Déclaration de M. Alain Juppé, ministre des affaires étrangères et européennes, sur l'avenir de l'Afrique et le partenariat stratégique de la France avec ce continent, notamment le Nigeria, Kano le 12 novembre 2011.

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  • Alain Juppé - Ministre des affaires étrangères et européennes

Circonstance : Voyage officiel d'Alain Juppé au Nigeria le 12 novembre 2011

Texte intégral

Monsieur le Gouverneur de l’État de Kano,
Monseigneur l’Émir de Kano,
Monsieur le Directeur de la Mambayya House,
Mesdames, Messieurs,

Tout au long de ma vie publique, en tant que ministre des Affaires étrangères, Premier ministre et ministre de la Défense, mais aussi comme député et comme maire de Bordeaux, j’ai toujours accordé une attention particulière à l’Afrique. Je suis en effet convaincu que le destin de l’Europe est intimement lié à celui du continent africain, son grand voisin du sud, qui comptera en 2050 1,8 milliards d’habitants.
C’est la raison pour laquelle, dès mon retour au ministère des Affaires étrangères, en mars dernier, j’ai fait de l’Afrique l’une des priorités de mon action. La France, qu’unissent depuis des siècles des liens profonds à de nombreux pays africains francophones, a en effet souhaité refonder sa relation avec votre continent pour la rendre toujours plus forte et toujours plus fraternelle. Elle entend notamment tisser des liens nouveaux avec tous les grands acteurs africains. C’est le sens des partenariats stratégiques que nous avons noués avec l’Éthiopie, l’Afrique du Sud, le Nigeria et le Kenya.
Aujourd’hui, je suis heureux de m’adresser à travers vous à la jeunesse africaine pour partager avec vous la vision que mon pays a de l’Afrique - et à bien des égards, l’État de Kano est l’illustration des défis et des espoirs qui sont ceux du Nigeria et du continent tout entier.

Le premier défi, le premier espoir, c’est celui de la sécurité et de la stabilité, qui sont la condition essentielle du développement.
Aujourd’hui, l’image que donnent les médias de votre continent n’est pas équilibrée. Elle ne permet pas d’appréhender une réalité incontestable : en Afrique, le nombre de conflits violents a été divisé par deux depuis les années 1990.
Pour autant, des situations très préoccupantes demeurent. Je pense à la crise somalienne qui, malgré des évolutions récentes, perdure depuis 20 ans. Je pense aussi à la crise au Darfour, aux difficultés entre le Soudan et le Soudan du Sud et aux rébellions et violences endémiques qui affectent de nombreux pays. Ces tensions trouvent leurs racines dans l’histoire imposée à l’Afrique, avec des frontières qui ne correspondent pas au vécu des peuples. Mais j’observe que, dans la plupart des réconciliations africaines de ces dernières années, il y a la démocratie qui progresse, le respect des individus qui s’affirme.
Un phénomène nouveau prend une ampleur considérable et vient introduire un facteur nouveau de déstabilisation très inquiétant : le terrorisme international. Il se développe au Sahel, avec Al Qaïda au Maghreb Islamique ; en Somalie et au Kenya, avec les Shebab ; et ici, au Nord du Nigeria, avec Boko Haram. La France a condamné avec la plus grande fermeté les attaques terroristes perpétrées la semaine dernière à Damaturu et à Maiduguri, et j’ai présenté mes condoléances aux familles des victimes. Mon pays n’est pas épargné par ce fléau, qui peut frapper partout dans le monde. J’étais Premier ministre lorsque les transports parisiens ont été la cible d’attentats meurtriers, en 1995. Plus récemment, deux jeunes Français sont morts au Niger et des terroristes n’ont pas hésité à kidnapper une Française âgée et handicapée au Kenya. Il était donc tout naturel pour moi de venir à Kano pour vous dire la solidarité de la France dans votre combat contre le terrorisme.
Comme vous, nous sommes déterminés à lutter contre cette violence aveugle et lâche, qu’aucun prétexte ne peut justifier. Comme vous, nous pensons que tous les moyens doivent être mobilisés face aux groupes terroristes, qui sont animés par une idéologie de haine et de destruction.
À cet égard, je voudrais saluer, Monsieur le Gouverneur, l’engagement de votre État à répondre aussi à la violence par le développement, la démocratie et la lutte contre la corruption et les mauvaises pratiques. À travers votre action, vous faites échos aux paroles du grand écrivain et prix Nobel de littérature, Wole Soyinka, qui conseillait en 2008 aux activistes des rébellions du Delta du Niger de «remplacer le militantisme armé par le militantisme intellectuel dans leur lutte pour la justice, la bonne gouvernance économique et l’équité dans nos pays».
Je voudrais aussi saluer votre combat contre le fanatisme, qui s’oppose à la vaccination des enfants et réduit le rôle des femmes dans la société, et votre attachement à défendre les valeurs universelles de tolérance et de respect mutuel. La lutte contre le terrorisme n’est pas celle d’une civilisation contre une autre. Elle n’est pas celle d’une religion contre une autre - vous le savez mieux que quiconque, ici, à Kano, dans cette ville qui, grâce à l’engagement de l’émir, Ado Bayero, en faveur de la paix, du dialogue et de l’unité, est aujourd’hui un exemple de vivre ensemble. Elle est le combat de la liberté et de la démocratie contre le fanatisme.
Dans ce combat, la communauté internationale tout entière doit unir ses efforts. Les pays de la région concernée sont bien sûr en première de ligne. Mais ils doivent pouvoir compter sur l’appui de leurs partenaires, dans le respect de leur souveraineté et de la volonté de leur population.
C’est le cas en Somalie. Les pays de la région coordonnent leur action, en lien avec le gouvernement fédéral de transition, et l’Union africaine est présente, avec l’AMISOM. Mais l’Union européenne est également mobilisée, à travers la formation des forces de sécurité somalienne, ainsi que la France, qui a formé plus de 15.000 soldats de l’AMISOM et apporté son appui logistique au Kenya le mois dernier.
C’est le cas aussi au Sahel, où nous appelons tous les gouvernements à agir ensemble, où nous soutenons les initiatives pour améliorer la coordination régionale et où nous souhaitons concentrer nos efforts sur l’aide au développement. Nous sommes ainsi à l’origine de la stratégie Union européenne-Sahel, qui prévoit de consacrer 150 millions d’euros supplémentaires à la région.
Un autre phénomène prend une ampleur sans précédent. Je veux parler de la piraterie, qui touche depuis longtemps la Corne de l’Afrique, mais se développe aujourd’hui de plus en plus dans le Golfe de Guinée.
Votre pays est particulièrement affecté, notamment dans les zones pétrolifères qui se situent au large de ses côtes - le détournement d’un pétrolier il y a quelques jours encore l’a rappelé. Le Nigeria a déjà fait beaucoup pour lutter contre la menace. Mais là encore, les pays de la région doivent coordonner leur action et leurs moyens, voire mutualiser la surveillance de leurs côtes. Nous appuyons toutes les initiatives en ce sens, qu’il s’agisse des efforts de la Communauté économique des États d’Afrique centrale ou de l’organisation d’une conférence régionale sur le sujet.
Pour relever le défi de la sécurité et de la stabilité en Afrique, la France et le Nigeria, qui ont noué un partenariat stratégique en 2008 à l’occasion de la visite à Paris de votre ancien président Yar’adua, peuvent faire beaucoup ensemble.
D’abord, parce que nous partageons un même attachement à la paix - votre pays est parvenu à régler avec succès et de manière pacifique son différend frontalier avec le Cameroun au sujet de la péninsule de Bakassi.
Ensuite, parce que le Nigeria est pour nous un partenaire essentiel au Conseil de sécurité des Nations Unies. Je suis fier que la France ait coparrainé avec le Nigeria la résolution 1975 sur la Côte d’Ivoire. Je voudrais aussi saluer l’engagement du Nigeria dans la crise libyenne. C’est l’honneur de votre pays que d’avoir voté la résolution 1973 : elle a permis de faire appliquer le principe de responsabilité de protéger, de sauver des milliers de vies et de soutenir les aspirations du peuple libyen à la liberté et à la démocratie.
Enfin, parce que le Nigeria joue un rôle clé au niveau régional. Et ce n’est pas un hasard si le siège de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest se trouve dans votre pays. J’ai rencontré ce matin le vice-président de la Commission, M. Somda, et le Commissaire chargé de la paix et de la sécurité, le général Touré. En lien avec l’Union africaine, les communautés économiques régionales sont appelées à jouer un rôle de plus en plus important en Afrique. C’est notamment la raison pour laquelle, en 2008, la France a fait le choix de réorganiser profondément son dispositif militaire pour l’orienter vers l’appui au développement de leurs capacités militaires.

Le deuxième grand défi auquel l’Afrique est confrontée, c’est la démocratie.
La crise ivoirienne a suscité des commentaires divers. On a parfois entendu dire que l’Afrique n’était pas faite pour la démocratie.
Ma conviction, c’est que l’Afrique est prête pour la démocratie. Et ce serait faire injure à l’humanité et à l’intelligence que de prétendre qu’il y a des peuples qui sont faits pour la démocratie et d’autre pas. L’aspiration à la liberté est universelle. L’aspiration à la démocratie est universelle. J’en veux pour preuve les traditions démocratiques anciennes qui existent dans les pays francophones, comme au Sénégal, mais aussi dans les pays anglophones. J’en veux aussi pour preuve les démocraties plus jeunes, comme le Botswana ou la Zambie, qui nous montrent que l’alternance est possible sans heurts. J’en veux enfin pour preuve la tendance qui se dessine depuis les années 1990 vers davantage d’élections pluralistes, avec 39 pays qui ont connu des élections présidentielles depuis cette date, contre 3 seulement auparavant (le Nigeria, le Cameroun et le Sénégal).
Je suis également convaincu qu’en matière de démocratie, il n’y a pas un modèle unique. Il y a au contraire autant de modèles d’organisation territoriale, de modes de scrutins et de constitutions qu’il y a d’États. C’est donc à chaque pays, avec son histoire et ses spécificités, d’inventer son propre modèle, dans le respect de la volonté du peuple. Le «printemps arabe» en témoigne : c’est le seul chemin possible.
Fidèle à l’héritage d’Aminu Kano, votre pays montre la voie. Cette année, les élections ont à nouveau été l’occasion pour le peuple du Nigeria de s’exprimer dans la diversité de ses partis et de ses choix politiques. Chacun sait qu’il y a eu des violences, et nous le regrettons profondément. Mais ce que je retiens, c’est que la démocratie progresse, au Nigeria comme sur l’ensemble du continent africain.
L’Union africaine et l’ensemble des organisations régionales, au premier rang desquelles la Communauté économique des États d’Afrique de l’ouest, y apportent toute leur contribution. Au cours des dernières années, elles ont permis la mise en place d’un véritable «corpus juridique panafricain» « sur la démocratie - je pense à la déclaration de Lomé sur les changements inconstitutionnels de gouvernement, à l’acte constitutif de l’Union africaine, au protocole de Durban sur l’architecture africaine de paix et de sécurité ,à la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, au protocole de la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest sur la démocratie et la bonne gouvernance. Elles se sont également engagées dans des actions d’observation électorale de plus en plus performantes. Enfin, l’Union africaine a apporté, avec succès, un appui politique croissant au développement de la démocratie sur le continent.
La France apporte également son soutien à ce processus. En cohérence avec les principes définis dans la stratégie Union européenne-Afrique, elle conduit une politique ambitieuse de coopération pour soutenir l’État de droit, renforcer l’échelon local de gouvernance, qui est un échelon essentiel de l’organisation démocratique, et améliorer la transparence.
Car nous le savons, pour beaucoup de pays africains, le chemin vers la démocratie sera encore long à parcourir. J’entends les jeunes et les femmes qui plaident pour que leurs droits soient mieux reconnus. Je lis les rapports de commissions chargées de la vérification des résultats électoraux, et la France appelle à ce que les juridictions puissent rendre des avis impartiaux et transparents. Nous savons que trop souvent encore, les droits civiques et les libertés publiques ne sont pas pleinement respectés. Mais ce qui nous paraît certain, aujourd’hui, c’est que le mouvement vers la démocratie est lancé. C’est que l’avenir de l’Afrique s’écrit dans la démocratie, et non pas dans des pratiques d’un autre âge.

Le troisième défi du continent africain, c’est celui du développement et de la croissance.
Là encore, le Nigeria est le reflet de la réalité africaine dans toute sa complexité. Il est le reflet des difficultés de l’Afrique. C’est particulièrement vrai ici, dans l’État de Kano, où les sources traditionnelles de revenus, au premier rang desquelles l’agriculture et l’industrie textile, se sont taries. Mais votre pays est également le symbole du formidable potentiel du continent africain.
Votre meilleur atout, c’est votre jeunesse. C’est sa volonté d’ouvrir des voies nouvelles, dans le respect des anciens, mais en se libérant du poids des traditions dépassées. C’est l’excellence de vos universités, qui forment les responsables de demain. La France y contribue pleinement, que ce soit dans le cadre de notre coopération scolaire et universitaire, ou grâce à notre réseau culturel, qui développe la présence de la langue et de la culture française au Nigeria.
Mais je n’oublie pas vos ressources naturelles considérables, notamment pétrolières, et votre formidable développement urbain, certes source de tensions, mais qui recèle un potentiel de croissance extraordinaire. Je n’oublie pas votre ouverture au monde - le Nigeria est depuis 2005, notre premier partenaire commercial en Afrique subsaharienne, et le volume des échanges a atteint 4,5 milliards d’euros en 2010. Je n’oublie pas, surtout, la croissance de votre économie : comme dans d’autres pays africains, elle a été impressionnante au cours des dernières années. Elle est désormais un moteur de la croissance mondiale.
L’enjeu, à présent, pour l’ensemble du continent africain, c’est de faire en sorte que tous les citoyens en aient leur part et que les bienfaits de la croissance ne se limitent pas à une poignée de privilégiés. C’est une condition essentielle d’un développement social harmonieux. Ici, au Nigeria, les immenses ressources ne sont pas réparties équitablement. 92 % de la population vit avec moins de deux dollars par jour. Le président Goodluck Jonathan est résolu à apporter davantage d’équité dans la répartition des revenus et de la richesse. Il s’y est déjà attelé, mais c’est une tâche de longue haleine. Ce sera celle de la génération nouvelle. Ce sera la vôtre.
La France est à vos côtés pour vous accompagner dans cet effort. L’Afrique subsaharienne demeure la première priorité de notre aide au développement. Nous y concentrons 60 % de notre effort budgétaire bilatéral mondial. Comme dans d’autres pays d’Afrique, l’Agence française de développement (AFD) est très investie au Nigeria - la convention que nous avons signée ce matin en témoigne. Elle soutient un nombre croissant de projets de développement dans le domaine des infrastructures, où les besoins sont immenses, afin de favoriser la croissance et l’emploi, mais aussi pour améliorer la vie quotidienne de la population. Je pense aux secteurs des transports en commun, de l’eau en milieu urbain, de l’irrigation pour l’agriculture ou des routes en zones rurales. Plus de cent vingt entreprises françaises ont d’ores et déjà investi au Nigeria, et leur nombre ne fera qu’augmenter. Il faut qu’elles viennent ici, dans le Nord, qui offre de nombreuses opportunités.
Au-delà de notre aide bilatérale, nous sommes à vos côtés dans le cadre du G20, dont la France a cette année assuré la Présidence. L’Afrique y joue tout son rôle. La semaine dernière, à Cannes, nous avons veillé à ce que les décisions prises profitent à l’ensemble du continent africain.
Je pense notamment à la lutte contre la volatilité excessive des prix des matières premières et des produits agricoles - la crise en Somalie a montré que beaucoup restait à faire dans le domaine.
Je pense aussi au développement, avec un agenda commun sur le thème des infrastructures - sur les 11 projets retenus à Cannes, 5 sont situés en Afrique - et de la sécurité alimentaire.
Je pense enfin à notre engagement commun en faveur de l’utilisation de financements innovants, en particulier de la taxe sur les transactions financières, à laquelle mon pays est très attaché.

Mesdames, Messieurs,
Vous ne sauriez imaginer à quel point l’Afrique est proche de la France. Parce que nous avons une longue histoire commune et que les cultures africaines sont connues et respectées dans notre pays. Parce que nous comptons aujourd’hui des milliers de ressortissants africains sur notre territoire, dont de nombreux étudiants. Parce que loin de nous éloigner, les indépendances nous ont rapprochés. Parce qu’à mesure que les États africains s’affirment, leurs liens avec la France deviennent de plus en plus denses.
Il y a eu les combats pour l’indépendance. Il y a eu la construction des États. Il y a maintenant la construction de la démocratie et du développement et l’affirmation de l’Afrique comme un acteur de la mondialisation. J’ai confiance dans la capacité de la jeunesse africaine à relever ces défis. J’ai confiance dans l’avenir de l’Afrique.
Je vous remercie.

Source http://www.diplomatie.gouv.fr, le 16 novembre 2011