Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire, sur l'organisation économique des filières et la compétitivité au niveau national et la régulation au niveau européen, Poitiers le 7 décembre 2011.

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Circonstance : 18è Congrès de la Coordination rurale, à Poitiers le 7 décembre 2011

Texte intégral

Monsieur le président Bernard LANNES,
Mesdames, Messieurs,
J’aimerais d’abord vous remercier pour votre invitation et vous dire tout le plaisir que j’ai à participer à cette assemblée générale.
C’est la première fois que je viens, et c’est aussi je crois la première fois qu’un ministre participe à l’assemblée générale de la Coordination rurale.
Vous l’avez dit, je veux être le ministre de tous les agriculteurs. J’aimerais que ma présence ici soit pour chacun d’entre vous le témoignage clair de ma volonté de rassembler tous les paysans français et de travailler avec tous les syndicats.
J’ai entendu vos demandes et j’ai écouté avec attention vos propositions : je suis heureux de voir que nous partageons les mêmes objectifs.
Quels sont ces objectifs ?
* C’est l’organisation économique des filières et la compétitivité au niveau national ;
* C’est la régulation au niveau européen ;
* C’est la réciprocité au niveau international.
I. 1er axe : l’organisation économique des filières
1. Sur les contrats, je trouve votre bilan un peu sévère.
* Je crois dans la contractualisation. C’est le seul moyen de donner de la visibilité, et donc de la prévisibilité, aux producteurs. Ce n’est pas une solution miracle, mais c’est une garantie de sécurité indispensable pour les agriculteurs.
* Vous dites que les contrats ne marchent pas. Je ne suis pas d’accord :
- Dans la filière ovine, la contractualisation est entrée dans sa phase finale.
- Dans la filière bovine, elle commence à se mettre en place.
- Même dans la filière laitière, nous voyons se conclure dans certains points du territoire des contrats tout à fait convenables (Danone par ex).
* Alors oui, je le reconnais, tout cela prend un peu de temps, parce que c’est nouveau, parce que c’est compliqué, et parce que cela suppose un véritable changement de mentalité dans les filières.
* Oui, je le reconnais, il y a des abus scandaleux de la part des industriels, et j’ai été le premier à dénoncer les contrats proposés par Lactalis en mars dernier.
* Je le redis : les contrats n’ont de sens que s’ils sont favorables aux producteurs.
* Vous pouvez compter sur moi pour faire pression sur les industriels afin qu’ils proposent des contrats justes et équitables aux producteurs.
- J’ai mis en place un médiateur pour éviter que les industriels n’imposent leur diktat. Je n’hésiterai pas à le saisir si je vois que certains industriels refusent de respecter les règles qui ont été fixées.
* J'ai tout fait pour renforcer le pouvoir des producteurs de lait. Nous sommes en train d'y arriver.
- Le 15 décembre prochain, pour la première fois depuis douze ans, nous adopterons une modification du droit de la concurrence européen qui permettra aux producteurs de lait de se rassembler jusqu’à un seuil fixé à 3,5 % de la production laitière communautaire et à un tiers de la production nationale.
- Le Paquet lait va permettre aux producteurs de se regrouper non plus à 300 ou 400 comme ils le font aujourd'hui, mais à 3 000 ou 4 000.
? Le contrat fonctionnera parce que les producteurs seront plus nombreux pour négocier un prix équitable avec les industriels. Et si dans l'intervalle, un certain nombre d'industriels abusent, je le dis une fois encore, le médiateur est là pour rétablir l'équilibre entre les parties
2. Si la contractualisation met un peu de temps à se mettre en place, c’est aussi parce que les interprofessions ne jouent pas le rôle qu’elles devraient jouer.
* Sur ce sujet, vous connaissez ma position : j’ai toujours défendu la pluralité syndicale au sein des interprofessions. Depuis deux ans, j’ai multiplié les appels à la responsabilité et au dialogue. J’ai engagé à mon niveau toutes les consultations nécessaires. Cela n’a pas eu les résultats que j’espérais, et je le regrette.
* Pour autant, je refuse d’en passer par une modification réglementaire.
- Les interprofessions sont des associations de droit privé qui décident souverainement de leur organisation. Ce n’est pas à moi de décider si elles veulent ou non s’ouvrir à l’ensemble des organisations syndicales représentatives.
* Je continuerai à défendre l’élargissement des interprofessions.
II. 2ème axe : la compétitivité
1. Je ne suis pas favorable à la TVA sociale, que ce soit dans l’agriculture ou dans d’autre secteurs car :
* C’est faire peser sur les ménages des charges qu’ils ne pourront pas supporter.
* C’est creuser notre écart avec l’Allemagne au moment où nous faisons tout pour nous en rapprocher.
2. En revanche, je n’hésite pas à dire qu’il y a un vrai problème de coût du travail en France qui pénalise nos producteurs et qui bride notre compétitivité (ex asperges alsaciennes/allemandes).
* Nous avons exonéré de toutes charges sociales le travail occasionnel dans l’agriculture.
* Nous réduirons le coût du travail permanent d’un euro de l’heure au 1er janvier 2012.
* Il ne s'agit absolument pas de céder à un dumping social en Europe. Je suis le premier à dire que des coûts du travail à 5 ou 6 euros de l'heure, ce n'est pas acceptable.
* Il s’agit simplement de permettre à nos agriculteurs de se battre à armes égales avec leurs concurrents européens.
3. La réduction des coûts, c’est aussi l’amélioration de la performance énergétique des exploitations.
* Vous avez consacré une partie de votre AG à la méthanisation.
* Je souhaite que la méthanisation se développe dans notre pays. Nous n'avons pas vocation à laisser voir s'édifier en Allemagne des milliers d'installations de méthanisation – il y en a plus de 4.000 aujourd'hui – qui représentent un revenu direct pour les agriculteurs, tandis que nous en avons à peine une dizaine en fonctionnement dans notre pays.
* C’est la raison pour laquelle je me suis battu pour obtenir un nouveau tarif de rachat de l'électricité produite par les unités de méthanisation.
III. 3ème axe : l’Europe
1. J’ai toujours défendu la régulation des marchés
* Je le dis depuis le début : la libéralisation totale des marchés agricoles est une folie pour l’Europe.
* Cela fait plus de deux ans que je me bats à Bruxelles pour maintenir des outils de régulation des marchés (ex lait, sucre, viticulture).
- Nous avons eu gain de cause sur le principe, mais sur les modalités, je souhaite que les propositions de la Commission aillent plus loin.
2. Tout cela ne sert à rien si nous n’appliquons pas un strict principe de réciprocité dans les échanges internationaux.
* La réciprocité, c’est en finir avec une certaine naïveté européenne qui consiste à croire que nous pouvons traiter d’égal à égal avec des pays qui n’ont ni les mêmes règles sociales, ni les mêmes règles environnementales, ni les mêmes règles sanitaires que nous.
- L’Europe doit apprendre à défendre ses intérêts. Nous ne pouvons pas demander à nos producteurs de respecter des règles parmi les plus strictes au monde et ouvrir tout grand nos frontières à des produits qui ne respectent aucune de ces règles.
- De ce point de vue, je le dis haut et fort : nous ne ferons pas un pas de plus dans les négociations commerciales avec l’OMC et le Mercosur.
* La réciprocité, c’est protéger nos producteurs tout en conservant notre capacité d’exportation.
- L’avenir de l’agriculture européenne se joue sur les marchés à l’exportation. C’est là que se trouve la richesse ; c’est là qu’il faut aller la chercher.
? C’est ce que nous avons réussi à faire dans la viticulture ; nous avons restructuré la filière, nous avons gagné des parts de marché en Chine et aujourd???hui, nous sommes redevenus la première viticulture au monde.
? C’est que nous commençons à faire dans le secteur bovin. Aujourd’hui, pourquoi les prix de la viande bovine remontent-ils ? Parce que nous avons ouvert un certain nombre de marchés à l’exportation (Russie, Turquie, Kazakhstan, Afrique du Nord…).
- C’est la preuve que l’agriculture française peut réussir dans la mondialisation.
* La réciprocité, enfin, c’est arrêter de vouloir en faire toujours plus que les autres en matière environnementale.
- Oui, nous voulons une agriculture durable. C’est un cap non négociable.
- Mais nous devons faire en sorte que l’environnement soit un atout et pas un handicap pour les producteurs.
- Pour qu’elles soient acceptables par tous, les règles environnementales doivent respecter un certain nombre de principes que j'ai fixés en 2009 :
? Elles doivent être compatibles avec la situation économique des exploitations
? Elles doivent être incitatives : le verdissement de la PAC n’est pas là pour stigmatiser les agriculteurs ; il est là pour les encourager.
? Elles doivent être européennes : marché unique, règles uniques en Europe
? Elles doivent être fondées sur le principe de réciprocité internationale.
CONCLUSION : Je crois dans l’agriculture française :
* Je crois dans la diversité des territoires et des exploitations ;
* Je crois dans la qualité de ses produits, car nous savons que c’est cette qualité qui fait notre valeur ajoutée sur les marchés.
* Je crois dans sa capacité à se moderniser et à retrouver sa place – la 1ère place – dans le monde de demain.
Source http://www.coordinationrurale.fr, le 29 décembre 2011