arrive pas.
Q - Sauf que Nicolas Sarkozy lui-même a évoqué la question.
R - Tout le monde est à peu près d’accord sur le fait que la disparition de l’euro, l’explosion de l’Europe serait une catastrophe pour tous les peuples européens. Non pas seulement pour les banques ou pour les entreprises, mais pour tous les peuples européens, y compris pour la France.
Donc, la question n’est pas de se dire : cela n’arrivera pas et cela ne peut pas arriver, mais la responsabilité politique nous impose de dire : on va mettre en œuvre les moyens pour que cela n’arrive pas.
Q - Sauf que Nicolas Sarkozy lui-même en a parlé en faisant déjà un petit peu de pédagogie, comme si en fait effectivement cela pouvait arriver dans les semaines qui viennent. Est-ce que cela ne contribue pas à inquiéter un peu les citoyens et les Français ?
R - Non, je ne crois pas ! Le président de la République à Toulon, devant le PPE, le Parti populaire européen, a dit certaines choses : oui l’Europe peut se défaire et oui l’euro peut disparaître, et cela serait une catastrophe sur le plan économique, sur le plan financier et sur le plan du pouvoir d’achat de l’ensemble des peuples. Vous n’avez qu’à regarder ce qui s’est passé en Argentine ou ailleurs.
Donc il faut que nous soyons en capacité au niveau européen de mettre en place à la fois la discipline budgétaire et la solidarité. C’est le projet de traité qui est en train de s’élaborer.
Q - Mais, Jean Leonetti, vous savez bien, puisque vous connaissez bien la vie politique depuis des années, que c’est justement sur cet angle là, la gauche l’a d’abord beaucoup attaqué sur les questions qu’on évoquait tout à l’heure, sa personnalité, son style, etc. Maintenant, ces derniers temps…
(…)
R - C’est un ridicule accompli. Je veux dire, d’abord parce que la France quand elle signe un traité, par un chef d’État, sa signature engage l’avenir (…)
(…)
Q - Mais vous savez, sur tous ces sujets-là, par exemple les agences de notation sont extrêmement sceptiques, elles considèrent jusqu’à présent que tous les sommets qui ont eu lieu n’ont rien réglé sur le fond, d’où la menace de la fameuse dégradation qui plane sur nos têtes, même si finalement ça commence à exaspérer les Français.
R - Oui, cela exaspère les politiques, cela exaspère les Français. Tous les matins, en se rasant, on ne pense pas à la note de la France…
Q -…enfin, ce n’est pas une bonne nouvelle pour le président et le gouvernement, et pour vous-même, si on apprend dans les huit jours que la note de la France est dégradée.
R - Il y a des pays qui ne vont pas si mal que ça dont la note est dégradées. Les États-Unis par exemple, on n’a pas très bien compris pourquoi on leur avait dégradé la note ; et puis, il y a d’autres pays qui ont un triple A, comme la Grande-Bretagne, et qui vont plutôt mal, avec une augmentation de leur dette qui est le double de ce qui s’est passé en France et avec une diminution des salaires. Donc, arrêtons de vivre en se posant la question chaque matin qu’est-ce que vont faire les agences de notation.
Q - Oui, mais on a cru pendant très longtemps que c’était justement la ligne de crête, la ligne de bataille du président de la République.
R - Ce n’est pas une ligne de crête ou une bataille, c’est un indicateur. Cela n’est pas un objectif. Quand on fait des réformes, on ne les fait pas pour avoir le triple A, on fait des réformes parce que c’est l’intérêt de notre pays. En faisant ces réformes, on va retrouver la croissance et l’emploi.
Q - À propos de la Grande-Bretagne…
Q - Les ponts sont définitivement coupés avec David Cameron et les Anglais ?
R - Oh non, pas du tout !
Q - Vous continuez à discuter avec eux ?
R - Il y a une divergence de points de vue. La Grande-Bretagne dit «nous, on veut moins d’Europe», et nous disons «on veut plus d’Europe» ; et puis, la Grande-Bretagne dit «nous on ne veut pas de régulation des marchés financiers parce qu’on veut protéger la City», et nous disons «on veut une régulation des marchés financiers». Donc, c’est bien que de manière claire…
Q - … c’est un vrai clivage quand même, ce n’est pas… ça ne marchera pas.
R - Non, cela prouve bien qu’il y a deux visions de l’Europe et qu’à la fois nous n’avons pas à obliger les Britanniques à rentrer dans notre projet, mais les Britanniques ne peuvent pas non plus nous empêcher d’avancer plus loin.
(…).
source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 27 décembre 2011