Déclaration de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, sur le bilan des deux années d'existence du corps des Ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts (IPEF) et le rôle de l'expertise dans l'action publique, à Paris le 4 octobre 2011.

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Circonstance : Clôture du colloque des Ingénieurs des Ponts, des Eaux et des Forêts (IPEF) sur le thème "L'ingénieur, la décision et l'action publique", à Paris le 4 octobre 2011

Texte intégral

Monsieur le Membre du Conseil constitutionnel, Monsieur le Président du Conseil Economique Social et Environnemental, Messieurs les Préfets, Madame la Directrice générale, Monsieur le Président, Messieurs les Directeurs généraux, Monsieur le Secrétaire général, Mesdames, Messieurs, en écoutant Christian Leyrit, je pensais parodier ces vers de Victor Hugo : « Ce corps avait deux ans. Les IPEF remplaçaient… ». Je ne suis pas parvenue à faire des alexandrins. J’y renonce donc. Néanmoins, un petit poème aurait été utile pour vous remercier d’avoir pris l’initiative de ce colloque et pour vous remercier tous d’avoir répondu aussi nombreux à l’invitation. Le moment est parfaitement choisi et cette réflexion n’était pas inutile. Je suis très sensible au choix du jour : ce sujet de réflexion me semble être une question pour chaque instant de la vie quotidienne du ministre que je suis. C’est une question qui est aussi au coeur de l’avenir et du métier exercé par les IPEF.
Je souhaite apporter quelques commentaires de conclusions sur les deux thèmes successivement abordés.
* Le corps des IPEF
Dans Le Monde d’aujourd'hui figure un article du Français Jules Hoffman, prix Nobel de médecine 2011, qui ne souhaite passer qu’un message : la réhabilitation de la science. Ce message doit rencontrer un écho important chez nous tous qui avons une formation scientifique. Je suis moi-même ingénieure des ponts, des eaux et de forêts.
J’ai considéré avec un intérêt particulier le questionnaire adressé en juillet dernier à tous les IPEF : le premier enseignement est qu’une majorité d’entre eux pense que le corps n’est pas assez connu. Ne serait-ce que pour cela, cette journée avait du sens.
Le taux de réponse élevé, plus de 50 %, démontre l’engagement et la motivation des IPEF. Nous avons la responsabilité de transformer cette énergie. Nous disposons d’un matériau considérable, avec plus de 200 pages d’observations, qui seront utiles pour la suite et pourront alimenter les réflexions qui devront se poursuivre après cette journée.
Les IPEF se montrent très attachés à leur corps, quelle que soit leur position, qu’ils exercent au service de l’Etat, dans le privé ou dans les collectivités territoriales. Ce résultat peut paraître étonnant compte-tenu du caractère récent de ce corps.
Un grand nombre de questions ont été posées sur l’avenir des ingénieurs. A ce propos, le rapport remis au Premier ministre par Messieurs Canepa et Folz en 2009 avait bien mis en évidence que l’Etat avait besoin de cadres supérieurs à formation scientifique et technique pour garantir son indépendance de jugement. Cela est d’autant plus vrai dans un environnement complexe et dans des secteurs qui ne cessent d’intégrer de nouvelles technologies.
L’existence d’une filière technique qui ne serait pas séparée artificiellement, dans son encadrement supérieur, des autres filières, représente bien un atout majeur de la fonction publique française et un levier de modernisation de l’Etat, à l’heure où cela est plus que jamais d’actualité. Dans cet esprit, la notion de corps n’a rien de figé : on doit pouvoir échanger avec son environnement et évoluer.
L’évolution, c’est aussi l’ouverture. Avec la fusion, il y a deux ans, les deux corps ont su pratiquer cette ouverture. Il faut féliciter les Secrétariats généraux des deux Ministères qui ont mis en oeuvre cette fusion. Il était déjà question de cette fusion lorsque j’étais moi-même à l’ENGREF. Ce travail a été fastidieux. Il a fallu inventer une structure de gestion biministérielle. C’est aujourd'hui une réussite. Le rapprochement des deux cultures est un atout à faire fructifier. C’est également un atout dans la mise en oeuvre du Grenelle de l’environnement, au niveau central et aux niveaux déconcentrés, mais aussi au sein des collectivités territoriales ou de l’ensemble des entreprises. Notre corps est vu d’abord comme un corps d’ingénieurs de haut niveau, mais aussi un corps de généralistes et de managers. C’est la multiplicité de ces facettes qui en fait tout l’intérêt.
Il importe d’avoir de solides racines lorsque son titre s’achève sur le mot « forêt ». Vous souhaitez augmenter le nombre d’IPEF titulaires d’un doctorat. Cela a un coût, mais c’est un investissement pour l’avenir et pour l’ensemble de la formation du corps, ainsi qu’un sésame pour nous faire connaître auprès de tous les interlocuteurs étrangers. Je suis très disposée à ce qu’une réflexion approfondie puisse être menée par les deux Ministères sur cette question.
S’agissant de la formation initiale et du tronc commun, nous sommes encore dans une période de rodage du nouveau système. Ils représentent un élément important pour l’attractivité du corps. Nous devons poursuivre ces travaux dans ce monde où règne la concurrence, y compris avec les universités étrangères les plus prestigieuses. Nous devons offrir une formation de qualité bien identifiée, qui prépare à l’avenir mais permette aussi des parcours alternatifs à ce cursus de base lorsque cela est justifié. C’est aussi parce que le corps laisse une certaine liberté qu’il conserve tout son intérêt.
Vous voulez un corps plus ouvert sur l’extérieur, avec davantage d’allers-retours entre le public et le privé. Ce sujet est ancien et n’a jamais été totalement révolu. Je partage ce souci d’ouverture, pour avoir fait moi-même un début de carrières avec des allers-retours entre public et privé et avoir été alors assez mal comprise par les gestionnaires du corps.
* La place et le rôle de l’ingénieur dans l’action publique
Je suis très convaincue que, moyennant ces quelques adaptations à la façon dont les ingénieurs sont gérés, ceux-ci ont un grand avenir partout mais aussi à l’intérieur de la structure. Nous avons besoin d’une expertise indépendante, d’une expertise opposable, d’une expertise maison, qui soit à la fois pointue dans tous les domaines et transversale. Nous avons besoin de spécialistes des interactions complexes. Ainsi, l’interaction entre urbanisme et transports est aujourd'hui au coeur du quotidien de nos concitoyens ; nous devons trouver, dans notre corps, ces compétences croisées qui font toute la richesse des ingénieurs du corps.
On a l’habitude de déplorer une crise de l’expertise, imputée aux erreurs de communication de certaines politiques publiques dépassées ou d’échecs avérés. Un certain nombre d’événements déstabilisateurs sont certes survenus, mais ils ont contribué à faire émerger un nouveau modèle de gouvernance dont le MEDDTL se veut le fer de lance, le pilote et l’exemple. Ces crises ont renforcé des attentes légitimes de nos concitoyens par rapport à une multitude de réseaux, qui sont autant de sources d’informations. L’expertise n’est pas déconsidérée. Elle appelle toujours plus d’exigence et est toujours plus demandée, dans la plus grande qualité. Le Grenelle de l’Environnement affirme le droit d’accès à l’information environnementale et l’exigence d’une expertise pluraliste pour le développement durable. La vocation de l’expertise publique et singulièrement des IPEF se trouve ici renforcée. Je reprends à dessein les termes de la Commission d’orientation et de suivi : « expertise publique vivante et sociale, impliquant souvent le recours à une analyse systémique ».
Dans mon esprit, nous parlons bien à l’ensemble des IPEF, à l’intérieur, dans les organismes déconcentrés, dans les collectivités, dans le privé, dans des organismes scientifiques et techniques, etc. Ils sont tous des membres vivants de ce corps. Chacun participe de cette richesse et de cette image que je crois forte et que je voudrais toujours plus forte dans les années à venir, d’un corps d’excellence qui a beaucoup à apporter à la modernité. C’est tout le mal que je vous souhaite.
Source http://www.cgedd.developpement-durable.gouv.fr, le 27 décembre 2011