Interview de M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative à France-Inter le 7 décembre 2011, sur les effectifs des enseignants, le système scolaire et le climat politique.

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Média : France Inter

Texte intégral


 
 
 
PATRICK COHEN On en parlait dans le journal de 08h, des parents séquestrent depuis hier soir la directrice d’une école privée de Berre-l’Etang, près de Marseille, avec quatre autres personnes, dont trois institutrices, pour obtenir le renvoi d’un instituteur, un professeur de CM1 qui, disent-ils, mettrait leurs enfants en danger. Que savez-vous de cette histoire, votre ministère est-il intervenu ?
 
LUC CHATEL Ecoutez, d’abord, tout arrive, y compris dans l’enseignement catholique, voyez, non, c’est une méthode un peu curieuse pour faire valoir certaines revendications que de séquestrer la directrice. Alors, il s’agit – comme vous l’avez rappelé – d’un établissement privé sous contrat, qui est géré par l’enseignement catholique, l’Inspection d’Académie des Bouches-du-Rhône est en contact avec cet établissement. Et nous sommes en train de regarder cette affaire, mais c’est aussi à la direction diocésaine qui gère l’établissement d’apporter des réponses aux parents d’élèves. Franchement, la méthode est un peu particulière.
 
PATRICK COHEN La méthode est particulière, on peut penser aussi que, attendre un coup d’éclat, une prise d’otage pour que des parents qui dénoncent un danger pour leurs enfants soient entendus, c’est aussi...
 
LUC CHATEL Oui, enfin, danger pour les enfants en CM1, je veux bien tout ce qu’on veut, mais nous allons regarder, l’Inspection d’Académie prend ça avec beaucoup de sérieux, naturellement, et nous allons regarder comment répondre à ces difficultés. Mais encore une fois, il y a d’autres méthodes que de séquestrer la directrice d’une école.
 
PATRICK COHEN L’enseignant en question sera muté, il ira enseigner ailleurs, c’est ce qui s’appelle déplacer le problème.
 
LUC CHATEL Mais je n’ai pas d’éléments d’information sur ce professeur qui serait manifestement un professeur stagiaire, il faut aussi que les parents d’élèves acceptent que, un professeur, lorsqu’il est en phase de formation, il découvre le métier, il est accompagné, il est entouré, et que, on n’a pas la science infuse lorsqu’on démarre dans la vie professionnelle. Donc nous allons regarder la situation de cet enseignant, nous allons y répondre au mieux, encore une fois, c’est un établissement privé, sous contrat, et c’est donc à la direction diocésaine, qui a la responsabilité d’organisation de l’enseignement dans cette école, d’apporter une réponse, en lien bien sûr avec les autorités académiques, l’Education nationale, mais c’est une responsabilité de la direction diocésaine, enseignement privé sous contrat.
 
PATRICK COHEN Autre chose dans l’actualité éducative, mais surtout politique, Marine LE PEN empêchée de s’exprimer dans une enceinte universitaire hier, à Paris Dauphine, elle a raison de crier au scandale ?
 
LUC CHATEL En l’occurrence, je ferai tout pour combattre les idées de Marine LE PEN, mais, je pense qu’elle a raison, parce que, pour combattre des idées, il faut aussi laisser ses adversaires s’exprimer. Donc on a toujours intérêt à organiser des débats, y compris contre les gens que l’on critique, que l’on condamne, et dont on combat les idées, donc je pense que ça n’est pas de bonnes méthodes que d’empêcher ce type de débat.
 
PATRICK COHEN Donc vous n’encouragerez aucune manifestation contre des déplacements ou des venues ou des prises de parole de Marine LE PEN ?
 
LUC CHATEL Non, ce n’est pas dans ma culture, je pense que pour combattre Marine LE PEN, on a au contraire à intérêt à échanger avec elle, à organiser des débats, et à expliquer à quel point ses idées ne sont pas adaptées à la situation de la France d’aujourd’hui.
 
PATRICK COHEN Interview de Luc CHATEL, vous-même, dans LES ECHOS, c’était le 17 novembre, oui, il est encore possible de supprimer des postes supplémentaires dans l’Education nationale si on fait des réformes d’organisation et de structure. Ce n’est pas une provocation, Luc CHATEL ?
 
LUC CHATEL Alors, je vous remercie d’avoir cité la phrase dans son ensemble, parce que beaucoup n’ont retenu que la première partie de la phrase, mais effectivement, j’ai dit que si on travaillait sur l’organisation du système, sur une meilleure efficience, alors, oui, on dégagerait de nouveau des marges de manoeuvre. Je pense que le système éducatif aujourd’hui n’est pas suffisamment adapté aux besoins des établissements scolaires, à l’autonomie, aux marges de manoeuvre qu’on doit donner à la fois aux chefs d’établissement et aux enseignants…
 
PATRICK COHEN Je ne sais pas s’il est sur-adapté, s’il n’est pas adapté, mais il n’est pas sur-encadré en tout cas, le système éducatif…
 
LUC CHATEL Eh bien, il est plus encadré qu’il y a quinze ou vingt ans, puisqu’il y a plus de professeurs et moins d’élèves qu’il y en avait en 1990, et qu’aujourd’hui, il y a moins d’élèves par classe, aussi bien en maternelle, en primaire, en collège et en lycée professionnel, qu’il y avait en 1990 contrairement à toutes les caricatures qu’on entend ici ou là.
 
PATRICK COHEN 165.000 postes, 165.000 emplois à temps plein supprimés depuis 2003, 14% des effectifs…
 
LUC CHATEL Alors, à l’Education nationale, c’est 70.000 depuis 2007, c’est-à-dire le début de la mandature de Nicolas SARKOZY, c’est un engagement que le candidat SARKOZY avait pris devant les Français, en leur disant : je veux moins d’enseignants mieux rémunérés, et si nous avons pu augmenter de 18% en début de carrière nos enseignants, nous passerons le cap symbolique des 2.000 euros sur la première fiche de paie des enseignants le 1er février prochain. Si nous avons pu faire ça, c’est précisément parce que nous n’avons pas remplacé la moitié des fonctionnaires qui partaient en retraite. Donc si vous voulez, il y a deux visions de la gestion des finances publiques, il y a ceux qui considèrent que, on peut toujours sortir le carnet de chèques, en faire toujours plus, recruter 60.000 postes, et on sait très bien que ça aboutira à la fin à une rémunération moins bonne pour les fonctionnaires, parce qu’on ne peut pas tout faire, et même les enseignants le savent. Et il y a ceux, comme nous, qui considèrent qu’on peut travailler sur une meilleure organisation du système, avec moins de fonctionnaires, mais mieux rémunérés, c’est ce que nous avons fait depuis 2007.
 
PATRICK COHEN Vos suppressions de postes, elles coûtent cher en heures supplémentaires, Luc CHATEL, 1,3 milliard d’euros en 2010-2011, ce qui représente l’équivalent de 40.000 emplois à temps plein, dit le rapport de la Commission de l’Education du Sénat.
 
LUC CHATEL Mais les heures supplémentaires, elles sont nécessaires, d’abord, elles sont nécessaires pour adapter localement l’organisation du système, lorsque vous avez un enseignant qui est absent pendant quelques jours et que cette absence n’avait pas pu être anticipée, pour telle ou telle raison, ce qu’on peut très bien comprendre, eh bien, c’est important que, on puisse faire des heures supplémentaires, on peut réaffecter des heures pour que le remplacement puisse s’effectuer. Ensuite, oui, nous avons proposé aux enseignants qui le souhaitaient de travailler davantage, et ça a un réel impact puisque je rappelle que l’Education nationale est le premier bénéficiaire des dispositifs de la loi TEPA, Travail, emploi, pouvoir d’achat, donc c’est, je pense, une bonne chose, parce que, en moyenne, ,les enseignants pratiquent aujourd’hui 1,3 heure supplémentaire par semaine, ce qui fait une amélioration de leur pouvoir d’achat de l’ordre de 7 à 10%, ce qui est important.
 
PATRICK COHEN Dans l’actualité politique du jour, François BAYROU, qui va déclarer officiellement sa candidature à l’élection présidentielle. François BAYROU, il est toujours dans votre camp, dans votre famille politique, comment le regardez-vous, ou à vos yeux, il est ailleurs… ?
 
LUC CHATEL Moi, je pense que ce sera à lui…
 
PATRICK COHEN Et allié potentiel du Parti socialiste...
 
LUC CHATEL Historiquement, si on regarde les vingt dernières années, la famille politique de François BAYROU faisait partie de la majorité présidentielle de droite et du centre pendant des années, simplement, François BAYROU a fait des choix politiques depuis 2002, en gros, qui ont été différents, en recherchant une troisième voie, je ne crois pas pour ma part que cette troisième voie soit possible, à la fois compte tenu de la situation économique et politique que nous connaissons, et puis, en même temps, compte tenu…
 
PATRICK COHEN Pourquoi ?
 
LUC CHATEL Mais parce que, aujourd’hui, nous avons, compte tenu de la crise – j’en ai la conviction – une vraie cristallisation des votes, des voix, des concentrations, des aspirations des Français autour des deux grandes familles politiques dites de gouvernement qui peuvent incarner l’avenir, donc soit l’UMP, la majorité actuelle, soit, autour des socialistes, et le mode de scrutin…
 
PATRICK COHEN Le PS peut incarner l’avenir, Luc CHATEL, c’est ce que vous venez de dire…
 
LUC CHATEL Non, je dis que le PS est un parti de gouvernement, voilà, il peut incarner l’avenir dans l’opposition aussi, Patrick COHEN ! Donc, ce que je disais aussi, c’est que le mode de scrutin actuel, tel qu’il existe, et qui est un bon mode de scrutin, un scrutin majoritaire, ne favorise pas l’émergence d’une troisième voie, donc je pense que c’est à François BAYROU de se positionner et de dire où est-ce qu’il habite en fait, ce sera un peu l’enjeu de la prochaine présidentielle.
 Source : Premier ministre, Service d’Information du Gouvernement, le 9 décembre 2011